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1984 by Georges Orwell Bilingual book English/French page 2

Ce n’est pas une traduction mots a mots mais les livres dans les deux languages mis côte a côte. Vous pouvez le lire en Français, en anglais ou parallèlement.

This is not a word-by-word translation but the books in the two languages put side by side. You can read it in French, in English or both.

1984 by Georges Orwell

1984 by Georges Orwell1984 par Georges Orwell
PART 1PREMIÈRE PARTIE
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CHAPTER IIIChapitre III
‘And now let’s see which of us can touch our toes!’ she said enthusiastically. ‘Right over from the hips, please, comrades. One-two! One- two! …’– Voyons maintenant, dit-elle avec enthousiasme, quels sont ceux d’entre nous qui peuvent toucher leurs orteils. Droits sur les hanches, camarades ! Un-deux ! Un-deux !…
Winston loathed this exercise, which sent shooting pains all the way from his heels to his buttocks and often ended by bringing on another coughing fit. The half-pleasant quality went out of his meditations. The past, he reflected, had not merely been altered, it had been actually destroyed. For how could you establish even the most obvious fact when there existed no record outside your own memory? He tried to remember in what year he had first heard mention of Big Brother.Winston détestait cet exercice qui provoquait, des talons aux fesses, des élancements douloureux et finissait par provoquer une autre quinte de toux. Ses méditations en perdirent leur agrément mitigé. Le passé, réfléchit-il, n’avait pas été seulement modifié, il avait été bel et bien détruit. Comment en effet établir, même le fait le plus patent, s’il n’en existait aucun enregistrement que celui d’une seule mémoire ? Il essaya de se rappeler en quelle année il avait pour la première fois entendu parler de Big Brother.
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He thought it must have been at some time in the sixties, but it was impossible to be certain. In the Party histories, of course, Big Brother figured as the leader and guardian of the Revolution since its very earliest days. His exploits had been gradually pushed backwards in time until already they extended into the fabulous world of the forties and the thirties, when the capitalists in their strange cylindrical hats still rode through the streets of London in great gleaming motor-cars or horse carriages with glass sides. There was no knowing how much of this legend was true and how much invented. Ce devait être vers les années 60, mais comment en être sûr ? Dans l’histoire du Parti, naturellement, Big Brother figurait comme chef et gardien de la Révolution depuis les premiers jours. Ses exploits avaient été peu à peu reculés dans le temps et ils s’étendaient maintenant jusqu’au monde fabuleux des années 40 et 30, à l’époque où les capitalistes, coiffés d’étranges chapeaux cylindriques, parcouraient les rues de Londres dans de grandes automobiles étincelantes ou dans des voitures vitrées tirées par des chevaux. Il était impossible de savoir jusqu’à quel point la légende de Big Brother était vraie ou inventée.
Winston could not even remember at what date the Party itself had come into existence. He did not believe he had ever heard the word Ingsoc before 1960, but it was possible that in its Oldspeak form — ‘English Socialism’, that is to say — it had been current earlier. Everything melted into mist. Sometimes, indeed, you could put your finger on a definite lie. It was not true, for example, as was claimed in the Party history books, that the Party had invented aeroplanes. He remembered aeroplanes since his earliest childhood. But you could prove nothing. There was never any evidence. Just once in his whole life he had held in his hands unmistakable documentary proof of the falsification of an historical fact. And on that occasion —Winston ne pouvait même pas se rappeler à quelle date le Parti lui-même était né. Il ne croyait pas avoir jamais entendu le mot Angsoc avant 1960, mais il était possible que sous la forme « Socialisme anglais » qu’il avait dans l’Ancien Langage, il eût existé plus tôt. Tout se fondait dans le brouillard. Parfois, certainement, on pouvait poser le doigt sur un mensonge précis. Il était faux, par exemple, que le Parti, ainsi que le clamaient les livres d’histoire, eût inventé les aéroplanes. Winston se souvenait d’avoir vu des aéroplanes dès sa plus tendre enfance. Mais on ne pouvait rien prouver. Il n’y avait jamais de témoignage. Une seule fois, dans toute son existence, Winston avait tenu entre les mains la preuve écrite indéniable de la falsification d’un fait historique. Et cette fois-là…
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‘Smith!’ screamed the shrewish voice from the telescreen. ‘6079 Smith W.! Yes, you! Bend lower, please! You can do better than that. You’re not trying. Lower, please! That’s better, comrade. Now stand at ease, the whole squad, and watch me.’– Smith ! cria la voix acariâtre dans le télécran, 6079 Smith W ! Oui, vous-même ! Baissez-vous plus bas, s’il vous plaît ! Vous pouvez faire mieux que cela. Vous ne faites pas d’efforts. Plus bas, je vous prie ! Cette fois c’est mieux, camarade. Maintenant, repos, tous, et regardez-moi.
A sudden hot sweat had broken out all over Winston’s body. His face remained completely inscrutable. Never show dismay! Never show resentment! A single flicker of the eyes could give you away. He stood watching while the instructress raised her arms above her head and — one could not say gracefully, but with remarkable neatness and efficiency — bent over and tucked the first joint of her fingers under her toes.Le corps de Winston s’était brusquement recouvert d’une ondée de sueur chaude, mais son visage demeura absolument impassible. Ne jamais montrer d’épouvante ! Ne jamais montrer de ressentiment ! Un seul frémissement des yeux peut vous trahir. Winston resta debout à regarder tandis que la monitrice levait les bras au-dessus de la tête et, on ne pouvait dire avec grâce, mais avec une précision et une efficacité remarquables, se courba et rentra sous ses orteils la première phalange de ses doigts.
‘There, comrades! That’s how I want to see you doing it. Watch me again. I’m thirty-nine and I’ve had four children. Now look.’ She bent over again. ‘You see my knees aren’t bent. You can all do it if you want to,’ she added as she straightened herself up. ‘Anyone under forty-five is perfectly capable of touching his toes. We don’t all have the privilege of fighting in the front line, but at least we can all keep fit. Remember our boys on the Malabar front! And the sailors in the Floating Fortresses! Just think what they have to put up with. Now try again. That’s better, comrade, that’s much better,’ she added encouragingly as Winston, with a violent lunge, succeeded in touching his toes with knees unbent, for the first time in several years.– Voilà, camarades ! Voilà comment je veux vous voir faire ce mouvement. Regardez-moi. J’ai trente-neuf ans et j’ai quatre enfants. Maintenant, attention ! – Elle se pencha de nouveau. – Vous voyez que mes genoux ne sont pas pliés. Vous pouvez tous le faire, si vous voulez, ajouta-t-elle en se redressant. N’importe qui, au-dessous de quarante-cinq ans, est parfaitement capable de toucher ses orteils. Nous n’avons pas tous le privilège de nous battre sur le front, mais nous pouvons au moins nous garder en forme. Pensez à nos garçons qui sont sur le front de Malabar ! Pensez aux marins des Forteresses flottantes ! Imaginez ce qu’ils ont, eux, à endurer. Maintenant, essayez encore. C’est mieux, camarade, beaucoup mieux, ajouta-t-elle sur un ton encourageant, comme Winston, pour la première fois depuis des années, réussissait, d’un brusque mouvement, à toucher ses orteils sans plier les genoux.
CHAPTER IVCHAPITRE IV
With the deep, unconscious sigh which not even the nearness of the telescreen could prevent him from uttering when his day’s work started, Winston pulled the speakwrite towards him, blew the dust from its mouthpiece, and put on his spectacles. Avec le soupir inconscient et profond que la proximité même du télécran ne pouvait l’empêcher de pousser lorsqu’il commençait son travail journalier, Winston rapprocha de lui le phonoscript, souffla la poussière du microphone et mit ses lunettes.
Then he unrolled and clipped together four small cylinders of paper which had already flopped out of the pneumatic tube on the right-hand side of his desk.Il déroula ensuite et agrafa ensemble quatre petits cylindres de papier qui étaient déjà tombés du tube pneumatique qui se trouvait à la droite du bureau.
In the walls of the cubicle there were three orifices. To the right of the speakwrite, a small pneumatic tube for written messages, to the left, a larger one for newspapers; and in the side wall, within easy reach of Winston’s arm, a large oblong slit protected by a wire grating. This last was for the disposal of waste paper. Similar slits existed in thousands or tens of thousands throughout the building, not only in every room but at short intervals in every corridor. For some reason they were nicknamed memory holes. When one knew that any document was due for destruction, or even when one saw a scrap of waste paper lying about, it was an automatic action to lift the flap of the nearest memory hole and drop it in, whereupon it would be whirled away on a current of warm air to the enormous furnaces which were hidden somewhere in the recesses of the building.
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Il y avait trois orifices aux murs de la cabine. À droite du phonoscript se trouvait un petit tube pneumatique pour les messages écrits. À gauche, il y avait un tube plus large pour les journaux. Dans le mur de côté, à portée de la main de Winston, il y avait une large fente ovale protégée par un grillage métallique. On se servait de cette fente pour jeter les vieux papiers. Il y avait des milliers et des milliers de fentes semblables dans l’édifice. Il s’en trouvait, non seulement dans chaque pièce mais, à de courts intervalles, dans chaque couloir. On les surnommait trous de mémoire. Lorsqu’un document devait être détruit, ou qu’on apercevait le moindre bout de papier qui traînait, on soulevait le clapet du plus proche trou de mémoire, l’action était automatique, et on laissait tomber le papier, lequel était rapidement emporté par un courant d’air chaud jusqu’aux énormes fournaises cachées quelque part dans les profondeurs de l’édifice.
Winston examined the four slips of paper which he had unrolled. Each contained a message of only one or two lines, in the abbreviated jargon — not actually Newspeak, but consisting largely of Newspeak words — which was used in the Ministry for internal purposes. They ran:Winston examina les quatre bouts de papier qu’il avait déroulés. Ils contenaient chacun un message d’une ou deux lignes seulement, dans le jargon abrégé employé au ministère pour le service intérieur. Ce n’était pas exactement du novlangue, mais il comprenait un grand nombre de mots novlangue. Ces messages étaient ainsi rédigés :
times 17.3.84 bb speech malreported africa rectifytimes 17-3-84 discours malreporté afrique rectifier
times 19.12.83 forecasts 3 yp 4th quarter 83 misprints verify current issuetimes 19-12-83 prévisions 3 ap 4e trimestre 83 erreurs typo vérifier numéro de ce jour.
times 14.2.84 miniplenty malquoted chocolate rectifytimes 14-2-84 miniplein chocolat malcoté rectifier
times 3.12.83 reporting bb dayorder doubleplusungood refs unpersons rewrite fullwise upsub antefilingtimes 3-12-83 report ordrejour bb trèsmauvais ref unpersonnes récrire entier soumettrehaut anteclassement.
With a faint feeling of satisfaction Winston laid the fourth message aside. It was an intricate and responsible job and had better be dealt with last. The other three were routine matters, though the second one would probably mean some tedious wading through lists of figures.Avec un léger soupir de satisfaction, Winston mit de côté le quatrième message. C’était un travail compliqué qui comportait des responsabilités et qu’il valait mieux entreprendre en dernier lieu. Les trois autres ne demandaient que de la routine, quoique le second impliquât probablement une fastidieuse étude de listes de chiffres.
Winston dialled ‘back numbers’ on the telescreen and called for the appropriate issues of The Times, which slid out of the pneumatic tube after only a few minutes’ delay. The messages he had received referred to articles or news items which for one reason or another it was thought necessary to alter, or, as the official phrase had it, to rectify.Winston composa sur le télécran les mots : « numéros anciens » et demanda les numéros du journal le Times qui lui étaient nécessaires. Quelques minutes seulement plus tard, ils glissaient du tube pneumatique. Les messages qu’il avait reçus se rapportaient à des articles, ou à des passages d’articles que, pour une raison ou pour une autre, on pensait nécessaire de modifier ou, plutôt, suivant le terme officiel, de rectifier.
For example, it appeared from The Times of the seventeenth of March that Big Brother, in his speech of the previous day, had predicted that the South Indian front would remain quiet but that a Eurasian offensive would shortly be launched in North Africa. As it happened, the Eurasian Higher Command had launched its offensive in South India and left North Africa alone. It was therefore necessary to rewrite a paragraph of Big Brother’s speech, in such a way as to make him predict the thing that had actually happened.
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Par exemple, dans le Times du 17 mars, il apparaissait que Big Brother dans son discours de la veille, avait prédit que le front de l’Inde du Sud resterait calme. L’offensive eurasienne serait bientôt lancée contre l’Afrique du Nord. Or, le haut commandement eurasien avait lancé son offensive contre l’Inde du Sud et ne s’était pas occupé de l’Afrique du Nord. Il était donc nécessaire de réécrire le paragraphe erroné du discours de Big Brother afin qu’il prédise ce qui était réellement arrivé.
Or again, The Times of the nineteenth of December had published the official forecasts of the output of various classes of consumption goods in the fourth quarter of 1983, which was also the sixth quarter of the Ninth Three-Year Plan. Today’s issue contained a statement of the actual output, from which it appeared that the forecasts were in every instance grossly wrong. Winston’s job was to rectify the original figures by making them agree with the later ones. De même, le Times du 19 décembre avait publié les prévisions officielles pour la production de différentes sortes de marchandises de consommation au cours du quatrième trimestre 1983 qui était en même temps le sixième trimestre du neuvième plan triennal. Le journal du jour publiait un état de la production réelle. Il en ressortait que les prévisions avaient été, dans tous les cas, grossièrement erronées. Le travail de Winston était de rectifier les chiffres primitifs pour les faire concorder avec les derniers parus.
As for the third message, it referred to a very simple error which could be set right in a couple of minutes. As short a time ago as February, the Ministry of Plenty had issued a promise (a ‘categorical pledge’ were the official words) that there would be no reduction of the chocolate ration during 1984. Actually, as Winston was aware, the chocolate ration was to be reduced from thirty grammes to twenty at the end of the present week. All that was needed was to substitute for the original promise a warning that it would probably be necessary to reduce the ration at some time in April.Quant au troisième message, il se rapportait à une simple erreur qui pouvait être corrigée en deux minutes. Il n’y avait pas très longtemps, c’était au mois de février, le ministère de l’Abondance avait publié la promesse (en termes officiels, l’engagement catégorique) de ne pas réduire la ration de chocolat durant l’année 1984. Or, la ration, comme le savait Winston, devait être réduite de trente à vingt grammes à partir de la fin de la semaine. Tout ce qu’il y avait à faire, c’était de substituer à la promesse primitive l’avis qu’il serait probablement nécessaire de réduire la ration de chocolat dans le courant du mois d’avril.
As soon as Winston had dealt with each of the messages, he clipped his speakwritten corrections to the appropriate copy of The Times and pushed them into the pneumatic tube. Then, with a movement which was as nearly as possible unconscious, he crumpled up the original message and any notes that he himself had made, and dropped them into the memory hole to be devoured by the flames.Dès qu’il avait fini de s’occuper de l’un des messages, Winston agrafait ses corrections phonoscriptées au numéro correspondant du Times et les introduisait dans le tube pneumatique. Ensuite, d’un geste autant que possible inconscient, il chiffonnait le message et les notes qu’il avait lui-même faites et les jetait dans le trou de mémoire afin que le tout fût dévoré par les flammes.
What happened in the unseen labyrinth to which the pneumatic tubes led, he did not know in detail, but he did know in general terms. As soon as all the corrections which happened to be necessary in any particular number of The Times had been assembled and collated, that number would be reprinted, the original copy destroyed, and the corrected copy placed on the files in its stead.Que se passait-il dans le labyrinthe où conduisaient les pneumatiques ? Winston ne le savait pas en détail, mais il en connaissait les grandes lignes. Lorsque toutes les corrections qu’il était nécessaire d’apporter à un numéro spécial du Times avaient été rassemblées et collationnées, le numéro était réimprimé. La copie originale était détruite et remplacée dans la collection par la copie corrigée.
This process of continuous alteration was applied not only to newspapers, but to books, periodicals, pamphlets, posters, leaflets, films, sound-tracks, cartoons, photographs — to every kind of literature or documentation which might conceivably hold any political or ideological significance. Day by day and almost minute by minute the past was brought up to date. In this way every prediction made by the Party could be shown by documentary evidence to have been correct, nor was any item of news, or any expression of opinion, which conflicted with the needs of the moment, ever allowed to remain on record. All history was a palimpsest, scraped clean and reinscribed exactly as often as was necessary. In no case would it have been possible, once the deed was done, to prove that any falsification had taken place.Ce processus de continuelles retouches était appliqué, non seulement aux journaux, mais aux livres, périodiques, pamphlets, affiches, prospectus, films, enregistrements sonores, caricatures, photographies. Il était appliqué à tous les genres imaginables de littérature ou de documentation qui pouvaient comporter quelque signification politique ou idéologique. Jour par jour, et presque minute par minute, le passé était mis à jour. On pouvait ainsi prouver, avec documents à l’appui, que les prédictions faites par le Parti s’étaient trouvées vérifiées. Aucune opinion, aucune information ne restait consignée, qui aurait pu se trouver en conflit avec les besoins du moment. L’Histoire tout entière était un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que c’était nécessaire. Le changement effectué, il n’aurait été possible en aucun cas de prouver qu’il y avait eu falsification.
 The largest section of the Records Department, far larger than the one on which Winston worked, consisted simply of persons whose duty it was to track down and collect all copies of books, newspapers, and other documents which had been superseded and were due for destruction. A number of The Times which might, because of changes in political alignment, or mistaken prophecies uttered by Big Brother, have been rewritten a dozen times still stood on the files bearing its original date, and no other copy existed to contradict it. Books, also, were recalled and rewritten again and again, and were invariably reissued without any admission that any alteration had been made. Even the written instructions which Winston received, and which he invariably got rid of as soon as he had dealt with them, never stated or implied that an act of forgery was to be committed: always the reference was to slips, errors, misprints, or misquotations which it was necessary to put right in the interests of accuracy.La plus grande section du Commissariat aux Archives, bien plus grande que celle où travaillait Winston, était simplement composée de gens dont la tâche était de rechercher et rassembler toutes les copies de livres, de journaux et autres documents qui avaient été remplacées et qui devaient être détruites. Un numéro du Times pouvait avoir été réécrit une douzaine de fois, soit par suite de changement dans la ligne politique, soit par suite d’erreurs dans les prophéties de Big Brother. Mais il se trouvait encore dans la collection avec sa date primitive. Aucun autre exemplaire n’existait qui pût le contredire. Les livres aussi étaient retirés de la circulation et plusieurs fois réécrits. On les rééditait ensuite sans aucune mention de modification. Même les instructions écrites que recevait Winston et dont il se débarrassait invariablement dès qu’il n’en avait plus besoin, ne déclaraient ou n’impliquaient jamais qu’il s’agissait de faire un faux. Il était toujours fait mention de fautes, d’omissions, d’erreurs typographiques, d’erreurs de citation, qu’il était nécessaire de corriger dans l’intérêt de l’exactitude.
But actually, he thought as he re-adjusted the Ministry of Plenty’s figures, it was not even forgery. It was merely the substitution of one piece of nonsense for another. Most of the material that you were dealing with had no connexion with anything in the real world, not even the kind of connexion that is contained in a direct lie. Statistics were just as much a fantasy in their original version as in their rectified version. A great deal of the time you were expected to make them up out of your head.À proprement parler, il ne s’agit même pas de falsification, pensa Winston tandis qu’il rajustait les chiffres du ministère de l’Abondance. Il ne s’agit que de la substitution d’un non-sens à un autre. La plus grande partie du matériel dans lequel on trafiquait n’avait aucun lien avec les données du monde réel, pas même cette sorte de lien que contient le mensonge direct. Les statistiques étaient aussi fantaisistes dans leur version originale que dans leur version rectifiée. On comptait au premier chef sur les statisticiens eux-mêmes pour qu’ils ne s’en souvinssent plus.
For example, the Ministry of Plenty’s forecast had estimated the output of boots for the quarter at one-hundred-and-forty-five million pairs. The actual output was given as sixty-two millions. Winston, however, in rewriting the forecast, marked the figure down to fifty-seven millions, so as to allow for the usual claim that the quota had been overfulfilled. In any case, sixty-two millions was no nearer the truth than fifty-seven millions, or than one-hundred-and-forty-five millions. Very likely no boots had been produced at all. Likelier still, nobody knew how many had been produced, much less cared. All one knew was that every quarter astronomical numbers of boots were produced on paper, while perhaps half the population of Oceania went barefoot.Ainsi, le ministère de l’Abondance avait, dans ses prévisions, estimé le nombre de bottes fabriquées dans le trimestre à cent quarante-cinq millions de paires. Le chiffre indiqué par la production réelle était soixante-deux millions. Winston, cependant, en récrivant les prévisions donna le chiffre de cinquante-sept millions, afin de permettre la déclaration habituelle que les prévisions avaient été dépassées. Dans tous les cas, soixante-deux millions n’était pas plus près de la vérité que cinquante-sept millions ou que cent quarante-cinq millions. Très probablement, personne ne savait combien, dans l’ensemble, on en avait fabriqué. Il se pouvait également que pas une seule n’ait été fabriquée. Et personne, en réalité, ne s’en souciait. Tout ce qu’on savait, c’est qu’à chaque trimestre un nombre astronomique de bottes étaient produites, sur le papier, alors que la moitié peut-être de la population de l’Océania marchait pieds nus.
And so it was with every class of recorded fact, great or small. Everything faded away into a shadow-world in which, finally, even the date of the year had become uncertain.
Il en était de même pour le report des faits de tous ordres, qu’ils fussent importants ou insignifiants. Tout s’évanouissait dans une ombre dans laquelle, finalement, la date même de l’année devenait incertaine.
Winston glanced across the hall. In the corresponding cubicle on the other side a small, precise-looking, dark-chinned man named Tillotson was working steadily away, with a folded newspaper on his knee and his mouth very close to the mouthpiece of the speakwrite. He had the air of trying to keep what he was saying a secret between himself and the telescreen. He looked up, and his spectacles darted a hostile flash in Winston’s direction.
Winston jeta un coup d’œil à travers la galerie. De l’autre côté, dans la cabine correspondant à la sienne, un petit homme d’aspect méticuleux, au menton bleui, nommé Tillotson, travaillait avec ardeur. Il avait un journal plié sur les genoux et sa bouche était placée tout contre l’embouchure du phonoscript, comme s’il essayait de garder secret entre le télécran et lui ce qu’il disait. Il leva les yeux et ses verres lancèrent un éclair hostile dans la direction de Winston.
Winston hardly knew Tillotson, and had no idea what work he was employed on. People in the Records Department did not readily talk about their jobs. In the long, windowless hall, with its double row of cubicles and its endless rustle of papers and hum of voices murmuring into speakwrites, there were quite a dozen people whom Winston did not even know by name, though he daily saw them hurrying to and fro in the corridors or gesticulating in the Two Minutes Hate. Winston connaissait à peine Tillotson et n’avait aucune idée de la nature du travail auquel il était employé. Les gens du Commissariat aux Archives ne parlaient pas volontiers de leur travail. Dans la longue galerie sans fenêtres où l’on voyait une double rangée de cabines où l’on entendait un éternel bruit de papier froissé et le bourdonnement continu des voix qui murmuraient dans les phonoscripts, il y avait bien une douzaine de personnes. Winston ne savait même pas leurs noms, bien qu’il les vît chaque jour se dépêcher dans un sens ou dans l’autre dans les couloirs ou gesticuler pendant les Deux Minutes de la Haine.
He knew that in the cubicle next to him the little woman with sandy hair toiled day in day out, simply at tracking down and deleting from the Press the names of people who had been vaporized and were therefore considered never to have existed. There was a certain fitness in this, since her own husband had been vaporized a couple of years earlier.Il savait que, dans la cabine voisine de la sienne, la petite femme rousse peinait, un jour dans l’autre, à rechercher dans la presse et à éliminer les noms des gens qui avaient été vaporisés et qui étaient par conséquent, considérés comme n’ayant jamais existé. Il y avait là un certain à-propos puisque son propre mari, deux ans plus tôt, avait été vaporisé.
And a few cubicles away a mild, ineffectual, dreamy creature named Ampleforth, with very hairy ears and a surprising talent for juggling with rhymes and metres, was engaged in producing garbled versions — definitive texts, they were called — of poems which had become ideologically offensive, but which for one reason or another were to be retained in the anthologies. Quelques cabines plus loin, se trouvait une créature douce, effacée, rêveuse, nommée Ampleforth, qui avait du poil plein les oreilles et possédait un talent surprenant pour jongler avec les rimes et les mètres. Cet Ampleforth était employé à produire des versions inexactes – on les appelait « textes définitifs » – de poèmes qui étaient devenus idéologiquement offensants mais que pour une raison ou pour une autre, on devrait conserver dans les anthologies.
And this hall, with its fifty workers or thereabouts, was only one sub-section, a single cell, as it were, in the huge complexity of the Records Department. Beyond, above, below, were other swarms of workers engaged in an unimaginable multitude of jobs. Et cette galerie, avec ses cinquante employés environ, n’était qu’une sous-section, un seul élément, en somme, de l’infinie complexité du Commissariat aux Archives. Plus loin, au-dessus, au-dessous, il y avait d’autres essaims de travailleurs engagés dans une multitude inimaginable d’activités.
There were the huge printing-shops with their sub-editors, their typography experts, and their elaborately equipped studios for the faking of photographs. There was the tele-programmes section with its engineers, its producers, and its teams of actors specially chosen for their skill in imitating voices. There were the armies of reference clerks whose job was simply to draw up lists of books and periodicals which were due for recall. There were the vast repositories where the corrected documents were stored, and the hidden furnaces where the original copies were destroyed. And somewhere or other, quite anonymous, there were the directing brains who co-ordinated the whole effort and laid down the lines of policy which made it necessary that this fragment of the past should be preserved, that one falsified, and the other rubbed out of existence.Il y avait les immenses ateliers d’impression, avec leurs sous-éditeurs, leurs experts typographes, leurs studios soigneusement équipés pour le truquage des photographies. Il y avait la section des programmes de télévision, avec ses ingénieurs, ses producteurs, ses équipes d’acteurs spécialement choisis pour leur habileté à imiter les voix. Il y avait les armées d’archivistes dont le travail consistait simplement à dresser les listes des livres et des périodiques qu’il fallait retirer de la circulation. Il y avait les vastes archives où étaient classés les documents corrigés et les fournaises cachées où les copies originales étaient détruites. Et quelque part, absolument anonymes, il y avait les cerveaux directeurs qui coordonnaient tous les efforts et établissaient la ligne politique qui exigeait que tel fragment du passé fût préservé, tel autre falsifié, tel autre encore anéanti.
And the Records Department, after all, was itself only a single branch of the Ministry of Truth, whose primary job was not to reconstruct the past but to supply the citizens of Oceania with newspapers, films, textbooks, telescreen programmes, plays, novels — with every conceivable kind of information, instruction, or entertainment, from a statue to a slogan, from a lyric poem to a biological treatise, and from a child’s spelling-book to a Newspeak dictionary. And the Ministry had not only to supply the multifarious needs of the party, but also to repeat the whole operation at a lower level for the benefit of the proletariat.Et le Commissariat aux Archives n’était lui-même, en somme, qu’une branche du ministère de la Vérité, dont l’activité essentielle n’était pas de reconstruire le passé, mais de fournir aux citoyens de l’Océania des journaux, des films, des manuels, des programmes de télécran, des pièces, des romans, le tout accompagné de toutes sortes d’informations, d’instructions et de distractions imaginables, d’une statue à un slogan, d’un poème lyrique à un traité de biologie et d’un alphabet d’enfant à un nouveau dictionnaire novlangue. De plus, le ministère n’avait pas à satisfaire seulement les besoins du Parti, il avait encore à répéter toute l’opération à une échelle inférieure pour le bénéfice du prolétariat.
There was a whole chain of separate departments dealing with proletarian literature, music, drama, and entertainment generally. Here were produced rubbishy newspapers containing almost nothing except sport, crime and astrology, sensational five-cent novelettes, films oozing with sex, and sentimental songs which were composed entirely by mechanical means on a special kind of kaleidoscope known as a versificator. Il existait toute une suite de départements spéciaux qui s’occupaient, pour les prolétaires, de littérature, de musique, de théâtre et, en général, de délassement. Là, on produisait des journaux stupides qui ne traitaient presque entièrement que de sport, de crime et d’astrologie, de petits romans à cinq francs, des films juteux de sexualité, des chansons sentimentales composées par des moyens entièrement mécaniques sur un genre de kaléidoscope spécial appelé versificateur.
There was even a whole sub-section — Pornosec, it was called in Newspeak — engaged in producing the lowest kind of pornography, which was sent out in sealed packets and which no Party member, other than those who worked on it, was permitted to look at.Il y avait même une sous-section entière – appelée, en novlangue, Pornosex – occupée à produire le genre le plus bas de pornographie. Cela s’expédiait en paquets scellés qu’aucun membre du Parti, à part ceux qui y travaillaient, n’avait le droit de regarder.
Three messages had slid out of the pneumatic tube while Winston was working, but they were simple matters, and he had disposed of them before the Two Minutes Hate interrupted him. Trois autres messages étaient tombés du tube pneumatique pendant que Winston travaillait. Mais ils traitaient de questions simples et Winston les avait liquidés avant d’être interrompu par les Deux Minutes de la Haine.
When the Hate was over he returned to his cubicle, took the Newspeak dictionary from the shelf, pushed the speakwrite to one side, cleaned his spectacles, and settled down to his main job of the morning.Lorsque la Haine eut pris fin, il retourna à sa Cellule. Il prit sur une étagère le dictionnaire novlangue, écarta le phonoscript, essuya ses verres et s’attaqua au travail principal de la matinée.
Winston’s greatest pleasure in life was in his work. Most of it was a tedious routine, but included in it there were also jobs so difficult and intricate that you could lose yourself in them as in the depths of a mathematical problemC’est dans son travail que Winston trouvait le plus grand plaisir de sa vie. Ce travail n’était, le plus souvent, qu’une fastidieuse routine. Mais il comprenait aussi des parties si difficiles et si embrouillées, que l’on pouvait s’y perdre autant que dans la complexité d’un problème de mathématique.
— delicate pieces of forgery in which you had nothing to guide you except your knowledge of the principles of Ingsoc and your estimate of what the Party wanted you to say. Winston was good at this kind of thing. On occasion he had even been entrusted with the rectification of The Times leading articles, which were written entirely in Newspeak. He unrolled the message that he had set aside earlier. It ran:Il y avait de délicats morceaux de falsification où l’on n’avait pour se guider que la connaissance des principes Angsoc et sa propre estimation de ce que le Parti attendait de vous. Winston était bon dans cette partie. On lui avait même parfois confié la rectification d’articles de fond du journal le Times, qui étaient écrits entièrement en novlangue. Il déroula le message qu’il avait mis de côté plus tôt. Ce message était ainsi libellé :
times 3.12.83 reporting bb dayorder doubleplusungood refs unpersons rewrite fullwise upsub antefilingtimes 3-12-83 report ordrejour bb plusnonsatisf. ref nonêtres récrire entier soumhaut avantclassement
In Oldspeak (or standard English) this might be rendered:En ancien langage (en anglais ordinaire) cela pouvait se traduire ainsi :
The reporting of Big Brother’s Order for the Day in The Times of December 3rd 1983 is extremely unsatisfactory and makes references to non-existent persons. Rewrite it in full and submit your draft to higher authority before filing.Le compte rendu de l’ordre du jour de Big Brother, dans le numéro du journal le Times du 3 décembre 1983, est extrêmement insatisfaisant et fait allusion à des personnes non existantes. Récrire en entier et soumettre votre projet aux autorités compétentes avant d’envoyer au classement.
Winston read through the offending article. Big Brother’s Order for the Day, it seemed, had been chiefly devoted to praising the work of an organization known as FFCC, which supplied cigarettes and other comforts to the sailors in the Floating Fortresses. A certain Comrade Withers, a prominent member of the Inner Party, had been singled out for special mention and awarded a decoration, the Order of Conspicuous Merit, Second Class.Winston parcourut l’article incriminé. L’ordre du jour de Big Brother avait, semblait-il, principalement consisté en éloges adressés à une organisation connue sous les initiales C. C. F. F. qui fournissait des cigarettes et autres douceurs aux marins des Forteresses Flottantes. Un certain camarade Withers, membre éminent du Parti intérieur, avait été distingué, spécialement cité et décoré de la seconde classe de l’ordre du Mérite Insigne.
Three months later FFCC had suddenly been dissolved with no reasons given. One could assume that Withers and his associates were now in disgrace, but there had been no report of the matter in the Press or on the telescreen. That was to be expected, since it was unusual for political offenders to be put on trial or even publicly denounced. The great purges involving thousands of people, with public trials of traitors and thought-criminals who made abject confession of their crimes and were afterwards executed, were special show-pieces not occurring oftener than once in a couple of years. More commonly, people who had incurred the displeasure of the Party simply disappeared and were never heard of again. One never had the smallest clue as to what had happened to them. In some cases they might not even be dead. Perhaps thirty people personally known to Winston, not counting his parents, had disappeared at one time or another.Trois mois plus tard, le C. C. F. F. avait brusquement été dissous. Aucune raison n’avait été donnée de cette dissolution. On pouvait présumer que Withers et ses associés étaient alors en disgrâce, mais il n’y avait eu aucun commentaire de l’événement dans la presse ou au télécran. Ce n’était pas étonnant, car il était rare que les criminels politiques fussent jugés ou même publiquement dénoncés. Les grandes épurations embrassant des milliers d’individus, accompagnées du procès public de traîtres et de criminels de la pensée qui faisaient d’abjectes confessions de leurs crimes et étaient ensuite exécutés, étaient des spectacles spéciaux, montés environ une fois tous les deux ans. Plus communément, les gens qui avaient encouru le déplaisir du Parti disparaissaient simplement et on n’entendait plus jamais parler d’eux. On n’avait jamais le moindre indice sur ce qui leur était advenu. Dans quelques cas, ils pouvaient même ne pas être morts. Il y avait trente individus, personnellement connus de Winston qui, sans compter ses parents, avaient disparu à une époque ou à une autre.
Winston stroked his nose gently with a paper-clip. In the cubicle across the way Comrade Tillotson was still crouching secretively over his speakwrite. He raised his head for a moment: again the hostile spectacle-flash. Winston wondered whether Comrade Tillotson was engaged on the same job as himself. It was perfectly possible. So tricky a piece of work would never be entrusted to a single person: on the other hand, to turn it over to a committee would be to admit openly that an act of fabrication was taking place. Very likely as many as a dozen people were now working away on rival versions of what Big Brother had actually said. And presently some master brain in the Inner Party would select this version or that, would re-edit it and set in motion the complex processes of cross-referencing that would be required, and then the chosen lie would pass into the permanent records and become truth.Winston se gratta doucement le nez avec un trombone. Dans la cabine d’en face, le camarade Tillotson, ramassé sur son phonoscript, y déversait encore des secrets. Il leva un moment la tête. Même éclair hostile des lunettes. Winston se demanda si le camarade Tillotson faisait en ce moment le même travail que lui. C’était parfaitement plausible. Un travail si délicat n’aurait pu être confié à une seule personne. D’autre part, le confier à un comité eût été admettre ouvertement qu’il s’agissait d’une falsification. Il y avait très probablement, en cet instant, une douzaine d’individus qui rivalisaient dans la fabrication de versions sur ce qu’avait réellement dit Big Brother. Quelque cerveau directeur du Parti intérieur sélectionnerait ensuite une version ou une autre, la ferait rééditer et mettrait en mouvement le complexe processus de contre-corrections et d’antéréférences qu’entraînerait ce choix. Le mensonge choisi passerait ensuite aux archives et deviendrait vérité permanente.
Winston did not know why Withers had been disgraced. Perhaps it was for corruption or incompetence. Perhaps Big Brother was merely getting rid of a too-popular subordinate. Perhaps Withers or someone close to him had been suspected of heretical tendencies. Or perhaps — what was likeliest of all — the thing had simply happened because purges and vaporizations were a necessary part of the mechanics of government. Winston ne savait pas pourquoi Withers avait été disgracié. Peut-être était-ce pour corruption ou incompétence. Peut-être Big Brother s’était-il simplement débarrassé d’un subordonné trop populaire. Peut-être Withers ou un de ses proches avait-il été suspect de tendances hérétiques. Ou, ce qui était plus probable, c’était arrivé simplement parce que les épurations et les vaporisations font nécessairement partie du mécanisme de l’État.
The only real clue lay in the words ‘refs unpersons’, which indicated that Withers was already dead. You could not invariably assume this to be the case when people were arrested. Sometimes they were released and allowed to remain at liberty for as much as a year or two years before being executed. Very occasionally some person whom you had believed dead long since would make a ghostly reappearance at some public trial where he would implicate hundreds of others by his testimony before vanishing, this time for ever. Le seul indice réel reposait sur les mots : ref nonêtres, qui indiquaient que Withers était actuellement mort. On ne pouvait toujours présumer que tel était le cas chaque fois que des gens étaient arrêtés. Quelquefois, ils étaient relâchés et on leur permettait de rester en liberté pendant un an ou même deux avant de les exécuter. Parfois, très rarement, un individu qu’on avait cru mort depuis longtemps réapparaissait comme un fantôme dans quelque procès public, impliquait par son témoignage une centaine d’autres personnes puis disparaissait, cette fois pour toujours.
Withers, however, was already an unperson. He did not exist: he had never existed. Winston decided that it would not be enough simply to reverse the tendency of Big Brother’s speech. It was better to make it deal with something totally unconnected with its original subject.Withers, cependant, était déjà un nonêtre. Il n’existait pas, il n’avait jamais existé. Winston décida qu’il ne serait pas suffisant de se borner à inverser le sens de l’allocution de Big Brother. Il valait mieux la faire rouler sur un sujet sans aucun rapport avec le sujet primitif.
He might turn the speech into the usual denunciation of traitors and thought-criminals, but that was a little too obvious, while to invent a victory at the front, or some triumph of over-production in the Ninth Three-Year Plan, might complicate the records too much. What was needed was a piece of pure fantasy. Suddenly there sprang into his mind, ready made as it were, the image of a certain Comrade Ogilvy, who had recently died in battle, in heroic circumstances. Il aurait pu faire de ce discours l’habituelle dénonciation des traîtres et des criminels par la pensée, mais ce serait trop flagrant. Inventer une victoire sur le front ou quelque triomphe de la surproduction dans le Neuvième Plan triennal compliquerait trop le travail des Archives. Ce qu’il fallait, c’était un morceau de pure fantaisie. L’image, toute prête, d’un certain camarade Ogilvy, qui serait récemment mort à la guerre en d’héroïques circonstances, lui vint soudain à l’esprit.
 There were occasions when Big Brother devoted his Order for the Day to commemorating some humble, rank-and-file Party member whose life and death he held up as an example worthy to be followed. To-day he should commemorate Comrade Ogilvy. It was true that there was no such person as Comrade Ogilvy, but a few lines of print and a couple of faked photographs would soon bring him into existence.En effet, Big Brother, en certaines circonstances, consacrait son ordre du jour à la glorification de quelque humble et simple soldat, membre du Parti, dont la vie aussi bien que la mort offrait un exemple digne d’être suivi. Cette fois, Big Brother glorifierait le camarade Ogilvy. À la vérité, il n’y avait pas de camarade Ogilvy, mais quelques lignes imprimées et deux photographies maquillées l’amèneraient à exister.
Winston thought for a moment, then pulled the speakwrite towards him and began dictating in Big Brother’s familiar style: a style at once military and pedantic, and, because of a trick of asking questions and then promptly answering them (‘What lessons do we learn from this fact, comrades? The lesson — which is also one of the fundamental principles of Ingsoc — that,’ etc., etc.), easy to imitate.Winston réfléchit un moment, puis rapprocha de lui le phonoscript et se mit à dicter dans le style familier à Big Brother. Un style à la fois militaire et pédant, facile à imiter à cause de l’habitude de Big Brother de poser des questions et d’y répondre tout de suite. (« Quelle leçon pouvons-nous tirer de ce fait, camarades ? La leçon… qui est aussi un des principes fondamentaux de l’Angsoc… que… » et ainsi de suite.)
At the age of three Comrade Ogilvy had refused all toys except a drum, a sub-machine gun, and a model helicopter. At six — a year early, by a special relaxation of the rules — he had joined the Spies, at nine he had been a troop leader. At eleven he had denounced his uncle to the Thought Police after overhearing a conversation which appeared to him to have criminal tendencies. At seventeen he had been a district organizer of the Junior Anti-Sex League. At nineteen he had designed a hand-grenade which had been adopted by the Ministry of Peace and which, at its first trial, had killed thirty-one Eurasian prisoners in one burst. At twenty-three he had perished in action. Pursued by enemy jet planes while flying over the Indian Ocean with important despatches, he had weighted his body with his machine gun and leapt out of the helicopter into deep water, despatches and all À trois ans, le camarade Ogilvy refusait tous les jouets. Il n’acceptait qu’un tambour, une mitraillette et un hélicoptère en miniature. À six ans, une année à l’avance, par une dispense toute spéciale, il rejoignait les Espions. À neuf, il était chef de groupe. À onze, il dénonçait son oncle à la Police de la Pensée. Il avait entendu une conversation dont les tendances lui avaient paru criminelles. À dix-sept ans, il était moniteur d’une section de la Ligue Anti-Sexe des Juniors. À dix-neuf ans, il inventait une grenade à main qui était adoptée par le ministère de la Paix. Au premier essai, cette grenade tuait d’un coup trente prisonniers eurasiens. À vingt-trois ans, il était tué en service commandé. Poursuivi par des chasseurs ennemis, alors qu’il survolait l’océan Indien avec d’importantes dépêches, il s’était lesté de sa mitrailleuse, et il avait sauté, avec les dépêches et tout, de l’hélicoptère dans l’eau profonde.
— an end, said Big Brother, which it was impossible to contemplate without feelings of envy. Big Brother added a few remarks on the purity and single-mindedness of Comrade Ogilvy’s life. He was a total abstainer and a non-smoker, had no recreations except a daily hour in the gymnasium, and had taken a vow of celibacy, believing marriage and the care of a family to be incompatible with a twenty-four-hour-a-day devotion to duty. He had no subjects of conversation except the principles of Ingsoc, and no aim in life except the defeat of the Eurasian enemy and the hunting-down of spies, saboteurs, thought-criminals, and traitors generally.C’était une fin, disait Big Brother, qu’il était impossible de contempler sans un sentiment d’envie. Big Brother ajoutait quelques remarques sur la pureté et la rectitude de la vie du camarade Ogilvy. Il avait renoncé à tout alcool, même au vin et à la bière. Il ne fumait pas. Il ne prenait aucune heure de récréation, sauf celle qu’il passait chaque jour au gymnase. Il avait fait vœu de célibat. Le mariage et le soin d’une famille étaient, pensait-il, incompatibles avec un dévouement de vingt-quatre heures par jour au devoir. Il n’avait comme sujet de conversation que les principes de l’Angsoc. Rien dans la vie ne l’intéressait que la défaite de l’armée eurasienne et la chasse aux espions, aux saboteurs, aux criminels par la pensée, aux traîtres en général.
Winston debated with himself whether to award Comrade Ogilvy the Order of Conspicuous Merit: in the end he decided against it because of the unnecessary cross-referencing that it would entail.Winston débattit s’il accorderait au camarade Ogilvy l’ordre du Mérite Insigne. Il décida que non, à cause du supplémentaire renvoi aux références que cette récompense aurait entraîné.
Once again he glanced at his rival in the opposite cubicle. Something seemed to tell him with certainty that Tillotson was busy on the same job as himself. There was no way of knowing whose job would finally be adopted, but he felt a profound conviction that it would be his own. Comrade Ogilvy, unimagined an hour ago, was now a fact. It struck him as curious that you could create dead men but not living ones. Comrade Ogilvy, who had never existed in the present, now existed in the past, and when once the act of forgery was forgotten, he would exist just as authentically, and upon the same evidence, as Charlemagne or Julius Caesar.Il regarda une fois encore son rival de la cabine d’en face. Quelque chose lui disait que certainement Tillotson était occupé à la même besogne que lui. Il n’y avait aucun moyen de savoir qu’elle rédaction serait finalement adoptée, mais il avait la conviction profonde que ce serait la sienne. Le camarade Ogilvy, inexistant une heure plus tôt, était maintenant une réalité. Une étrange idée frappa Winston. On pouvait créer des morts, mais il était impossible de créer des vivants. Le camarade Ogilvy, qui n’avait jamais existé dans le présent, existait maintenant dans le passé, et quand la falsification serait oubliée, son existence aurait autant d’authenticité, autant d’évidence que celle de Charlemagne ou de Jules César.
CHAPTER VCHAPITRE V
In the low-ceilinged canteen, deep underground, the lunch queue jerked slowly forward. The room was already very full and deafeningly noisy. From the grille at the counter the steam of stew came pouring forth, with a sour metallic smell which did not quite overcome the fumes of Victory Gin. On the far side of the room there was a small bar, a mere hole in the wall, where gin could be bought at ten cents the large nip.Dans la cantine au plafond bas, située dans un sous-sol profond, la queue pour le lunch avançait lentement par saccades. La pièce était déjà comble et le bruit assourdissant. À travers le grillage du comptoir, la fumée du ragoût se répandait avec une aigre odeur métallique qui ne couvrait pas entièrement le fumet du gin de la Victoire. À l’extrémité de la pièce, il y avait un petit bar. C’était un simple trou dans le mur où l’on pouvait acheter du gin à dix cents le grand verre à liqueur.
‘Just the man I was looking for,’ said a voice at Winston’s back.« Voilà tout juste l’homme que je cherchais », dit une voix derrière Winston.
He turned round. It was his friend Syme, who worked in the Research Department. Perhaps ‘friend’ was not exactly the right word. You did not have friends nowadays, you had comrades: but there were some comrades whose society was pleasanter than that of others. Syme was a philologist, a specialist in Newspeak. Indeed, he was one of the enormous team of experts now engaged in compiling the Eleventh Edition of the Newspeak Dictionary. He was a tiny creature, smaller than Winston, with dark hair and large, protuberant eyes, at once mournful and derisive, which seemed to search your face closely while he was speaking to you.Celui-ci se retourna. C’était son ami Syme, qui travaillait au Service des Recherches. Peut-être « ami » n’était-il pas tout à fait le mot juste. On n’avait pas d’amis, à l’heure actuelle, on avait des camarades. Mais il y avait des camarades dont la société était plus agréable que celle des autres. Syme était un philologue, un spécialiste en novlangue. À la vérité, il était un des membres de l’énorme équipe d’experts occupés alors à compiler la onzième édition du dictionnaire novlangue. C’était un garçon minuscule, plus petit que Winston, aux cheveux noirs, aux yeux grands et globuleux, tristes et ironiques à la fois. Il paraissait scruter de près, en parlant, le visage de ceux à qui il s’adressait.
‘I wanted to ask you whether you’d got any razor blades,’ he said.– Je voulais vous demander si vous avez des lames de rasoir, dit-il.
‘Not one!’ said Winston with a sort of guilty haste. ‘I’ve tried all over the place. They don’t exist any longer.’– Pas une, répondit Winston avec une sorte de hâte qui dissimulait un sentiment de culpabilité. J’ai cherché partout, il n’en existe plus.
Everyone kept asking you for razor blades. Actually he had two unused ones which he was hoarding up. There had been a famine of them for months past. At any given moment there was some necessary article which the Party shops were unable to supply. Sometimes it was buttons, sometimes it was darning wool, sometimes it was shoelaces; at present it was razor blades. You could only get hold of them, if at all, by scrounging more or less furtively on the ‘free’ market.Tout le monde demandait des lames de rasoir. Il en avait actuellement deux neuves qu’il gardait précieusement. Depuis des mois, une disette de lames sévissait. Il y avait toujours quelque article de première nécessité que les magasins du Parti étaient incapables de fournir. Parfois c’étaient les boutons, parfois la laine à repriser. D’autres fois, c’étaient les lacets de souliers. C’étaient maintenant les lames de rasoir qui manquaient. On ne pouvait mettre la main dessus, quand on y arrivait, qu’en trafiquant plus ou moins en cachette au marché « libre ».
‘I’ve been using the same blade for six weeks,’ he added untruthfully.– Il y a six semaines que je me sers de la même lame, ajouta Winston qui mentait.
The queue gave another jerk forward. As they halted he turned and faced Syme again. Each of them took a greasy metal tray from a pile at the end of the counter.La queue avançait d’une autre saccade. Lorsqu’elle s’arrêta, Winston se retourna encore vers Syme. Chacun d’eux préleva, dans une pile qui se trouvait au bord du comptoir, un plateau de métal graisseux.
‘Did you go and see the prisoners hanged yesterday?’ said Syme.– Êtes-vous allé voir hier la pendaison des prisonniers ? demanda Syme.
‘I was working,’ said Winston indifferently. ‘I shall see it on the flicks, I suppose.’– Je travaillais, répondit Winston avec indifférence. Je verrai cela au télécran, je pense.
‘A very inadequate substitute,’ said Syme.– C’est un succédané tout à fait insuffisant, dit Syme.
His mocking eyes roved over Winston’s face. ‘I know you,’ the eyes seemed to say, ‘I see through you. I know very well why you didn’t go to see those prisoners hanged.’ Ses yeux moqueurs dévisageaient Winston. « Je vous connais, semblaient-ils dire. Je vous perce à jour. Je sais parfaitement pourquoi vous n’êtes pas allé voir ces prisonniers. »
 In an intellectual way, Syme was venomously orthodox. He would talk with a disagreeable gloating satisfaction of helicopter raids on enemy villages, and trials and confessions of thought-criminals, the executions in the cellars of the Ministry of Love. Talking to him was largely a matter of getting him away from such subjects and entangling him, if possible, in the technicalities of Newspeak, on which he was authoritative and interesting. Winston turned his head a little aside to avoid the scrutiny of the large dark eyes.Intellectuellement, Syme était d’une orthodoxie venimeuse. Il pouvait parler, avec une désagréable jubilation satisfaite, des raids d’hélicoptères sur les villages ennemis, des procès et des confessions des criminels de la pensée, des exécutions dans les caves du ministère de l’Amour. Pour avoir avec lui une conversation agréable, il fallait avant tout l’éloigner de tels sujets et le pousser, si possible, à parler de la technicité du novlangue, matière dans laquelle il faisait autorité et se montrait intéressant. Winston tourna légèrement la tête pour éviter le regard scrutateur des grands yeux sombres.
‘It was a good hanging,’ said Syme reminiscently. ‘I think it spoils it when they tie their feet together. I like to see them kicking. And above all, at the end, the tongue sticking right out, and blue a quite bright blue. That’s the detail that appeals to me.’– C’était une belle pendaison, dit Syme, qui revoyait le spectacle. Mais je trouve qu’on l’a gâchée en attachant les pieds. J’aime les voir frapper du pied. J’aime surtout, à la fin, voir la langue se projeter toute droite et bleue, d’un bleu éclatant. Ce sont ces détails-là qui m’attirent.
‘Nex’, please!’ yelled the white-aproned prole with the ladle.– Aux suivants, s’il vous plaît ! glapit la « prolétaire » en tablier bleu qui tenait une louche.
Winston and Syme pushed their trays beneath the grille. On to each was dumped swiftly the regulation lunch — a metal pannikin of pinkish-grey stew, a hunk of bread, a cube of cheese, a mug of milkless Victory Coffee, and one saccharine tablet.Winston et Syme passèrent leurs plateaux sous le grillage. Sur chacun furent rapidement amoncelés les éléments du déjeuner réglementaire : un petit bol en métal plein d’un ragoût d’un gris rosâtre, un quignon de pain, un carré de fromage, une timbale de café de la Victoire, sans lait, et une tablette de saccharine.
‘There’s a table over there, under that telescreen,’ said Syme. ‘Let’s pick up a gin on the way.’– Il y a une table là-bas, sous le télécran, dit Syme. Nous prendrons un gin en passant.
The gin was served out to them in handleless china mugs. They threaded their way across the crowded room and unpacked their trays on to the metal-topped table, on one corner of which someone had left a pool of stew, a filthy liquid mess that had the appearance of vomit. Winston took up his mug of gin, paused for an instant to collect his nerve, and gulped the oily-tasting stuff down. When he had winked the tears out of his eyes he suddenly discovered that he was hungry. He began swallowing spoonfuls of the stew, which, in among its general sloppiness, had cubes of spongy pinkish stuff which was probably a preparation of meat. Neither of them spoke again till they had emptied their pannikins. From the table at Winston’s left, a little behind his back, someone was talking rapidly and continuously, a harsh gabble almost like the quacking of a duck, which pierced the general uproar of the room.Le gin leur fut servi dans des tasses chinoises sans anse. Ils se faufilèrent à travers la salle encombrée et déchargèrent leurs plateaux sur la surface métallique d’une table. Sur un coin de cette table, quelqu’un avait laissé une plaque de ragoût, immonde brouet liquide qui ressemblait à une vomissure. Winston saisit sa tasse de gin, s’arrêta un instant pour prendre son élan et avala le liquide médicamenteux à goût d’huile. Des larmes lui firent clignoter les yeux. Il s’aperçut soudain, quand il les eut essuyées, qu’il avait faim. Il se mit à avaler des cuillerées de ce ragoût qui montrait, au milieu d’une abondante lavasse, des cubes d’une spongieuse substance rosâtre qui était probablement une préparation de viande. Aucun d’eux ne parla avant qu’ils n’eussent vidé leurs récipients. À la table qui se trouvait à gauche, un peu en arrière de Winston, quelqu’un parlait avec volubilité, sans arrêt. C’était un baragouinage discordant presque analogue à un caquetage d’un canard, qui perçait à travers le vacarme ambiant.
‘How is the Dictionary getting on?’ said Winston, raising his voice to overcome the noise.– Comment va le dictionnaire ? demanda Winston en élevant la voix pour dominer le bruit.
‘Slowly,’ said Syme. ‘I’m on the adjectives. It’s fascinating.’– Lentement, répondit Syme. J’en suis aux adjectifs. C’est fascinant.
He had brightened up immediately at the mention of Newspeak. He pushed his pannikin aside, took up his hunk of bread in one delicate hand and his cheese in the other, and leaned across the table so as to be able to speak without shouting.Le visage de Syme s’était immédiatement éclairé au seul mot de dictionnaire. Il poussa de côté le récipient qui avait contenu le ragoût, prit d’une main délicate son quignon de pain, de l’autre son fromage et se pencha au-dessus de la table pour se faire entendre sans crier.
‘The Eleventh Edition is the definitive edition,’ he said. ‘We’re getting the language into its final shape — the shape it’s going to have when nobody speaks anything else. When we’ve finished with it, people like you will have to learn it all over again. You think, I dare say, that our chief job is inventing new words. But not a bit of it! We’re destroying words — scores of them, hundreds of them, every day. We’re cutting the language down to the bone. The Eleventh Edition won’t contain a single word that will become obsolete before the year 2050.’– La onzième édition est l’édition définitive, dit-il. Nous donnons au novlangue sa forme finale, celle qu’il aura quand personne ne parlera plus une autre langue. Quand nous aurons terminé, les gens comme vous devront le réapprendre entièrement. Vous croyez, n’est-ce pas, que notre travail principal est d’inventer des mots nouveaux ? Pas du tout ! Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os. La onzième édition ne renfermera pas un seul mot qui puisse vieillir avant l’année 2050.
He bit hungrily into his bread and swallowed a couple of mouthfuls, then continued speaking, with a sort of pedant’s passion. His thin dark face had become animated, his eyes had lost their mocking expression and grown almost dreamy.Il mordit dans son pain avec appétit, avala deux bouchées, puis continua à parler avec une sorte de pédantisme passionné. Son mince visage brun s’était animé, ses yeux avaient perdu leur expression moqueuse et étaient devenus rêveurs.
‘It’s a beautiful thing, the destruction of words. Of course the great wastage is in the verbs and adjectives, but there are hundreds of nouns that can be got rid of as well. It isn’t only the synonyms; there are also the antonyms. After all, what justification is there for a word which is simply the opposite of some other word? A word contains its opposite in itself. Take “good”, for instance. If you have a word like “good”, what need is there for a word like “bad”? “Ungood” will do just as well — better, because it’s an exact opposite, which the other is not. – C’est une belle chose, la destruction des mots. Naturellement, c’est dans les verbes et les adjectifs qu’il y a le plus de déchets, mais il y a des centaines de noms dont on peut aussi se débarrasser. Pas seulement les synonymes, il y a aussi les antonymes. Après tout, quelle raison d’exister y a-t-il pour un mot qui n’est que le contraire d’un autre ? Les mots portent en eux-mêmes leur contraire. Prenez « bon », par exemple. Si vous avez un mot comme « bon » quelle nécessité y a-t-il à avoir un mot comme « mauvais » ? « Inbon » fera tout aussi bien, mieux même, parce qu’il est l’opposé exact de bon, ce que n’est pas l’autre mot.
Or again, if you want a stronger version of “good”, what sense is there in having a whole string of vague useless words like “excellent” and “splendid” and all the rest of them? “Plusgood” covers the meaning, or “doubleplusgood” if you want something stronger still. Of course we use those forms already. but in the final version of Newspeak there’ll be nothing else. In the end the whole notion of goodness and badness will be covered by only six words — in reality, only one word. Don’t you see the beauty of that, Winston? It was B.B.’s idea originally, of course,’ he added as an afterthought.Et si l’on désire un mot plus fort que « bon », quel sens y a-t-il à avoir toute une chaîne de mots vagues et inutiles comme « excellent », « splendide » et tout le reste ? « Plusbon » englobe le sens de tous ces mots, et, si l’on veut un mot encore plus fort, il y a « double-plusbon ». Naturellement, nous employons déjà ces formes, mais dans la version définitive du novlangue, il n’y aura plus rien d’autre. En résumé, la notion complète du bon et du mauvais sera couverte par six mots seulement, en réalité un seul mot. Voyez-vous, Winston, l’originalité de cela ? Naturellement, ajouta-t-il après coup, l’idée vient de Big Brother.
A sort of vapid eagerness flitted across Winston’s face at the mention of Big Brother. Nevertheless Syme immediately detected a certain lack of enthusiasm.Au nom de Big Brother, une sorte d’ardeur froide flotta sur le visage de Winston. Syme, néanmoins, perçut immédiatement un certain manque d’enthousiasme.
‘You haven’t a real appreciation of Newspeak, Winston,’ he said almost sadly. ‘Even when you write it you’re still thinking in Oldspeak. I’ve read some of those pieces that you write in The Times occasionally. They’re good enough, but they’re translations. In your heart you’d prefer to stick to Oldspeak, with all its vagueness and its useless shades of meaning. You don’t grasp the beauty of the destruction of words. Do you know that Newspeak is the only language in the world whose vocabulary gets smaller every year?’– Vous n’appréciez pas réellement le novlangue, Winston, dit-il presque tristement. Même quand vous écrivez, vous pensez en ancilangue. J’ai lu quelques-uns des articles que vous écrivez parfois dans le Times. Ils sont assez bons, mais ce sont des traductions. Au fond, vous auriez préféré rester fidèle à l’ancien langage, à son imprécision et ses nuances inutiles. Vous ne saisissez pas la beauté qu’il y a dans la destruction des mots. Savez-vous que le novlangue est la seule langue dont le vocabulaire diminue chaque année ?
Winston did know that, of course. He smiled, sympathetically he hoped, not trusting himself to speak.Winston l’ignorait, naturellement. Il sourit avec sympathie, du moins il l’espérait, car il n’osait se risquer à parler.
Syme bit off another fragment of the dark-coloured bread, chewed it briefly, and went on:Syme prit une autre bouchée de pain noir, la mâcha rapidement et continua :
Don’t you see that the whole aim of Newspeak is to narrow the range of thought? In the end we shall make thoughtcrime literally impossible, because there will be no words in which to express it. Every concept that can ever be needed, will be expressed by exactly one word, with its meaning rigidly defined and all its subsidiary meanings rubbed out and forgotten. Already, in the Eleventh Edition, we’re not far from that point. But the process will still be continuing long after you and I are dead. Every year fewer and fewer words, and the range of consciousness always a little smaller. – Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée ? À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées. Déjà, dans la onzième édition, nous ne sommes pas loin de ce résultat. Mais le processus continuera encore longtemps après que vous et moi nous serons morts. Chaque année, de moins en moins de mots, et le champ de la conscience de plus en plus restreint.
Even now, of course, there’s no reason or excuse for committing thoughtcrime. It’s merely a question of self-discipline, reality-control. But in the end there won’t be any need even for that. The Revolution will be complete when the language is perfect. Newspeak is Ingsoc and Ingsoc is Newspeak,’ he added with a sort of mystical satisfaction. ‘Has it ever occurred to you, Winston, that by the year 2050, at the very latest, not a single human being will be alive who could understand such a conversation as we are having now?’Il n’y a plus, dès maintenant, c’est certain, d’excuse ou de raison au crime par la pensée. C’est simplement une question de discipline personnelle, de maîtrise de soi-même. Mais même cette discipline sera inutile en fin de compte. La Révolution sera complète quand le langage sera parfait. Le novlangue est l’angsoc et l’angsoc est le novlangue, ajouta-t-il avec une sorte de satisfaction mystique. Vous est-il jamais arrivé de penser, Winston, qu’en l’année 2050, au plus tard, il n’y aura pas un seul être humain vivant capable de comprendre une conversation comme celle que nous tenons maintenant ?
‘Except-‘ began Winston doubtfully, and he stopped.– Sauf…, commença Winston avec un accent dubitatif, mais il s’interrompit.
It had been on the tip of his tongue to say ‘Except the proles,’ but he checked himself, not feeling fully certain that this remark was not in some way unorthodox. Syme, however, had divined what he was about to say.Il avait sur le bout de la langue les mots : « Sauf les prolétaires », mais il se maîtrisa. Il n’était pas absolument certain que cette remarque fût tout à fait orthodoxe. Syme, cependant, avait deviné ce qu’il allait dire.
‘The proles are not human beings,’ he said carelessly. ‘By 2050 earlier, probably — all real knowledge of Oldspeak will have disappeared. The whole literature of the past will have been destroyed. Chaucer, Shakespeare, Milton, Byron — they’ll exist only in Newspeak versions, not merely changed into something different, but actually changed into something contradictory of what they used to be. Even the literature of the Party will change. Even the slogans will change. How could you have a slogan like “freedom is slavery” when the concept of freedom has been abolished? The whole climate of thought will be different. In fact there will be no thought, as we understand it now. Orthodoxy means not thinking — not needing to think. Orthodoxy is unconsciousness.’– Les prolétaires ne sont pas des êtres humains, dit-il négligemment. Vers 2050, plus tôt probablement, toute connaissance de l’ancienne langue aura disparu. Toute la littérature du passé aura été détruite. Chaucer, Shakespeare, Milton, Byron n’existeront plus qu’en versions novlangue. Ils ne seront pas changés simplement en quelque chose de différent, ils seront changés en quelque chose qui sera le contraire de ce qu’ils étaient jusque-là. Même la littérature du Parti changera. Même les slogans changeront. Comment pourrait-il y avoir une devise comme « La liberté c’est l’esclavage » alors que le concept même de la liberté aura été aboli ? Le climat total de la pensée sera autre. En fait, il n’y aura pas de pensée telle que nous la comprenons maintenant. Orthodoxie signifie non-pensant, qui n’a pas besoin de pensée, l’orthodoxie, c’est l’inconscience.
One of these days, thought Winston with sudden deep conviction, Syme will be vaporized. He is too intelligent. He sees too clearly and speaks too plainly. The Party does not like such people. One day he will disappear. It is written in his face.« Un de ces jours, pensa soudain Winston avec une conviction certaine, Syme sera vaporisé. Il est trop intelligent. Il voit trop clairement et parle trop franchement. Le Parti n’aime pas ces individus-là. Un jour, il disparaîtra. C’est écrit sur son visage. »
Winston had finished his bread and cheese. He turned a little sideways in his chair to drink his mug of coffee. At the table on his left the man with the strident voice was still talking remorselessly away. A young woman who was perhaps his secretary, and who was sitting with her back to Winston, was listening to him and seemed to be eagerly agreeing with everything that he said. From time to time Winston caught some such remark as ‘I think you’re so right, I do so agree with you’, uttered in a youthful and rather silly feminine voice. But the other voice never stopped for an instant, even when the girl was speaking. Winston knew the man by sight, though he knew no more about him than that he held some important post in the Fiction Department. Winston avait fini son pain et son fromage. Il se tourna un peu de côté sur sa chaise pour boire son café. À la table qui se trouvait à sa gauche, l’homme à la voix stridente continuait impitoyablement à parler. Une jeune femme, qui était peut-être sa secrétaire et qui tournait le dos à Winston, l’écoutait et semblait approuver avec ardeur tout ce qu’il disait. De temps en temps, Winston saisissait quelques remarques comme « Je pense que vous avez raison à un tel point ! », « Si vous saviez comme je vous approuve », émises d’une voix féminine jeune et plutôt sotte. Mais l’autre ne s’arrêtait jamais, même quand la fille parlait. Winston connaissait l’homme de vue. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il occupait un poste important au Commissariat aux Romans.
He was a man of about thirty, with a muscular throat and a large, mobile mouth. His head was thrown back a little, and because of the angle at which he was sitting, his spectacles caught the light and presented to Winston two blank discs instead of eyes. What was slightly horrible, was that from the stream of sound that poured out of his mouth it was almost impossible to distinguish a single word. Just once Winston caught a phrase -‘complete and final elimination of Goldsteinism’- jerked out very rapidly and, as it seemed, all in one piece, like a line of type cast solid. For the rest it was just a noise, a quack-quack-quacking. C’était un homme d’environ trente ans, au cou musclé, à la bouche large et frémissante. Sa tête était légèrement rejetée en arrière et, à cause de l’angle sous lequel il était assis, ses lunettes réfractaient la lumière et présentaient, à la place des yeux, deux disques vides. Ce qui était légèrement horrible, c’est qu’il était presque impossible de distinguer un seul mot du flot de paroles qui se déversait de sa bouche. Une fois seulement, Winston perçut une phrase (« complète et finale élimination de Goldstein ») lancée brusquement, avec volubilité et d’un bloc, semblait-il, comme une ligne de caractères typographiques composée pleine. Le reste n’était qu’un bruit, qu’un caquetage.
And yet, though you could not actually hear what the man was saying, you could not be in any doubt about its general nature. He might be denouncing Goldstein and demanding sterner measures against thought-criminals and saboteurs, he might be fulminating against the atrocities of the Eurasian army, he might be praising Big Brother or the heroes on the Malabar front — it made no difference. Whatever it was, you could be certain that every word of it was pure orthodoxy, pure Ingsoc. Pourtant, bien qu’on ne pût entendre, on ne pouvait avoir aucun doute sur la nature générale de ce que disait l’homme. Peut-être dénonçait-il Goldstein et demandait-il des mesures plus sévères contre les criminels par la pensée et les saboteurs ; peut-être fulminait-il contre les atrocités de l’armée eurasienne ; peut-être encore glorifiait-il Big Brother et les héros du front de Malabar. Peu importait. Quel que fût le sujet de sa conversation, on pouvait être sûr que tous les mots en étaient d’une pure orthodoxie, d’un pur angsoc.
As he watched the eyeless face with the jaw moving rapidly up and down, Winston had a curious feeling that this was not a real human being but some kind of dummy. It was not the man’s brain that was speaking, it was his larynx. The stuff that was coming out of him consisted of words, but it was not speech in the true sense: it was a noise uttered in unconsciousness, like the quacking of a duck.Tandis qu’il regardait le visage sans yeux dont la mâchoire manœuvrait rapidement dans le sens vertical, Winston avait l’étrange impression que cet homme n’était pas un être humain réel, mais quelque chose comme un mannequin articulé : ce n’était pas le cerveau de l’homme qui s’exprimait, c’était son larynx. La substance qui sortait de lui était faite de mots, mais ce n’était pas du langage dans le vrai sens du terme. C’était un bruit émis en état d’inconscience, comme le caquetage d’un canard.
Syme had fallen silent for a moment, and with the handle of his spoon was tracing patterns in the puddle of stew. The voice from the other table quacked rapidly on, easily audible in spite of the surrounding din.Syme, depuis un moment, était silencieux et traçait des dessins avec le manche de sa cuiller dans la flaque de ragoût. La voix, à l’autre table, continuait son caquetage volubile, aisément audible en dépit du vacarme environnant.
‘There is a word in Newspeak,’ said Syme, ‘I don’t know whether you know it: duckspeak, to quack like a duck. It is one of those interesting words that have two contradictory meanings. Applied to an opponent, it is abuse, applied to someone you agree with, it is praise.’– Il y a un mot en novlangue, dit Syme, je ne sais si vous le connaissez : canelangue, « caquetage du canard ». C’est un de ces mots intéressants qui ont deux sens opposés. Appliqué à un adversaire, c’est une insulte. Adressé à quelqu’un avec qui l’on est d’accord, c’est un éloge.
Unquestionably Syme will be vaporized, Winston thought again. He thought it with a kind of sadness, although well knowing that Syme despised him and slightly disliked him, and was fully capable of denouncing him as a thought-criminal if he saw any reason for doing so. There was something subtly wrong with Syme. There was something that he lacked: discretion, aloofness, a sort of saving stupidity. You could not say that he was unorthodox.« Indubitablement, Syme sera vaporisé », pensa de nouveau Winston. Il le pensa avec une sorte de tristesse, bien qu’il sût que Syme le méprisait et éprouvait pour lui une légère antipathie. Syme était parfaitement capable de le dénoncer comme criminel par la pensée s’il voyait une raison quelconque de le faire. Il y avait quelque chose qui clochait subtilement chez Syme. Quelque chose lui manquait. Il manquait de discrétion, de réserve, d’une sorte de stupidité restrictive. On ne pouvait dire qu’il ne fût pas orthodoxe.
 He believed in the principles of Ingsoc, he venerated Big Brother, he rejoiced over victories, he hated heretics, not merely with sincerity but with a sort of restless zeal, an up-to-dateness of information, which the ordinary Party member did not approach. Yet a faint air of disreputability always clung to him. He said things that would have been better unsaid, he had read too many books, he frequented the Chestnut Tree Cafe, haunt of painters and musicians. There was no law, not even an unwritten law, against frequenting the Chestnut Tree Cafe, yet the place was somehow ill-omened. The old, discredited leaders of the Party had been used to gather there before they were finally purged. Goldstein himself, it was said, had sometimes been seen there, years and decades ago. Syme’s fate was not difficult to foresee. Il croyait aux principes de l’angsoc, il vénérait Big Brother, il se réjouissait des victoires, il détestait les hérétiques, et pas simplement avec sincérité, mais avec une sorte de zèle incessant, un savoir chaque jour révisé dont n’approchaient pas les membres ordinaires du Parti. Cependant, une équivoque et bizarre atmosphère s’attachait à lui. Il disait des choses qu’il aurait mieux valu taire, il avait lu trop de livres, il fréquentait le café du Châtaignier, rendez-vous de peintres et de musiciens. Il n’y avait pas de loi, même pas de loi verbale, qui défendît de fréquenter le café du Châtaignier, cependant, y aller constituait en quelque sorte un mauvais présage. Les vieux meneurs discrédités du Parti avaient l’habitude de se réunir là avant qu’ils fussent finalement emportés par l’épuration. Goldstein lui-même, disait-on, avait parfois été vu là, il y avait des dizaines d’années. Le sort de Syme n’était pas difficile à prévoir.
And yet it was a fact that if Syme grasped, even for three seconds, the nature of his, Winston’s, secret opinions, he would betray him instantly to the Thought Police. So would anybody else, for that matter: but Syme more than most. Zeal was not enough. Orthodoxy was unconsciousness.C’était un fait, pourtant, que s’il soupçonnait, ne fût-ce que trois secondes, la nature des opinions de Winston, il le dénoncerait instantanément à la Police de la Pensée. Ainsi, d’ailleurs, ferait n’importe qui, mais Syme, plus sûrement que tout autre. Ce zèle, cependant, était insuffisant. La suprême orthodoxie était l’inconscience.
Syme looked up. ‘Here comes Parsons,’ he said.Syme leva les yeux. « Voilà Parsons », dit-il.
Something in the tone of his voice seemed to add, ‘that bloody fool’. Quelque chose dans le son de sa voix sembla ajouter : « Ce bougre d’imbécile. »
Parsons, Winston’s fellow-tenant at Victory Mansions, was in fact threading his way across the room — a tubby, middle-sized man with fair hair and a froglike face. At thirty-five he was already putting on rolls of fat at neck and waistline, but his movements were brisk and boyish. His whole appearance was that of a little boy grown large, so much so that although he was wearing the regulation overalls, it was almost impossible not to think of him as being dressed in the blue shorts, grey shirt, and red neckerchief of the Spies. In visualizing him one saw always a picture of dimpled knees and sleeves rolled back from pudgy forearms. Parsons did, indeed, invariably revert to shorts when a community hike or any other physical activity gave him an excuse for doing so. Parsons, colocataire de Winston au bloc de la Victoire, se faufilait en effet à travers la salle. C’était un gros homme de taille moyenne, aux cheveux blonds et au visage de grenouille. À trente-cinq ans, il prenait déjà de la graisse et montrait des rouleaux au cou et à la taille, mais ses gestes étaient vifs et puérils. Toute son apparence rappelait celle d’un petit garçon trop poussé, si bien qu’en dépit de la combinaison réglementaire qu’il portait, il était presque impossible de l’imaginer autrement que vêtu du short bleu, de la chemise grise et du foulard rouge des Espions. Lorsqu’on l’évoquait, on se représentait toujours des genoux à fossettes et des manches roulées sur des avant-bras dodus. Parsons, en fait, revenait invariablement au short chaque fois qu’une sortie collective ou une autre activité physique lui en fournissait le prétexte.
He greeted them both with a cheery ‘Hullo, hullo!’ and sat down at the table, giving off an intense smell of sweat. Beads of moisture stood out all over his pink face. His powers of sweating were extraordinary. At the Community Centre you could always tell when he had been playing table-tennis by the dampness of the bat handle. Il les salua tous deux d’un joyeux « holà ! » et s’assit à leur table. Il dégageait une forte odeur de sueur. Des gouttes recouvraient tout son visage rosé. Son pouvoir de transpiration était extraordinaire. Au Centre communautaire, on pouvait toujours, par l’humidité du manche de la raquette, savoir s’il avait joué au ping-pong.
Syme had produced a strip of paper on which there was a long column of words, and was studying it with an ink-pencil between his fingers.Syme avait sorti une bande de papier sur laquelle il y avait une longue colonne de mots et il étudiait, un crayon à encre à la main.
‘Look at him working away in the lunch hour,’ said Parsons, nudging Winston. ‘Keenness, eh? What’s that you’ve got there, old boy? Something a bit too brainy for me, I expect. Smith, old boy, I’ll tell you why I’m chasing you. It’s that sub you forgot to give me.’– Regardez-le travailler à l’heure du déjeuner, dit Parsons en poussant Winston du coude. C’est du zèle, hein ? Qu’est-ce que vous avez là, vieux frère ? Quelque chose d’un peu trop savant pour moi, je suppose. Smith, mon vieux, je vais vous dire pourquoi je vous poursuis. C’est à cause de cette cotisation que vous avez oublié de me payer.
‘Which sub is that?’ said Winston, automatically feeling for money.– Quelle cotisation ? demanda Winston en se tâtant les poches automatiquement pour trouver de la monnaie.
About a quarter of one’s salary had to be earmarked for voluntary subscriptions, which were so numerous that it was difficult to keep track of them.Un quart environ du salaire de chaque individu était réservé aux souscriptions volontaires, lesquelles étaient si nombreuses qu’il était difficile d’en tenir une comptabilité.
‘For Hate Week. You know — the house-by-house fund. I’m treasurer for our block. We’re making an all-out effort — going to put on a tremendous show. I tell you, it won’t be my fault if old Victory Mansions doesn’t have the biggest outfit of flags in the whole street. Two dollars you promised me.’– Pour la Semaine de la Haine. On collecte maison par maison, vous savez ce que c’est. Je suis le trésorier de notre immeuble. Nous faisons un effort prodigieux. Nous allons pouvoir en mettre plein la vue. Ce ne sera pas ma faute, je vous le dis, si ce vieux bloc de la Victoire n’a pas le plus bel assortiment de drapeaux de toute la rue. C’est deux dollars que vous m’avez promis.
Winston found and handed over two creased and filthy notes, which Parsons entered in a small notebook, in the neat handwriting of the illiterate.Winston trouva deux dollars graisseux et sales qu’il tendit à Parsons. Celui-ci, de l’écriture nette des illettrés, nota le montant de la somme sur un petit carnet.
‘By the way, old boy,’ he said. ‘I hear that little beggar of mine let fly at you with his catapult yesterday. I gave him a good dressing-down for it. In fact I told him I’d take the catapult away if he does it again.– À propos, vieux, dit-il, on m’a raconté que mon petit coquin de garçon a lâché sur vous hier un coup de son lance-pierres. Je lui ai pas mal lavé la tête. En fait, je lui ai dit que je lui enlèverais son engin s’il recommençait.
‘I think he was a little upset at not going to the execution,’ said Winston.– Je crois qu’il était un peu bouleversé de ne pas aller à l’exécution, dit Winston.
‘ Ah, well — what I mean to say, shows the right spirit, doesn’t it? Mischievous little beggars they are, both of them, but talk about keenness! All they think about is the Spies, and the war, of course. D’you know what that little girl of mine did last Saturday, when her troop was on a hike out Berkhamsted way? She got two other girls to go with her, slipped off from the hike, and spent the whole afternoon following a strange man. They kept on his tail for two hours, right through the woods, and then, when they got into Amersham, handed him over to the patrols.’– Ah ! Oui ! Je veux dire, il montre un bon esprit, n’est-ce pas ? Des petits galopins, bien turbulents, tous les deux, mais vous parlez d’une ardeur ! Ils ne pensent qu’aux Espions. À la guerre aussi, naturellement. Savez-vous ce qu’a fait mon numéro de petite fille samedi dernier, quand elle était avec sa troupe sur la route de Bukhamsted ? Elle et deux autres petites filles se sont échappées pendant la marche. Elles ont passé tout l’après-midi, figurez-vous, à suivre un type. Pendant deux heures, elles n’ont pas quitté ses talons, droit dans le bois et, quand elles sont arrivées à Amersham, elles l’ont fait prendre par une patrouille.
‘What did they do that for?’ said Winston, somewhat taken aback. – Pourquoi ont-elles fait cela ? demanda Winston un peu abasourdi.
Parsons went on triumphantly:Parsons continua sur un ton triomphant :
‘My kid made sure he was some kind of enemy agent — might have been dropped by parachute, for instance. But here’s the point, old boy. What do you think put her on to him in the first place? She spotted he was wearing a funny kind of shoes — said she’d never seen anyone wearing shoes like that before. So the chances were he was a foreigner. Pretty smart for a nipper of seven, eh?’– La gosse était convaincue qu’il était une sorte d’agent de l’ennemi. Il avait pu être parachuté, par exemple. Mais là est le point, mon vieux. Qu’est-ce que vous croyez qui a en premier lieu éveillé ses soupçons ? Elle avait remarqué qu’il portait de drôles de chaussures. Elle dit qu’elle n’avait jamais vu personne porter des chaussures pareilles. Il y avait donc des chances pour qu’il soit un étranger. Assez fort, pas ? pour une gamine de sept ans.
‘What happened to the man?’ said Winston.– Qu’est-ce qui est arrivé à l’homme ? demanda Winston.
‘Ah, that I couldn’t say, of course. But I wouldn’t be altogether surprised if-‘ – Ça, je ne pourrais pas vous le dire, naturellement, mais je ne serais pas du tout surpris si…
Parsons made the motion of aiming a rifle, and clicked his tongue for the explosion.Ici Parsons fit le geste d’épauler un fusil et fit claquer sa langue pour imiter la détonation.
‘Good,’ said Syme abstractedly, without looking up from his strip of paper.– Bien, dit Syme distraitement, sans lever les yeux de sa bande de papier.
‘Of course we can’t afford to take chances,’ agreed Winston dutifully.– Naturellement, nous devons nous méfier de tout, convint Winston.
‘What I mean to say, there is a war on,’ said Parsons.– Ce que je veux dire, c’est que nous sommes en guerre, dit Parsons.
As though in confirmation of this, a trumpet call floated from the telescreen just above their heads. However, it was not the proclamation of a military victory this time, but merely an announcement from the Ministry of Plenty.Comme pour confirmer ces mots, un appel de clairon fut lancé du télécran juste au-dessus de leurs têtes. Cette fois, pourtant, ce n’était pas la proclamation d’une victoire militaire, mais simplement une annonce du ministère de l’Abondance.
‘Comrades!’ cried an eager youthful voice. ‘Attention, comrades! We have glorious news for you. We have won the battle for production! Returns now completed of the output of all classes of consumption goods show that the standard of living has risen by no less than 20 per cent over the past year. All over Oceania this morning there were irrepressible spontaneous demonstrations when workers marched out of factories and offices and paraded through the streets with banners voicing their gratitude to Big Brother for the new, happy life which his wise leadership has bestowed upon us. Here are some of the completed figures. Foodstuffs-‘– Camarades ! cria une jeune voix ardente. Attention, camarades ! Nous avons une grande nouvelle pour vous. Nous avons gagné la bataille de la production ! Les statistiques, maintenant complètes, du rendement dans tous les genres de produits de consommation, montrent que le standard de vie s’est élevé de rien moins que vingt pour cent au-dessus du niveau de celui de l’année dernière. Il y a eu ce matin, dans tout l’Océania d’irrésistibles manifestations spontanées de travailleurs qui sont sortis des usines et des bureaux et ont défilé avec des bannières dans les rues. Ils criaient leur gratitude à Big Brother pour la vie nouvelle et heureuse que sa sage direction nous a procurée. Voici quelques-uns des chiffres obtenus : Denrées alimentaires…
The phrase ‘our new, happy life’ recurred several times. It had been a favourite of late with the Ministry of Plenty. Parsons, his attention caught by the trumpet call, sat listening with a sort of gaping solemnity, a sort of edified boredom. He could not follow the figures, but he was aware that they were in some way a cause for satisfaction. He had lugged out a huge and filthy pipe which was already half full of charred tobacco. With the tobacco ration at 100 grammes a week it was seldom possible to fill a pipe to the top. Winston was smoking a Victory Cigarette which he held carefully horizontal. The new ration did not start till tomorrow and he had only four cigarettes left. For the moment he had shut his ears to the remoter noises and was listening to the stuff that streamed out of the telescreen. It appeared that there had even been demonstrations to thank Big Brother for raising the chocolate ration to twenty grammes a week. La phrase, « notre vie nouvelle et heureuse », revint plusieurs fois. C’était, depuis peu, une phrase favorite du ministère de l’Abondance. Parsons, son attention éveillée par l’appel du clairon, écoutait bouche bée, avec une sorte de solennité, de pieux ennui. Il ne pouvait suivre les chiffres, mais il n’ignorait pas qu’ils étaient une cause de satisfaction. Il avait sorti une pipe énorme et sale, déjà bourrée à moitié de tabac noirci. Avec la ration de cent grammes par semaine de tabac, il était rarement possible de remplir une pipe jusqu’au bord. Winston fumait une cigarette de la Victoire qu’il tenait soigneusement horizontale. La nouvelle ration ne serait pas distribuée avant le lendemain et il ne lui restait que quatre cigarettes. Il avait pour l’instant fermé ses oreilles au bruit de la salle et écoutait les balivernes qui ruisselaient du télécran. Il apparaissait qu’il y avait même eu des manifestations pour remercier Big Brother d’avoir augmenté jusqu’à vingt grammes par semaine la ration de chocolat.
And only yesterday, he reflected, it had been announced that the ration was to be reduced to twenty grammes a week. Was it possible that they could swallow that, after only twenty-four hours? Yes, they swallowed it. Parsons swallowed it easily, with the stupidity of an animal. The eyeless creature at the other table swallowed it fanatically, passionately, with a furious desire to track down, denounce, and vaporize anyone who should suggest that last week the ration had been thirty grammes. Syme, too-in some more complex way, involving doublethink, Syme swallowed it. Was he, then, alone in the possession of a memory?Et ce n’est qu’hier, réfléchit-il, qu’on a annoncé que la ration allait être réduite à vingt grammes par semaine. Est-il possible que les gens avalent cela après vingt-quatre heures seulement ? Oui, ils l’avalaient. Parsons l’avalait facilement, avec une stupidité animale. La créature sans yeux de l’autre table l’avalait passionnément, fanatiquement, avec un furieux désir de traquer, de dénoncer et de vaporiser quiconque s’aviserait de suggérer que la ration était de trente grammes, il n’y avait de cela qu’une semaine. Syme lui aussi avalait cela, par des cheminements, toutefois, plus complexes qui impliquaient la double-pensée. Winston était-il donc le seul à posséder une mémoire ?
The fabulous statistics continued to pour out of the telescreen. As compared with last year there was more food, more clothes, more houses, more furniture, more cooking-pots, more fuel, more ships, more helicopters, more books, more babies — more of everything except disease, crime, and insanity. Year by year and minute by minute, everybody and everything was whizzing rapidly upwards.Les fabuleuses statistiques continuaient à couler du télécran. Comparativement à l’année précédente, il y avait plus de nourriture, plus de maisons, plus de meubles, plus de casseroles, plus de combustible, plus de navires, plus d’hélicoptères, plus de livres, plus de bébés, plus de tout en dehors de la maladie, du crime et de la démence. D’année en année, de minute en minute, tout, les choses, les gens, tout s’élevait, dans un bourdonnement.
As Syme had done earlier Winston had taken up his spoon and was dabbling in the pale-coloured gravy that dribbled across the table, drawing a long streak of it out into a pattern. He meditated resentfully on the physical texture of life. Had it always been like this? Had food always tasted like this? He looked round the canteen. A low-ceilinged, crowded room, its walls grimy from the contact of innumerable bodies; battered metal tables and chairs, placed so close together that you sat with elbows touching; bent spoons, dented trays, coarse white mugs; all surfaces greasy, grime in every crack; and a sourish, composite smell of bad gin and bad coffee and metallic stew and dirty clothes. Always in your stomach and in your skin there was a sort of protest, a feeling that you had been cheated of something that you had a right to. Winston, comme Syme l’avait fait plus tôt, avait pris sa cuiller et barbotait dans la sauce pâle qui coulait sur la table. Il étirait en un dessin une longue bande de cette sauce et songeait avec irritation aux conditions matérielles de la vie. Est-ce qu’elle avait toujours été ainsi ? Est-ce que la nourriture avait toujours eu ce goût-là ? Il jeta un regard circulaire dans la cantine. Une salle comble, au plafond bas, aux murs salis par le contact de corps innombrables. Des tables et des chaises de métal cabossé, placées si près les unes des autres que les coudes des gens se touchaient. Des cuillers tordues. Des plateaux bosselés. De grossières tasses blanches. Toutes les surfaces graisseuses et de la crasse dans toutes les fentes. Une odeur composite et aigre de mauvais gin, de mauvais café, de ragoût métallique et de vêtements sales. On avait toujours dans l’estomac et dans la peau une sorte de protestation, la sensation qu’on avait été dupé, dépossédé de quelque chose à quoi on avait droit.
 It was true that he had no memories of anything greatly different. In any time that he could accurately remember, there had never been quite enough to eat, one had never had socks or underclothes that were not full of holes, furniture had always been battered and rickety, rooms underheated, tube trains crowded, houses falling to pieces, bread dark-coloured, tea a rarity, coffee filthy-tasting, cigarettes insufficient — nothing cheap and plentiful except synthetic gin.Il était vrai que Winston ne se souvenait de rien qui fût très différent. À aucune époque dont il pût se souvenir avec précision, il n’y avait eu tout à fait assez à manger. On n’avait jamais eu de chaussettes ou de sous-vêtements qui ne fussent pleins de trous. Le mobilier avait toujours été bosselé et branlant, les pièces insuffisamment chauffées, les rames de métro bondées, les maisons délabrées, le pain noir. Le thé était une rareté, le café avait un goût d’eau sale, les cigarettes étaient en nombre insuffisant. Rien n’était bon marché et abondant, à part le gin synthétique.
And though, of course, it grew worse as one’s body aged, was it not a sign that this was not the natural order of things, if one’s heart sickened at the discomfort and dirt and scarcity, the interminable winters, the stickiness of one’s socks, the lifts that never worked, the cold water, the gritty soap, the cigarettes that came to pieces, the food with its strange evil tastes? Why should one feel it to be intolerable unless one had some kind of ancestral memory that things had once been different?Cet état de chose devenait plus pénible à mesure que le corps vieillissait mais, de toute façon, que quelqu’un fût écœuré par l’inconfort, la malpropreté et la pénurie, par les interminables hivers, par les chaussettes gluantes, les ascenseurs qui ne marchaient jamais, l’eau froide, le savon gréseux, les cigarettes qui tombaient en morceaux, les aliments infects au goût étrange, n’était-ce pas un signe que l’ordre naturel des choses était violé. Pourquoi avait-il du mal à supporter la vie actuelle, si ce n’est qu’il y avait une sorte de souvenir ancestral d’une époque où tout était différent ?
He looked round the canteen again. Nearly everyone was ugly, and would still have been ugly even if dressed otherwise than in the uniform blue overalls. On the far side of the room, sitting at a table alone, a small, curiously beetle-like man was drinking a cup of coffee, his little eyes darting suspicious glances from side to side. How easy it was, thought Winston, if you did not look about you, to believe that the physical type set up by the Party as an ideal-tall muscular youths and deep-bosomed maidens, blond-haired, vital, sunburnt, carefree — existed and even predominated. Actually, so far as he could judge, the majority of people in Airstrip One were small, dark, and ill-favoured.Encore une fois, Winston fit du regard le tour de la cantine. Presque tous étaient laids et ils auraient encore été laids, même s’ils avaient été vêtus autrement que de la combinaison bleue d’uniforme. À l’extrémité de la pièce, assis seul à une table, un petit homme, qui ressemblait curieusement à un scarabée, buvait une tasse de café. Ses petits yeux lançaient des regards soupçonneux de chaque côté. Comme il est facile à condition d’éviter de regarder autour de soi, pensa Winston, de croire que le type physique idéal fixé par le Parti existait, et même prédominait : garçons grands et musclés, filles à la poitrine abondante, blonds, pleins de vitalité, bronzés par le soleil, insouciants. Actuellement, autant qu’il pouvait en juger, la plupart des gens de la Première Région Aérienne étaient petits, bruns et disgracieux.
It was curious how that beetle-like type proliferated in the Ministries: little dumpy men, growing stout very early in life, with short legs, swift scuttling movements, and fat inscrutable faces with very small eyes. It was the type that seemed to flourish best under the dominion of the Party. Il était curieux de constater combien le type scarabée proliférait dans les ministères. On y voyait de petits hommes courtauds qui, très tôt, devenaient corpulents. Ils avaient de petites jambes, des mouvements rapides et précipités, des visages gras sans expression, de très petits yeux. C’était le type qui semblait prospérer le mieux sous la domination du Parti.
The announcement from the Ministry of Plenty ended on another trumpet call and gave way to tinny music. Parsons, stirred to vague enthusiasm by the bombardment of figures, took his pipe out of his mouth.L’annonce du ministère de l’Abondance s’acheva sur un autre appel de clairon et fit place à une musique criarde. Parsons, que le bombardement des chiffres avait animé d’un vague enthousiasme, enleva sa pipe de sa bouche.
‘The Ministry of Plenty’s certainly done a good job this year,’ he said with a knowing shake of his head. ‘By the way, Smith old boy, I suppose you haven’t got any razor blades you can let me have?’– Le ministère de l’Abondance a certainement fait du bon travail cette année, dit-il en secouant la tête d’un air entendu. À propos, vieux Smith, je suppose que vous n’avez aucune lame de rasoir à me céder ?
‘Not one,’ said Winston. ‘I’ve been using the same blade for six weeks myself.’– Pas une, répondit Winston. Il y a six semaines que je me sers de la même lame moi-même.
‘Ah, well — just thought I’d ask you, old boy.’– Ah ! bon. Je voulais seulement tenter ma chance, vieux.
‘Sorry,’ said Winston.– Je regrette, dit Winston.
The quacking voice from the next table, temporarily silenced during the Ministry’s announcement, had started up again, as loud as ever. La voix cancanante, à l’autre table, momenta­nément réduite au silence pendant l’annonce du ministère, avait recommencé à se faire entendre plus forte que jamais.
For some reason Winston suddenly found himself thinking of Mrs Parsons, with her wispy hair and the dust in the creases of her face. Within two years those children would be denouncing her to the Thought Police. Mrs Parsons would be vaporized. Syme would be vaporized. Winston would be vaporized. O’Brien would be vaporized. Parsons, on the other hand, would never be vaporized. The eyeless creature with the quacking voice would never be vaporized. The little beetle-like men who scuttle so nimbly through the labyrinthine corridors of Ministries they, too, would never be vaporized. And the girl with dark hair, the girl from the Fiction Department — she would never be vaporized either. It seemed to him that he knew instinctively who would survive and who would perish: though just what it was that made for survival, it was not easy to say.Winston se surprit soudain à penser à Mme Parsons. Il revoyait ses cheveux en mèches, la poussière des plis de son visage. D’ici deux ans, ses enfants la dénonceraient à la Police de la Pensée. Mme Parsons serait vaporisée. Syme serait vaporisé. Winston serait vaporisé. O’Brien serait vaporisé. D’autre part, Parsons, lui, ne serait jamais vaporisé. La créature sans yeux à la voix de canard ne serait jamais vaporisée. Les petits hommes scarabées qui se hâtaient avec tant d’agilité dans le labyrinthe des couloirs du ministère ne seraient jamais, eux non plus, vaporisés. Et la fille aux cheveux noirs, la fille du Commissariat aux Romans, elle non plus, ne serait jamais vaporisée. Il semblait à Winston qu’il savait, instinctivement, qui survivrait et qui périrait, bien qu’il ne fût pas facile de dire quel élément entraînait la survivance.
At this moment he was dragged out of his reverie with a violent jerk. The girl at the next table had turned partly round and was looking at him. It was the girl with dark hair. She was looking at him in a sidelong way, but with curious intensity. The instant she caught his eye she looked away again.Il sortit à ce moment de sa rêverie avec un violent sursaut. La fille assise à la table voisine s’était à demi retournée et le regardait. C’était la fille aux cheveux noirs. Elle le regardait du coin de l’œil, mais avec une curieuse intensité. Dès que leurs regards se rencontrèrent, elle détourna les yeux.
The sweat started out on Winston’s backbone. A horrible pang of terror went through him. It was gone almost at once, but it left a sort of nagging uneasiness behind. Why was she watching him? Why did she keep following him about? Unfortunately he could not remember whether she had already been at the table when he arrived, or had come there afterwards. But yesterday, at any rate, during the Two Minutes Hate, she had sat immediately behind him when there was no apparent need to do so. Quite likely her real object had been to listen to him and make sure whether he was shouting loudly enough.Winston eut le dos mouillé de sueur. Un horrible frisson de terreur l’étreignit. La souffrance disparut presque aussitôt, mais non sans laisser une sorte de malaise irritant. Pourquoi le surveillait-elle ? Pourquoi s’obstinait-elle à le poursuivre ? Il ne pouvait malheureusement pas se rappeler si elle était déjà à cette table quand il était arrivé ou si elle y était venue après. Mais la veille, de toute façon, elle s’était assise immédiatement derrière lui quand il n’y avait pour cela aucune raison. Très probablement, son but réel avait été de l’écouter pour savoir s’il criait assez fort.
His earlier thought returned to him: probably she was not actually a member of the Thought Police, but then it was precisely the amateur spy who was the greatest danger of all. He did not know how long she had been looking at him, but perhaps for as much as five minutes, and it was possible that his features had not been perfectly under control. It was terribly dangerous to let your thoughts wander when you were in any public place or within range of a telescreen. The smallest thing could give you away. A nervous tic, an unconscious look of anxiety, a habit of muttering to yourself — anything that carried with it the suggestion of abnormality, of having something to hide. In any case, to wear an improper expression on your face (to look incredulous when a victory was announced, for example) was itself a punishable offence. There was even a word for it in Newspeak: facecrime, it was called.Sa première idée lui revint. Elle n’était probablement pas réellement un membre de la Police de la Pensée, mais c’était précisément l’espion amateur qui était le plus à craindre de tous. Il ne savait pas depuis combien de temps elle le regardait. Peut-être était-ce depuis cinq bonnes minutes et il était possible que Winston n’ait pas maîtrisé complètement l’expression de son visage. Il était terriblement dangereux de laisser les pensées s’égarer quand on était dans un lieu public ou dans le champ d’un télécran. La moindre des choses pouvait vous trahir. Un tic nerveux, un inconscient regard d’anxiété, l’habitude de marmonner pour soi-même, tout ce qui pouvait suggérer que l’on était anormal, que l’on avait quelque chose à cacher. En tout cas, porter sur son visage une expression non appropriée (paraître incrédule quand une victoire était annoncée, par exemple) était en soi une offense punissable. Il y avait même en novlangue un mot pour désigner cette offense. On l’appelait facecrime.
The girl had turned her back on him again. Perhaps after all she was not really following him about, perhaps it was coincidence that she had sat so close to him two days running. La fille lui avait de nouveau tourné le dos. Peut-être après tout ne le suivait-elle pas réellement. Peut-être n’était-ce qu’une coïncidence si elle s’était assise si près de lui deux jours de suite.
His cigarette had gone out, and he laid it carefully on the edge of the table. He would finish smoking it after work, if he could keep the tobacco in it. Quite likely the person at the next table was a spy of the Thought Police, and quite likely he would be in the cellars of the Ministry of Love within three days, but a cigarette end must not be wasted. Sa cigarette s’était éteinte. Il la déposa avec précaution au bord de la table. Il finirait de la fumer après son travail s’il pouvait garder le tabac qui restait. Il était tout à fait possible que la personne assise à la table voisine fût une espionne. Il était tout à fait possible qu’avant trois jours il se trouvât dans les caves du ministère de l’Amour, mais un bout de cigarette ne devait pas être gâché.
Syme had folded up his strip of paper and stowed it away in his pocket. Parsons had begun talking again.Syme avait plié sa bande de papier et l’avait rangée dans sa poche. Parsons recommença à parler.
‘Did I ever tell you, old boy,’ he said, chuckling round the stem of his pipe, ‘about the time when those two nippers of mine set fire to the old market-woman’s skirt because they saw her wrapping up sausages in a poster of B.B.? Sneaked up behind her and set fire to it with a box of matches. Burned her quite badly, I believe. Little beggars, eh? But keen as mustard! That’s a first-rate training they give them in the Spies nowadays — better than in my day, even. What d’you think’s the latest thing they’ve served them out with? Ear trumpets for listening through keyholes! My little girl brought one home the other night — tried it out on our sitting-room door, and reckoned she could hear twice as much as with her ear to the hole. Of course it’s only a toy, mind you. Still, gives ’em the right idea, eh?’– Est-ce que je vous ai déjà raconté, vieux, commença-t-il en tapotant autour de lui le tuyau de sa pipe, que mes deux gamins ont mis le feu à la jupe d’une vieille du marché ? Ils l’avaient vue envelopper du saucisson dans une affiche de B.B. Ils se sont glissés derrière elle et ils ont mis le feu à sa jupe avec une boîte d’allumettes. Ils lui ont fait une très mauvaise brûlure, je crois. Quels petits coquins, pas ? mais malins comme des renards ! C’est une éducation de premier ordre qu’on leur donne maintenant, aux Espions, meilleure même que de mon temps. Dites, que croyez-vous qu’on leur ait donné dernièrement ? Des cornets acoustiques pour écouter par les trous des serrures ! Ma petite fille en a apporté un à la maison l’autre soir. Elle l’a essayé sur la porte de notre salon et elle estime qu’elle peut entendre deux fois mieux qu’avec son oreille sur le trou. Naturellement, vous savez, ce n’est qu’un jouet, mais cela leur donne de bonnes idées, pas ?
At this moment the telescreen let out a piercing whistle. It was the signal to return to work. All three men sprang to their feet to join in the struggle round the lifts, and the remaining tobacco fell out of Winston’s cigarette.Le télécran, à ce moment, émit un coup de sifflet perçant. C’était le signal de la reprise du travail. Les trois hommes bondirent sur leurs pieds et se joignirent à la bousculade autour des ascenseurs. Le reste du tabac tomba de la cigarette de Winston.
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1984 par Georges Orwell

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