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Candide by Voltaire Bilingual Book French/English Page 2

Ce n’est pas une traduction mots a mots mais les livres dans les deux languages mis côte a côte. Vous pouvez le lire en Français, en anglais ou parallèlement.

This is not a word-by-word translation but the books in the two languages put side by side. You can read it in French, in English or both.

Candide by Voltaire

Candide de VoltaireCandide by Voltaire
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Chapitre XVICHAPTER XVI
En parlant ainsi, il ne laissa pas de manger. Le soleil se couchait.While he was thus lamenting his fate, he went on eating. The sun went down. 
Les deux égarés entendirent quelques petits cris qui paraissaient poussés par des femmes. Ils ne savaient si ces cris étaient de douleur ou de joie; mais ils se levèrent précipitamment avec cette inquiétude et cette alarme que tout inspire dans un pays inconnu. The two wanderers heard some little cries which seemed to be uttered by women. They did not know whether they were cries of pain or joy; but they started up precipitately with that inquietude and alarm which every little thing inspires in an unknown country.
Ces clameurs partaient de deux filles toutes nues qui couraient légèrement au bord de la prairie, tandis que deux singes les suivaient en leur mordant les fesses. Candide fut touché de pitié; il avait appris à tirer chez les Bulgares, et il aurait abattu une noisette dans un buisson sans toucher aux feuilles. Il prend son fusil espagnol à deux coups, tire, et tue les deux singes.
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The noise was made by two naked girls, who tripped along the mead, while two monkeys were pursuing them and biting their buttocks. Candide was moved with pity; he had learned to fire a gun in the Bulgarian service, and he was so clever at it, that he could hit a filbert in a hedge without touching a leaf of the tree. He took up his double-barrelled Spanish fusil, let it off, and killed the two monkeys.
Dieu soit loué, mon cher Cacambo! j’ai délivré d’un grand péril ces deux pauvres créatures: si j’ai commis un péché en tuant un inquisiteur et un jésuite, je l’ai bien réparé en sauvant la vie à deux filles.“God be praised! My dear Cacambo, I have rescued those two poor creatures from a most perilous situation. If I have committed a sin in killing an Inquisitor and a Jesuit, I have made ample amends by saving the lives of these girls.
Ce sont peut-être deux demoiselles de condition, et cette aventure nous peut procurer de très grands avantages dans le pays.Perhaps they are young ladies of family; and this adventure may procure us great advantages in this country.”
Il allait continuer, mais sa langue devint percluse quand il vit ces deux filles embrasser tendrement les deux singes, fondre en larmes sur leurs corps, et remplir l’air des cris les plus douloureux.He was continuing, but stopped short when he saw the two girls tenderly embracing the monkeys, bathing their bodies in tears, and rending the air with the most dismal lamentations.
Je ne m’attendais pas à tant de bonté d’âme, dit-il enfin à Cacambo; lequel lui répliqua:“Little did I expect to see such good-nature,” said he at length to Cacambo; who made answer:
Vous avez fait là un beau chef d’oeuvre, mon maître; vous avez tué les deux amants de ces demoiselles. “Master, you have done a fine thing now; you have slain the sweethearts of those two young ladies.”
 Leurs amants! serait-il possible? vous vous moquez de moi, Cacambo; le moyen de vous croire? “The sweethearts! Is it possible? You are jesting, Cacambo, I can never believe it!”
Mon cher maître, repartit Cacambo, vous êtes toujours étonné de tout; pourquoi trouvez-vous si étrange que dans quelques pays il y ait des singes qui obtiennent les bonnes grâces des dames? ils sont des quarts d’homme, comme je suis un quart d’Espagnol. “Dear master,” replied Cacambo; “you are surprised at everything. Why should you think it so strange that in some countries there are monkeys which insinuate themselves into the good graces of the ladies; they are a fourth part human, as I am a fourth part Spaniard.”
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Hélas! reprit Candide, je me souviens d’avoir entendu dire à maître Pangloss qu’autrefois pareils accidents étaient arrivés, et que ces mélanges avaient produit des égypans, des faunes, des satyres; que plusieurs grands personnages de l’antiquité en avaient vu; mais je prenais cela pour des fables. “Alas!” replied Candide, “I remember to have heard Master Pangloss say, that formerly such accidents used to happen; that these mixtures were productive of Centaurs, Fauns, and Satyrs; and that many of the ancients had seen such monsters, but I looked upon the whole as fabulous.”
Vous devez être convaincu à présent, dit Cacambo, que c’est une vérité, et vous voyez comment en usent les personnes qui n’ont pas reçu une certaine éducation; tout ce que je crains, c’est que ces dames ne nous fassent quelque méchante affaire.“You ought now to be convinced,” said Cacambo, “that it is the truth, and you see what use is made of those creatures, by persons that have not had a proper education; all I fear is that those ladies will play us some ugly trick.”
Ces réflexions solides engagèrent Candide à quitter la prairie, et à s’enfoncer dans un bois. Il y soupa avec Cacambo; et tous deux, après avoir maudit l’inquisiteur de Portugal, le gouverneur de Buénos-Ayres, et le baron, s’endormirent sur de la mousse. A leur réveil, ils sentirent qu’ils ne pouvaient remuer; la raison en était que pendant la nuit les Oreillons, habitants du pays, à qui les deux dames les avaient dénoncés, les avaient garrottés avec des cordes d’écorces d’arbre.These sound reflections induced Candide to leave the meadow and to plunge into a wood. He supped there with Cacambo; and after cursing the Portuguese inquisitor, the Governor of Buenos Ayres, and the Baron, they fell asleep on moss. On awaking they felt that they could not move; for during the night the Oreillons, who inhabited that country, and to whom the ladies had denounced them, had bound them with cords made of the bark of trees. 
Ils étaient entourés d’une cinquantaine d’Oreillons tout nus, armés de flèches, de massues, et de haches de caillou: les uns fesaient bouillir une grande chaudière; les autres préparaient des broches, et tous criaient: They were encompassed by fifty naked Oreillons, armed with bows and arrows, with clubs and flint hatchets. Some were making a large cauldron boil, others were preparing spits, and all cried:
C’est un jésuite, c’est un jésuite! nous serons vengés, et nous ferons bonne chère; mangeons du jésuite, mangeons du jésuite!“A Jesuit! a Jesuit! we shall be revenged, we shall have excellent cheer, let us eat the Jesuit, let us eat him up!”
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Je vous l’avais bien dit, mon cher maître, s’écria tristement Cacambo, que ces deux filles nous joueraient d’un mauvais tour.“I told you, my dear master,” cried Cacambo sadly, “that those two girls would play us some ugly trick.”
Candide apercevant la chaudière et les broches s’écria: Candide seeing the cauldron and the spits, cried:
Nous allons certainement être rôtis ou bouillis. Ah! que dirait maître Pangloss, s’il voyait comme la pure nature est faite? Tout est bien; soit, mais j’avoue qu’il est bien cruel, d’avoir perdu mademoiselle Cunégonde, et d’être mis à la broche par des Oreillons.“We are certainly going to be either roasted or boiled. Ah! what would Master Pangloss say, were he to see how pure nature is formed? Everything is right, may be, but I declare it is very hard to have lost Miss Cunegonde and to be put upon a spit by Oreillons.”
Cacambo ne perdait jamais la tête.Cacambo never lost his head.
Ne désespérez de rien, dit-il au désolé Candide; j’entends un peu le jargon de ces peuples, je vais leur parler. “Do not despair,” said he to the disconsolate Candide, “I understand a little of the jargon of these people, I will speak to them.”
Ne manquez pas, dit Candide, de leur représenter quelle est l’inhumanité affreuse de faire cuire des hommes, et combien cela est peu chrétien.“Be sure,” said Candide, “to represent to them how frightfully inhuman it is to cook men, and how very un-Christian.”
Messieurs, dit Cacambo, vous comptez donc manger aujourd’hui un jésuite? c’est très bien fait; rien n’est plus juste que de traiter ainsi ses ennemis. En effet le droit naturel nous enseigne à tuer notre prochain, et c’est ainsi qu’on en agit dans toute la terre. Si nous n’usons pas du droit de le manger, c’est que nous avons d’ailleurs de quoi faire bonne chère; mais vous n’avez pas les mêmes ressources que nous: certainement il vaut mieux manger ses ennemis que d’abandonner aux corbeaux et aux corneilles le fruit de sa victoire. Mais, messieurs, vous ne voudriez pas manger vos amis. Vous croyez aller mettre un jésuite en broche, et c’est votre défenseur, c’est l’ennemi de vos ennemis que vous allez rôtir.“Gentlemen,” said Cacambo, “you reckon you are to-day going to feast upon a Jesuit. It is all very well, nothing is more unjust than thus to treat your enemies. Indeed, the law of nature teaches us to kill our neighbour, and such is the practice all over the world. If we do not accustom ourselves to eating them, it is because we have better fare. But you have not the same resources as we; certainly it is much better to devour your enemies than to resign to the crows and rooks the fruits of your victory. But, gentlemen, surely you would not choose to eat your friends. You believe that you are going to spit a Jesuit, and he is your defender. It is the enemy of your enemies that you are going to roast.
Pour moi, je suis né dans votre pays; monsieur que vous voyez est mon maître, et bien loin d’être jésuite, il vient de tuer un jésuite, il en porte les dépouilles; voilà le sujet de votre méprise. Pour vérifier ce que je vous dis, prenez sa robe, portez-la à la première barrière du royaume de los padres; informez-vous si mon maître n’a pas tué un officier jésuite. Il vous faudra peu de temps; vous pourrez toujours nous manger, si vous trouvez que je vous ai menti. Mais, si je vous ai dit la vérité, vous connaissez trop les principes du droit public, les moeurs, et les lois, pour ne nous pas faire grâce.As for myself, I was born in your country; this gentleman is my master, and, far from being a Jesuit, he has just killed one, whose spoils he wears; and thence comes your mistake. To convince you of the truth of what I say, take his habit and carry it to the first barrier of the Jesuit kingdom, and inform yourselves whether my master did not kill a Jesuit officer. It will not take you long, and you can always eat us if you find that I have lied to you. But I have told you the truth. You are too well acquainted with the principles of public law, humanity, and justice not to pardon us.”
Les Oreillons trouvèrent ce discours très raisonnable; ils députèrent deux notables pour aller en diligence s’informer de la vérité; les deux députés s’acquittèrent de leur commission en gens d’esprit, et revinrent bientôt apporter de bonnes nouvelles. Les Oreillons délièrent leurs deux prisonniers, leur firent toutes sortes de civilités, leur offrirent des filles, leur donnèrent des rafraîchissements, et les reconduisirent jusqu’aux confins de leurs états, en criant avec allégresse: The Oreillons found this speech very reasonable. They deputed two of their principal people with all expedition to inquire into the truth of the matter; these executed their commission like men of sense, and soon returned with good news. The Oreillons untied their prisoners, showed them all sorts of civilities, offered them girls, gave them refreshment, and reconducted them to the confines of their territories, proclaiming with great joy:
Il n’est point jésuite, il n’est point jésuite!“He is no Jesuit! He is no Jesuit!”
Candide ne se lassait point d’admirer le sujet de sa délivrance.Candide could not help being surprised at the cause of his deliverance.
Quel peuple! disait-il, quels hommes! quelles moeurs! si je n’avais pas eu le bonheur de donner un grand coup d’épée au travers du corps du frère de mademoiselle Cunégonde, j’étais mangé sans rémission. Mais, après tout, la pure nature est bonne, puisque ces gens-ci, au lieu de me manger, m’ont fait mille honnêtetés, dès qu’ils ont su que je n’étais pas jésuite.“What people!” said he; “what men! what manners! If I had not been so lucky as to run Miss Cunegonde’s brother through the body, I should have been devoured without redemption. But, after all, pure nature is good, since these people, instead of feasting upon my flesh, have shown me a thousand civilities, when then I was not a Jesuit.”
CHAPITRE XVII.XVII
Arrivée de Candide et de son valet au pays d’Eldorado, et ce qu’ils y virent.ARRIVAL OF CANDIDE AND HIS VALET AT EL DORADO, AND WHAT THEY SAW THERE.
Quand ils furent aux frontières des Oreillons: Vous voyez, dit Cacambo à Candide, que cet hémisphère-ci ne vaut pas mieux que l’autre; croyez-moi, retournons en Europe par le plus court chemin. “You see,” said Cacambo to Candide, as soon as they had reached the frontiers of the Oreillons, “that this hemisphere is not better than the others, take my word for it; let us go back to Europe by the shortest way.”
Comment y retourner, dit Candide; et où aller? Si je vais dans mon pays, les Bulgares et les Abares y égorgent tout; si je retourne en Portugal, j’y suis brûlé; si nous restons dans ce pays-ci, nous risquons à tout moment d’être mis en broche. Mais comment se résoudre à quitter la partie du monde que mademoiselle Cunégonde habite?“How go back?” said Candide, “and where shall we go? to my own country? The Bulgarians and the Abares are slaying all; to Portugal? there I shall be burnt; and if we abide here we are every moment in danger of being spitted. But how can I resolve to quit a part of the world where my dear Cunegonde resides?”
—Tournons vers la Cayenne, dit Cacambo, nous y trouverons des
Français qui vont par tout le monde; ils pourront nous aider.
Dieu aura peut-être pitié de nous.»
“Let us turn towards Cayenne,” said Cacambo, “there we shall find Frenchmen, who wander all over the world; they may assist us; God will perhaps have pity on us.”
Il n’était pas facile d’aller à la Cayenne: ils savaient bien à peu près de quel côté il fallait marcher; mais des montagnes, des fleuves, des précipices, des brigands, des sauvages, étaient partout de terribles obstacles. Leurs chevaux moururent de fatigue; leurs provisions furent consumées; ils se nourrirent un mois entier de fruits sauvages, et se trouvèrent enfin auprès d’une petite rivière bordée de cocotiers qui soutinrent leur vie et leurs espérances.It was not easy to get to Cayenne; they knew vaguely in which direction to go, but rivers, precipices, robbers, savages, obstructed them all the way. Their horses died of fatigue. Their provisions were consumed; they fed a whole month upon wild fruits, and found themselves at last near a little river bordered with cocoa trees, which sustained their lives and their hopes.
Cacambo, qui donnait toujours d’aussi bons conseils que la vieille, dit à Candide: Cacambo, who was as good a counsellor as the old woman, said to Candide:
Nous n’en pouvons plus, nous avons assez marché; j’aperçois un canot vide sur le rivage, emplissons-le de cocos, jetons-nous dans cette petite barque, laissons-nous aller au courant; une rivière mène toujours à quelque endroit habité. Si nous ne trouvons pas des choses agréables, nous trouverons du moins des choses nouvelles. “We are able to hold out no longer; we have walked enough. I see an empty canoe near the river-side; let us fill it with cocoanuts, throw ourselves into it, and go with the current; a river always leads to some inhabited spot. If we do not find pleasant things we shall at least find new things.”
Allons, dit Candide, recommandons-nous à la Providence.“With all my heart,” said Candide, “let us recommend ourselves to Providence.”
Ils voguèrent quelques lieues entre des bords, tantôt fleuris, tantôt arides, tantôt unis, tantôt escarpés. La rivière s’élargissait toujours; enfin elle se perdait sous une voûte de rochers épouvantables qui s’élevaient jusqu’au ciel. Les deux voyageurs eurent la hardiesse de s’abandonner aux flots sous cette voûte. Le fleuve resserré en cet endroit les porta avec une rapidité et un bruit horrible. Au bout de vingt-quatre heures ils revirent le jour; mais leur canot se fracassa contre les écueils; il fallut se traîner de rocher en rocher pendant une lieue entière; enfin ils découvrirent un horizon immense, bordé de montagnes inaccessibles. They rowed a few leagues, between banks, in some places flowery, in others barren; in some parts smooth, in others rugged. The stream ever widened, and at length lost itself under an arch of frightful rocks which reached to the sky. The two travellers had the courage to commit themselves to the current. The river, suddenly contracting at this place, whirled them along with a dreadful noise and rapidity. At the end of four-and-twenty hours they saw daylight again, but their canoe was dashed to pieces against the rocks. For a league they had to creep from rock to rock, until at length they discovered an extensive plain, bounded by inaccessible mountains. 
Le pays était cultivé pour le plaisir comme pour le besoin; partout l’utile était agréable[1]: les chemins étaient couverts ou plutôt ornés de voitures d’une forme et d’une matière brillante, portant des hommes et des femmes d’une beauté singulière, traînés rapidement par de gros moutons rouges qui surpassaient en vitesse les plus beaux chevaux d’Andalousie, de Tétuan, et de Méquinez.The country was cultivated[Pg 76] as much for pleasure as for necessity. On all sides the useful was also the beautiful. The roads were covered, or rather adorned, with carriages of a glittering form and substance, in which were men and women of surprising beauty, drawn by large red sheep which surpassed in fleetness the finest coursers of Andalusia, Tetuan, and Mequinez.
Voilà pourtant, dit Candide, un pays qui vaut mieux que la Vestphalie.“Here, however, is a country,” said Candide, “which is better than Westphalia.”
Il mit pied à terre avec Cacambo auprès du premier village qu’il rencontra. Quelques enfants du village, couverts de brocarts d’or tout déchirés, jouaient au palet à l’entrée du bourg; nos deux hommes de l’autre monde s’amusèrent à les regarder: leurs palets étaient d’assez larges pièces rondes, jaunes, rouges, vertes, qui jetaient un éclat singulier. Il prit envie aux voyageurs d’en ramasser quelques uns; c’était de l’or, c’était des émeraudes, des rubis, dont le moindre aurait été le plus grand ornement du trône du Mogol. He stepped out with Cacambo towards the first village which he saw. Some children dressed in tattered brocades played at quoits on the outskirts. Our travellers from the other world amused themselves by looking on. The quoits were large round pieces, yellow, red, and green, which cast a singular lustre! The travellers picked a few of them off the ground; this was of gold, that of emeralds, the other of rubies—the least of them would have been the greatest ornament on the Mogul’s throne.
Sans doute, dit Cacambo, ces enfants sont les fils du roi du pays qui jouent au petit palet. “Without doubt,” said Cacambo, “these children must be the king’s sons that are playing at quoits!”
Le magister du village parut dans ce moment pour les faire rentrer à l’école.The village schoolmaster appeared at this moment and called them to school.
Voilà, dit Candide, le précepteur de la famille royale.“There,” said Candide, “is the preceptor of the royal family.”
Les petits gueux quittèrent aussitôt le jeu, en laissant à terre leurs palets, et tout ce qui avait servi à leurs divertissements. Candide les ramasse, court au précepteur et les lui présente humblement, lui fesant entendre par signes que leurs altesses royales avaient oublié leur or et leurs pierreries. Le magister du village, en souriant, les jeta par terre, regarda un moment la figure de Candide avec beaucoup de surprise, et continua son chemin.The little truants immediately quitted their[Pg 77] game, leaving the quoits on the ground with all their other playthings. Candide gathered them up, ran to the master, and presented them to him in a most humble manner, giving him to understand by signs that their royal highnesses had forgotten their gold and jewels. The schoolmaster, smiling, flung them upon the ground; then, looking at Candide with a good deal of surprise, went about his business.
Les voyageurs ne manquèrent pas de ramasser l’or, les rubis, et les émeraudes. The travellers, however, took care to gather up the gold, the rubies, and the emeralds.
Où sommes-nous? s’écria Candide. Il faut que les enfants des rois de ce pays soient bien élevés, puisqu’on leur apprend à mépriser l’or et les pierreries.“Where are we?” cried Candide. “The king’s children in this country must be well brought up, since they are taught to despise gold and precious stones.”
Cacambo était aussi surpris que Candide. Ils approchèrent enfin de la première maison du village; elle était bâtie comme un palais d’Europe. Une foule de monde s’empressait à la porte, et encore plus dans le logis; une musique très agréable se fesait entendre, et une odeur délicieuse de cuisine se fesait sentir. Cacambo s’approcha de la porte, et entendit qu’on parlait péruvien; c’était sa langue maternelle; car tout le monde sait que Cacambo était né au Tucuman, dans un village où l’on ne connaissait que cette langue.Cacambo was as much surprised as Candide. At length they drew near the first house in the village. It was built like an European palace. A crowd of people pressed about the door, and there were still more in the house. They heard most agreeable music, and were aware of a delicious odour of cooking. Cacambo went up to the door and heard they were talking Peruvian; it was his mother tongue, for it is well known that Cacambo was born in Tucuman, in a village where no other language was spoken.
Je vous servirai d’interprète, dit-il à Candide; entrons, c’est ici un cabaret.“I will be your interpreter here,” said he to Candide; “let us go in, it is a public-house.”
Aussitôt deux garçons et deux filles de l’hôtellerie, vêtus de drap d’or, et les cheveux renoués avec des rubans, les invitent à se mettre à la table de l’hôte. On servit quatre potages garnis chacun de deux perroquets, un contour bouilli qui pesait deux cents livres, deux singes rôtis d’un goût excellent, trois cents colibris dans un plat, et six cents oiseaux-mouches dans un autre; des ragoûts exquis, des pâtisseries délicieuses; le tout dans des plats d’une espèce de cristal de roche. Les garçons et les filles de l’hôtellerie versaient plusieurs liqueurs faites de cannes de sucre.Immediately two waiters and two girls,[Pg 78] dressed in cloth of gold, and their hair tied up with ribbons, invited them to sit down to table with the landlord. They served four dishes of soup, each garnished with two young parrots; a boiled condor[19] which weighed two hundred pounds; two roasted monkeys, of excellent flavour; three hundred humming-birds in one dish, and six hundred fly-birds in another; exquisite ragouts; delicious pastries; the whole served up in dishes of a kind of rock-crystal. The waiters and girls poured out several liqueurs drawn from the sugar-cane.
Les convives étaient pour la plupart des marchands et des voituriers, tous d’une politesse extrême, qui firent quelques questions à Cacambo avec la discrétion la plus circonspecte, et qui répondirent aux siennes d’une manière à le satisfaire.Most of the company were chapmen and waggoners, all extremely polite; they asked Cacambo a few questions with the greatest circumspection, and answered his in the most obliging manner.
Quand le repas fut fini, Cacambo crut, ainsi que Candide, bien payer son écot, en jetant sur la table de l’hôte deux de ces larges pièces d’or qu’il avait ramassées; l’hôte et l’hôtesse éclatèrent de rire, et se tinrent long-temps les côtés. Enfin ils se remirent.As soon as dinner was over, Cacambo believed as well as Candide that they might well pay their reckoning by laying down two of those large gold pieces which they had picked up. The landlord and landlady shouted with laughter and held their sides. When the fit was over:
Messieurs, dit l’hôte, nous voyons bien que vous êtes des étrangers; nous ne sommes pas accoutumés à en voir. Pardonnez-nous si nous nous sommes mis à rire quand vous nous avez offert en paiement les cailloux de nos grands chemins. Vous n’avez pas sans doute de la monnaie du pays, mais il n’est pas nécessaire d’en avoir pour dîner ici. Toutes les hôtelleries établies pour la commodité du commerce sont payées par le gouvernement. Vous avez fait mauvaise chère ici, parceque c’est un pauvre village, mais partout ailleurs vous serez reçus comme vous méritez de l’être. “Gentlemen,” said the landlord, “it is plain you are strangers, and such guests we are not accustomed to see; pardon us therefore for laughing when you offered us the pebbles from our highroads in payment of your reckoning. You doubtless have not the money of the country; but it is not necessary to have any money at all to dine in this house. All hostelries established for the convenience of commerce are paid by the government. You have fared but very indifferently because this is a poor village; but everywhere else, you will be received as you deserve.”
 Cacambo expliquait à Candide tous les discours de l’hôte, et Candide les écoutait avec la même admiration et le même égarement que son ami Cacambo les rendait.Cacambo explained this whole discourse with great astonishment to Candide, who was as greatly astonished to hear it.
Quel est donc ce pays, disaient-ils l’un et l’autre, inconnu à tout le reste de la terre, et où toute la nature est d’une espèce si différente de la nôtre? C’est probablement le pays où tout va bien; car il faut absolument qu’il y en ait un de cette espèce. Et, quoi qu’en dît maître Pangloss, je me suis souvent aperçu que tout allait assez mal en Vestphalie.“What sort of a country then is this,” said they to one another; “a country unknown to all the rest of the world, and where nature is of a kind so different from ours? It is probably the country where all is well; for there absolutely must be one such place. And, whatever Master Pangloss might say, I often found that things went very ill in Westphalia.”
CHAPITRE XVIIIXVIII
Ce qu’ils virent dans le pays d’Eldorado.WHAT THEY SAW IN THE COUNTRY OF EL DORADO.
Cacambo témoigna à son hôte toute sa curiosité; l’hôte lui dit:Cacambo expressed his curiosity to the landlord, who made answer:
Je suis fort ignorant, et je m’en trouve bien; mais nous avons ici un vieillard retiré de la cour qui est le plus savant homme du royaume, et le plus communicatif.“I am very ignorant, but not the worse on that account. However, we have in this neighbourhood an old man retired from Court who is the most learned and most communicative person in the kingdom.”
Aussitôt il mène Cacambo chez le vieillard. Candide ne jouait plus que le second personnage, et accompagnait son valet. Ils entrèrent dans une maison fort simple, car la porte n’était que d’argent, et les lambris des appartements n’étaient que d’or, mais travaillés avec tant de goût, que les plus riches lambris ne l’effaçaient pas. L’antichambre n’était à la vérité incrustée que de rubis et d’émeraudes; mais l’ordre dans lequel tout était arrangé réparait bien cette extrême simplicité.At once he took Cacambo to the old man. Candide acted now only a second character, and accompanied his valet. They entered a very plain house, for the door was only of silver, and the ceilings were only of gold, but wrought in so elegant a taste as to vie with the richest. The antechamber, indeed, was only encrusted with rubies and emeralds, but the order in which everything was arranged made amends for this great simplicity.
Le vieillard reçut les deux étrangers sur un sofa matelassé de plumes de colibri, et leur fit présenter des liqueurs dans des vases de diamant; après quoi il satisfit à leur curiosité en ces termes:The old man received the strangers on his sofa, which was stuffed with humming-birds’ feathers, and ordered his servants to present them with liqueurs in diamond goblets; after which he satisfied their curiosity in the following terms:
Je suis âgé de cent soixante et douze ans, et j’ai appris de feu mon père, écuyer du roi, les étonnantes révolutions du Pérou dont il avait été témoin. Le royaume où nous sommes est l’ancienne patrie des incas, qui en sortirent très imprudemment pour aller subjuguer une partie du monde, et qui furent enfin détruits par les Espagnols.“I am now one hundred and seventy-two years old, and I learnt of my late father, Master of the Horse to the King, the amazing revolutions of Peru, of which he had been an eyewitness. The kingdom we now inhabit is the ancient country of the Incas, who quitted it very imprudently to conquer another part of the world, and were at length destroyed by the Spaniards.
Les princes de leur famille qui restèrent dans leur pays natal furent plus sages; ils ordonnèrent, du consentement de la nation, qu’aucun habitant ne sortirait jamais de notre petit royaume; et c’est ce qui nous a conservé notre innocence et notre félicité. Les Espagnols ont eu une connaissance confuse de ce pays, ils l’ont appelé Eldorado; et un Anglais, nommé le chevalier Raleigh, en a même approché il y a environ cent années; mais, comme nous sommes entourés de rochers inabordables et de précipices, nous avons toujours été jusqu’à présent à l’abri de la rapacité des nations de l’Europe, qui ont une fureur inconcevable pour les cailloux et pour la fange de notre terre, et qui, pour en avoir, nous tueraient tous jusqu’au dernier.“More wise by far were the princes of their family, who remained in their native country; and they ordained, with the consent of the whole nation, that none of the inhabitants should ever be permitted to quit this little kingdom; and this has preserved our innocence and happiness. The Spaniards have had a confused notion of this country, and have called it El Dorado; and an Englishman, whose name was Sir Walter Raleigh, came very near it about a hundred years ago; but being surrounded by inaccessible rocks and precipices, we have hitherto been sheltered from the rapaciousness of European nations, who have an inconceivable passion for the pebbles and dirt of our land, for the sake of which they would murder us to the last man.”
La conversation fut longue; elle roula sur la forme du gouvernement, sur les moeurs, sur les femmes, sur les spectacles publics, sur les arts. Enfin Candide, qui avait toujours du goût pour la métaphysique, fit demander par Cacambo si dans le pays il y avait une religion.The conversation was long: it turned chiefly on their form of government, their manners, their women, their public entertainments, and the arts. At length Candide, having always had a taste for metaphysics, made Cacambo ask whether there was any religion in that country.
Le vieillard rougit un peu.The old man reddened a little.
Comment donc! dit-il, en pouvez-vous douter? Est-ce que vous nous prenez pour des ingrats?“How then,” said he, “can you doubt it? Do you take us for ungrateful wretches?”
Cacambo demanda humblement quelle était la religion d’Eldorado. Le vieillard rougit encore:Cacambo humbly asked, “What was the religion in El Dorado?”
The old man reddened again.
Est-ce qu’il peut y avoir deux religions? dit-il. Nous avons, je crois, la religion de tout le monde; nous adorons Dieu du soir jusqu’au matin.“Can there be two religions?” said he. “We have, I believe, the religion of all the world: we worship God night and morning.”
N’adorez vous qu’un seul Dieu? dit Cacambo, qui servait toujours d’interprète aux doutes de Candide. “Do you worship but one God?” said Cacambo, who still acted as interpreter in representing Candide’s doubts.
Apparemment, dit le vieillard, qu’il n’y en a ni deux, ni trois, ni quatre. Je vous avoue que les gens de votre monde font des questions bien singulières“Surely,” said the old man, “there are not two, nor three, nor four. I must confess the people from your side of the world ask very extraordinary questions.”
Candide ne se lassait pas de faire interroger ce bon vieillard; il voulut savoir comment on priait Dieu dans Eldorado. Candide was not yet tired of interrogating the good old man; he wanted to know in what manner they prayed to God in El Dorado.
Nous ne le prions point, dit le bon et respectable sage; nous n’avons rien à lui demander, il nous a donné tout ce qu’il nous faut; nous le remercions sans cesse.“We do not pray to Him,” said the worthy sage; “we have nothing to ask of Him; He has given us all we need, and we return Him thanks without ceasing.”
Candide eut la curiosité de voir des prêtres; il fit demander où ils étaient.  Le bon vieillard sourit.Candide having a curiosity to see the priests asked where they were. The good old man smiled.
Mes amis, dit-il, nous sommes tous prêtres; le roi et tous les chefs de famille chantent des cantiques d’actions de grâces solennellement tous les matins, et cinq ou six mille musiciens les accompagnent.“My friend,” said he, “we are all priests. The King and all the heads of families sing solemn canticles of thanksgiving every morning, accompanied by five or six thousand musicians.”
—Quoi! vous n’avez point de moines qui enseignent, qui disputent, qui gouvernent, qui cabalent, et qui font brûler les gens qui ne sont pas de leur avis?“What! have you no monks who teach, who dispute, who govern, who cabal, and who burn people that are not of their opinion?”
—Il faudrait que nous fussions fous, dit le vieillard; “We must be mad, indeed, if that were the case,” said the old man;
nous sommes tous ici du même avis, et nous n’entendons pas ce que vous voulez dire avec vos moines.“here we are all of one opinion, and we know not what you mean by monks.”
Candide à tous ces discours demeurait en extase, et disait en lui-même:During this whole discourse Candide was in raptures, and he said to himself:
Ceci est bien différent de la Vestphalie et du château de monsieur le baron: si notre ami Pangloss avait vu Eldorado, il n’aurait plus dit que le château de Thunder-ten-tronckh était ce qu’il y avait de mieux sur la terre; il est certain qu’il faut voyager.“This is vastly different from Westphalia and the Baron’s castle. Had our friend Pangloss seen El Dorado he would no longer have said that the castle of Thunder-ten-Tronckh was the finest upon earth. It is evident that one must travel.”
Après cette longue conversation, le bon vieillard fit atteler un carrosse à six moutons, et donna douze de ses domestiques aux deux voyageurs pour les conduire à la cour. After this long conversation the old man ordered a coach and six sheep to be got ready, and twelve of his domestics to conduct the travellers to Court.
Excusez-moi, leur dit-il, si mon âge me prive de l’honneur de vous accompagner. Le roi vous recevra d’une manière dont vous ne serez pas mécontents, et vous pardonnerez sans doute aux usages du pays, s’il y en a quelques uns qui vous déplaisent.“Excuse me,” said he, “if my age deprives me of the honour of accompanying you. The King will receive you in a manner that cannot displease you; and no doubt you will make an allowance for the customs of the country, if some things should not be to your liking.”
Candide et Cacambo montent en carrosse; les six moutons volaient, et en moins de quatre heures on arriva au palais du roi, situé à un bout de la capitale. Le portail était de deux cent vingt pieds de haut, et de cent de large; il est impossible d’exprimer quelle en était la matière. On voit assez quelle supériorité prodigieuse elle devait avoir sur ces cailloux et sur ce sable que nous nommons or et pierreries.Candide and Cacambo got into the coach, the six sheep flew, and in less than four hours they reached the King’s palace situated at the extremity of the capital. The portal was two hundred and twenty feet high, and one hundred wide; but words are wanting to express the materials of which it was built. It is plain such materials must have prodigious superiority over those pebbles and sand which we call gold and precious stones.
Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrosse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de robes d’un tissu de duvet de colibri; après quoi les grands officiers et les grandes officières de la couronne les menèrent à l’appartement de sa majesté au milieu de deux files, chacune de mille musiciens, selon l’usage ordinaire. Quand ils approchèrent de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand officier comment il fallait s’y prendre pour saluer sa majesté: si on se jetait à genoux ou ventre à terre; si on mettait les mains sur la tête ou sur le derrière; si on léchait la poussière de la salle: en un mot, quelle était la cérémonie.Twenty beautiful damsels of the King’s guard received Candide and Cacambo as they alighted from the coach, conducted them to the bath, and dressed them in robes woven of the down of humming-birds; after which the great crown officers, of both sexes, led them to the King’s apartment, between two files of musicians, a thousand on each side. When they drew near to the audience chamber Cacambo asked one of the great officers in what way he should pay his obeisance to his Majesty; whether they should throw themselves upon their knees or on their stomachs; whether they should put their hands upon their heads or behind their backs; whether they should lick the dust off the floor; in a word, what was the ceremony?
L’usage, dit le grand-officier, est d’embrasser le roi et de le baiser des deux côtés.“The custom,” said the great officer, “is to mbrace the King, and to kiss him on each cheek.”
Candide et Cacambo sautèrent au cou de sa majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable, et qui les pria poliment à souper.Candide and Cacambo threw themselves round his Majesty’s neck. He received them with all the goodness imaginable, and politely invited them to supper.
En attendant, on leur fit voir la ville, les édifices publics élevés jusqu’aux nues, les marchés ornés de mille colonnes, les fontaines d’eau pure, les fontaines d’eau-rose, celles de liqueurs de cannes de sucre qui coulaient continuellement dans de grandes places pavées d’une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du girofle et de la cannelle. Candide demanda à voir la cour de justice, le parlement; on lui dit qu’il n’y en avait point, et qu’on ne plaidait jamais. Il s’informa s’il y avait des prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d’instruments de mathématiques et de physique.While waiting they were shown the city, and saw the public edifices raised as high as the clouds, the market places ornamented with a thousand columns, the fountains of spring water, those of rose water, those of liqueurs drawn from sugar-cane, incessantly flowing into the great squares, which were paved with a kind of precious stone, which gave off a delicious fragrancy like that of cloves and cinnamon. Candide asked to see the court of justice, the parliament. They told him they had none, and that they were strangers to lawsuits. He asked if they had any prisons, and they answered no. But what surprised him most and gave him the greatest pleasure was the palace of sciences, where he saw a gallery two thousand feet long, and filled with instruments employed in mathematics and physics.
Après avoir parcouru toute l’après-dinée à peu près la millième partie de la ville, on les remena chez le roi. Candide se mit à table entre sa majesté, son valet Cacambo, et plusieurs dames. Jamais on ne fit meilleure chère, et jamais on n’eut plus d’esprit à souper qu’en eut sa majesté. Cacambo expliquait les bons mots du roi à Candide, et quoique traduits, ils paraissaient toujours des bons mots. De tout ce qui étonnait Candide, ce n’était pas ce qui l’étonna le moins.After rambling about the city the whole afternoon, and seeing but a thousandth part of it, they were reconducted to the royal palace, where Candide sat down to table with his Majesty, his valet Cacambo, and several ladies. Never was there a better entertainment, and never was more wit shown at a table than that which fell from his Majesty. Cacambo explained the King’s bon-mots to Candide, and notwithstanding they were translated they still appeared to be bon-mots. Of all the things that surprised Candide this was not the least.
Ils passèrent un mois dans cet hospice. Candide ne cessait de dire à Cacambo:They spent a month in this hospitable place. Candide frequently said to Cacambo:
Il est vrai, mon ami, encore une fois, que le château où je suis né ne vaut pas le pays où nous sommes; mais enfin mademoiselle Cunégonde n’y est pas, et vous avez sans doute quelque maîtresse en Europe. Si nous restons ici, nous n’y serons que comme les autres; au lieu que si nous retournons dans notre monde, seulement avec douze moutons chargés de cailloux d’Eldorado, nous serons plus riches que tous les rois ensemble, nous n’aurons plus d’inquisiteurs à craindre, et nous pourrons aisément reprendre mademoiselle Cunégonde.“I own, my friend, once more that the castle where I was born is nothing in comparison with this; but, after all, Miss Cunegonde is not here, and you have, without doubt, some mistress in Europe. If we abide here we shall only be upon a footing with the rest, whereas, if we return to our old world, only with twelve sheep laden with the pebbles of El Dorado, we shall be richer than all the kings in Europe. We shall have no more Inquisitors to fear, and we may easily recover Miss Cunegonde.”
Ce discours plut à Cacambo; on aime tant à courir, à se faire valoir chez les siens, à faire parade de ce qu’on a vu dans ses voyages, que les deux heureux résolurent de ne plus l’être, et de demander leur congé à sa majesté.This speech was agreeable to Cacambo; mankind are so fond of roving, of making a figure in their own country, and of boasting of what they have seen in their travels, that the two happy ones resolved to be no longer so, but to ask his Majesty’s leave to quit the country.
Vous faites une sottise, leur dit le roi: je sais bien que mon pays est peu de chose; mais, quand on est passablement quelque part, il faut y rester. Je n’ai pas assurément le droit de retenir des étrangers; c’est une tyrannie qui n’est ni dans nos moeurs ni dans nos lois; tous les hommes sont libres; partez quand vous voudrez, mais la sortie est bien difficile. Il est impossible de remonter la rivière rapide sur laquelle vous êtes arrivés par miracle, et qui court sous des voûtes de rochers. “You are foolish,” said the King. “I am sensible that my kingdom is but a small place, but when a person is comfortably settled in any part he should abide there. I have not the right to detain strangers. It is a tyranny which neither our manners nor our laws permit. All men are free. Go when you wish, but the going will be very difficult. It is impossible to ascend that rapid river on which you came as by a miracle, and which runs under vaulted rocks. 
Les montagnes qui entourent tout mon royaume ont dix mille pieds de hauteur, et sont droites comme des murailles: elles occupent chacune en largeur un espace de plus de dix lieues; on ne peut en descendre que par des précipices. Cependant, puisque vous voulez absolument partir, je vais donner ordre aux intendants des machines d’en faire une qui puisse vous transporter commodément.The mountains which surround my kingdom are ten thousand feet high, and as steep as walls; they are each over ten leagues in breadth, and there is no other way to descend them than by precipices. However, since you absolutely wish to depart, I shall give orders to my engineers to construct a machine that will convey you very safely. 
 Quand on vous aura conduits au revers des montagnes, personne ne pourra vous accompagner; car mes sujets ont fait voeu de ne jamais sortir de leur enceinte, et ils sont trop sages pour rompre leur voeu. Demandez-moi d’ailleurs tout ce qu’il vous plaira. Nous ne demandons à votre majesté, dit Cacambo, que quelques moutons chargés de vivres, de cailloux, et de la boue du pays. When we have conducted you over the mountains no one can accompany you further, for my subjects have made a vow never to quit the kingdom, and they are too wise to break it. Ask me besides anything that you please.”
“We desire nothing of your Majesty,” says Candide, “but a few sheep laden with provisions, pebbles, and the earth of this country.”
Le roi rit:The King laughed.
Je ne conçois pas, dit-il, quel goût vos gens d’Europe ont pour notre boue jaune: mais emportez-en tant que vous voudrez, et grand bien vous fasse.“I cannot conceive,” said he, “what pleasure you Europeans find in our yellow clay, but take as much as you like, and great good may it do you.”
Il donna l’ordre sur-le-champ à ses ingénieurs de faire une machine pour guinder ces deux hommes extraordinaires hors du royaume. Trois mille bons physiciens y travaillèrent; elle fut prête au bout de quinze jours, et ne coûta pas plus de vingt millions de livres sterling, monnaie du pays.At once he gave directions that his engineers should construct a machine to hoist up these two[Pg 88] extraordinary men out of the kingdom. Three thousand good mathematicians went to work; it was ready in fifteen days, and did not cost more than twenty million sterling in the specie of that country. 
On mit sur la machine Candide et Cacambo; il y avait deux grands moutons rouges sellés et bridés pour leur servir de monture quand ils auraient franchi les montagnes, vingt moutons de bât chargés de vivres, trente qui portaient des présents de ce que le pays a de plus curieux, et cinquante chargés d’or, de pierreries, et de diamants. Le roi embrassa tendrement les deux vagabonds.. They placed Candide and Cacambo on the machine. There were two great red sheep saddled and bridled to ride upon as soon as they were beyond the mountains, twenty pack-sheep laden with provisions, thirty with presents of the curiosities of the country, and fifty with gold, diamonds, and precious stones. The King embraced the two wanderers very tenderly.
Ce fut un beau spectacle que leur départ, et la manière ingénieuse dont ils furent hissés eux et leurs moutons au haut des montagnes. Les physiciens prirent congé d’eux après les avoir mis en sûreté, et Candide n’eut plus d’autre désir et d’autre objet que d’aller présenter ses moutons à mademoiselle Cunégonde. Their departure, with the ingenious manner in which they and their sheep were hoisted over the mountains, was a splendid spectacle. The mathematicians took their leave after conveying them to a place of safety, and Candide had no other desire, no other aim, than to present his sheep to Miss Cunegonde.
Nous avons, dit-il, de quoi payer le gouverneur de Buénos-Ayres, si mademoiselle Cunégonde peut être mise à prix. Marchons vers la Cayenne, embarquons-nous, et nous verrons ensuite quel royaume nous pourrons acheter.“Now,” said he, “we are able to pay the Governor of Buenos Ayres if Miss Cunegonde can be ransomed. Let us journey towards Cayenne. Let us embark, and we will afterwards see what kingdom we shall be able to purchase.”
CHAPITRE XIX.XIX
Ce qui leur arriva à Surinam, et comment Candide fit connaissance avec Martin.WHAT HAPPENED TO THEM AT SURINAM AND HOW CANDIDE GOT ACQUAINTED WITH MARTIN.
La première journée de nos deux voyageurs fut assez agréable.Our travellers spent the first day very agreeably. 
Ils étaient encouragés par l’idée de se voir possesseurs de plus de trésors que l’Asie, l’Europe, et l’Afrique, n’en pouvaient rassembler. Candide transporté écrivit le nom de Cunégonde sur les arbres. A la seconde journée deux de leurs moutons s’enfoncèrent dans des marais, et y furent abîmés avec leurs charges; deux autres moutons moururent de fatigue quelques jours après; sept ou huit périrent ensuite de faim dans un désert; d’autres tombèrent au bout de quelques jours dans des précipices. Enfin, après cent jours de marche, il ne leur resta que deux moutons. Candide dit à Cacambo:They were delighted with possessing more treasure than all Asia, Europe, and Africa could scrape together. Candide, in his raptures, cut Cunegonde’s name on the trees. The second day two of their sheep plunged into a morass, where they and their burdens were lost; two more died of fatigue a few days after; seven or eight perished with hunger in a desert; and others subsequently fell down precipices. At length, after travelling a hundred days, only two sheep remained. Said Candide to Cacambo:
Mon ami, vous voyez comme les richesses de ce monde sont périssables; il n’y a rien de solide que la vertu et le bonheur de revoir mademoiselle Cunégonde.“My friend, you see how perishable are the riches of this world; there is nothing solid but virtue, and the happiness of seeing Cunegonde once more.”
Je l’avoue, dit Cacambo; mais il nous reste encore deux moutons avec plus de trésors que n’en aura jamais le roi d’Espagne; et je vois bien de loin une ville que je soupçonne être Surinam, appartenante aux Hollandais. Nous sommes au bout de nos peines et au commencement de notre félicité.“I grant all you say,” said Cacambo, “but we have still two sheep remaining, with more treasure than the King of Spain will ever have; and I see a town which I take to be Surinam, belonging to the Dutch. We are at the end of all our troubles, and at the beginning of happiness.”
En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n’ayant plus que la moitié de son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite.As they drew near the town, they saw a negro stretched upon the ground, with only one moiety of his clothes, that is, of his blue linen drawers; the poor man had lost his left leg and his right hand.
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Eh! mon Dieu! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l’état horrible où je te vois?“Good God!” said Candide in Dutch, “what art thou doing there, friend, in that shocking condition?”
J’attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. “I am waiting for my master, Mynheer Vanderdendur, the famous merchant,” answered the negro.
Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t’a traité ainsi? “Was it Mynheer Vanderdendur,” said Candide, “that treated thee thus?”
Oui, monsieur, dit le nègre, c’est l’usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l’année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main: quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe: je me suis trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait: Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux; tu as l’honneur d’être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère.“Yes, sir,” said the negro, “it is the custom. They give us a pair of linen drawers for our whole garment twice a year. When we work at the sugar-canes, and the mill snatches hold of a finger, they cut off the hand; and when we attempt to run away, they cut off the leg; both cases have happened to me. This is the price at which you eat sugar in Europe. Yet when my mother sold me for ten patagons on the coast of Guinea, she said to me: ‘My dear child, bless our fetiches, adore them for ever; they will make thee live happily; thou hast the honour of being the slave of our lords, the whites, which is making the fortune of thy father and mother.
Hélas! je ne sais pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes, et les perroquets, sont mille fois moins malheureux que nous: les fétiches hollandais qui m’ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germain. Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible.’ Alas! I know not whether I have made their fortunes; this I know, that they have not made mine. Dogs, monkeys, and parrots are a thousand times less wretched than I. The Dutch fetiches, who have converted me, declare every Sunday that we are all of us children of Adam—blacks as well as whites. I am not a genealogist, but if these preachers tell truth, we are all second cousins. Now, you must agree, that it is impossible to treat one’s relations in a more barbarous manner.”
O Pangloss! s’écria Candide, tu n’avais pas deviné cette abomination; c’en est fait, il faudra qu’à la fin je renonce à ton optimisme.
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“Oh, Pangloss!” cried Candide, “thou hadst not guessed at this abomination; it is the end. I must at last renounce thy optimism.”
Qu’est-ce qu’optimisme? disait Cacambo.“What is this optimism?” said Cacambo.
Hélas! dit Candide, c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal; “Alas!” said Candide, “it is the madness of maintaining that everything is right when it is wrong.”
et il versait des larmes en regardant son nègre; et en pleurant, il entra dans Surinam.Looking at the negro, he shed tears, and weeping, he entered Surinam.
La première chose dont ils s’informent, c’est s’il n’y a point au port quelque vaisseau qu’on pût envoyer à Buénos-Ayres. Celui à qui ils s’adressèrent était justement un patron espagnol qui s’offrit à faire avec eux un marché honnête. Il leur donna rendez-vous dans un cabaret. Candide et le fidèle Cacambo allèrent l’y attendre avec leurs deux moutons.The first thing they inquired after was whether there was a vessel in the harbour which could be sent to Buenos Ayres. The person to whom they applied was a Spanish sea-captain, who offered to agree with them upon reasonable terms. He appointed to meet them at a public-house, whither Candide and the faithful Cacambo went with their two sheep, and awaited his coming.
Candide, qui avait le coeur sur les lèvres, conta à l’Espagnol toutes ses aventures, et lui avoua qu’il voulait enlever mademoiselle Cunégonde. Candide, who had his heart upon his lips, told the Spaniard all his adventures, and avowed that he intended to elope with Miss Cunegonde.
Je me garderai bien de vous passer à Buénos-Ayres, dit le patron: je serais pendu, et vous aussi; la belle Cunégonde est la maîtresse favorite de monseigneur.“Then I will take good care not to carry you to Buenos Ayres,” said the seaman. “I should be hanged, and so would you. The fair Cunegonde is my lord’s favourite mistress.”
Ce fut un coup de foudre pour Candide, il pleura longtemps; enfin il tira à part Cacambo.This was a thunderclap for Candide: he wept for a long while. At last he drew Cacambo aside.
Voici, mon cher ami, lui dit-il, ce qu’il faut que tu fasses. Nous avons chacun dans nos poches pour cinq ou six millions de diamants, tu es plus habile que moi; va prendre mademoiselle Cunégonde à Buénos-Ayres. Si le gouverneur fait quelque difficulté, donne-lui un million: s’il ne se rend pas, donne-lui-en deux; tu n’as point tué d’inquisiteur, on ne se défiera point de toi. J’équiperai un autre vaisseau, j’irai t’attendre à Venise: c’est un pays libre où l’on n’a rien à craindre ni des Bulgares, ni des Abares, ni des Juifs, ni des inquisiteurs. “Here, my dear friend,” said he to him, “this thou must do. We have, each of us in his pocket, five or six millions in diamonds; you are more clever than I; you must go and bring Miss Cunegonde from Buenos Ayres. If the Governor makes any difficulty, give him a million; if he will not relinquish her, give him two; as you have not killed an Inquisitor, they will have no suspicion of you; I’ll get another ship, and go and wait for you at Venice; that’s a free country, where there is no danger either from Bulgarians, Abares, Jews, or Inquisitors.”
Cacambo applaudit, à cette sage résolution.  Il était au désespoir de se séparer d’un bon maître devenu son ami intime; mais le plaisir de lui être utile l’emporta sur la douleur de le quitter. Ils s’embrassèrent en versant des larmes: Candide lui recommanda de ne point oublier la bonne vieille. Cacambo partit dès le jour même: c’était un très bon homme que ce Cacambo.Cacambo applauded this wise resolution. He despaired at parting from so good a master, who had become his intimate friend; but the pleasure of serving him prevailed over the pain of leaving him. They embraced with tears; Candide charged him not to forget the good old woman. Cacambo set out that very same day. This Cacambo was a very honest fellow.
Candide resta encore quelque temps à Surinam, et attendit qu’un autre patron voulût le mener en Italie lui et les deux moutons qui lui restaient. Il prit des domestiques, et acheta tout ce qui lui était nécessaire pour un long voyage; enfin M. Vanderdendur, maître d’un gros vaisseau, vint se présenter à lui. Candide stayed some time longer in Surinam, waiting for another captain to carry him and the two remaining sheep to Italy. After he had hired domestics, and purchased everything necessary for a long voyage, Mynheer Vanderdendur, captain of a large vessel, came and offered his services.
Combien voulez-vous, demanda-t-il à cet homme, pour me mener en droiture à Venise, moi, mes gens, mon bagage, et les deux moutons que voilà?“How much will you charge,” said he to this man, “to carry me straight to Venice—me, my servants, my baggage, and these two sheep?”
Le patron s’accorda à dix mille piastres: Candide n’hésita pas.The skipper asked ten thousand piastres. Candide did not hesitate.
Oh! oh! dit à part soi le prudent Vanderdendur, cet étranger donne dix mille piastres tout d’un coup! il faut qu’il soit bien riche. Puis revenant un moment après, il signifia qu’il ne pouvait partir à moins de vingt mille. “Oh! oh!” said the prudent Vanderdendur to himself, “this stranger gives ten thousand piastres unhesitatingly! He must be very rich.”
Returning a little while after, he let him know that upon second consideration, he could not undertake the voyage for less than twenty thousand piastres.
Eh bien! vous les aurez, dit Candide.“Well, you shall have them,” said Candide.
Ouais, se dit tout bas le marchand, cet homme donne vingt mille piastres aussi aisément que dix mille. “Ay!” said the skipper to himself, “this man agrees to pay twenty thousand piastres with as much ease as ten.”
Il revint encore, et dit qu’il ne pouvait le conduire à Venise à moins de trente mille piastres. He went back to him again, and declared that he could not carry him to Venice for less than thirty thousand piastres.
Vous en aurez donc trente mille, répondit Candide.“Then you shall have thirty thousand,” replied Candide.
Oh! oh! se dit encore le marchand hollandais, trente mille piastres ne coûtent rien à cet homme-ci; sans doute les deux moutons portent des trésors immenses; n’insistons pas davantage: faisons-nous d’abord payer les trente mille piastres, et puis nous verrons. “Oh! oh!” said the Dutch skipper once more to himself, “thirty thousand piastres are a trifle to this man; surely these sheep must be laden with an immense treasure; let us say no more about it. First of all, let him pay down the thirty thousand piastres; then we shall see.”
Candide, vendit deux petits diamants, dont le moindre valait plus que tout l’argent que demandait le patron. Il le paya d’avance. Les deux moutons furent embarqués. Candide suivait dans un petit bateau pour joindre le vaisseau à la rade; le patron prend son temps, met à la voile, démarre; le vent le favorise. Candide éperdu et stupéfait le perd bientôt de vue.Candide sold two small diamonds, the least of which was worth more than what the skipper asked for his freight. He paid him in advance. The two sheep were put on board. Candide followed in a little boat to join the vessel in the roads. The skipper seized his opportunity, set sail, and put out to sea, the wind favouring him. Candide, dismayed and stupefied, soon lost sight of the vessel.
Hélas! cria-t-il, voilà un tour digne de l’Ancien Monde. “Alas!” said he, “this is a trick worthy of the old world!”
Il retourne au rivage, abîmé dans la douleur; car enfin il avait perdu de quoi faire la fortune de vingt monarques. Il se transporte chez le juge hollandais; et, comme il était un peu troublé, il frappe rudement à la porte; il entre, expose son aventure, et crie un peu plus haut qu’il ne convenait. Le juge commença par lui faire payer dix mille piastres pour le bruit qu’il avait fait: ensuite il l’écouta patiemment, lui promit d’examiner son affaire sitôt que le marchand serait revenu, et se fit payer dix mille autres piastres pour les frais de l’audience.He put back, overwhelmed with sorrow, for indeed he had lost sufficient to make the fortune of twenty monarchs. He waited upon the Dutch magistrate, and in his distress he knocked over loudly at the door. He entered and told his adventure, raising his voice with unnecessary vehemence. The magistrate began by fining him ten thousand piastres for making a noise; then he listened patiently, promised to examine into his affair at the skipper’s return, and ordered him to pay ten thousand piastres for the expense of the hearing.
Ce procédé acheva de désespérer Candide; il avait à la vérité essuyé des malheurs mille fois plus douloureux; mais le sang froid du juge, et celui du patron dont il était volé, alluma sa bile, et le plongea dans une noire mélancolie. La méchanceté des hommes se présentait à son esprit dans toute sa laideur, il ne se nourrissait que d’idées tristes. Enfin un vaisseau français étant sur le point de partir pour Bordeaux, comme il n’avait plus de moutons chargés de diamants à embarquer, il loua une chambre du vaisseau à juste prix, et fit signifier dans la ville qu’il paierait le passage, la nourriture, et donnerait deux mille piastres à un honnête homme qui voudrait faire le voyage avec lui, à condition que cet homme serait le plus dégoûté de son état, et le plus malheureux de la province.This drove Candide to despair; he had, indeed, endured misfortunes a thousand times worse; the coolness of the magistrate and of the skipper who had robbed him, roused his choler and flung him into a deep melancholy. The villainy of mankind presented itself before his imagination in all its deformity, and his mind was filled with gloomy ideas. At length hearing that a French vessel was ready to set sail for Bordeaux, as he had no sheep laden with diamonds to take along with him he hired a cabin at the usual price. He made it known in the town that he would pay the passage and board and give two thousand piastres to any honest man who would make the voyage with him, upon condition that this man was the most dissatisfied with his state, and the most unfortunate in the whole province.
Il se présenta une foule de prétendants qu’une flotte n’aurait pu contenir. Candide, voulant choisir entre les plus apparents, il distingua une vingtaine de personnes qui lui paraissaient sociables, et qui toutes prétendaient mériter la préférence. Il les assembla dans son cabaret, et leur donna à souper, à condition que chacun ferait serment de raconter fidèlement son histoire, promettant de choisir celui qui lui paraîtrait le plus à plaindre et le plus mécontent de son état, à plus juste titre, et de donner aux autres quelques gratifications.Such a crowd of candidates presented themselves that a fleet of ships could hardly have held them. Candide being desirous of selecting from among the best, marked out about one-twentieth of them who seemed to be sociable men, and who all pretended to merit his preference. He assembled them at his inn, and gave them a supper on condition that each took an oath to relate his history faithfully, promising to choose him who appeared to be most justly discontented with his state, and to bestow some presents upon the rest.
La séance dura jusqu’à quatre heures du matin. Candide, en écoutant toutes leurs aventures, se ressouvenait de ce que lui avait dit la vieille en allant à Buénos-Ayres, et de la gageure qu’elle avait faite, qu’il n’y avait personne sur le vaisseau à qui il ne fût arrivé de très grands malheurs. Il songeait à Pangloss à chaque aventure qu’on lui contait.They sat until four o’clock in the morning. Candide, in listening to all their adventures, was reminded of what the old woman had said to him in their voyage to Buenos Ayres, and of her wager that there was not a person on board the ship but had met with very great misfortunes. He dreamed of Pangloss at every adventure told to him.
Ce Pangloss, disait-il, serait bien embarrassé à démontrer son système. Je voudrais qu’il fût ici. Certainement si tout va bien, c’est dans Eldorado, et non pas dans le reste de la terre. “This Pangloss,” said he, “would be puzzled to demonstrate his system. I wish that he were here. Certainly, if all things are good, it is in El Dorado and not in the rest of the world.”
Enfin il se détermina en faveur d’un pauvre savant qui avait travaillé dix ans pour les libraires à Amsterdam. Il jugea qu’il n’y avait point de métier au monde dont on dût être plus dégoûté.At length he made choice of a poor man of letters, who had worked ten years for the booksellers of Amsterdam. He judged that there was not in the whole world a trade which could disgust one more.
Ce savant, qui était d’ailleurs un bon-homme, avait été volé par sa femme, battu par son fils, et abandonné de sa fille, qui s’était fait enlever par un Portugais. Il venait d’être privé d’un petit emploi duquel il subsistait; et les prédicants de Surinam le persécutaient, parcequ’ils le prenaient pour un socinien. Il faut avouer que les autres étaient pour le moins aussi malheureux que lui; mais Candide espérait que le savant le désennuierait dans le voyage. Tous ses autres rivaux trouvèrent que Candide leur fesait une grande injustice; mais il les apaisa en leur donnant à chacun cent piastres.This philosopher was an honest man; but he had been robbed by his wife, beaten by his son, and abandoned by his daughter who got a Portuguese to run away with her. He had just been deprived of a small employment, on which he subsisted; and he was persecuted by the preachers of Surinam, who took him for a Socinian. We must allow that the others were at least as wretched as he; but Candide hoped that the philosopher would entertain him during the voyage. All the other candidates complained that Candide had done them great injustice; but he appeased them by giving one hundred piastres to each.
CHAPITRE XX.XX
Ce qui arriva sur mer à Candide et à Martin.WHAT HAPPENED AT SEA TO CANDIDE AND MARTIN.
Le vieux savant, qui s’appelait Martin, s’embarqua donc pour Bordeaux avec Candide. L’un et l’autre avaient beaucoup vu et beaucoup souffert; et quand le vaisseau aurait dû faire voile de Surinam au Japon par le cap de Bonne-Espérance, ils auraient eu de quoi s’entretenir du mal moral et du mal physique pendant tout le voyage.The old philosopher, whose name was Martin, embarked then with Candide for Bordeaux. They had both seen and suffered a great deal; and if the vessel had sailed from Surinam to Japan, by the Cape of Good Hope, the subject of moral and natural evil would have enabled them to entertain one another during the whole voyage.
Cependant Candide avait un grand avantage sur Martin, c’est qu’il espérait toujours revoir mademoiselle Cunégonde, et que Martin n’avait rien à espérer; de plus il avait de l’or et des diamants; et, quoiqu’il eût perdu cent gros moutons rouges chargés des plus grands trésors de la terre, quoiqu’il eût toujours sur le coeur la friponnerie du patron hollandais; cependant quand il songeait à ce qui lui restait dans ses poches, et quand il parlait de Cunégonde, surtout à la fin du repas, il penchait alors pour le système de Pangloss.Candide, however, had one great advantage over Martin, in that he always hoped to see Miss Cunegonde; whereas Martin had nothing at all to hope. Besides, Candide was possessed of money and jewels, and though he had lost one hundred large red sheep, laden with the greatest treasure upon earth; though the knavery of the Dutch skipper still sat heavy upon his mind; yet when he reflected upon what he had still left, and when he mentioned the name of Cunegonde, especially towards the latter end of a repast, he inclined to Pangloss’s doctrine.
Mais vous, monsieur Martin, dit-il au savant, que pensez-vous de tout cela? quelle est votre idée sur le mal moral et le mal physique?“But you, Mr. Martin,” said he to the philosopher,[Pg 99] “what do you think of all this? what are your ideas on moral and natural evil?”
Monsieur, répondit Martin, mes prêtres m’ont accusé d’être socinien; mais la vérité du fait est que je suis manichéen.“Sir,” answered Martin, “our priests accused me of being a Socinian, but the real fact is I am a Manichean.”
Vous vous moquez de moi, dit Candide; il n’y a plus de manichéens dans le monde. “You jest,” said Candide; “there are no longer Manicheans in the world.”
Il y a moi, dit Martin: je ne sais qu’y faire; mais je ne peux penser autrement.“I am one,” said Martin. “I cannot help it; I know not how to think otherwise.”
Il faut que vous ayez le diable au corps, dit Candide. “Surely you must be possessed by the devil,” said Candide.
 Il se mêle si fort des affaires de ce monde, dit Martin, qu’il pourrait bien être dans mon corps, comme partout ailleurs: mais je vous avoue qu’en jetant la vue sur ce globe, ou plutôt sur ce globule, je pense que Dieu l’a abandonné à quelque être malfaisant; j’en excepte toujours Eldorado. Je n’ai guère vu de ville qui ne désirât la ruine de la ville voisine, point de famille qui ne voulût exterminer quelque autre famille. “He is so deeply concerned in the affairs of this world,” answered Martin, “that he may very well be in me, as well as in everybody else; but I own to you that when I cast an eye on this globe, or rather on this little ball, I cannot help thinking that God has abandoned it to some malignant being. I except, always, El Dorado. I scarcely ever knew a city that did not desire the destruction of a neighbouring city, nor a family that did not wish to exterminate some other family.
 Partout les faibles ont en exécration les puissants devant lesquels ils rampent, et les puissants les traitent comme des troupeaux dont on vend la laine et la chair. Un million d’assassins enrégimentés, courant d’un bout de l’Europe à l’autre, exerce le meurtre et le brigandage avec discipline pour gagner son pain, parcequ’il n’a pas de métier plus honnête; et dans les villes qui paraissent jouir de la paix, et où les arts fleurissent, les hommes sont dévorés de plus d’envie, de soins, et d’inquiétudes, qu’une ville assiégée n’éprouve de fléaux. Les chagrins secrets sont encore plus cruels que les misères publiques. En un mot j’en ai tant vu et tant éprouvé, que je suis manichéen.Everywhere the weak execrate the powerful, before whom they cringe; and the powerful beat them like sheep whose wool and flesh they sell. A million regimented assassins, from one extremity of Europe to the other, get their bread by disciplined depredation and murder, for want of more honest employment. Even in those cities which seem to enjoy peace, and where the arts flourish, the inhabitants are devoured by more envy, care, and uneasiness than are experienced by a besieged town. Secret griefs are more cruel than public calamities. In a word I have seen so much, and experienced so much that I am a Manichean.”
Il y a pourtant du bon, répliquait Candide. “There are, however, some things good,” said Candide.
Cela peut être, disait Martin; mais je ne le connais pas.“That may be,” said Martin; “but I know them not.”
Au milieu de cette dispute, on entendit un bruit de canon. Le bruit redouble de moment en moment. Chacun prend sa lunette. On aperçoit deux vaisseaux qui combattaient à la distance d’environ trois milles: le vent les amena l’un et l’autre si près du vaisseau français, qu’on eut le plaisir de voir le combat tout à son aise. Enfin l’un des deux vaisseaux lâcha à l’autre une bordée si bas et si juste, qu’il le coula à fond. Candide et Martin aperçurent distinctement une centaine d’hommes sur le tillac du vaisseau qui s’enfonçait; ils levaient tous les mains au ciel, et jetaient des clameurs effroyables: en un moment tout fut englouti.In the middle of this dispute they heard the report of cannon; it redoubled every instant. Each took out his glass. They saw two ships in close fight about three miles off. The wind brought both so near to the French vessel that our travellers had the pleasure of seeing the fight at their ease. At length one let off a broadside, so low and so truly aimed, that the other sank to the bottom. Candide and Martin could plainly perceive a hundred men on the deck of the sinking vessel; they raised their hands to heaven and uttered terrible outcries, and the next moment were swallowed up by the sea.
Eh bien! dit Martin, voilà comme les hommes se traitent les uns les autres.“Well,” said Martin, “this is how men treat one another.”
Il est vrai, dit Candide, qu’il y a quelque chose de diabolique dans cette affaire.“It is true,” said Candide; “there is something diabolical in this affair.”
En parlant ainsi, il aperçut je ne sais quoi d’un rouge éclatant, qui nageait auprès de son vaisseau. On détacha la chaloupe pour voir ce que ce pouvait être; c’était un de ses moutons. Candide eut plus de joie de retrouver ce mouton, qu’il n’avait été affligé d’en perdre cent tous chargés de gros diamants d’Eldorado.While speaking, he saw he knew not what, of a shining red, swimming close to the vessel. They put out the long-boat to see what it could be: it was one of his sheep! Candide was more rejoiced at the recovery of this one sheep than he had been grieved at the loss of the hundred laden with the large diamonds of El Dorado.
Le capitaine français aperçut bientôt que le capitaine du vaisseau submergeant était espagnol, et que celui du vaisseau submergé était un pirate hollandais; c’était celui-là même qui avait volé Candide. Les richesses immenses dont ce scélérat s’était emparé furent ensevelies avec lui dans la mer, et il n’y eut qu’un mouton de sauvé. The French captain soon saw that the captain of the victorious vessel was a Spaniard, and that the other was a Dutch pirate, and the very same one who had robbed Candide. The immense plunder which this villain had amassed, was buried with him in the sea, and out of the whole only one sheep was saved.
Vous voyez, dit Candide à Martin, que le crime est puni quelquefois; ce coquin de patron hollandais a eu le sort qu’il méritait. “You see,” said Candide to Martin, “that crime is sometimes punished. This rogue of a Dutch skipper has met with the fate he deserved.”
Oui, dit Martin; mais fallait-il que les passagers qui étaient sur son vaisseau périssent aussi? Dieu a puni ce fripon, le diable a noyé les autres.“Yes,” said Martin; “but why should the passengers be doomed also to destruction? God has punished the knave, and the devil has drowned the rest.”
Cependant le vaisseau français et l’espagnol continuèrent leur route, et Candide continua ses conversations avec Martin. Ils disputèrent quinze jours de suite, et au bout de quinze jours ils étaient aussi avancés que le premier. Mais enfin ils parlaient, ils se communiquaient des idées, ils se consolaient. Candide caressait son mouton. The French and Spanish ships continued their course, and Candide continued his conversation with Martin. They disputed fifteen successive days, and on the last of those fifteen days, they were as far advanced as on the first. But, however, they chatted, they communicated ideas, they consoled each other. Candide caressed his sheep.
Puisque je t’ai retrouvé, dit-il, je pourrai bien retrouver Cunégonde.“Since I have found thee again,” said he, “I may likewise chance to find my Cunegonde.”
CHAPITRE XXI.XXI
Candide et Martin approchent des côtes de France, et raisonnent.CANDIDE AND MARTIN, REASONING, DRAW NEAR THE COAST OF FRANCE.
On aperçut enfin les côtes de France.At length they descried the coast of France.
Avez-vous jamais été en France, monsieur Martin? dit Candide.“Were you ever in France, Mr. Martin?” said Candide.
Oui, dit Martin, j’ai parcouru plusieurs provinces. Il y en a où la moitié des habitants est folle, quelques unes où l’on est trop rusé, d’autres où l’on est communément assez doux et assez bête: d’autres où l’on fait le bel esprit; et, dans toutes, la principale occupation est l’amour; la seconde, de médire; et la troisième, de dire des sottises. “Yes,” said Martin, “I have been in several provinces. In some one-half of the people are fools, in others they are too cunning; in some they are weak and simple, in others they affect to be witty; in all, the principal occupation is love, the next is slander, and the third is talking nonsense.”
Mais, monsieur Martin, avez-vous vu Paris?“But, Mr. Martin, have you seen Paris?”
 Oui, j’ai vu Paris; il tient de toutes ces espèces-là; c’est un chaos, c’est une presse dans laquelle tout le monde cherche le plaisir, et où presque personne ne le trouve, du moins à ce qu’il m’a paru. J’y ai séjourné peu; j’y fus volé, en arrivant, de tout ce que j’avais, par des filous, à la foire Saint-Germain; on me prit moi-même pour un voleur, et je fus huit jours en prison; après quoi je me fis correcteur d’imprimerie pour gagner de quoi retourner à pied en Hollande. Je connus la canaille écrivante, la canaille cabalante, et la canaille convulsionnaire. On dit qu’il y a des gens fort polis dans cette ville-là: je le veux croire.“Yes, I have. All these kinds are found there. It is a chaos—a confused multitude, where everybody seeks pleasure and scarcely any one finds it, at least as it appeared to me. I made a short stay there. On my arrival I was robbed of all I had by pickpockets at the fair of St. Germain. I myself was taken for a robber and was imprisoned for eight days, after which I served as corrector of the press to gain the money necessary for my return to Holland on foot. I knew the whole scribbling rabble, the party rabble, the fanatic rabble. It is said that there are very polite people in that city, and I wish to believe it.”
Pour moi, je n’ai nulle curiosité de voir la France, dit Candide; vous devinez aisément que quand on a passé un mois dans Eldorado, on ne se soucie plus de rien voir sur la terre que mademoiselle Cunégonde: je vais l’attendre à Venise; nous traverserons la France pour aller en Italie; ne m’accompagnerez-vous pas? “For my part, I have no curiosity to see France,” said Candide. “You may easily imagine that after spending a month at El Dorado I can desire to behold nothing upon earth but Miss Cunegonde. I go to await her at Venice. We shall pass through France on our way to Italy. Will you bear me company?”
Très volontiers, dit Martin: on dit que Venise n’est bonne que pour les nobles vénitiens, mais que cependant on y reçoit très bien les étrangers quand ils ont beaucoup d’argent; je n’en ai point; vous en avez, je vous suivrai partout.“With all my heart,” said Martin. “It is said that Venice is fit only for its own nobility, but that strangers meet with a very good reception if they have a good deal of money. I have none of it; you have, therefore I will follow you all over the world.”
A propos, dit Candide, pensez-vous que la terre ait été originairement une mer, comme on l’assure dans ce gros livre qui appartient au capitaine du vaisseau?“But do you believe,” said Candide, “that the earth was originally a sea, as we find it asserted in that large book belonging to the captain?”
Je n’en crois rien du tout, dit Martin, non plus que de toutes les rêveries qu’on nous débite depuis quelque temps.“I do not believe a word of it,” said Martin, “any more than I do of the many ravings which have been published lately.”
Mais à quelle fin ce monde a-t-il donc été formé? dit Candide.“But for what end, then, has this world been formed?” said Candide.
Pour nous faire enrager, répondit Martin.“To plague us to death,” answered Martin.
N’êtes-vous pas bien étonné, continua Candide, de l’amour que ces deux filles du pays des Oreillons avaient pour ces deux singes, et dont je vous ai conté l’aventure?“Are you not greatly surprised,” continued Candide, “at the love which these two girls of the Oreillons had for those monkeys, of which I have already told you?”
Point du tout, dit Martin, je ne vois pas ce que cette passion a d’étrange; j’ai tant vu de choses extraordinaires, qu’il n’y a plus rien d’extraordinaire pour moi.“Not at all,” said Martin. “I do not see that that passion was strange. I have seen so many extraordinary things that I have ceased to be surprised.”
Croyez-vous, dit Candide, que les hommes se soient toujours mutuellement massacrés comme ils font aujourd’hui? qu’ils aient toujours été menteurs, fourbes, perfides, ingrats, brigands, faibles, volages, lâches, envieux, gourmands, ivrognes, avares, ambitieux, sanguinaires, calomniateurs, débauchés, fanatiques, hypocrites, et sots? “Do you believe,” said Candide, “that men have always massacred each other as they do to-day, that they have always been liars, cheats, traitors, ingrates, brigands, idiots, thieves, scoundrels, gluttons, drunkards, misers, envious, ambitious, bloody-minded, calumniators, debauchees, fanatics, hypocrites, and fools?”
Croyez-vous, dit Martin, que les éperviers aient toujours mangé des pigeons quand ils en ont trouvé?“Do you believe,” said Martin, “that hawks have always eaten pigeons when they have found them?”
Oui, sans doute, dit Candide.“Yes, without doubt,” said Candide.
Eh bien! dit Martin, si les éperviers ont toujours eu le même caractère, pourquoi voulez-vous que les hommes aient changé le leur? “Well, then,” said Martin, “if hawks have always had the same character why should you imagine that men may have changed theirs?”
Oh! dit Candide, il y a bien de la différence, car le libre arbitre…. En raisonnant ainsi, ils arrivèrent à Bordeaux.“Oh!” said Candide, “there is a vast deal of difference, for free will——”
En raisonnant ainsi, ils arrivèrent à Bordeaux.And reasoning thus they arrived at Bordeaux.
CHAPITRE XXII.XXII
Ce qui arriva en France à Candide et à Martin.WHAT HAPPENED IN FRANCE TO CANDIDE AND MARTIN.
Candide ne s’arrêta dans Bordeaux qu’autant de temps qu’il en fallait pour vendre quelques cailloux du Dorado, et pour s’accommoder d’une bonne chaise à deux places; car il ne pouvait plus se passer de son philosophe Martin; il fut seulement très fâché de se séparer de son mouton, qu’il laissa à l’académie des sciences de Bordeaux, laquelle proposa pour le sujet du prix de cette année de trouver pourquoi la laine de ce mouton était rouge; et le prix fut adjugé à un savant du Nord, qui démontra par A, plus B, moins C divisé par Z, que le mouton devait être rouge, et mourir de la clavelée.Candide stayed in Bordeaux no longer than was necessary for the selling of a few of the pebbles of El Dorado, and for hiring a good chaise to hold two passengers; for he could not travel without his Philosopher Martin. He was only vexed at parting with his sheep, which he left to the Bordeaux Academy of Sciences, who set as a subject for that year’s prize, “to find why this sheep’s wool was red;” and the prize was awarded to a learned man of the North, who demonstrated by A plus B minus C divided by Z, that the sheep must be red, and die of the rot.
Cependant tous les voyageurs que Candide rencontra dans les cabarets de la route lui disaient: Nous allons à Paris. Cet empressement général lui donna enfin l’envie de voir cette capitale; ce n’était pas beaucoup se détourner du chemin de Venise.Meanwhile, all the travellers whom Candide met in the inns along his route, said to him, “We go to Paris.” This general eagerness at length gave him, too, a desire to see this capital; and it was not so very great a détour from the road to Venice.
Il entra par le faubourg Saint-Marceau, et crut être dans le plus vilain village de la Vestphalie.He entered Paris by the suburb of St. Marceau, and fancied that he was in the dirtiest village of Westphalia.
A peine Candide fut-il dans son auberge, qu’il fut attaqué d’une maladie légère, causée par ses fatigues. Comme il avait au doigt un diamant énorme, et qu’on avait aperçu dans son équipage une cassette prodigieusement pesante, il eut aussitôt auprès de lui deux médecins qu’il n’avait pas mandés, quelques amis intimes qui ne le quittèrent pas, et deux dévotes qui fesaient chauffer ses bouillons. Martin disait:Scarcely was Candide arrived at his inn, than he found himself attacked by a slight illness, caused by fatigue. As he had a very large diamond on his finger, and the people of the inn had taken notice of a prodigiously heavy box among his baggage, there were two physicians to attend him, though he had never sent for them, and two devotees who warmed his broths.
Je me souviens d’avoir été malade aussi à Paris dans mon premier voyage; j’étais fort pauvre: aussi n’eus-je ni amis, ni dévotes, ni médecins, et je guéris.“I remember,” Martin said, “also to have been sick at Paris in my first voyage; I was very poor, thus I had neither friends, devotees, nor doctors, and I recovered.”
Cependant, à force de médecines et de saignées, la maladie de Candide devint sérieuse. Un habitué du quartier vint avec douceur lui demander un billet payable au porteur pour l’autre monde: Candide n’en voulut rien faire; les dévotes l’assurèrent que c’était une nouvelle mode: Candide répondit qu’il n’était point homme à la mode. Martin voulut jeter l’habitué par les fenêtres. Le clerc jura qu’on n’enterrerait point Candide. Martin jura qu’il enterrerait le clerc, s’il continuait à les importuner. La querelle s’échauffa: Martin le prit par les épaules, et le chassa rudement; ce qui causa un grand scandale, dont on fit un procès-verbal.However, what with physic and bleeding, Candide’s illness became serious. A parson of the neighborhood came with great meekness to ask for a bill for the other world payable to the bearer. Candide would do nothing for him; but the devotees assured him it was the new fashion. He answered that he was not a man of fashion. Martin wished to throw the priest out of the window. The priest swore that they would not bury Candide. Martin swore that he would bury the priest if he continued to be troublesome. The quarrel grew heated. Martin took him by the shoulders and roughly turned him out of doors; which occasioned great scandal and a law-suit.
Candide guérit; et pendant sa convalescence il eut très bonne compagnie à souper chez lui. On jouait gros jeu. Candide était tout étonné que jamais les as ne lui vinssent; et Martin ne s’en étonnait pas.Candide got well again, and during his convalescence he had very good company to sup with him. They played high. Candide wondered why it was that the ace never came to him; but Martin was not at all astonished.
Parmi ceux qui lui fesaient les honneurs de la ville, il y avait un petit abbé périgourdin, l’un de ces gens empressés, toujours alertes, toujours serviables, effrontés, caressants, accommodants, qui guettent les étrangers à leur passage, leur content l’histoire scandaleuse de la ville, et leur offrent des plaisirs à tout prix. Celui-ci mena d’abord Candide et Martin à la comédie. On y jouait une tragédie nouvelle. Candide se trouva placé auprès de quelques beaux esprits. Cela ne l’empêcha pas de pleurer à des scènes jouées parfaitement. Un des raisonneurs qui étaient à ses côtés lui dit dans un entr’acte:Among those who did him the honours of the town was a little Abbé of Perigord, one of those busybodies who are ever alert, officious, forward, fawning, and complaisant; who watch for strangers in their passage through the capital, tell them the scandalous history of the town, and offer them pleasure at all prices. He first took Candide and Martin to La Comédie, where they played a new tragedy. Candide happened to be seated near some of the fashionable wits. This did not prevent his shedding tears at the well-acted scenes. One of these critics at his side said to him between the acts:
Vous avez grand tort de pleurer, cette actrice est fort mauvaise; l’acteur qui joue avec elle est plus mauvais acteur encore; la pièce est encore plus mauvaise que les acteurs; l’auteur ne sait pas un mot d’arabe, et cependant la scène est en Arabie[3]; et, de plus, c’est un homme qui ne croit pas aux idées innées; je vous apporterai demain vingt brochures contre lui[4]. “Your tears are misplaced; that is a shocking actress; the actor who plays with her is yet worse; and the play is still worse than the actors. The author does not know a word of Arabic, yet the scene is in Arabia; moreover he is a man that does not believe in innate ideas; and I will bring you, to-morrow, twenty pamphlets written against him.”
Monsieur, combien avez-vous de pièces de théâtre en France? dit Candide à l’abbé;“How many dramas have you in France, sir?” said Candide to the Abbé.
lequel répondit: Cinq ou six mille. “Five or six thousand.”
C’est beaucoup, dit Candide: combien y en a-t-il de bonnes? “What a number!” said Candide. “How many good?”
Quinze ou seize, répliqua l’autre.“Fifteen or sixteen,” replied the other.
C’est beaucoup, dit Martin.“What a number!” said Martin.
Candide fut très content d’une actrice qui fesait la reine Élizabeth, dans une assez plate tragédie, que l’on joue quelquefois. Candide was very pleased with an actress who played Queen Elizabeth in a somewhat insipid tragedy sometimes acted.
Cette actrice, dit-il à Martin, me plaît beaucoup; elle a un faux air de mademoiselle Cunégonde; je serais bien aise de la saluer. “That actress,” said he to Martin, “pleases me much; she has a likeness to Miss Cunegonde; I should be very glad to wait upon her.”
L’abbé périgourdin s’offrit à l’introduire chez elle. Candide, élevé en Allemagne, demanda quelle était l’étiquette, et comment on traitait en France les reines d’Angleterre. The Perigordian Abbé offered to introduce him. Candide, brought up in Germany, asked what was the etiquette, and how they treated queens of England in France.
Il faut distinguer, dit l’abbé: en province, on les mène au cabaret; à Paris, on les respecte quand elles sont belles, et on les jette à la voirie quand elles sont mortes. “It is necessary to make distinctions,” said the Abbé. “In the provinces one takes them to the inn; in Paris, one respects them when they are beautiful, and throws them on the highway when they are dead.”
Des reines à la voirie! dit Candide.“Queens on the highway!” said Candide.
Oui vraiment, dit Martin; monsieur l’abbé a raison; j’étais à Paris quand mademoiselle Monime passa, comme on dit, de cette vie à l’autre;“Yes, truly,” said Martin, “the Abbé is right. I was in Paris when Miss Monime passed, as the saying is, from this life to the other.
on lui refusa, ce que ces gens-ci appellent les honneurs de la sépulture, c’est-à-dire de pourrir avec tous les gueux du quartier dans un vilain cimetière; elle fut enterrée toute seule de sa bande au coin de la rue de Bourgogne; ce qui dut lui faire une peine extrême, car elle pensait très noblement. She was refused what people call the honours of sepulture—that is to say, of rotting with all the beggars of the neighbourhood in an ugly cemetery; she was interred all alone by her company at the corner of the Rue de Bourgogne, which ought to trouble her much, for she thought nobly.”
Cela est bien impoli, dit Candide.“That was very uncivil,” said Candide.
Que voulez-vous? dit Martin; ces gens-ci sont ainsi faits. Imaginez toutes les contradictions, toutes les incompatibilités possibles, vous les verrez dans le gouvernement, dans les tribunaux, dans les églises, dans les spectacles de cette drôle de nation.“What would you have?” said Martin; “these people are made thus. Imagine all contradictions, all possible incompatibilities—you will find them in the government, in the law-courts, in the churches, in the public shows of this droll nation.”
Est-il vrai qu’on rit toujours à Paris? dit Candide.“Is it true that they always laugh in Paris?” said Candide.
Oui, dit l’abbé, mais c’est en enrageant; car on s’y plaint de tout avec de grands éclats de rire; même on y fait en riant les actions les plus détestables“Yes,” said the Abbé, “but it means nothing, for they complain of everything with great fits of laughter; they even do the most detestable things while laughing.”
Quel est, dit Candide, ce gros cochon qui me disait tant de mal de la pièce où j’ai tant pleuré, et des acteurs qui m’ont fait tant de plaisir?“Who,” said Candide, “is that great pig who spoke so ill of the piece at which I wept, and of the actors who gave me so much pleasure?”
C’est un mal-vivant, répondit l’abbé, qui gagne sa vie à dire du mal de toutes les pièces et de tous les livres; il hait quiconque réussit, comme les eunuques haïssent les jouissants; c’est un de ces serpents de la littérature qui se nourrissent de fange et de venin; c’est un folliculaire. “He is a bad character,” answered the Abbé, “who gains his livelihood by saying evil of all plays and of all books. He hates whatever succeeds, as the eunuchs hate those who enjoy; he is one of the serpents of literature who nourish themselves on dirt and spite; he is a folliculaire.”
Qu’appelez-vous folliculaire? dit Candide. “What is a folliculaire?” said Candide.
C’est, dit l’abbé, un feseur de feuilles, un Fréron.“It is,” said the Abbé, “a pamphleteer—a Fréron.”
C’est ainsi que Candide, Martin, et le Périgourdin, raisonnaient sur l’escalier, en voyant défiler le monde au sortir de la pièce.Thus Candide, Martin, and the Perigordian conversed on the staircase, while watching every one go out after the performance.
Quoique je sois très empressé de revoir mademoiselle Cunégonde, dit Candide, je voudrais pourtant souper avec mademoiselle Clairon, car elle m’a paru admirable.“Although I am eager to see Cunegonde again,” said Candide, “I should like to sup with Miss Clairon, for she appears to me admirable.”
L’abbé n’était pas homme à approcher de mademoiselle Clairon, qui ne voyait que bonne compagnie.The Abbé was not the man to approach Miss Clairon, who saw only good company.
Elle est engagée pour ce soir, dit-il; mais j’aurai l’honneur de vous mener chez une dame de qualité, et là vous connaîtrez Paris comme si vous y aviez été quatre ans.“She is engaged for this evening,” he said, “but I shall have the honour to take you to the house of a lady of quality, and there you will know Paris as if you had lived in it for years.”
Candide, qui était naturellement curieux, se laissa mener chez la dame, au fond du faubourg Saint-Honoré; on y était occupé d’un pharaon; douze tristes pontes tenaient chacun en main un petit livre de cartes, registre cornu de leurs infortunes. Un profond silence régnait, la pâleur était sur le front des pontes, l’inquiétude sur celui du banquier; et la dame du logis, assise auprès de ce banquier impitoyable, remarquait avec des yeux de lynx tous les parolis, tous les sept-et-le-va de campagne, dont chaque joueur cornait ses cartes; elle les fesait décorner avec une attention sévère, mais polie, et ne se fâchait point, de peur de perdre ses pratiques. Candide, who was naturally curious, let himself be taken to this lady’s house, at the end of the Faubourg St. Honoré. The company was occupied in playing faro; a dozen melancholy punters held each in his hand a little pack of cards; a bad record of his misfortunes. Profound silence reigned; pallor was on the faces of the punters, anxiety on that of the banker, and the hostess, sitting near the unpitying banker, noticed with lynx-eyes all the doubled and other increased stakes, as each player dog’s-eared his cards; she made them turn down the edges again with severe, but polite attention; she showed no vexation for fear of losing her customers.
 La dame se fesait appeler la marquise de Parolignac. Sa fille, âgée de quinze ans, était au nombre des pontes, et avertissait d’un clin d’oeil des friponneries de ces pauvres gens qui tâchaient de réparer les cruautés du sort. L’abbé périgourdin, Candide, et Martin, entrèrent; personne ne se leva, ni les salua, ni les regarda; tous étaient profondément occupés de leurs cartes. The lady insisted upon being called the Marchioness of Parolignac. Her daughter, aged fifteen, was among the punters, and notified with a covert glance the cheatings of the poor people who tried to repair the cruelties of fate. The Perigordian Abbé, Candide and Martin entered; no one rose, no one saluted them, no one looked at them; all were profoundly occupied with their cards.
Madame la baronne de Thunder-ten-tronckh était plus civile, dit Candide.“The Baroness of Thunder-ten-Tronckh was more polite,” said Candide.
Cependant l’abbé s’approcha de l’oreille de la marquise, qui se leva à moitié, honora Candide d’un sourire gracieux, et Martin d’un air de tête tout-à-fait noble; elle fit donner un siège et un jeu de cartes à Candide, qui perdit cinquante mille francs en deux tailles: après quoi on soupa très gaiement; et tout le monde était étonné que Candide ne fût pas ému de sa perte; les laquais disaient entre eux, dans leur langage de laquais: However, the Abbé whispered to the Marchioness, who half rose, honoured Candide with a gracious smile, and Martin with a condescending nod; she gave a seat and a pack of cards to Candide, who lost fifty thousand francs in two deals, after which they supped very gaily, and every one was astonished that Candide was not moved by his loss; the servants said among themselves, in the language of servants:—
Il faut que ce soit quelque milord anglais. “Some English lord is here this evening.”
 Le souper fut comme la plupart des soupers de Paris, d’abord du silence, ensuite un bruit de paroles qu’on ne distingue point, puis des plaisanteries dont la plupart sont insipides, de fausses nouvelles, de mauvais raisonnements, un peu de politique, et beaucoup de médisance; on parla même de livres nouveaux.The supper passed at first like most Parisian suppers, in silence, followed by a noise of words which could not be distinguished, then with pleasantries of which most were insipid, with false news, with bad reasoning, a little politics, and much evil speaking; they also discussed new books.
Avez-vous vu, dit l’abbé périgourdin, le roman du sieur Gauchat, docteur en théologie? “Have you seen,” said the Perigordian Abbé, “the romance of Sieur Gauchat, doctor of divinity?”
Oui, répondit un des convives, mais je n’ai pu l’achever. Nous avons une foule d’écrits impertinents; mais tous ensemble n’approchent pas de l’impertinence de Gauchat, docteur en théologie[8]; je suis si rassasié de cette immensité de détestables livres qui nous inondent, que je me suis mis à ponter au pharaon. “Yes,” answered one of the guests, “but I have not been able to finish it. We have a crowd[Pg 112] of silly writings, but all together do not approach the impertinence of ‘Gauchat, Doctor of Divinity.’ I am so satiated with the great number of detestable books with which we are inundated that I am reduced to punting at faro.”
Et les Mélanges de l’archidiacre Trublet, qu’en dites-vous? dit l’abbé. “And the Mélanges of Archdeacon Trublet, what do you say of that?” said the Abbé.
Ah! dit madame de Parolignac, l’ennuyeux mortel! comme il vous dit curieusement ce que tout le monde sait! comme il discute pesamment ce qui ne vaut pas la peine d’être remarqué légèrement! comme il s’approprie, sans esprit, l’esprit des autres! comme il gâte ce qu’il pille! comme il me dégoûte! mais il ne me dégoûtera plus; c’est assez d’avoir lu quelques pages de l’archidiacre.“Ah!” said the Marchioness of Parolignac, “the wearisome mortal! How curiously he repeats to you all that the world knows! How heavily he discusses that which is not worth the trouble of lightly remarking upon! How, without wit, he appropriates the wit of others! How he spoils what he steals! How he disgusts me! But he will disgust me no longer—it is enough to have read a few of the Archdeacon’s pages.”
Il y avait à table un homme savant et de goût qui appuya ce que disait la marquise. On parla ensuite de tragédies; la dame demanda pourquoi il y avait des tragédies qu’on jouait quelquefois, et qu’on ne pouvait lire. L’homme de goût expliqua très bien comment une pièce pouvait avoir quelque intérêt, et n’avoir presque aucun mérite; il prouva en peu de mots que ce n’était pas assez d’amener une ou deux de ces situations qu’on trouve dans tous les romans, et qui séduisent toujours les spectateurs; mais qu’il faut être neuf sans être bizarre, souvent sublime et toujours naturel, connaître le coeur humain et le faire parler; être grand poëte, sans que jamais aucun personnage de la pièce paraisse poëte; savoir parfaitement sa langue, la parler avec pureté, avec une harmonie continue, sans que jamais la rime coûte rien au sens.There was at table a wise man of taste, who supported the Marchioness. They spoke afterwards of tragedies; the lady asked why there were tragedies which were sometimes played and which could not be read. The man of taste explained very well how a piece could have some interest, and have almost no merit; he proved in few words that it was not enough to introduce one or two of those situations which one finds in all romances, and which always seduce the spectator, but that it was necessary to be new without being odd, often sublime and always natural, to know the human heart and to make it speak; to be a great poet without allowing any person in the piece to appear to be a poet; to know language perfectly—to speak it with purity, with continuous harmony and without rhythm ever taking anything from sense.
Quiconque, ajouta-t-il, n’observe pas toutes ces règles, peut faire une ou deux tragédies applaudies au théâtre, mais il ne sera jamais compté au rang des bons écrivains; il y a très peu de bonnes tragédies: les unes sont des idylles en dialogues bien écrits et bien rimés; les autres, des raisonnements politiques qui endorment, ou des amplifications qui rebutent; les autres, des rêves d’énergumène, en style barbare, des propos interrompus, de longues apostrophes aux dieux, parcequ’on ne sait point parler aux hommes, des maximes fausses, des lieux communs ampoulés.“Whoever,” added he, “does not observe all these rules can produce one or two tragedies, applauded at a theatre, but he will never be counted in the ranks of good writers. There are very few good tragedies; some are idylls in dialogue, well written and well rhymed, others political reasonings which lull to sleep, or amplifications which repel; others demoniac dreams in barbarous style, interrupted in sequence, with long apostrophes to the gods, because they do not know how to speak to men, with false maxims, with bombastic commonplaces!”
Candide écouta ce propos avec attention, et conçut une grande idée du discoureur; et, comme la marquise avait eu soin de le placer à côté d’elle, il s’approcha de son oreille, et prit la liberté de lui demander qui était cet homme qui parlait si bien. Candide listened with attention to this discourse, and conceived a great idea of the speaker, and as the Marchioness had taken care to place him beside her, he leaned towards her and took the liberty of asking who was the man who had spoken so well.
C’est un savant, dit la dame, qui ne ponte point, et que l’abbé m’amène quelquefois à souper; il se connaît parfaitement en tragédies et en livres, et il a fait une tragédie sifflée, et un livre dont on n’a jamais vu hors de la boutique de son libraire qu’un exemplaire qu’il m’a dédié. “He is a scholar,” said the lady, “who does not play, whom the Abbé sometimes brings to supper; he is perfectly at home among tragedies and books, and he has written a tragedy which was hissed, and a book of which nothing has[Pg 114] ever been seen outside his bookseller’s shop excepting the copy which he dedicated to me.”
Le grand homme! dit Candide, c’est un autre Pangloss.“The great man!” said Candide. “He is another Pangloss!”
Alors se tournant vers lui, il lui dit:Then, turning towards him, he said:
Monsieur, vous pensez, sans doute, que tout est au mieux dans le monde physique et dans le moral, et que rien ne pouvait être autrement?“Sir, you think doubtless that all is for the best in the moral and physical world, and that nothing could be otherwise than it is?”
Moi, monsieur, lui répondit le savant, je ne pense rien de tout cela; je trouve que tout va de travers chez nous; que personne ne sait ni quel est son rang, ni quelle est sa charge, ni ce qu’il fait, ni ce qu’il doit faire, et qu’excepté le souper, qui est assez gai, et où il paraît assez d’union, tout le reste du temps se passe en querelles impertinentes; jansénistes contre molinistes, gens du parlement contre gens d’église, gens de lettres contre gens de lettres, courtisans contre courtisans, financiers contre le peuple, femmes contre maris, parents contre parents; c’est une guerre éternelle.“I, sir!” answered the scholar, “I know nothing of all that; I find that all goes awry with me; that no one knows either what is his rank, nor what is his condition, what he does nor what he ought to do; and that except supper, which is always gay, and where there appears to be enough concord, all the rest of the time is passed in impertinent quarrels; Jansenist against Molinist, Parliament against the Church, men of letters against men of letters, courtesans against courtesans, financiers against the people, wives against husbands, relatives against relatives—it is eternal war.”
Candide lui répliqua: J’ai vu pis; mais un sage, qui depuis a eu le malheur d’être pendu, m’apprit que tout cela est à merveille; ce sont des ombres à un beau tableau.“I have seen the worst,” Candide replied. “But a wise man, who since has had the misfortune to be hanged, taught me that all is marvellously well; these are but the shadows on a beautiful picture.”
Votre pendu se moquait du monde, dit Martin; vos ombres sont des taches horribles.“Your hanged man mocked the world,” said Martin. “The shadows are horrible blots.”
Ce sont les hommes qui font les taches, dit Candide, et ils ne peuvent pas s’en dispenser.“They are men who make the blots,” said Candide, “and they cannot be dispensed with.”
Ce n’est donc pas leur faute, dit Martin. “It is not their fault then,” said Martin.
La plupart des pontes, qui n’entendaient rien à ce langage, buvaient; et Martin raisonna avec le savant, et Candide raconta une partie de ses aventures à la dame du logis.Most of the punters, who understood nothing of this language, drank, and Martin reasoned with the scholar, and Candide related some of his adventures to his hostess.
Après souper, la marquise mena Candide dans son cabinet, et le fit asseoir sur un canapé.After supper the Marchioness took Candide into her boudoir, and made him sit upon a sofa.
Eh bien! lui dit-elle, vous aimez donc toujours éperdument mademoiselle Cunégonde de Thunder-ten-tronckh?“Ah, well!” said she to him, “you love desperately Miss Cunegonde of Thunder-ten-Tronckh?”
Oui, madame, répondit Candide.“Yes, madame,” answered Candide.
La marquise lui répliqua avec un souris tendre:The Marchioness replied to him with a tender smile:
Vous me répondez comme un jeune homme de Vestphalie; un Français m’aurait dit: Il est vrai que j’ai aimé mademoiselle Cunégonde; mais en vous voyant, madame, je crains de ne la plus aimer.“You answer me like a young man from Westphalia. A Frenchman would have said, ‘It is true that I have loved Miss Cunegonde, but seeing you, madame, I think I no longer love her.’”
Hélas! madame, dit Candide, je répondrai comme vous voudrez.“Alas! madame,” said Candide, “I will answer you as you wish.”
Votre passion pour elle, dit la marquise, a commencé en ramassant son mouchoir; je veux que vous ramassiez ma jarretière. “Your passion for her,” said the Marchioness, “commenced by picking up her handkerchief. I wish that you would pick up my garter.”
De tout mon coeur, dit Candide; et il la ramassa.“With all my heart,” said Candide. And he picked it up.
Mais je veux que vous me la remettiez, dit la dame;“But I wish that you would put it on,” said the lady.
et Candide la lui remit.And Candide put it on.
Voyez-vous, dit la dame, vous êtes étranger; je fais quelquefois languir mes amants de Paris quinze jours, mais je me rends à vous dès la première nuit, parcequ’il faut faire les honneurs de son pays à un jeune homme de Vestphalie. “You see,” said she, “you are a foreigner. I sometimes make my Parisian lovers languish for fifteen days, but I give myself to you the first night because one must do the honours of one’s country to a young man from Westphalia.”
La belle ayant aperçu deux énormes diamants aux deux mains de son jeune étranger, les loua de si bonne foi, que des doigts de Candide ils passèrent aux doigts de la marquise.The lady having perceived two enormous diamonds upon the hands of the young foreigner praised them with such good faith that from Candide’s fingers they passed to her own.
Candide, en s’en retournant avec son abbé périgourdin, sentit quelques remords d’avoir fait une infidélité à mademoiselle Cunégonde. M. l’abbé entra dans sa peine; il n’avait qu’une légère part aux cinquante mille livres perdues au jeu par Candide, et à la valeur des deux brillants moitié donnés, moitié extorqués. Son dessein était de profiter, autant qu’il le pourrait, des avantages que la connaissance de Candide pouvait lui procurer. Il lui parla beaucoup de Cunégonde; et Candide lui dit qu’il demanderait bien pardon à cette belle de son infidélité, quand il la verrait à Venise.Candide, returning with the Perigordian Abbé, felt some remorse in having been unfaithful to Miss Cunegonde. The Abbé sympathised in his trouble; he had had but a light part of the fifty thousand francs lost at play and of the value of the two brilliants, half given, half extorted. His design was to profit as much as he could by the advantages which the acquaintance of Candide could procure for him. He spoke much of Cunegonde, and Candide told him that he should ask forgiveness of that beautiful one for his infidelity when he should see her in Venice.
Le Périgourdin redoublait de politesses et d’attentions, et prenait un intérêt tendre à tout ce que Candide disait, à tout ce qu’il fesait, à tout ce qu’il voulait faire.The Abbé redoubled his politeness and attentions, and took a tender interest in all that Candide said, in all that he did, in all that he wished to do.
Vous avez donc, monsieur, lui dit-il, un rendez-vous à Venise?“And so, sir, you have a rendez-vous at Venice?”
Oui, monsieur l’abbé, dit Candide; il faut absolument que j’aille trouver mademoiselle Cunégonde. “Yes, monsieur Abbé,” answered Candide. “It is absolutely necessary that I go to meet Miss Cunegonde.”
Alors, engagé par le plaisir de parler de ce qu’il aimait, il conta, selon son usage, une partie de ses aventures avec cette illustre Vestphalienne.And then the pleasure of talking of that which he loved induced him to relate, according to his custom, part of his adventures with the fair Westphalian.
Je crois, dit l’abbé, que mademoiselle Cunégonde a bien de l’esprit, et qu’elle écrit des lettres charmantes.“I believe,” said the Abbé, “that Miss Cunegonde has a great deal of wit, and that she writes charming letters?”
Je n’en ai jamais reçu, dit Candide; car, figurez-vous qu’ayant été chassé du château pour l’amour d’elle, je ne pus lui écrire; que bientôt après j’appris qu’elle était morte, qu’ensuite je la retrouvai, et que je la perdis, et que je lui ai envoyé à deux mille cinq cents lieues d’ici un exprès dont j’attends la réponse.“I have never received any from her,” said Candide, “for being expelled from the castle on her account I had not an opportunity for writing to her. Soon after that I heard she was dead; then I found her alive; then I lost her again; and last of all, I sent an express to her two thousand five hundred leagues from here, and I wait for an answer.”
L’abbé écoutait attentivement, et paraissait un peu rêveur. Il prit bientôt congé des deux étrangers, après les avoir tendrement embrassés. Le lendemain Candide reçut à son réveil une lettre conçue en ces termes:The Abbé listened attentively, and seemed to be in a brown study. He soon took his leave of the two foreigners after a most tender embrace. The following day Candide received, on awaking, a letter couched in these terms:
«Monsieur mon très cher amant, il y a huit jours que je suis malade en cette ville; j’apprends que vous y êtes. Je volerais dans vos bras si je pouvais remuer. J’ai su votre passage à Bordeaux; j’y ai laissé le fidèle Cacambo et la vieille, qui doivent bientôt me suivre. Le gouverneur de Buénos-Ayres a tout pris, mais il me reste votre coeur. Venez; votre présence me rendra la vie ou me fera mourir de plaisir.»“My very dear love, for eight days I have been ill in this town. I learn that you are here. I would fly to your arms if I could but move. I was informed of your passage at Bordeaux, where I left faithful Cacambo and the old woman, who are to follow me very soon. The Governor of Buenos Ayres has taken all, but there remains to me your heart. Come! your presence will either give me life or kill me with pleasure.”
Cette lettre charmante, cette lettre inespérée, transporta Candide d’une joie inexprimable; et la maladie de sa chère Cunégonde l’accabla de douleur. Partagé entre ces deux sentiments, il prend son or et ses diamants, et se fait conduire avec Martin à l’hôtel où mademoiselle Cunégonde demeurait. Il entre en tremblant d’émotion, son coeur palpite, sa voix sanglote; il veut ouvrir les rideaux du lit; il veut faire apporter de la lumière. This charming, this unhoped-for letter transported Candide with an inexpressible joy, and the illness of his dear Cunegonde overwhelmed him with grief. Divided between those two passions, he took his gold and his diamonds and hurried away, with Martin, to the hotel where Miss Cunegonde was lodged. He entered her room trembling, his heart palpitating, his voice sobbing; he wished to open the curtains of the bed, and asked for a light.
Gardez-vous-en bien, lui dit la suivante; la lumière la tue; et soudain elle referme le rideau. “Take care what you do,” said the servant-maid; “the light hurts her,” and immediately she drew the curtain again.
Ma chère Cunégonde, dit Candide en pleurant, comment vous portez-vous? si vous ne pouvez me voir, parlez-moi du moins.“My dear Cunegonde,” said Candide, weeping, “how are you? If you cannot see me, at least speak to me.”
Elle ne peut parler, dit la suivante,“She cannot speak,” said the maid.
la dame alors tire du lit une main potelée que Candide arrose long-temps de ses larmes, et qu’il remplit ensuite de diamants, en laissant un sac plein d’or sur le fauteuil.The lady then put a plump hand out from the bed, and Candide bathed it with his tears and afterwards filled it with diamonds, leaving a bag of gold upon the easy chair.
Au milieu de ses transports arrive un exempt suivi de l’abbé périgourdin et d’une escouade.In the midst of these transports in came an officer, followed by the Abbé and a file of soldiers.
Voilà donc, dit-il, ces deux étrangers suspects? Il les fait incontinent saisir, et ordonne à ses braves de les traîner en prison. “There,” said he, “are the two suspected foreigners,” and at the same time he ordered them to be seized and carried to prison.
Ce n’est pas ainsi qu’on traite les voyageurs dans Eldorado, dit Candide.“Travellers are not treated thus in El Dorado,” said Candide.
Je suis plus manichéen que jamais, dit Martin. “I am more a Manichean now than ever,” said Martin.
Mais, monsieur, où nous menez-vous? dit Candide. “But pray, sir, where are you going to carry us?” said Candide.
Dans un cul de basse-fosse, dit l’exempt.“To a dungeon,” answered the officer.
Martin, ayant repris son sang froid, jugea que la dame qui se prétendait Cunégonde était une friponne, monsieur l’abbé périgourdin un fripon, qui avait abusé au plus vite de l’innocence de Candide, et l’exempt un autre fripon dont on pouvait aisément se débarrasser.Martin, having recovered himself a little, judged that the lady who acted the part of Cunegonde was a cheat, that the Perigordian Abbé was a knave who had imposed upon the honest simplicity of Candide, and that the officer was another knave whom they might easily silence.
Plutôt que de s’exposer aux procédures de la justice, Candide, éclairé par son conseil, et d’ailleurs toujours impatient de revoir la véritable Cunégonde, propose à l’exempt trois petits diamants d’environ trois mille pistoles chacun. Candide, advised by Martin and impatient to see the real Cunegonde, rather than expose himself before a court of justice, proposed to the officer to give him three small diamonds, each worth about three thousand pistoles.
Ah! monsieur, lui dit l’homme au bâton d’ivoire, eussiez-vous commis tous les crimes imaginables, vous êtes le plus honnête homme du monde; trois diamants! chacun de trois mille pistoles!“Ah, sir,” said the man with the ivory baton, “had you committed all the imaginable crimes you would be to me the most honest man in the world. Three diamonds! Each worth three thousand pistoles!
Monsieur! je me ferais tuer pour vous, au lieu de vous mener dans un cachot. On arrête tous les étrangers, mais laissez-moi faire; j’ai un frère à Dieppe en Normandie; je vais vous y mener; et si vous avez quelque diamant à lui donner, il aura soin de vous comme moi-même.Sir, instead of carrying you to jail I would lose my life to serve you. There are orders for arresting all foreigners, but leave it to me. I have a brother at Dieppe in Normandy! I’ll conduct you thither, and if you have a diamond to give him he’ll take as much care of you as I would.”
Et pourquoi arrête-t-on tous les étrangers? dit Candide.“And why,” said Candide, “should all foreigners be arrested?”
L’abbé périgourdin prit alors la parole, et dit: C’est parcequ’un gueux du pays d’Atrébatie a entendu dire des sottises; cela seul lui a fait commettre un parricide, non pas tel que celui de 1610 au mois de mai[10], mais tel que celui de 1594 au mois de décembre[11], et tel que plusieurs autres commis dans d’autres années et dans d’autres mois par d’autres gueux qui avaient entendu dire des sottises.“It is,” the Perigordian Abbé then made answer, “because a poor beggar of the country of Atrébatie[28] heard some foolish things said. This induced him to commit a parricide, not such as that of 1610 in the month of May,[29] but such as that of 1594 in the month of December,[30] and such as others which have been committed in other years and other months by other poor devils who had heard nonsense spoken.”
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Candide de Voltaire

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