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Plus fort que Sherlock Holmès

Mark Twain

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Livres pour EnfantsMarc Twain – Plus fort que Sherlock Holmès – Table des Matières
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DEUXIÈME PARTIE Chapitre I > > >

PREMIÈRE PARTIE

Chapitre V

Le jour suivant s’écoula sans aucun incident. Minuit va sonner et, dans peu d’instants, une nouvelle journée commencera. La scène se passe au bar, dans la salle de billard. Des hommes d’aspect commun, aux vêtements grossiers, coiffés de chapeaux à larges bords, portent leurs pantalons serrés dans de grosses bottes, ils sont tous en veston et se tiennent groupés autour d’un poêle de fonte qui, bourré de charbon, leur distribue une généreuse chaleur ; les billes de billard roulent avec un son fêlé ; à l’intérieur de la salle, on n’entend pas d’autre bruit ; mais, au dehors, la tempête mugit. Tous paraissent ennuyés et dans l’attente.

Un mineur, aux épaules carrées, entre deux âges, avec des favoris grisonnants, l’œil dur et la physionomie maussade, se lève sans mot dire, il passe son bras dans un rouleau de mèche, ramasse quelques objets lui appartenant et sort sans prendre congé de ses compagnons. C’est Flint Buckner. A peine la porte est-elle refermée sur lui que la conversation, gênée par sa présence, reprend avec entrain.

 — Quel homme réglé ! il vaut une pendule, dit Jack Parker, le forgeron, sans tirer sa montre ; on sait qu’il est minuit quand il se lève pour sortir.

 — Sa régularité est bien la seule qualité qu’il possède, répliqua le mineur Peter Hawes, je ne lui en connais pas d’autre ; vous non plus, que je sache ?

 — Il fait tache parmi vous, dit Ferguson, l’associé de Well-Fargo. Si j’étais propriétaire de cet établissement, je le forcerais bien à se démuseler un jour ou l’autre, qu’il le veuille ou pas !

En même temps il lança un regard significatif au patron du bar qui fit semblant de ne pas comprendre, car l’homme en question était une bonne pratique, et rentrait chaque soir chez lui après avoir consommé un stock de boissons variées servies par le bar.

Dites donc, les amis, demanda le mineur Ham Sandwich, l’un de vous se souvient-il que Buckner lui ait jamais offert un cocktail ?

 — Qui ? lui ? Flint Buckner ? Ah ! non certes !

Cette réponse ironique sortit avec un ensemble parfait de la bouche de tous les assistants.

Après un court silence, Pat Riley, le mineur, reprit :

 — Cet oiseau-là est un vrai phénomène. Et son aide tout autant que lui. Moi, je ne les comprends ni l’un ni l’autre ; je donne ma langue au chat !

 — Vous êtes pourtant un malin, répondit Ham Sandwich, mais, ma foi, les énigmes que sont ces deux individus restent impossibles à deviner. Le mystère qui entoure le patron enveloppe également son acolyte. C’est bien votre avis n’est-ce pas ?

 — Pour sûr !

Chacun acquiesça. Un seul d’entre eux gardait le silence. C’était le nouvel arrivant, Peterson. Il commanda une tournée de rafraîchissements pour tous et demanda si, en dehors de ces deux types étranges, il existait au camp un troisième phénomène.

 — Nous oublions Archy Stillmann, répondirent-ils tous.

Celui-là aussi est donc un drôle de pistolet ? demanda Peterson.

 — On ne peut pas vraiment dire que cet Archy Stillmann soit un phénomène, continua Ferguson, l’employé de Well-Fargo ; il me fait plutôt l’effet d’un toqué !

Ferguson avait l’air de savoir ce qu’il disait. Et comme Peterson désirait connaître tout ce qui concernait Stillmann, chacun se déclara prêt à lui raconter sa petite histoire. Ils commencèrent tous à la fois, mais Billy Stevens, le patron du bar, rappela tout le monde à l’ordre, déclarant qu’il valait mieux que chacun parlât à son tour.

Il distribua les rafraîchissements et donna la parole à Ferguson.

Celui-ci commença :

 — Il faut d’abord vous dire qu’Archy n’est qu’un enfant, c’est tout ce que nous savons de lui ; on peut chercher à le sonder, mais c’est peine perdue ; on n’en peut rien tirer ; il reste complètement muet sur ses intentions et ses affaires personnelles ; il ne dit même pas d’où il est et d’où il vient. Quant à deviner la nature du mystère qu’il cache, c’est impossible, car il excelle à détourner les conversations qui le gênent. On peut supposer tout ce que l’on veut ; chacun est libre, mais à quoi cela mène-t-il ? A rien, que je sache !

Quel est, en fin de compte, son trait de caractère distinctif ? Possède-t-il une qualité spéciale ? La vue peut-être, l’ouïe, ou l’instinct ? La magie, qui sait ? Choisissez, jeunes et vieux, femmes et enfants. Les paris sont ouverts. Eh bien, je vais vous édifier sur ses aptitudes ; vous pouvez venir ici, disparaître, vous cacher, où vous voudrez, n’importe où ; près ou loin, il vous trouvera toujours et mettra la main sur vous.

 — Pas possible ?

 — Comme j’ai l’honneur de vous le dire. Le temps ne compte pas pour lui, l’état des éléments le laisse bien indifférent, il n’y prête aucune attention ; rien ne le dérange !

 — Allons donc ! et l’obscurité ? la pluie ? la neige ?

 — Hein ?

 — Tout cela lui est bien égal. Il s’en moque.

 — Et le brouillard ?

 — Le brouillard ! ses yeux le percent comme un boulet de canon ! Tenez, jeunes gens. Je vais vous raconter quelque chose de plus fort. Vous me traiterez de blagueur !

 — Non, non, nous vous croyons, crièrent-ils tous en chœur. Continuez, Well-Fargo.

 — Eh bien ! messieurs, supposez que vous laissiez Stillmann ici en train de causer avec vos amis : sortez sans rien dire, dirigez-vous vers le camp et entrez dans une cabane quelconque de votre choix ; prenez-y un livre, plusieurs si vous voulez, ouvrez-les aux pages qu’il vous plaira en vous rappelant leurs numéros ; il ira droit à cette cabane et ouvrira le ou les livres aux pages touchées par vous ; il vous les désignera toutes sans se tromper.

 — Ce n’est pas un homme, c’est un démon.

 — Je suis de votre avis. Et maintenant, je vous raconterai un de ses exploits les plus merveilleux.

 — La nuit dernière, il a…

Il fut interrompu par une grande rumeur au dehors ; la porte s’ouvrit brusquement et une foule en émoi se précipita dans le bar entourant la seule femme blanche du camp qui criait et pleurait :

 — Ma fille ! ma fille ! partie ! perdue ! Pour l’amour du ciel, dites-moi où est Archy Stillmann, nous ne savons plus où chercher.

 — Asseyez-vous, Mrs Hogan, lui dit le patron du bar. Asseyez-vous et calmez-vous, Stillmann est ici depuis trois heures ; il a engagé une chambre après avoir rôdé toute la journée à la recherche d’une piste, suivant sa bonne habitude. Il est ensuite monté se coucher. Ham Sandwich, va donc le réveiller et amène-le ; il est au numéro 14.

Archy fut vite habillé et en bas. Il demanda des détails à Mrs Hogan.

 — Hélas ! mon ami, je n’en ai pas. Si j’en possédais seulement ! Je l’avais couchée à sept heures et lorsque je suis rentrée, il y a une heure, plus personne ! Je me suis précipitée chez vous ; vous n’y étiez pas ; depuis, je vous cherche partout, frappant à toutes les portes ; je viens ici en désespoir de cause, folle, épouvantée, le cœur brisé. Dieu merci, je vous ai trouvé enfin ! et vous me découvrirez mon enfant ! Venez vite ! vite !

 — Je suis prêt, Madame, je vous suis ; mais regagnez d’abord votre logement.

Tous les habitants du camp avaient envie de prendre part à la chasse. Ceux de la partie Sud du village étaient sur pied, et une centaine d’hommes vigoureux balançaient dans l’obscurité les faibles lueurs de leurs lanternes vacillantes. Ils se formèrent en groupes de trois ou quatre, pour s’échelonner plus facilement le long du chemin, et emboîtèrent rapidement le pas des guides. Bientôt, ils arrivèrent à la maisonnette des Hogan.

 — Passez-moi une lanterne, dit Archy.

Il la posa sur la terre durcie et s’agenouilla en ayant l’air d’examiner le sol attentivement.

 — Voilà sa trace, dit-il en indiquant du doigt deux ou trois marques sur le sol. La voyez-vous ?

Quelques-uns d’entre les mineurs s’agenouillèrent et écarquillèrent leurs yeux pour mieux voir. Les uns s’imaginèrent apercevoir quelque chose, les autres durent avouer, en secouant la tête de dépit, que la surface très unie ne portait aucune marque perceptible à leurs yeux.

 — Il se peut, dit l’un, que le pied de l’enfant ait laissé son empreinte, mais je ne la vois pas.

Le jeune Stillmann sortit, tenant toujours la lampe près de la terre ; il tourna à gauche, et avança de quelques pas en examinant le sol soigneusement.

 — Je tiens la trace, venez maintenant, et que quelqu’un prenne la lanterne.

Il se mit en route, d’un pas allègre, dans la direction du Sud, escorté par les curieux, et suivit, en décrivant des courbes, toutes les sinuosités de la gorge pendant une lieue environ. Ils arrivèrent à une plaine couverte de sauges, vaste et obscure. Stillmann commanda : Halte, ajoutant :

 — Il ne s’agit pas de partir sur une fausse piste, orientons-nous de nouveau dans la bonne direction.

Il reprit la lanterne et examina la route sur une longueur de vingt mètres environ.

 — Venez, dit-il, tout va bien.

Il se remit en route, fouillant les buissons de sauge, pendant un quart de mille et obliquant toujours à droite ; puis il prit une autre direction, fit un grand circuit, repartit droit devant lui et marcha résolument vers l’ouest pendant un demi-mille. Il s’arrêta, disant :

 — Elle s’est reposée ici, la pauvre petite. Tenez la lanterne et regardez ; c’est là qu’elle s’est assise.

A cet endroit, le sol était net comme une plaque d’acier et il fallait une certaine audace pour prétendre reconnaître sur ce miroir uni la moindre trace révélatrice. La malheureuse mère, reprise de découragement, tomba à genoux, baisant la terre et sanglotant.

 — Mais où est-elle alors ? demanda quelqu’un. Elle n’est pourtant pas restée ici ; nous la verrions, je pense.

Stillmann continua à tourner en rond sur place, sa lanterne à la main ; il paraissait absorbé dans ses recherches.

 — Eh bien ! dit-il, sur un ton maussade. Je ne comprends plus.

Il examina encore.

 — Il n’y a pas à en douter, elle s’est arrêtée ici, mais elle n’en est pas repartie. J’en réponds ! Reste à trouver l’énigme.

La pauvre mère se désolait de plus en plus.

 — Oh ! mon Dieu ! et vous Vierge Marie ! venez à mon aide ! Quelque animal l’a emportée ! C’est fini ! je ne la reverrai jamais, jamais plus !

 — Ne perdez pas espoir, madame, lui dit Archy. Nous la retrouverons, ne vous découragez pas.

 — Dieu vous bénisse pour ces bonnes paroles de consolation, monsieur Archy, et elle prit sa main quelle couvrit de baisers.

Peterson, le dernier arrivé, chuchota avec ironie à l’oreille de Ferguson :

 — En voilà une merveille d’avoir découvert cet endroit. Vraiment pas la peine de venir si loin, tout de même ; le premier coin venu nous en aurait appris autant. Nous voilà bien renseignés, maintenant !

L’insinuation n’était pas du goût de Ferguson, qui répondit sur un ton emballé :

 — Vous allez peut-être chercher à nous faire croire que l’enfant n’est pas venue ici ? Je vous déclare que cette petite a passé par ici ; si vous voulez vous attirer de sérieux ennuis, vous n’avez qu’à…

 — Tout va bien ! cria Stillmann. Venez tous ici et regardez bien. La trace nous crevait les yeux et nous n’y avons rien vu les uns et les autres.

Tous s’accroupirent avec ensemble à l’endroit supposé où l’enfant avait dû s’asseoir et se mirent à écarquiller les yeux en fixant le point désigné par le doigt d’Archy. Après une pause suivie de profonds soupirs de découragement, Pat Riley et Ham Sandwich répondirent ensemble :

 — Eh bien, Archy ? Nous n’avons rien vu !

 — Rien ? vous appelez cela rien ?

Et avec son doigt il fit sur le sol un signe cabalistique.

 — Là, la reconnaissez-vous maintenant la trace d’Injin Billy ? C’est lui qui a l’enfant.

 — Dieu soit loué ! s’écria la mère.

 — Reprenez la lanterne. Je tiens de nouveau la bonne direction. Suivez-moi.

Il partit comme un trait, traversant rapidement les buissons de sauge, puis disparut derrière un monticule de sable ; les autres avaient peine à suivre : ils le rejoignirent et le retrouvèrent assis tranquillement en train de les attendre. A dix pas plus loin on apercevait une hutte misérable, un pauvre abri informe, fait de vieux chiffons et de couvertures de chevaux en loques qui laissaient filtrer une lumière à peine tamisée.

 — Prenez le commandement, Mrs Hogan, dit le jeune homme. Vous avez le droit d’entrer la première.

Tous la suivirent et purent voir le spectacle qu’offrait l’intérieur de cette hutte : Injin Billy était assis par terre, l’enfant dormait à côté de lui. Sa mère la prit dans ses bras et l’étouffa de caresses ; son cœur débordait de reconnaissance pour Archy Stillmann ; elle pleurait à chaudes larmes. D’une voix étranglée par l’émotion, elle laissa échapper un flot de ces paroles attendries, de ces accents chauds et ardents que seul peut trouver un cœur irlandais.

 — Je l’ai trouvée vers dix heures, expliqua Billy. Elle s’était endormie, très fatiguée, la figure humectée de larmes, je suppose ; je l’ai ramenée ici, et l’ai nourrie, car elle mourait de faim ; depuis ce moment elle n’a cessé de dormir.

Dans un élan de reconnaissance sans bornes, l’heureuse femme l’embrassa lui aussi, l’appelant « le Messager du ciel ». En admettant qu’il soit un messager du ciel, il était certainement un ange déguisé et grimé, car son accoutrement bizarre n’avait rien de séraphique.

A une heure et demie du matin, le cortège rentra au village en chantant un refrain triomphal et en brandissant des torches ; c’était une vraie retraite aux flambeaux. Ils n’oublièrent pas de boire tout le long de la route et, pour tuer les dernières heures de cette nuit mouvementée, ils s’entassèrent au bar en attendant le jour.


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