Ce n’est pas une traduction mots a mots mais les livres dans les deux languages mis côte a côte. Vous pouvez le lire en Français, en anglais ou parallèlement.
This is not a word-by-word translation but the books in the two languages put side by side. You can read it in French, in English or both.
Twenty Thousand Leagues Under The Sea by Jules Vernes
| Twenty Thousand Leagues Under The Sea by Jules Vernes | Vingt Mille Lieues Sous Les Mers de Jules Vernes |
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| PART I | PART I |
| CHAPTER I A SHIFTING REEF | CHAPITRE I UN ÉCUEIL FUYANT. |
| Thee year 1866 was signalized by a remarkable incident, a mysterious and puzzling phenomenon, which doubtless no one has yet forgotten. Not to mention rumors which agitated the maritime population and excited the public mind, even in the interior of continents, seafaring men were particularly excited. Merchants, common sailors, captains of vessels, skippers, both of Europe and America, naval officers of all countries, and the Governments of several States on the two continents, were deeply interested in the matter. | L’année 1866 fut marquée par un événement bizarre, un phénomène inexpliqué et inexplicable que personne n’a sans doute oublié. Sans parler des rumeurs qui agitaient les populations des ports et surexcitaient l’esprit public à l’intérieur des continents, les gens de mer furent particulièrement émus. Les négociants, armateurs, capitaines de navires, skippers et masters de l’Europe et de l’Amérique, officiers des marines militaires de tous pays, et, après eux, les gouvernements des divers États des deux continents, se préoccupèrent de ce fait au plus haut point. |
| For some time past vessels had been met by “an enormous thing,” a long object, spindle-shaped, occasionally phosphorescent, and infinitely larger and more rapid in its movements than a whale. | En effet, depuis quelque temps, plusieurs navires s’étaient rencontrés sur mer avec «une chose énorme,» un objet long, fusiforme, parfois phosphorescent, infiniment plus vaste et plus rapide qu’une baleine. |
| The facts relating to this apparitione (entered in various log-books) agreed in most respects as to the shape of the object or creature in question, the untiring rapidity of its movements, its surprising power of locomotion, and the peculiar life with which it seemed endowed. If it was a whale, it surpassed in size all those hitherto classified in science. | Les faits relatifs à cette apparition, consignés aux divers livres de bord, s’accordaient assez exactement sur la structure de l’objet ou de l’être en question, la vitesse inouïe de ses mouvements, la puissance surprenante de sa locomotion, la vie particulière dont il semblait doué. Si c’était un cétacé, il surpassait en volume tous ceux que la science avait classés jusqu’alors. Ni Cuvier, ni Lacépède, ni M. Dumeril, ni M. de Quatrefages n’eussent admis l’existence d’un tel monstre,—à moins de l’avoir vu, ce qui s’appelle vu de leurs propres yeux de savants. |
| Taking into consideration the mean of observations made at divers times—rejecting the timid estimate of those who assigned to this object a length of two hundred feet, equally with the exaggerated opinions which set it down as a mile in width and three in length—we might fairly conclude that this mysterious being surpassed greatly all dimensions admitted by the learned ones of the day, if it existed at all. | A prendre la moyenne des observations faites à diverses reprises,—en rejetant les évaluations timides qui assignaient à cet objet une longueur de deux cents pieds, et en repoussant les opinions exagérées qui le disaient large d’un mille et long de trois,—on pouvait affirmer, cependant, que cet être phénoménal dépassait de beaucoup toutes les dimensions admises jusqu’à ce jour par lese ichthyologistes,—s’il existait toutefois. |
| And that it DID exist was an undeniable fact; and, with that tendency which disposes the human mind in favour of the marvellous, we can understand the excitement produced in the entire world by this supernatural apparition. As to classing it in the list of fables, the idea was out of the question. | Or, il existait, le fait en lui-même n’était plus niable, et, avec ce penchant qui pousse au merveilleux la cervelle humaine, on comprendra l’émotion produite dans le monde entier par cette surnaturelle apparition. Quant à la rejeter au rang des fables, il fallait y renoncer. |
| On the 20th of July, 1866, the steamer Governor Higginson, of the Calcutta and Burnach Steam Navigation Company, had met this moving mass five miles off the east coast of Australia. Captain Baker thought at first that he was in the presence of an unknown sandbank; he even prepared to determine its exact position when two columns of water, projected by the mysterious object, shot with a hissing noise a hundred and fifty feet up into the air. | En effet, le 20 juillet 1866, le steamer Governor-Higginson, de Calcutta and Burnach steam navigation Company, avait rencontré cette masse mouvante à cinq milles dans l’est des côtes de l’Australie. Le capitaine Baker se crut, tout d’abord, en présence d’un écueil inconnu; il se disposait même à en déterminer la situation exacte, quand deux colonnes d’eau, projetées par l’inexplicable objet, s’élancèrent en sifflant à cent cinquante pieds dans l’air. |
| Now, unless the sandbank had been submitted to the intermittent eruption of a geyser, the Governore Higginson had to do neither more nor less than with an aquatic mammal, unknown till then, which threw up from its blow-holes columns of water mixed with air and vapour. | Donc, à moins que cet écueil ne fût soumis aux expansions intermittentes d’un geyser, le Governor-Higginson avait affaire bel et bien à quelque mammifère aquatique, inconnu jusque-là, qui rejetait par ses évents des colonnes d’eau, mélangées d’air et de vapeur. |
| Similar facts were observed on the 23rd of July in the same year, in the Pacific Ocean, by the Columbus, of the West India and Pacific Steam Navigation Company. But this extraordinary creature could transport itself from one place to another with surprising velocity; as, in an interval of three days, the Governor Higginson and the Columbus had observed it at two different points of the chart, separated by a distance of more than seven hundred nautical leagues. | Pareil fait fut également observé le 23 juillet de la même année, dans les mers du Pacifique, par le Cristobal-Colon, de West India and Pacific steam navigation Company. Donc, ce cétacé extraordinaire pouvait se transporter d’un endroit à un autre avec une vélocité surprenante, puisque à trois jours d’intervalle, le Governor-Higginson et le Cristobal-Colon l’avaient observé en deux points de la carte séparés par une distance de plus de sept cents lieues marines. |
| Fifteen days later, two thousand miles farthere off, the Helvetia, of the Compagnie-Nationale, and the Shannon, of the Royal Mail Steamship Company, sailing to windward in that portion of the Atlantic lying between the United States and Europe, respectively signalled the monster to each other in 42° 15′ N. lat. and 60° 35′ W. long. In these simultaneous observations they thought themselves justified in estimating the minimum length of the mammal at more than three hundred and fifty feet, as the Shannon and Helvetia were of smaller dimensions than it, though they measured three hundred feet over all. | Quinze jours plus tard, à deux mille lieues de là, l’Helvetia, de la Compagnie Nationale, et le Shannon, du Royal-Mail, marchant à contrebord dans cette portion de l’Atlantique comprise entre les États-Unis et l’Europe, se signalèrent respectivement le monstre par 42° 15′ de latitude nord, et 60° 35′ de longitude à l’ouest du méridien de Greenwich. Dans cette observation simultanée, on crut pouvoir évaluer la longueur minimum du mammifère à plus de trois cent cinquante pieds anglais[1], puisque le Shannon et l’Helvetia étaient de dimension inférieure à lui, bien qu’ils mesurassent cent mètres de l’étrave à l’étambot. |
| Now the largest whales, those which frequent those parts of the sea round the Aleutian, Kulammak, and Umgullich islands, have never exceeded the length of sixty yards, if they attain that. | Or, les plus vastes baleines, celles qui fréquentent les parages des îles Aléoutiennes, le Kulammak et l’Umgullick, n’ont jamais dépassé la longueur de cinquante-six mètres,—si même elles l’atteignent. |
| Ces rapports arrivés coup sur coup, de nouvelles observations faites à bord du transatlantique le Pereire, un abordage entre l’Etna, de la ligne Inman, et le monstre, un procès-verbal dressé par les officiers de la frégate française la Normandie, un très-sérieux relèvement obtenu par l’état-major du commodore Fitz-James à bord du Lord-Clyde, émurent profondément l’opinion publique. Dans les pays d’humeur légère, on plaisanta le phénomène, mais les pays graves et pratiques, l’Angleterre, l’Amérique, l’Allemagne, s’en préoccupèrent vivement. | |
| In every place of great resort the monster was the fashion. They sang of it in the cafes, ridiculed it in the papers, and represented it on the stage. All kinds of stories were circulated regarding it. There appeared in the papers caricatures of every gigantic and imaginary creature, from the white whale, the terrible “Moby Dick” of sub-arctic regions, to the immense kraken, whose tentacles could entangle a ship of five hundred tons and hurry it into the abyss of the ocean. The legends of ancient times were even revived. | Partout dans les grands centres, le monstre devint à la mode; on le chanta dans les cafés, on le bafoua dans les journaux, on le joua sur les théâtres. Les canards eurent là une belle occasion de pondre des œufs de toute couleur. On vit réapparaître dans les journaux—à court de copie—tous les êtres imaginaires et gigantesques, depuis la baleine blanche, le terrible «Moby Dick» des régions hyperboréennes, jusqu’au Kraken démesuré, dont les tentacules peuvent enlacer un bâtiment de cinq cents tonneaux et l’entraîner dans les abîmes de l’Océan. On reproduisit même les procès-verbaux des temps anciens, les opinions d’Aristote et de Pline, qui admettaient l’existence de ces monstres, puis les récits norwégiens de l’évêque Pontoppidan, les relations de Paul Heggede, et enfin les rapports de M. Harrington, dont la bonne foi ne peut être soupçonnée, quand il affirme avoir vu, étant à bord du Castillan, en 1857, cet énorme serpent qui n’avait jamais fréquenté jusqu’alors que les mers de l’ancien Constitutionnel. |
| Then burst forth the unending argument between the believers and the unbelievers in the societies of the wise and the scientific journals. “The question of the monster” inflamed all minds. Editors of scientific journals, quarrelling with believers in the supernatural, spilled seas of ink during this memorable campaign, some even drawing blood; for from the sea-serpent they came to direct personalities. | Alors éclata l’interminable polémique des crédules et des incrédules dans les sociétés savantes et les journaux scientifiques. La «question du monstre» enflamma les esprits. Les journalistes, qui font profession de science en lutte avec ceux qui font profession d’esprit, versèrent des flots d’encre pendant cette mémorable campagne; quelques-uns même, deux ou trois gouttes de sang, car du serpent de mer, ils en vinrent aux personnalités les plus offensantes. |
| During the first months of the year 1867 the question seemed buried, never to revive, when new facts were brought before the public. It was then no longer a scientific problem to be solved, but a real danger seriously to be avoided. The question took quite another shape. The monster became a small island, a rock, a reef, but a reef of indefinite and shifting proportions. | Six mois durant, la guerre se poursuivit avec des chances diverses. Aux articles de fond de l’Institut géographique du Brésil, de l’Académie royale des sciences de Berlin, de l’Association Britannique, de l’Institution Smithsonnienne de Washington, aux discussions du The Indian Archipelago, du Cosmos de l’abbé Moigno, des Mittheilungen de Petermann, aux chroniques scientifiques des grands journaux de la France et de l’étranger, la petite presse ripostait avec une verve intarissable. Ses spirituels écrivains parodiant un mot de Linnée, cité par les adversaires du monstre, soutinrent en effet que «la nature ne faisait pas de sots,» et ils adjurèrent leurs contemporains de ne point donner un démenti à la nature, en admettant l’existence des Krakens, des serpents de mer, des «Moby Dick,» et autres élucubrations de marins en délire. Enfin, dans un article d’un journal satirique très-redouté, le plus aimé de ses rédacteurs, brochant sur le tout, poussa au monstre, comme Hippolyte, lui porta un dernier coup et l’acheva au milieu d’un éclat de rire universel. L’esprit avait vaincu la science. |
| Pendant les premiers mois de l’année 1867, la question parut être enterrée, et elle ne semblait pas devoir renaître, quand de nouveaux faits furent portés à la connaissance du public. Il ne s’agit plus alors d’un problème scientifique à résoudre, mais bien d’un danger réel, sérieux à éviter. La question prit une toute autre face. Le monstre redevint îlot, rocher, écueil, mais écueil fuyant, indéterminable, insaisissable. | |
| On the 5th of March, 1867, the Moravian, of the Montreal Ocean Company, finding herself during the night in 27° 30′ lat. and 72° 15′ long., struck on her starboard quarter a rock, marked in no chart for that part of the sea. Under the combined efforts of the wind and its four hundred horse power, it was going at the rate of thirteen knots. Had it not been for the superior strength of the hull of the Moravian, she would have been broken by the shock and gone down with the 237 passengers she was bringing home from Canada. | Le 5 mars 1867, le Moravian, de Montréal Océan Company, se trouvant pendant la nuit par 27° 30′ de latitude et 72° 15′ de longitude, heurta de sa hanche de tribord un roc qu’aucune carte ne marquait dans ces parages. Sous l’effort combiné du vent et de ses quatre cents chevaux-vapeur, il marchait à la vitesse de treize nœuds. Nul doute que sans la qualité supérieure de sa coque, le Moravian, ouvert au choc, ne se fût englouti avec les deux cent trente-sept passagers qu’il ramenait du Canada. |
| The accident happened about five o’clock in the morning, as the day was breaking. The officers of the quarter-deck hurried to the after-part of the vessel. They examined the sea with the most careful attention. They saw nothing but a strong eddy about three cables’ length distant, as if the surface had been violently agitated. The bearings of the place were taken exactly, and the Moravian continued its route without apparent damage. Had it struck on a submerged rock, or on an enormous wreck? They could not tell; but, on examination of the ship’s bottom when undergoing repairs, it was found that part of her keel was broken. | L’accident était arrivé vers cinq heures du matin, lorsque le jour commençait à poindre. Les officiers de quart se précipitèrent à l’arrière du bâtiment. Ils examinèrent l’Océan avec la plus scrupuleuse attention. Ils ne virent rien, si ce n’est un fort remous qui brisait à trois encâblures, comme si les nappes liquides eussent été violemment battues. Le relèvement du lieu fut exactement pris, et le Moravian continua sa route sans avaries apparentese . Avait-il heurté une roche sous-marine, ou quelque énorme épave d’un naufrage? on ne put le savoir; mais, examen fait de sa carène dans les bassins de radoub, il fut reconnu qu’une partie de la quille avait été brisée. |
| This fact, so grave in itself, might perhaps have been forgotten like many others if, three weeks after, it had not been re-enacted under similar circumstances. But, thanks to the nationality of the victim of the shock, thanks to the reputation of the company to which the vessel belonged, the circumstance became extensively circulated. | Ce fait, extrêmement grave en lui-même, eût peut-être été oublié comme tant d’autres, si, trois semaines après, il ne se fût reproduit dans des conditions identiques. Seulement, grâce à la nationalité du navire victime de ce nouvel abordage, grâce à la réputation de la Compagnie à laquelle ce navire appartenait, l’événement eut un retentissement immense. |
| Personne n’ignore le nom du célèbre armateur anglais Cunard. Cet intelligent industriel fonda, en 1840, un service postal entre Liverpool et Halifax, avec trois navires en bois et à roues d’une force de quatre cents chevaux, et d’une jauge de onze cent soixante-deux tonneaux. Huit ans après, le matériel de la Compagnie s’accroissait de quatre navires de six cent cinquante chevaux et de dix-huit cent vingt tonnes, et, deux ans plus tard, de deux autres bâtiments supérieurs en puissance et en tonnage. En 1853, la compagnie Cunard, dont le privilége pour le transport des dépêches venait d’être renouvelé, ajouta successivement à son matériel l’Arabia, le Persia, le China, le Scotia, le Java, le Russia, tous navires de première marche, et les plus vastes qui, après le Great-Eastern, eussent jamais sillonné les mers. Ainsi donc, en 1867, la Compagnie possédait douze navires, dont huit à roues et quatre à hélices. Si je donne ces détails très-succincts, c’est afin que chacun sache bien quelle est l’importance de cette compagnie de transports maritimes, connue du monde entier pour son intelligente gestion. Nulle entreprise de navigation transocéanienne n’a été conduite avec plus d’habileté; nulle affaire n’a été couronnée de plus de succès. Depuis vingt-six ans, les navires Cunard ont traversé deux mille fois l’Atlantique, et jamais un voyage n’a été manqué, jamais un retard n’a eu lieu, jamais ni une lettre, ni un homme, ni un bâtiment n’ont été perdus. Aussi, les passagers choisissent-ils encore, malgré la concurrence puissante que lui fait la France, la ligne Cunard de préférence à toute autre, ainsi qu’il appert d’un relevé fait sur les documents officiels des dernières années. Ceci dit, personne ne s’étonnera du retentissement que provoqua l’accident arrivé à l’un de ses plus beaux steamers. | |
| The 13th of April, 1867, the sea being beautiful, the breeze favourable, the Scotia, of the Cunard Company’s line, found herself in 15° 12′ long. and 45° 37′ lat. She was going at the speed of thirteen knots and a half. | Le 13 avril 1867, la mer étant belle, la brise maniable, le Scotia se trouvait par 15° 12′ de longitude et 45° 37′ de latitude. Il marchait avec une vitesse de treize nœuds quarante-trois centièmes sous la poussée de ses mille chevaux-vapeur. Ses roues battaient la mer avec une régularité parfaite. Son tirant d’eau était alors de six mètres soixante-dix centimètres, et son déplacement de six mille six cent vingt-quatre mètres cubes. Akirill.com |
| At seventeen minutes past four in the afternoon, whilst the passengers were assembled at lunch in the great saloon, a slight shock was felt on the hull of the Scotia, on her quarter, a little aft of the port-paddle. | A quatre heures dix-sept minutes du soir, pendant le lunch des passagers réunis dans le grand salon, un choc, peu sensible, en somme, se produisit sur la coque du Scotia, par sa hanche et un peu en arrière de la roue de bâbord. |
| The Scotia hade not struck, but she had been struck, and seemingly by something rather sharp and penetrating than blunt. The shock had been so slight that no one had been alarmed, had it not been for the shouts of the carpenter’s watch, who rushed on to the bridge, exclaiming, “We are sinking! we are sinking!” At first the passengers were much frightened, but Captain Anderson hastened to reassure them. The danger could not be imminent. | Le Scotia n’avait pas heurté, il avait été heurté, et plutôt par un instrument tranchant ou perforant que contondant. L’abordage avait semblé si léger que personne ne s’en fût inquiété à bord, sans le cri des caliers qui remontèrent sur le pont en s’écriant: «Nous coulons! nous coulons!» Tout d’abord, les passagers furent très-effrayés; mais le capitaine Anderson se hâta de les rassurer. En effet, le danger ne pouvait être imminent. |
| The Scotia, divided into seven compartments by strong partitions, could brave with impunity any leak. Captain Anderson went down immediately into the hold. He found that the sea was pouring into the fifth compartment; and the rapidity of the influx proved that the force of the water was considerable. Fortunately this compartment did not hold the boilers, or the fires would have been immediately extinguished. Captain Anderson ordered the engines to be stopped at once, and one of the men went down to ascertain the extent of the injury. | Le Scotia, divisé en sept compartiments par des cloisons étanches, devait braver impunément une voie d’eau. Le capitaine Anderson se rendit immédiatement dans la cale. Il reconnut que le cinquième compartiment avait été envahi par la mer, et la rapidité de l’envahissement prouvait que la voie d’eau était considérable. Fort heureusement, ce compartiment ne renfermait pas les chaudières, car les feux se fussent subitement éteints. Le capitaine Anderson fit stopper immédiatement, et l’un des matelots plongea pour reconnaître l’avarie. |
| Some minutes afterwards they discovered the existence of a large hole, two yards in diameter, in the ship’s bottom. Such a leak could not be stopped; and the Scotia, her paddles half submerged, was obliged to continue her course. She was then three hundred miles from Cape Clear, and, after three days’ delay, which caused great uneasiness in Liverpool, she entered the basin of the company. | Quelques instants après, on constatait l’existence d’un trou large de deux mètres dans la carène du steamer. Une telle voie d’eau ne pouvait être aveuglée, et le Scotia, ses roues à demi noyées, dut continuer ainsi son voyage. Il se trouvait alors à trois cent milles du cap Clear, et après trois jours d’un retard qui inquiéta vivement Liverpool, il entra dans les bassins de la Compagnie. |
| The engineers visited the Scotia, which was put in dry dock. They could scarcely believe it possible; at two yards and a half below water-mark was a regular rent, in the form of an isosceles triangle. The broken place in the iron plates was so perfectly defined that it could not have been more neatly done by a punch. It was clear, then, that the instrument producing the perforation was not of a common stamp and, after having been driven with prodigious strength, and piercing an iron plate 1 3/8 inches thick, had withdrawn itself by a backward motion. | Les ingénieurs procédèrent alors à la visite du Scotia, qui fut mis en cale sèche. Ils ne purent en croire leurs yeux. A deux mètres et demi au-dessous de la flottaison s’ouvrait une déchirure régulière, en forme de triangle isocèle. La cassure de la tôle était d’une netteté parfaite, et elle n’eût pas été frappée plus sûrement à l’emporte-pièce. Il fallait donc que l’outil perforant qui l’avait produite fût d’une trempe peu commune,—et après avoir été lancé avec une force prodigieuse, ayant ainsi percé une tôle de quatre centimètres, il avait dû se retirer de lui-même par un mouvement rétrograde et vraiment inexplicable. |
| Such was the last fact, which resulted in exciting once more the torrent of public opinion. From this moment all unlucky casualties which could not be otherwise accounted for were put down to the monster. | Tel était ce dernier fait, qui eut pour résultat de passionner à nouveau l’opinion publique. Depuis ce moment, en effet, les sinistres maritimes qui n’avaient pas de cause déterminée furent mis sur le compte du monstre. |
| Upon this imaginary creature rested the responsibility of all these shipwrecks, which unfortunately were considerable; for of three thousand ships whose loss was annually recorded at Lloyd’s, the number of sailing and steam-ships supposed to be totally lost, from the absence of all news, amounted to not less than two hundred! | Ce fantastique animal endossa la responsabilité de tous ces naufrages, dont le nombre est malheureusement considérable; car sur trois mille navires dont la perte est annuellement relevée au Bureau-Veritas, le chiffre des navires à vapeur ou à voiles, supposés perdus corps et biens par suite d’absence de nouvelles, ne s’élève pas à moins de deux cents! |
| Now, it was the “monster” who, justly or unjustly, was accused of their disappearance, and, thanks to it, communication between the different continents became more and more dangerous. The public demanded sharply that the seas should at any price be relieved from this formidable cetacean.[1] Akirill.com | Or, ce fut le «monstre» qui, justement ou injustement, fut accusé de leur disparition, et, grâce à lui, les communications entre les divers continents devenant de plus en plus dangereuses, le public se déclara et demanda catégoriquement que les mers fussent enfin débarrassées et à tout prix de ce formidable cétacé. |
| [1] Member of the whale family. | |
| CHAPTER II PRO AND CON | CHAPITRE II LE POUR ET LE CONTRE. |
| At the period when these events took place, I had just returned from a scientific research in the disagreeable territory of Nebraska, in the United States. In virtue of my office as Assistant Professor in the Museum of Natural History in Paris, the French Government had attached me to that expedition. After six months in Nebraska, I arrived in New York towards the end of March, laden with a precious collection. My departure for France was fixed for the first days in May. Meanwhile I was occupying myself in classifying my mineralogical, botanical, and zoological riches, when the accident happened to the Scotia. | A l’époque où ces événements se produisirent, je revenais d’une exploration scientifique entreprise dans les mauvaises terres du Nébraska, aux États-Unis. En ma qualité de professeur-suppléant au Muséum d’histoire naturelle de Paris, le gouvernement français m’avait joint à cette expédition. Après six mois passés dans le Nébraska, chargé de précieuses collections, j’arrivai à New-York vers la fin de mars. Mon départ pour France était fixé aux premiers jours de mai. Je m’occupais donc, en attendant, de classer mes richesses minéralogiques, botaniques et zoologiques, quand arriva l’incident du Scotia. |
| I was perfectly up in the subject which was the question of the day. How could I be otherwise? I had read and reread all the American and European papers without being any nearer a conclusion. This mystery puzzled me. Under the impossibility of forming an opinion, I jumped from one extreme to the other. That there really was something could not be doubted, and the incredulous were invited to put their finger on the wound of the Scotia. Akirill.com | J’étais parfaitement au courant de la question à l’ordre du jour, et comment ne l’aurais-je pas été? J’avais lu et relu tous les journaux américains et européens sans être plus avancé. Ce mystère m’intriguait. Dans l’impossibilité de me former une opinion, je flottais d’un extrême à l’autre. Qu’il y eût quelque chose, cela ne pouvait être douteux, et les incrédules étaient invités à mettre le doigt sur la plaie du Scotia. |
| On my arrival at New York the question was at its height. The theory of the floating island, and the unapproachable sandbank, supported by minds little competent to form a judgment, was abandoned. And, indeed, unless this shoal had a machine in its stomach, how could it change its position with such astonishing rapidity? | A mon arrivée à New-York, la question brûlait. L’hypothèse de l’îlot flottant, de l’écueil insaisissable, soutenue par quelques esprits peu compétents, était absolument abandonnée. Et, en effet, à moins que cet écueil n’eût une machine dans le ventre, comment pouvait-il se déplacer avec une rapidité si prodigieuse? |
| From the same cause, the idea of a floating hull of an enormous wreck was given up. | De même fut repoussée l’existence d’une coque flottante, d’une énorme épave, et toujours à cause de la rapidité du déplacement. |
| There remained, then, only two possible solutions of the question, which created two distinct parties: on one side, those who were for a monster of colossal strength; on the other, those who were for a submarine vessel of enormous motive power. | Restaient donc deux solutions possibles de la question, qui créaient deux clans très-distincts de partisans: d’un côté, ceux qui tenaient pour un monstre d’une force colossale; de l’autre, ceux qui tenaient pour un bateau «sous-marin» d’une extrême puissance motrice. |
| But this last theory, plausible as it was, could not stand against inquiries made in both worlds. That a private gentleman should have such a machine at his command was not likely. Where, when, and how was it built? and how could its construction have been kept secret? Certainly a Government might possess such a destructive machine. And in these disastrous times, when the ingenuity of man has multiplied the power of weapons of war, it was possible that, without the knowledge of others, a State might try to work such a formidable engine. | Or, cette dernière hypothèse, admissible après tout, ne put résister aux enquêtes qui furent poursuivies dans les deux mondes. Qu’un simple particulier eût à sa disposition un tel engin mécanique, c’était peu probable. Où et quand l’eût-il fait construire, et comment aurait-il tenu cette construction secrète? Seul, un gouvernement pouvait posséder une pareille machine destructive, et, en ces temps désastreux où l’homme s’ingénie à multiplier la puissance des armes de guerre, il était possible qu’un État essayât à l’insu des autres ce formidable engin. Après les chassepots, les torpilles, après les torpilles, les béliers sous-marins, puis,—la réaction. Du moins, je l’espère. |
| But the idea of a war machine fell before the declaration of Governments. As public interest was in question, and transatlantic communications suffered, their veracity could not be doubted. But how admit that the construction of this submarine boat had escaped the public eye? For a private gentleman to keep the secret under such circumstances would be very difficult, and for a State whose every act is persistently watched by powerful rivals, certainly impossible. | Mais l’hypothèse d’une machine de guerre tomba encore devant la déclaration des gouvernements. Comme il s’agissait là d’un intérêt public, puisque les communications transocéaniennes en souffraient, la franchise des gouvernements ne pouvait être mise en doute. D’ailleurs, comment admettre que la construction de ce bateau sous-marin eût échappé aux yeux du public? Garder le secret dans ces circonstances est très-difficile pour un particulier, et certainement impossible pour un État dont tous les actes sont obstinément surveillés par les puissances rivales. |
| Donc, après enquêtes faites en Angleterre, en France, en Russie, en Prusse, en Espagne, en Italie, en Amérique, voire même en Turquie, l’hypothèse d’un Monitor sous-marin fut définitivement rejetée. Le monstre revint donc à flots, en dépit des incessantes plaisanteries dont le lardait la petite presse et, dans cette voie, les imaginations se laissèrent bientôt aller aux plus absurdes rêveries d’une ichthyologie fantastique. | |
| Upon my arrival in New York several persons did me the honour of consulting me on the phenomenon in question. I had published in France a work in quarto, in two volumes, entitled Mysteries of the Great Submarine Grounds. This book, highly approved of in the learned world, gained for me a special reputation in this rather obscure branch of Natural History. | A mon arrivée à New-York, plusieurs personnes m’avaient fait l’honneur de me consulter sur le phénomène en question. J’avais publié en France un ouvrage in-quarto en deux volumes intitulé: les Mystères des grands fonds sous-marins. Ce livre, particulièrement goûté du monde savant, faisait de moi un spécialiste dans cette partie assez obscure de l’histoire naturelle. |
| My advice was asked. As long as I could deny the reality of the fact, I confined myself to a decided negative. But soon, finding myself driven into a corner, I was obliged to explain myself point by point. I discussed the question in all its forms, politically and scientifically; and I give here an extract from a carefully-studied article which I published in the number of the 30th of April. It ran as follows: | Mon avis me fut demandé. Tant que je pus nier la réalité du fait, je me renfermai dans une absolue négation. Mais bientôt, collé au mur, je dus m’expliquer catégoriquement. Et même, «l’honorable Pierre Aronnax, professeur au Muséum de Paris,» fut mis en demeure par le New-York-Herald de formuler une opinion quelconque. Je m’exécutai. Je parlai faute de pouvoir me taire. Je discutai la question sous toutes ses faces, politiquement et scientifiquement, et je donne ici un extrait d’un article très-nourri que je publiai dans le numéro du 30 avril. |
| “After examining one by one the different theories, rejecting all other suggestions, it becomes necessary to admit the existence of a marine animal of enormous power. | «Ainsi donc, disais-je, après avoir examiné une à une les diverses hypothèses, toute autre supposition étant rejetée, il faut nécessairement admettre l’existence d’un animal marin d’une puissance excessive. Akirill.com |
| “The great depths of the ocean are entirely unknown to us. Soundings cannot reach them. What passes in those remote depths—what beings live, or can live, twelve or fifteen miles beneath the surface of the waters—what is the organisation of these animals, we can scarcely conjecture. However, the solution of the problem submitted to me may modify the form of the dilemma. | «Les grandes profondeurs de l’Océan nous sont totalement inconnues. La sonde n’a su les atteindre. Que se passe-t-il dans ces abîmes reculés? Quels êtres habitent et peuvent habiter à douze ou quinze milles au-dessous de la surface des eaux? Quel est l’organisme de ces animaux? On saurait à peine le conjecturer. «Cependant, la solution du problème qui m’est soumis peut affecter la forme du dilemme. |
| Either we do know all the varieties of beings which people our planet, or we do not. If we do NOT know them all—if Nature has still secrets in the deeps for us, nothing is more conformable to reason than to admit the existence of fishes, or cetaceans of other kinds, or even of new species, of an organisation formed to inhabit the strata inaccessible to soundings, and which an accident of some sort has brought at long intervals to the upper level of the ocean. | «Ou nous connaissons toutes les variétés d’êtres qui peuplent notre planète, ou nous ne les connaissons pas. «Si nous ne les connaissons pas toutes, si la nature a encore des secrets pour nous en ichthyologie, rien de plus acceptable que d’admettre l’existence de poissons ou de cétacés, d’espèces ou même de genres nouveaux, d’une organisation essentiellement «fondrière», qui habitent les couches inaccessibles à la sonde, et qu’un événement quelconque, une fantaisie, un caprice, si l’on veut, ramène à de longs intervalles vers le niveau supérieur de l’Océan. |
| “If, on the contrary, we DO know all living kinds, we must necessarily seek for the animal in question amongst those marine beings already classed; and, in that case, I should be disposed to admit the existence of a gigantic narwhal. | «Si, au contraire, nous connaissons toutes les espèces vivantes, il faut nécessairement chercher l’animal en question parmi les êtres marins déjà catalogués, et dans ce cas, je serais disposé à admettre l’existence d’un Narwal géant. |
| “The common narwhal, or unicorn of the sea, often attains a length of sixty feet. Increase its size fivefold or tenfold, give it strength proportionate to its size, lengthen its destructive weapons, and you obtain the animal required. It will have the proportions determined by the officers of the Shannon, the instrument required by the perforation of the Scotia, and the power necessary to pierce the hull of the steamer. | «Le narwal vulgaire ou licorne de mer atteint souvent une longueur de soixante pieds. Quintuplez, décuplez même cette dimension, donnez à ce cétacé une force proportionnelle à sa taille, accroissez ses armes offensives, et vous obtenez l’animal voulu. Il aura les proportions déterminées par les officiers du Shannon, l’instrument exigé par la perforation du Scotia, et la puissance nécessaire pour entamer la coque d’un steamer. |
| “Indeed, the narwhal is armed with a sort of ivory sword, a halberd, according to the expression of certain naturalists. The principal tusk has the hardness of steel. Some of these tusks have been found buried in the bodies of whales, which the unicorn always attacks with success. | «En effet, le narwal est armé d’une sorte d’épée d’ivoire, d’une hallebarde, suivant l’expression de certains naturalistes. C’est une dent principale qui a la dureté de l’acier. On a trouvé quelques-unes de ces dents implantées dans le corps des baleines que le narwal attaque toujours avec succès. |
| Others have been drawn out, not without trouble, from the bottoms of ships, which they had pierced through and through, as a gimlet pierces a barrel. The Museum of the Faculty of Medicine of Paris possesses one of these defensive weapons, two yards and a quarter in length, and fifteen inches in diameter at the base. | D’autres ont été arrachées, non sans peine, de carènes de vaisseaux qu’elles avaient percées d’outre en outre, comme un foret perce un tonneau. Le musée de la Faculté de médecine de Paris possède une de ces défenses longue de deux mètres vingt-cinq centimètres, et large de quarante-huit centimètres à sa base! |
| “Very well! suppose this weapon to be six times stronger and the animal ten times more powerful; launch it at the rate of twenty miles an hour, and you obtain a shock capable of producing the catastrophe required. Until further information, therefore, I shall maintain it to be a sea-unicorn of colossal dimensions, armed not with a halberd, but with a real spur, as the armoured frigates, or the `rams’ of war, whose massiveness and motive power it would possess at the same time. | «Eh bien! supposez l’arme dix fois plus forte, et l’animal dix fois plus puissant, lancez-le avec une rapidité de vingt milles à l’heure, multipliez sa masse par sa vitesse, et vous obtenez un choc capable de produire la catastrophe demandée. «Donc, jusqu’à plus amples informations, j’opinerais pour une licorne de mer, de dimensions colossales, armée, non plus d’une hallebarde, mais d’un véritable éperon comme les frégates cuirassées ou les «rams» de guerre, dont elle aurait à la fois la masse et la puissance motrice. |
| Thus may this puzzling phenomenon be explained, unless there be something over and above all that one has ever conjectured, seen, perceived, or experienced; which is just within the bounds of possibility.” | «Ainsi s’expliquerait ce phénomène inexplicable,—à moins qu’il n’y ait rien, en dépit de ce qu’on a entrevu, vu, senti et ressenti,—ce qui est encore possible!» |
| These last words were cowardly on my part; but, up to a certain point, I wished to shelter my dignity as professor, and not give too much cause for laughter to the Americans, who laugh well when they do laugh. I reserved for myself a way of escape. In effect, however, I admitted the existence of the “monster.” My article was warmly discussed, which procured it a high reputation. | Ces derniers mots étaient une lâcheté de ma part; mais je voulais jusqu’à un certain point couvrir ma dignité de professeur, et ne pas trop prêter à rire aux Américains, qui rient bien, quand ils rient. Je me réservais une échappatoire. Au fond, j’admettais l’existence du «monstre». Mon article fut chaudement discuté, ce qui lui valut un grand retentissement. |
| It rallied round it a certain number of partisans. The solution it proposed gave, at least, full liberty to the imagination. The human mind delights in grand conceptions of supernatural beings. And the sea is precisely their best vehicle, the only medium through which these giants (against which terrestrial animals, such as elephants or rhinoceroses, are as nothing) can be produced or developed. | Il rallia un certain nombre de partisans. La solution qu’il proposait, d’ailleurs, laissait libre carrière à l’imagination. L’esprit humain se plaît à ces conceptions grandioses d’êtres surnaturels. Or la mer est précisément leur meilleur véhicule, le seul milieu où ces géants,—près desquels les animaux terrestres, éléphants ou rhinocéros, ne sont que des nains,—puissent se produire et se développer. |
| Les masses liquides transportent les plus grandes espèces connues de mammifères, et peut-être recèlent-elles des mollusques d’une incomparable taille, des crustacés effrayants à contempler, tels que seraient des homards de cent mètres ou des crabes pesant deux cents tonnes! Pourquoi non? Autrefois, les animaux terrestres, contemporains des époques géologiques, les quadrupèdes, les quadrumanes, les reptiles, les oiseaux étaient construits sur des gabarits gigantesques. Le Créateur les avait jetés dans un moule colossal que le temps a réduit peu à peu. Pourquoi la mer, dans ses profondeurs ignorées, n’aurait-elle pas gardé ces vastes échantillons de la vie d’un autre âge, elle qui ne se modifie jamais, alors que le noyau terrestre change presque incessamment? Pourquoi ne cacherait-elle pas dans son sein les dernières variétés de ces espèces titanesques, dont les années sont des siècles, et les siècles des millénaires? Mais je me laisse entraîner à des rêveries qu’il ne m’appartient plus d’entretenir! Trêve à ces chimères que le temps a changées pour moi en réalités terribles. Je le répète, l’opinion se fit alors sur la nature du phénomène, et le public admit sans conteste l’existence d’un être prodigieux qui n’avait rien de commun avec les fabuleux serpents de mer. Mais si les uns ne virent là qu’un problème purement scientifique à résoudre, les autres, plus positifs, surtout en Amérique et en Angleterre, furent d’avis de purger l’Océan de ce redoutable monstre, afin de rassurer les communications transocéaniennes. | |
| The industrial and commercial papers treated the question chiefly from this point of view. The Shipping and Mercantile Gazette, the Lloyd’s List, the Packet-Boat, and the Maritime and Colonial Review, all papers devoted to insurance companies which threatened to raise their rates of premium, were unanimous on this point. Public opinion had been pronounced. | Les journaux industriels et commerciaux traitèrent la question principalement à ce point de vue. La Shipping and Mercantile Gazette, le Lloyd, le Paquebot, la Revue maritime et coloniale, toutes les feuilles dévouées aux Compagnies d’assurances qui menaçaient d’élever le taux de leurs primes, furent unanimes sur ce point. |
| The United States were the first in the field; and in New York they made preparations for an expedition destined to pursue this narwhal. A frigate of great speed, the Abraham Lincoln, was put in commission as soon as possible. The arsenals were opened to Commander Farragut, who hastened the arming of his frigate; but, as it always happens, the moment it was decided to pursue the monster, the monster did not appear. | L’opinion publique s’étant prononcée, les États de l’Union se déclarèrent les premiers. On fit à New-York les préparatifs d’une expédition destinée à poursuivre le narwal. Une frégate de grande marche, l’Abraham-Lincoln, se mit en mesure de prendre la mer au plus tôt. Les arsenaux furent ouverts au commandant Farragut, qui pressa activement l’armement de sa frégate. |
| For two months no one heard it spoken of. No ship met with it. It seemed as if this unicorn knew of the plots weaving around it. It had been so much talked of, even through the Atlantic cable, that jesters pretended that this slender fly had stopped a telegram on its passage and was making the most of it. | Précisément, et ainsi que cela arrive toujours, du moment que l’on se fut décidé à poursuivre le monstre, le monstre ne reparut plus. Pendant deux mois, personne n’en entendit parler. Aucun navire ne le rencontra. Il semblait que cette Licorne eût connaissance des complots qui se tramaient contre elle. On en avait tant causé, et même par le câble transatlantique! Aussi les plaisants prétendaient-ils que cette fine mouche avait arrêté au passage quelque télégramme dont elle faisait maintenant son profit. |
| So when the frigate had been armed for a long campaign, and provided with formidable fishing apparatus, no one could tell what course to pursue. Impatience grew apace, when, on the 2nd of July, they learned that a steamer of the line of San Francisco, from California to Shanghai, had seen the animal three weeks before in the North Pacific Ocean. The excitement caused by this news was extreme. The ship was revictualled and well stocked with coal. Akirill.com | Donc, la frégate armée pour une campagne lointaine et pourvue de formidables engins de pêche, on ne savait plus où la diriger. Et l’impatience allait croissant, quand, le 2 juillet, on apprit qu’un steamer de la ligne de San-Francisco de Californie à Shangaï avait revu l’animal, trois semaines auparavant, dans les mers septentrionales du Pacifique. L’émotion causée par cette nouvelle fut extrême. On n’accorda pas vingt-quatre heures de répit au commandant Farragut. Ses vivres étaient embarqués. Ses soutes regorgeaient de charbon. |
| Pas un homme ne manquait à son rôle d’équipage. Il n’avait qu’à allumer ses fourneaux, à chauffer, 13à démarrer! On ne lui eût pas pardonné une demi-journée de retard! D’ailleurs, le commandant Farragut ne demandait qu’à partir. | |
| Three hours before the Abraham Lincoln left Brooklyn pier, I received a letter worded as follows: | Trois heures avant que l’Abraham-Lincoln ne quittât la pier de Brooklyn, je reçus une lettre libellée en ces termes: |
| To M. ARONNAX, Professor in the Museum of Paris, Fifth Avenue Hotel, New York. | «Monsieur Aronnax, professeur au Muséum de Paris, «Fifth Avenue Hotel. «New-York. |
| SIR,—If you will consent to join the Abraham Lincoln in this expedition, the Government of the United States will with pleasure see France represented in the enterprise. Commander Farragut has a cabin at your disposal. | «Monsieur, «Si vous voulez vous joindre à l’expédition de l’Abraham-Lincoln, le gouvernement de l’Union verra avec plaisir que la France soit représentée par vous dans cette entreprise. Le commandant Farragut tient une cabine à votre disposition. |
| Very cordially yours, J.B. HOBSON, Secretary of Marine. | «Très-cordialement, votre «J.-B. Hobson, «Secrétaire de la marine.» |
| CHAPTER III I FORM MY RESOLUTION | CHAPITRE III COMME IL PLAIRA A MONSIEUR. |
| Three seconds before the arrival of J. B. Hobson’s letter I no more thought of pursuing the unicorn than of attempting the passage of the North Sea. Three seconds after reading the letter of the honourable Secretary of Marine, I felt that my true vocation, the sole end of my life, was to chase this disturbing monster and purge it from the world. | Trois secondes avant l’arrivée de la lettre de J.-B. Hobson, je ne songeais pas plus à poursuivre la Licorne qu’à tenter le passage du Nord-Ouest. Trois secondes après avoir lu la lettre de l’honorable secrétaire de la marine, je comprenais enfin que ma véritable vocation, l’unique but de ma vie, était de chasser ce monstre inquiétant et d’en purger le monde. |
| But I had just returned from a fatiguing journey, weary and longing for repose. I aspired to nothing more than again seeing my country, my friends, my little lodging by the Jardin des Plantes, my dear and precious collections—but nothing could keep me back! I forgot all—fatigue, friends and collections—and accepted without hesitation the offer of the American Government. | Cependant, je revenais d’un pénible voyage, fatigué, avide de repos. Je n’aspirais plus qu’à revoir mon pays, mes amis, mon petit logement du Jardin des Plantes, mes chères et précieuses collections! Mais rien ne put me retenir. J’oubliai tout, fatigues, amis, collections, et j’acceptai sans plus de réflexions l’offre du gouvernement américain. |
| “Besides,” thought I, “all roads lead back to Europe; and the unicorn may be amiable enough to hurry me towards the coast of France. This worthy animal may allow itself to be caught in the seas of Europe (for my particular benefit), and I will not bring back less than half a yard of his ivory halberd to the Museum of Natural History.” But in the meanwhile I must seek this narwhal in the North Pacific Ocean, which, to return to France, was taking the road to the antipodes. | «D’ailleurs, pensai-je, tout chemin ramène en Europe, et la Licorne sera assez aimable pour m’entraîner vers les côtes de France! Ce digne animal se laissera prendre dans les mers d’Europe,—pour mon agrément personnel,—et je ne veux pas rapporter moins d’un demi-mètre de sa hallebarde d’ivoire au Muséum d’histoire naturelle.» Mais, en attendant, il me fallait chercher ce narwal dans le nord de l’Océan Pacifique; ce qui, pour revenir en France, était prendre le chemin des antipodes. |
| “Conseil,” I called in an impatient voice. | «Conseil!» criai-je d’une voix impatiente. |
| Conseil was my servant, a true, devoted Flemish boy, who had accompanied me in all my travels. I liked him, and he returned the liking well. He was quiet by nature, regular from principle, zealous from habit, evincing little disturbance at the different surprises of life, very quick with his hands, and apt at any service required of him; and, despite his name, never giving advice—even when asked fore it. | Conseil était mon domestique. Un garçon dévoué qui m’accompagnait dans tous mes voyages; un brave flamand que j’aimais et qui me le rendait bien; un être phlegmatique par nature, régulier par principe, zélé par habitude, s’étonnant peu des surprises de la vie, très-adroit de ses mains, apte à tout service, et, en dépit de son nom, ne donnant jamais de conseils,—même quand on ne lui en demandait pas. |
| Conseil had followed me for the last ten years wherever science led. Never once did he complain of the length or fatigue of a journey, never make an objection to pack his portmanteau for whatever country it might be, or however far away, whether China or Congo. Besides all this, he had good health, which defied all sickness, and solid muscles, but no nerves; good morals are understood. This boy was thirty years old, and his age to that of his master as fifteen to twenty. May I be excused for saying that I was forty years old? | A se frotter aux savants de notre petit monde du Jardin des Plantes, Conseil en était venu à savoir quelque chose. J’avais en lui un spécialiste, très-ferré sur la classification en histoire naturelle, parcourant avec une agilité d’acrobate toute l’échelle des embranchements, des groupes, des classes, des sous-classes, des ordres, des familles, des genres, des sous-genres, des espèces et des variétés. Mais sa science s’arrêtait là. Classer, c’était sa vie, et il n’en savait pas davantage. Très-versé dans la théorie de la classification, peu dans la pratique, il n’eût pas distingué, je crois, un cachalot d’une baleine! Et cependant, quel brave et digne garçon! |
| Conseil, jusqu’ici et depuis dix ans, m’avait suivi partout où m’entraînait la science. Jamais une réflexion de lui sur la longueur ou la fatigue d’un voyage. Nulle objection à boucler sa valise pour un pays quelconque, Chine ou Congo, si éloigné qu’il fût. Il allait là comme ici, sans en demander davantage. D’ailleurs d’une belle santé qui défiait toutes les maladies; des muscles solides, mais pas de nerfs, pas l’apparence de nerfs,—au moral, s’entend. Ce garçon avait trente ans, et son âge était à celui de son maître comme quinze est à vingt. Qu’on m’excuse de dire ainsi que j’avais quarante ans. | |
| But Conseil had one fault: he was ceremonious to a degree, and would never speak to me but in the third person, which was sometimes provoking. | Seulement, Conseil avait un défaut. Formaliste enragé, il ne me parlait jamais qu’à la troisième personne,—au point d’en être agaçant. |
| “Conseil,” said I again, beginning with feverish hands to make preparations for my departure. | «Conseil!» répétai-je, tout en commençant d’une main fébrile mes préparatifs de départ. |
| Certainly I was sure of this devoted boy. As a rule, I never asked him if it were convenient for him or not to follow me in my travels; but this time the expedition in question might be prolonged, and the enterprise might be hazardous in pursuit of an animal capable of sinking a frigate as easily as a nutshell. Here there was matter for reflection even to the most impassive man in the world. What would Conseil say? | Certainement, j’étais sûr de ce garçon si dévoué. D’ordinaire, je ne lui demandais jamais s’il lui convenait ou non de me suivre dans mes voyages; mais cette fois, il s’agissait d’une expédition qui pouvait indéfiniment se prolonger, d’une entreprise hasardeuse, à la poursuite d’un animal capable de couler une frégate comme une coque de noix! Il y avait là matière à réflexion, même pour l’homme le plus impassible du monde! Qu’allait dire Conseil? |
| “Conseil,” I called a third time. | «Conseil!» criai-je une troisième fois. |
| Conseil appeared. | Conseil parut. |
| “Did you call, sir?” said he, entering. | «Monsieur m’appelle? dit-il en entrant. |
| “Yes, my boy; make preparations for me and yourself too. We leave in two hours.” | —Oui, mon garçon. Prépare-moi, prépare-toi. Nous partons dans deux heures. |
| “As you please, sir,” replied Conseil, quietly. | —Comme il plaira à monsieur, répondit tranquillement Conseil. |
| “Not an instant to lose; lock in my trunk all travelling utensils, coats, shirts, and stockings—without counting, as many as you can, and make haste.” | —Pas un instant à perdre. Mets dans ma malle tous mes ustensiles de voyage, des habits, des chemises, des chaussettes, sans compter, mais le plus que tu pourras, et hâte-toi! |
| “And your collections, sir?” observed Conseil. | —Et les collections de monsieur? fit observer Conseil. |
| —On s’en occupera plus tard. —Quoi! les archiotherium, les hyracotherium, les oréodons, les chéropotamus et autres carcasses de monsieur? | |
| “They wille keep them at the hotel.” | —On les gardera à l’hôtel. |
| —Et le babiroussa vivant de monsieur? —On le nourrira pendant notre absence. D’ailleurs, je donnerai l’ordre de nous expédier en France notre ménagerie. | |
| “We are not returning to Paris, then?” said Conseil. | —Nous ne retournons donc pas à Paris? demanda Conseil. |
| “Oh! certainly,” I answered, evasively, “by making a curve.” | —Si… certainement… répondis-je évasivement, mais en faisant un crochet. |
| “Will the curve please you, sir?” | —Le crochet qui plaira à monsieur. |
| “Oh! it will be nothing; not quite so direct a road, that is all. We take our passage in the Abraham, Lincoln.” | —Oh! ce sera peu de chose! Un chemin un peu moins direct, voilà tout. Nous prenons passage sur l’Abraham-Lincoln. |
| “As you think proper, sir,” coolly replied Conseil. | —Comme il conviendra à monsieur, répondit paisiblement Conseil. |
| “You see, my friend, it has to do with the monster—the famous narwhal. We are going to purge it from the seas. A glorious mission, but a dangerous one! We cannot tell where we may go; these animals can be very capricious. But we will go whether or no; we have got a captain who is pretty wide-awake.” | —Tu sais, mon ami, il s’agit du monstre… du fameux narwal… Nous allons en purger les mers!… L’auteur d’un ouvrage in-quarto en deux volumes sur les Mystères des grands fonds sous-marins ne peut se dispenser de s’embarquer avec le commandant Farragut. Mission glorieuse, mais… dangereuse aussi! On ne sait pas où l’on va! Ces bêtes-là peuvent être très-capricieuses! Mais nous irons quand même! Nous avons un commandant qui n’a pas froid aux yeux!… |
| —Comme fera monsieur, je ferai, répondit Conseil. —Et songes-y bien! car je ne veux rien te cacher. C’est là un de ces voyages dont on ne revient pas toujours! —Comme il plaira à monsieur.» Un quart d’heure après, nos malles étaient prêtes. Conseil avait fait en un tour de main, et j’étais sûr que rien ne manquait, car ce garçon classait les chemises et les habits aussi bien que les oiseaux ou les mammifères. L’ascenseur de l’hôtel nous déposa au grand vestibule de l’entresol. Je descendis les quelques marches qui conduisaient au rez-de-chaussée. Je réglai ma note à ce vaste comptoir toujours assiégé par une foule considérable. Je donnai l’ordre d’expédier pour Paris (France) mes ballots d’animaux empaillés et de plantes desséchées. Je fis ouvrir un crédit suffisant au babiroussa, et, Conseil me suivant, je sautai dans une voiture. Le véhicule à vingt francs la course descendit Broadway jusqu’à Union-square, suivit Fourth-Avenue jusqu’à sa jonction avec Bowery-street, prit Katrin-street et s’arrêta à la trente-quatrième pier[2]. Là, le Katrin-ferry-boat nous transporta, hommes, chevaux et voiture, à Brooklyn, la grande annexe de New-York, située sur la rive gauche de la rivière de l’Est, et en quelques minutes, nous arrivions au quai près duquel l’Abraham-Lincoln vomissait par ses deux cheminées des torrents de fumée noire. | |
| Our luggage was transported to the deck of the frigate immediately. I hastened on board and asked for Commander Farragut. One of the sailors conducted me to the poop, where I found myself in the presence of a good-looking officer, who held out his hand to me. | Nos bagages furent immédiatement transbordés sur le pont de la frégate. Je me précipitai à bord. Je demandai le commandant Farragut. Un des matelots me conduisit sur la dunette, où je me trouvai en présence d’un officier de bonne mine qui me tendit la main. |
| “Monsieur Pierre Aronnax?” said he. | «Monsieur Pierre Aronnax? me dit-il. |
| “Himself,” replied I. “Commander Farragut?” | —Lui-même, répondis-je. Le commandant Farragut? |
| “You are welcome, Professor; your cabin is ready for you.” | —En personne. Soyez le bienvenu, monsieur le professeur. Votre cabine vous attend.» |
| I bowed, and desired to be conducted to the cabin destined for me. | Je saluai, et laissant le commandant aux soins de son appareillage, je me fis conduire à la cabine qui m’était destinée. |
| The Abraham Lincoln had been well chosen and equipped for her new destination. She was a frigate of great speed, fitted with high-pressure engines which admitted a pressure of seven atmospheres. Under this the Abraham Lincoln attained the mean speed of nearly eighteen knots and a third an hour—a considerable speed, but, nevertheless, insufficient to grapple with this gigantic cetacean. | L’Abraham-Lincoln avait été parfaitement choisi et aménagé pour sa destination nouvelle. C’était une frégate de grande marche, munie d’appareils surchauffeurs, qui permettaient de porter à sept atmosphères la tension de sa vapeur. Sous cette pression, l’Abraham-Lincoln atteignait une vitesse moyenne de dix-huit milles et trois dixièmes à l’heure, vitesse considérable, mais cependant insuffisante pour lutter avec le gigantesque cétacé. |
| The interior arrangements of the frigate corresponded to its nautical qualities. I was well satisfied with my cabin, which was in thee after part, opening upon the gunroom. | Les aménagements intérieurs de la frégate répondaient à ses qualités nautiques. Je fus très-satisfait de ma cabine, située à l’arrière, qui s’ouvrait sur le carré des officiers. |
| “We shall be well off here,” said I to Conseil. | «Nous serons bien ici, dis-je à Conseil. |
| “As well, by your honour’s leave, as a hermit-crab in the shell of a whelk,” said Conseil. | —Aussi bien, n’en déplaise à monsieur, répondit Conseil, qu’un bernard-l’hermite dans la coquille d’un buccin.» |
| I left Conseil to stow our trunks conveniently away, and remounted the poop in order to survey the preparations for departure. | Je laissai Conseil arrimer convenablement nos malles, et je remontai sur le pont afin de suivre les préparatifs de l’appareillage. |
| At that moment Commander Farragut was ordering the last moorings to be cast loose which held the Abraham Lincoln to the pier of Brooklyn. So in a quarter of an hour, perhaps less, the frigate would have sailed without me. I should have missed this extraordinary, supernatural, and incredible expedition, the recital of which may well meet with some suspicion. | A ce moment, le commandant Farragut faisait larguer les dernières amarres qui retenaient l’Abraham-Lincoln à la pier de Brooklyn. Ainsi donc, un quart d’heure de retard, moins même, et la frégate partait sans moi, et je manquais cette expédition extraordinaire, surnaturelle, invraisemblable, dont le récit véridique pourra bien trouver cependant quelques incrédules. |
| But Commander Farragut would not lose a day nor an hour in scouring the seas in which the animal had been sighted. He sent for the engineer. | Mais le commandant Farragut ne voulait perdre ni un jour, ni une heure pour rallier les mers dans lesquelles l’animal venait d’être signalé. Il fit venir son ingénieur. |
| “Is the steam full on?” asked he. | «Sommes-nous en pression? lui demanda-t-il. |
| “Yes, sir,” replied the engineer. | —Oui, monsieur, répondit l’ingénieur. |
| “Go ahead,” cried Commander Farragut. | —«Go ahead,» cria le commandant Farragut. |
| A cet ordre, qui fut transmis à la machine au moyen d’appareils à air comprimé, les mécaniciens firent agir la roue de la mise en train. La vapeur siffla en se précipitant dans les tiroirs entr’ouverts. Les longs pistons horizontaux gémirent et poussèrent les bielles de l’arbre. Les branches de l’hélice battirent les flots avec une rapidité croissante, et l’Abraham-Lincoln s’avança majestueusement au milieu d’une centaine de ferry-boats et de tenders[3] chargés de spectateurs, qui lui faisaient cortége. Les quais de Brooklyn et toute la partie de New-York qui borde la rivière de l’Est étaient couverts de curieux. Trois hurrahs, partis de cinq cent mille poitrines, éclatèrent successivement. Des milliers de mouchoirs s’agitèrent au-dessus de la masse compacte et saluèrent l’Abraham-Lincoln jusqu’à son arrivée dans les eaux de l’Hudson, à la pointe de cette presqu’île allongée qui forme la ville de New-York. Alors, la frégate, suivant du côté de New-Jersey l’admirable rive droite du fleuve toute chargée de villas, passa entre les forts qui la saluèrent de leurs plus gros canons. L’Abraham-Lincoln répondit en amenant et en hissant trois fois le pavillon américain, dont les trente-neuf étoiles resplendissaient à sa corne d’artimon; puis, modifiant sa marche pour prendre le chenal balisé qui s’arrondit dans la baie intérieure formée par la pointe de Sandy-Hook, il rasa cette langue sablonneuse où quelques milliers de spectateurs l’acclamèrent encore une fois. Le cortége des boats et des tenders suivait toujours la frégate, et il ne la quitta qu’à la hauteur du light-boat dont les deux feux marquent l’entrée des passes de New-York. Trois heures sonnaient alors. Le pilote descendit dans son canot, et rejoignit la petitee goëlette qui l’attendait sous le vent. Les feux furent poussés; l’hélice battit plus rapidement les flots; la frégate longea la côte jaune et basse de Long-Island, et, à huit heures du soir, après avoir perdu dans le nord-ouest les feux de Fire-Island, elle courut à toute vapeur sur les sombres eaux de l’Atlantique. | |
| CHAPTER IV NED LAND | CHAPITRE IV NED LAND. |
| Captain Farragut was a good seaman, worthy of the frigate he commanded. His vessel and he were one. He was the soul of it. On the question of the monster there was no doubt in his mind, and he would not allow the existence of the animal to be disputed on board. He believed in it, as certain good women believe in the leviathan—by faith, not by reason. The monster did exist, and he had sworn to rid the seas of it. Either Captain Farragut would kill the narwhal, or the narwhal would kill the captain. There was no third course. | Le commandant Farragut était un bon marin, digne de la frégate qu’il commandait. Son navire et lui ne faisaient qu’un. Il en était l’âme. Sur la question du cétacé, aucun doute ne s’élevait dans son esprit, et il ne permettait pas que l’existence de l’animal fût discutée à son bord. Il y croyait comme certaines bonnes femmes croient au Léviathan,—par foi, non par raison. Le monstre existait, il en délivrerait les mers, il l’avait juré. C’était une sorte de chevalier de Rhodes, un Dieudonné de Gozon, marchant à la rencontre du serpent qui désolait son île. Ou le commandant Farragut tuerait le narwal, ou le narwal tuerait le commandant Farragut. Pas de milieu. |
| The officers on board shared the opinion of their chief. They were ever chatting, discussing, and calculating the various chances of a meeting, watching narrowly the vast surface of the ocean. More than one took up his quarters voluntarily in the cross-trees, who would have cursed such a berth under any other circumstances. As long as the sun described its daily course, the rigging was crowded with sailors, whose feet were burnt to such an extent by the heat of the deck as to render it unbearable; still the Abraham Lincoln had not yet breasted the suspected waters of the Pacific. As to the ship’s company, they desired nothing better than to meet the unicorn, to harpoon it, hoist it on board, and despatch it. They watched the sea with eager attention. | Les officiers du bord partageaient l’opinion de leur chef. Il fallait les entendre causer, discuter, disputer, calculer les diverses chances d’une rencontre, et observer la vaste étendue de l’Océan. Plus d’un s’imposait un quart volontaire dans les barres de perroquet, qui eût maudit une telle corvée en toute autre circonstance. Tant que le soleil décrivait son arc diurne, la mâture était peuplée de matelots auxquels les planches du pont brûlaient les pieds, et qui n’y pouvaient tenir en place! Et cependant, l’Abraham-Lincoln ne tranchait pas encore de son étrave les eaux suspectes du Pacifique. Quant à l’équipage, il ne demandait qu’à rencontrer la licorne, à la harponner, à la hisser à bord, à la dépecer. Il surveillait la mer avec une scrupuleuse attention. |
| Besides, Captain Farragut had spoken of a certain sum of two thousand dollars, set apart for whoever should first sight the monster, were he cabin-boy, common seaman, or officer. | D’ailleurs, le commandant Farragut parlait d’une certaine somme de deux mille dollars, réservée à quiconque, mousse ou matelot, maître ou officier, signalerait l’animal. |
| I leave you to judge how eyes were used on board the Abraham Lincoln. | Je laisse à penser si les yeux s’exerçaient à bord de l’Abraham-Lincoln. |
| For my own part I was not behind the others, and, left to no one my share of daily observations. The frigate might have been called the Argus, for a hundred reasons. Only one amongst us, Conseil, seemed to protest by his indifference against the question which so interested us all, and seemed to be out of keeping with the general enthusiasm on board. | Pour mon compte, je n’étais pas en reste avec les autres, et je ne laissais à personne ma part d’observations quotidiennes. La frégate aurait eu cent fois raison de s’appeler l’Argus. Seul entre tous, Conseil protestait par son indifférence touchant la question qui nous passionnait, et détonait sur l’enthousiasme général du bord. |
| I have said that Captain Farragut had carefully provided his ship with every apparatus for catching the gigantic cetacean. No whaler had ever been bettere armed. We possessed every known engine, from the harpoon thrown by the hand to the barbed arrows of the blunderbuss, and the explosive balls of the duck-gun. On the forecastle lay the perfection of a breech-loading gun, very thick at the breech, and very narrow in the bore, the model of which had been in the Exhibition of 1867. This precious weapon of American origin could throw with ease a conical projectile of nine pounds to a mean distance of ten miles. | J’ai dit que le commandant Farragut avait soigneusement pourvu son navire d’appareils propres à pêcher le gigantesque cétacé. Un baleinier n’eût pas été mieux armé. Nous possédions tous les engins connus, depuis le harpon qui se lance à la main, jusqu’aux flèches barbelées des espingoles et aux balles explosibles des canardières. Sur le gaillard d’avant s’allongeait un canon perfectionné, se chargeant par la culasse, très-épais de parois, très-étroit d’âme, et dont le modèle doit figurer à l’Exposition universelle de 1867. Ce précieux instrument, d’origine américaine, envoyait, sans se gêner, un projectile conique de quatre kilogrammes à une distance moyenne de seize kilomètres. |
| Thus the Abraham Lincoln wanted for no means of destruction; and, what was better still she had on board Ned Land, the prince of harpooners. | Donc, l’Abraham-Lincoln ne manquait d’aucun moyen de destruction. Mais il avait mieux encore. Il avait Ned Land, le roi des harponneurs. |
| Ned Land was a Canadian, with an uncommon quickness of hand, and who knew no equal in his dangerous occupation. Skill, coolness, audacity, and cunning he possessed in a superior degree, and it must be a cunning whale to escape the stroke of his harpoon. | Ned Land était un Canadien, d’une habileté de main peu commune, et qui ne connaissait pas d’égal dans son périlleux métier. Adresse et sang-froid, audace et ruse, il possédait ces qualités à un degré supérieur, et il fallait être une baleine bien maligne, ou un cachalot singulièrement astucieux pour échapper à son coup de harpon. |
| Ned Land was about forty years of age; he was a tall man (more than six feet high), strongly built, grave and taciturn, occasionally violent, and very passionate when contradicted. His person attracted attention, but above all the boldness of his look, which gave a singular expression to his face. | Ned Land avait environ quarante ans. C’était un homme de grande taille,—plus de six pieds anglais,—vigoureusement bâti, l’air grave, peu communicatif, violent parfois, et très-rageur quand on le contrariait. Sa personne provoquait l’attention, et surtout la puissance de son regard qui accentuait singulièrement sa physionomie. |
| Je crois que le commandant Farragut avait sagement fait d’engager cet homme à son bord. Il valait tout l’équipage, à lui seul, pour l’œil et le bras. Je ne saurais le mieux comparer qu’à un télescope puissant qui serait en même temps un canon toujours prêt à partir. | |
| Who calls himself Canadian calls himself French; and, little communicative as Ned Land was, I must admit that he took a certain liking for me. My nationality drew him to me, no doubt. It was an opportunity for him to talk, and for me to hear, that old language of Rabelais, which is still in use in some Canadian provinces. The harpooner’s family was originally from Quebec, and was already a tribe of hardy fishermen when this town belonged to France. | Qui dit Canadien, dit Français, et, si peu communicatif que fût Ned Land, je dois avouer qu’il se prit d’une certaine affection pour moi. Ma nationalité l’attirait sans doute. C’était une occasion pour lui de parler, et pour moi d’entendre cette vieille langue de Rabelais qui est encore en usage dans quelques provinces canadiennes. La famille du harponneur était originaire de Québec, et formait déjà une tribu de hardis pêcheurs à l’époque où cette ville appartenait à la France. |
| Little by little, Ned Land acquired a taste for chatting, and I loved to hear the recital of his adventures in the polar seas. He related his fishing, and his combats, with natural poetry of expression; his recital took the form of an epic poem, and I seemed to be listening to a Canadian Homer singing the Iliad of the regions of the North. | Peu à peu, Ned prit goût à causer, et j’aimais à entendree le récit de ses aventures dans les mers polaires. Il racontait ses pêches et ses combats avec une grande poésie naturelle. Son récit prenait une forme épique, et je croyais écouter quelque Homère canadien, chantant l’Iliade des régions hyperboréennes. |
| I am portraying this hardy companion as I really knew him. We are old friends now, united in that unchangeable friendship which is born and cemented amidst extreme dangers. Ah, brave Ned! I ask no more than to live a hundred years longer, that I may have more time to dwell the longer on your memory. | Je dépeins maintenant ce hardi compagnon, tel que je le connais actuellement. C’est que nous sommes devenus de vieux amis, unis de cette inaltérable amitié qui naît et se cimente dans les plus effrayantes conjonctures! Ah! brave Ned! je ne demande qu’à vivre cent ans encore, pour me souvenir plus longtemps de toi! |
| Now, what was Ned Land’s opinion upon the question of the marine monster? I must admit that he did not believe in the unicorn, and was the only one on board who did not share that universal conviction. He even avoided the subject, which I one day thought it my duty to press upon him. One magnificent evening, the 30th July (that is to say, three weeks after our departure), the frigate was abreast of Cape Blanc, thirty miles to leeward of the coast of Patagonia. We had crossed the tropic of Capricorn, and the Straits of Magellan opened less than seven hundred miles to the south. Before eight days were over the Abraham Lincoln would be ploughing the waters of the Pacific. | Et maintenant, quelle était l’opinion de Ned Land sur la question du monstre marin? Je dois avouer qu’il ne croyait guère à la licorne, et que, seul à bord, il ne partageait pas la conviction générale. Il évitait même de traiter ce sujet, sur lequel je crus devoir l’entreprendre un jour. Par une magnifique soirée du 30 juillet, c’est-à-dire trois semaines après notre départ, la frégate se trouvait à la hauteur du cap Blanc, à trente milles sous le vent des côtes patagonnes. Nous avions dépassé le tropique du Capricorne, et le détroit de Magellan s’ouvrait à moins de sept cent milles dans le sud. Avant huit jours, l’Abraham-Lincoln sillonnerait les flots du Pacifique. |
| Seated on the poop, Ned Land and I were chatting of one thing and another as we looked at this mysterious sea, whose great depths had up to this time been inaccessible to the eye of man. I naturally led up the conversation to the giant unicorn, and examined the various chances of success or failure of the expedition. But, seeing that Ned Land let me speak without saying too much himself, I pressed him more closely. | Assis sur la dunette, Ned Land et moi, nous causions de choses et d’autres, regardant cette mystérieuse mer dont les profondeurs sont restées jusqu’ici inaccessibles aux regards de l’homme. J’amenai tout naturellement la conversation sur la licorne géante, et j’examinai les diverses chances de succès ou d’insuccès de notre expédition. Puis, voyant que Ned me laissait parler sans trop rien dire, je le poussai plus directement. |
| “Well, Ned,” said I, “is it possible that you are not convinced of the existence of this cetacean that we are following? Have you any particular reason for being so incredulous?” | «Comment, Ned, lui demandai-je, comment pouvez-vous ne pas être convaincu de l’existence du cétacé que nous poursuivons? Avez-vous donc des raisons particulières de vous montrer si incrédule?» |
| The harpooner looked at me fixedly for some moments before answering, struck his broad forehead with his hand (a habit of his), as if to collect himself, and said at last, “Perhaps I have, Mr. Aronnax.” | Le harponneur me regarda pendant quelques instants avant de répondre, frappa de sa main son large front par un geste qui lui était habituel, ferma les yeux comme pour se recueillir, et dit enfin: «Peut-être bien, monsieur Aronnax. |
| “But, Ned, you, a whaler by profession, familiarised with all the great marine mammalia—YOU ought to be the last to doubt under such circumstances!” | —Cependant, Ned, vous, un baleinier de profession, vous qui êtes familiarisé avec les grands mammifères marins, vous dont l’imagination doit aisément accepter l’hypothèse de cétacés énormes, vous devriez être le dernier à douter en de pareilles circonstances! |
| “That is just what deceives you, Professor,” replied Ned. “As a whaler I have followed many a cetacean, harpooned a great number, and killed several; but, however strong or well-armed they may have been, neither their tails nor their weapons would have been able even to scratch the iron plates of a steamer.” | —C’est ce qui vous trompe, monsieur le professeur, répondit Ned. Que le vulgaire croie à des comètes extraordinaires quie traversent l’espace, ou à l’existence de monstres antédiluviens qui peuplent l’intérieur du globe, passe encore, mais ni l’astronome, ni le géologue n’admettent de telles chimères. De même, le baleinier. J’ai poursuivi beaucoup de cétacés, j’en ai harponné un grand nombre, j’en ai tué plusieurs, mais si puissants et si bien armés qu’ils fussent, ni leurs queues, ni leurs défenses n’auraient pu entamer les plaques de tôle d’un steamer. |
| “But, Ned, they tell of ships which the teeth of the narwhal have pierced through and through.” | —Cependant, Ned, on cite des bâtiments que la dent du narwal a traversés de part en part. |
| “Wooden ships—that is possible,” replied the Canadian, “but I have never seen it done; and, until further proof, I deny that whales, cetaceans, or sea-unicorns could ever produce the effect you describe.” | —Des navires en bois, c’est possible, répondit le Canadien, et encore, je ne les ai jamais vus. Donc, jusqu’à preuve contraire, je nie que baleines, cachalots ou licornes puissent produire un pareil effet. |
| —Écoutez-moi, Ned… —Non, monsieur le professeur, non. Tout ce que vous voudrez excepté cela. Un poulpe gigantesque, peut-être?… —Encore moins, Ned. Le poulpe n’est qu’un mollusque, et ce nom même indique le peu de consistance de ses chairs. Eût-il cinq cents pieds de longueur, le poulpe, qui n’appartient point à l’embranchement des vertébrés, est tout à fait inoffensif pour des navires tels que le Scotia ou l’Abraham-Lincoln. Il faut donc rejeter au rang des fables les prouesses des Krakens ou autres monstres de cette espèce. —Alors, monsieur le naturaliste, reprit Ned Land d’un ton assez narquois, vous persistez à admettre l’existence d’un énorme cétacé…? | |
| “Well, Ned, I repeat it with a conviction resting on the logic of facts. I believe in the existence of a mammal power fully organised, belonging to the branch of vertebrata, like the whales, the cachalots, or the dolphins, and furnished with a horn of defence of great penetrating power.” | —Oui, Ned, je vous le répète avec une conviction qui s’appuie sur la logique des faits. Je crois à l’existence d’un mammifère, puissamment organisé, appartenant à l’embranchement des vertébrés, comme les baleines, les cachalots ou les dauphins, et muni d’une défense cornée dont la force de pénétration est extrême. |
| “Hum!” said the harpooner, shaking his head with the air of a man who would not be convinced. | —Hum! fit le harponneur, en secouant la tête de l’air d’un homme qui ne veut pas se laisser convaincre. |
| “Notice one thing, my worthy Canadian,” I resumed. “If such an animal is in existence, if it inhabits the depths of the ocean, if it frequents the strata lying miles below the surface of the water, it must necessarily possess an organisation the strength of which would defy all comparison.” | —Remarquez, mon digne Canadien, repris-je, que si un tel animal existe, s’il habite les profondeurs de l’Océan, s’il fréquente les couches liquides situées à quelques milles au-dessous de la surface des eaux, il possède nécessairement un organisme dont la solidité défie toute comparaison. |
| “And why this powerful organisation?” demanded Ned. | —Et pourquoi cet organisme si puissant? demanda Ned. |
| “Because it requires incalculable strength to keep one’s self in these strata and resist their pressure. Listen to me. Let us admit that the pressure of the atmosphere is represented by the weight of a column of water thirty-two feet high. In reality the column of water would be shorter, as we are speaking of sea water, the density of which is greater than that of fresh water. Very well, when you dive, Ned, as many times 32 feet of water as there are above you, so many times does your body bear a pressure equal to that of the atmosphere, that is to say, 15 lb. for each square inch of its surface. It follows, then, that at 320 feet this pressure equals that of 10 atmospheres, of 100 atmospheres at 3,200 feet, and of 1,000 atmospheres at 32,000 feet, that is, about 6 miles; which is equivalent to saying that if you could attain this depth in the ocean, each square three-eighths of an inch of the surface of your body would bear a pressure of 5,600 lb. Ah! my brave Ned, do you know how many square inches you carry on the surface of your body?” | —Parce qu’il faut une force incalculable pour se maintenir dans les couches profondes et résister à leur pression. —Vraiment? dit Ned qui me regardait en clignant de l’œil. —Vraiment, et quelques chiffres vous le prouveront sans peine. —Oh! les chiffres! répliqua Ned. On fait ce qu’on veut avec les chiffres! —En affaires, Ned, mais non en mathématiques. Écoutez-moi. Admettons que la pression d’une atmosphère soit représentée par la pression d’une colonne d’eau haute de trente-deux pieds. En réalité, la colonne d’eau serait d’une moindre hauteur, puisqu’il s’agit de l’eau de mer dont la densité est supérieure à celle de l’eau douce. Eh bien, quand vous plongez, Ned, autant de fois trente-deux pieds d’eau au-dessus de vous, autant de fois votre corps supporte une pression égale à celle de l’atmosphère, c’est-à-dire de kilogrammes par chaque centimètre carré de sa surface. Il suit de là qu’à trois cent vingt pieds cette pression est de dix atmosphères, de cent atmosphères à trois mille deux cents pieds, et de mille atmosphères à trente-deux mille pieds, soit deux lieues et demie environ. Ce qui équivaut à dire que si vous pouviez atteindre cette profondeur dans l’Océan, chaque centimètre carré de la surface de votre corps subirait une pression de mille kilogrammes. Or, mon brave Ned, savez-vous ce que vous avez de centimètres carrés en surface? |
| “I have no idea, Mr. Aronnax.” | —Je ne m’en doute pas, monsieur Aronnax. |
| “About 6,500; and as in reality the atmospheric pressure is about 15 lb. to the square inch, your 6,500 square inches bear at this moment a pressure of 97,500 lb.” | —Environ dix-sept mille. —Tant que cela? —Et comme en réalité la pression atmosphérique est un peu supérieure au poids d’un kilogramme par centimètre carré, vos dix-sept mille centimètres carrés supportent en ce moment une pression de dix-sept mille cinq cent soixante-huit kilogrammes. |
| “Without my perceiving it?” | —Sans que je m’en aperçoive? |
| “Without your perceiving it. And if you are not crushed by such a pressure, it is because the air penetrates the interior of your body with equal pressure. Hence perfect equilibrium between the interior and exterior pressure, which thus neutralise each other, and which allows you to bear it without inconvenience. But in the water it is another thing.” | —Sans que vous vous en aperceviez. Et si vous n’êtes pas écrasé par une telle pression, c’est que l’air pénètre à l’intérieur de votre corps avec une pression égale. De là un équilibre parfait entre la poussée intérieure et la poussée extérieure, qui se neutralisent, ce qui vous permet de les supporter sans peine. Mais dans l’eau, c’est autre chose. |
| “Yes, I understand,” replied Ned, becoming more attentive; “because the water surrounds me, but does not penetrate.” | Oui, je comprends, répondit Ned, devenu plus attentif, parce que l’eau m’entoure et ne me pénètre pas. |
| “Preciselye , Ned: so that at 32 feet beneath the surface of the sea you would undergo a pressure of 97,500 lb.; at 320 feet, ten times that pressure; at 3,200 feet, a hundred times that pressure; lastly, at 32,000 feet, a thousand times that pressure would be 97,500,000 lb.—that is to say, that you would be flattened as if you had been drawn from the plates of a hydraulic machine!” | —Précisément, Ned. Ainsi donc, à trente-deux pieds au-dessous de la surface de la mer, vous subiriez une pression de dix-sept mille cinq cent soixante-huit kilogrammes; à trois cent vingt pieds, dix fois cette pression, soit cent soixante-quinze mille six cent quatre-vingt kilogrammes; à trois mille deux cents pieds, cent fois cette pression, soit dix-sept cent cinquante-six mille huit cent kilogrammes; à trente-deux mille pieds, enfin, mille fois cette pression, soit dix-sept millions cinq cent soixante-huit mille kilogrammes; c’est-à-dire que vous seriez aplati comme si l’on vous retirait des plateaux d’une machine hydraulique! Ned Land avait environ quarante ans. (Page 20.) |
| “The devil!” exclaimed Ned. | —Diable! fit Ned. |
| “Very well, my worthy harpooner, if some vertebrate, several hundred yards long, and large in proportion, can maintain itself in such depths—of those whose surface is represented by millions of square inches, that is by tens of millions of pounds, we must estimate the pressure they undergo. Consider, then, what must be the resistance of their bony structure, and the strength of their organisation to withstand such pressure!” | —Eh bien, mon digne harponneur, si des vertébrés, longs de plusieurs centaines de mètres et gros à proportion, se maintiennent à de pareilles profondeurs, eux dont la surface est représentée par des millions de centimètres carrés, c’est par milliards de kilogrammes qu’il faut estimer la poussée qu’ils subissent. Calculez alors quelle doit être la résistance de leur charpente osseuse et la puissance de leur organisme pour résister à de telles pressions! |
| “Why!” exclaimed Ned Land, “they must be made of iron plates eight inches thick, like the armoured frigates.” | —Il faut, répondit Ned Land, qu’ils soient fabriqués en plaques de tôle de huit pouces, comme les frégates cuirassées. |
| “As you say, Ned. And think what destruction such a mass would cause, if hurled with the speed of an express train against the hull of a vessel.” | —Comme vous dites, Ned, et songez alors aux ravages que peut produire une pareille masse lancée avec la vitesse d’un express contre la coque d’un navire. |
| “Yes—certainly—perhaps,” replied the Canadian, shaken by these figures, but not yet willing to give in. | —Oui… en effet… peut-être, répondit le Canadien, ébranlé par ces chiffres, mais qui ne voulait pas se rendre. |
| “Well, have I convinced you?” | —Eh bien, vous ai-je convaincu? |
| “You have convinced me of one thing, sir, which is that, if such animals do exist at the bottom of the seas, they must necessarily be as strong as you say.” | —Vous m’avez convaincu d’une chose, monsieur le naturaliste, c’est que si de tels animaux existent au fond des mers, il faut nécessairement qu’ils soient aussi forts que vous le dites. |
| “But if they do not exist, mine obstinate harpooner, how explain the accident to the Scotia?” | —Mais s’ils n’existent pas, entêté harponneur, comment expliquez-vous l’accident arrivé au Scotia? |
| —C’est peut-être…, dit Ned hésitant. —Allez donc! —Parce que… ça n’est pas vrai!» répondit le Canadien, en reproduisant sans le savoir une célèbre réponse d’Arago. Mais cette réponse prouvait l’obstination du harponneur et pas autre chose. Ce jour-là, je ne le poussai pas davantage. L’accident du Scotia n’était pas niable. Le trou existait si bien qu’il avait fallu le boucher, et je ne pense pas que l’existence d’un trou puisse se démontrer plus catégoriquement. Or, ce trou ne s’était pas fait tout seul, et puisqu’il n’avait pas été produit par des roches sous-marines ou des engins sous-marins, il était nécessairement dû à l’outil perforant d’un animal. Or, suivant moi, et pour toutes les raisons précédemment déduites, cet animal appartenait à l’embranchement des vertébrés, à la classe des mammifères, au groupe des pisciformes, et finalement à l’ordre des cétacés. Quant à la famille dans laquelle il prenait rang, baleine, cachalot ou dauphin, quant au genre dont il faisait partie, quant à l’espèce dans laquelle il convenait de le ranger, c’était une question à élucider ultérieurement. Pour la résoudre, il fallait disséquer ce monstre inconnu, pour le disséquer le prendre, pour le prendre le harponner,—ce qui était l’affaire de Ned Land,—pour le harponner le voir,—ce qui était l’affaire de l’équipage,—et pour le voir le rencontrer,—ce qui était l’affaire du hasard. | |
| CHAPTER V AT A VENTURE | CHAPITRE V A L’AVENTURE! |
| The voyage of the Abraham Lincoln was for a long time marked by no special incident. But one circumstance happened which showed the wonderful dexterity of Ned Land, and proved what confidence we might place in him. | Le voyage de l’Abraham-Lincoln, pendant quelque temps, ne fut marqué par aucun incident. Cependant une circonstance se présenta, qui mit en relief la merveilleuse habileté de Ned Land, et montra quelle confiance on devait avoir en lui. |
| The 30th of June, the frigate spoke some American whalers, from whom we learned that they knew nothing about the narwhal. But one of them, the captain of the Monroe, knowing that Ned Land had shipped on board the Abraham Lincoln, begged for his help in chasing a whale they had in sight. Commander Farragut, desirous of seeing Ned Land at work, gave him permission to go on board the Monroe. And fate served our Canadian so well that, instead of one whale, he harpooned two with a double blow, striking one straight to the heart, and catching the other after some minutes’ pursuit. | Au large des Malouines, le 30 juin, la frégate communiqua avec des baleiniers américains, et nous apprîmes qu’ils n’avaient eu aucune connaissance du narwal. Mais l’un deux, le capitaine du Monroe, sachant que Ned Land était embarqué à bord de l’Abraham-Lincoln, demanda son aide pour chasser une baleine qui était en vue. Le commandant Farragut, désireux de voir Ned Land à l’œuvre, l’autorisa à se rendre à bord du Monroe. Et le hasard servit si bien notre Canadien, qu’au lieu d’une baleine, il en harponna deux d’un coup double, frappant l’une droit au cœur, et s’emparant de l’autre après une poursuite de quelques minutes! |
| Decidedly, if the monster ever had to do with Ned Land’s harpoon, I would not bet in its favour. | Décidément, si le monstre a jamais affaire au harpon de Ned Land, je ne parierai pas pour le monstre. |
| The frigate skirted the south-east coast of America with great rapidity. The 3rd of July we were at the opening of the Straits of Magellan, level with Cape Vierges. But Commander Farragut would not take a tortuous passage, but doubled Cape Horn. | La frégate prolongea la côte sud-est de l’Amérique avec une rapidité prodigieuse. Le 3 juillet, nous étions à l’ouvert du détroit de Magellan, à la hauteur du cap des Vierges. Mais le commandant Farragut ne voulut pas prendre ce sinueux passage, et manœuvra de manière à doubler le cap Horn. |
| The ship’s crew agreed with him. And certainly it was possible that they might meet the narwhal in this narrow pass. Many of the sailors affirmed that the monster could not pass there, “that he was too big for that!” | L’équipage lui donna raison à l’unanimité. Et en effet, était-il probable que l’on pût rencontrer le narwal dans ce détroit resserré? Bon nombre de matelots affirmaient que le monstre n’y pouvait passer, «qu’il était trop gros pour cela!» |
| The 6th of July, about three o’clock in the afternoon, the Abraham Lincoln, at fifteen miles to the south, doubled the solitary island, this lost rock at the extremity of the American continent, to which some Dutch sailors gave the name of their native town, Cape Horn. The course was taken towards the north-west, and the next day the screw of the frigate was at last beating the waters of the Pacific. | Le 6 juillet, vers trois heures du soir, l’Abraham-Lincoln, à quinze milles dans le sud, doubla cet îlot solitaire, ce roc perdu à l’extrémité du continent américain, auquel des marins hollandais imposèrent le nom de leur ville natale, le cap Horn. La route fut donnée vers le nord-ouest, et le lendemain, l’hélice de la frégate battit enfin les eaux du Pacifique. |
| “Keep your eyes open!” called out the sailors. | «Ouvre l’œil! ouvre l’œil!» répétaient les matelots de l’Abraham-Lincoln. |
| And they were opened widely. Both eyes and glasses, a little dazzled, it is true, by the prospect of two thousand dollars, had not an instant’s repose. | Et ils l’ouvraient démesurément. Les yeux et les lunettes, un peu éblouis, il est vrai, par la perspective des deux mille dollars, ne restèrent pas un instant au repos. Jour et nuit, on observait la surface de l’Océan, et les nyctalopes, dont la faculté de voir dans l’obscurité accroissait les chances de cinquante pour cent, avaient beau jeu pour gagner la prime. |
| I myself, for whom money had no charms, was not the least attentive on board. Giving but few minutes to my meals, but a few hours to sleep, indifferent to either rain or sunshine, I did not leave the poop of the vessel. Now leaning on the netting of the forecastle, now on the taffrail, I devoured with eagerness the soft foam which whitened the sea as far as the eye could reach; and how often have I shared the emotion of the majority of the crew, when some capricious whale raised its black back above the waves! The poop of the vessel was crowded on a moment. The cabins poured forth a torrent of sailors and officers, each with heaving breast and troubled eye watching the course of the cetacean. I looked and looked till I was nearly blind, whilst Conseil kept repeating in a calm voice: | Moi, que l’appât de l’argent n’attirait guère, je n’étais pourtant pas le moins attentif du bord. Ne donnant que quelques minutes au repas, quelques heures au sommeil, indifférent au soleil ou à la pluie, je ne quittais plus le pont du navire. Tantôt penché sur les bastingages du gaillard d’avant, tantôt appuyé à la lisse de l’arrière, je dévorais d’un œil avide le cotonneux sillage qui blanchissait la mer jusqu’à perte de vue! Et que de fois j’ai partagé l’émotion de l’état-major, de l’équipage, lorsque quelque capricieuse baleine élevait son dos noirâtre au-dessus des flots. Le pont de la frégate se peuplait en un instant. Les capots vomissaient un torrent de matelots et d’officiers. Chacun, la poitrine haletante, l’œil trouble, observait la marche du cétacé. Je regardais, je regardais à en user ma rétine, à en devenir aveugle, tandis que Conseil, toujours phlegmatique, me répétait d’un ton calme: |
| “If, sir, you would not squint so much, you would see better!” | «Si monsieur voulait avoir la bonté de moins écarquiller ses yeux, monsieur verrait bien davantage!» |
| But vain excitement! The Abraham Lincoln checked its speed and made for the animal signalled, a simple whale, or common cachalot, which soon disappeared amidst a storm of abuse. | Mais, vaine émotion! L’Abraham-Lincoln modifiait sa route, courait sur l’animal signalé, simple baleine ou cachalot vulgaire, qui disparaissait bientôt au milieu d’un concert d’imprécations! |
| But the weather was good. The voyage was being accomplished under the most favourable auspices. It was then the bad season in Australia, the July of that zone corresponding to our January in Europe, but the sea was beautiful and easily scanned round a vast circumference. | Cependant, le temps restait favorable. Le voyage s’accomplissait dans les meilleures conditions. C’était alors la mauvaise saison australe, car le juillet de cette zone correspond à notre janvier d’Europe; mais la mer se maintenait belle, et se laissait facilement observer dans un vaste périmètre. |
| Ned Land montrait toujours la plus tenace incrédulité; il affectait même de ne point examiner la surface des flots en dehors de son temps de bordée,—du moins quand aucune baleine n’était en vue. Et pourtant sa merveilleuse puissance de vision aurait rendu de grands services. Mais, huit heures sur douze, cet entêté Canadien lisait ou dormait dans sa cabine. Cent fois, je lui reprochai son indifférence. «Bah! répondait-il, il n’y a rien, monsieur Aronnax, et, y eût-il quelque animal, quelle chance avons-nous de l’apercevoir? Est-ce que nous ne courons pas à l’aventure? On a revu, dit-on, cette bête introuvable dans les hautes mers du Pacifique, je veux bien l’admettre; mais deux mois déjà se sont écoulés depuis cette rencontre, et à s’en rapporter au tempérament de votre narwal, il n’aime point à moisir longtemps dans les mêmes parages! Il est doué d’une prodigieuse facilité de déplacement. Or, vous le savez mieux que moi, monsieur le professeur, la nature ne fait rien à contre-sens, et elle ne donnerait pas à un animal lent de sa nature la faculté de se mouvoir rapidement, s’il n’avait pas besoin de s’en servir. Donc, si la bête existe, elle est déjà loin!» A cela, je ne savais que répondre. Évidemment, nous marchions en aveugles. Mais le moyen de procéder autrement? Aussi, nos chances étaient-elles fort limitées. Cependant, personne ne doutait encore du succès, et pas un matelot du bord n’eût parié contre le narwal et contre sa prochaine apparition. | |
| The 20th of July, the tropic of Capricorn was cut by 105d of longitude, and the 27th of the same month we crossed the Equator on the 110th meridian. This passed, the frigate took a more decided westerly direction, and scoured the central waters of the Pacific. Commander Farragut thought, and with reason, that it was better to remain in deep water, and keep clear of continents or islands, which the beast itself seemed to shun (perhaps because there was not enough water for him! suggested the greater part of the crew). | Le 20 juillet, le tropique du Capricorne fut coupé par 105° de longitude, et le 27 du même mois, nous franchissions l’équateur sur le cent dixième méridien. Ce relèvement fait, la frégate prit une direction plus décidée vers l’ouest, et s’engagea dans les mers centrales du Pacifique. Le commandant Farragut pensait, avec raison, qu’il valait mieux fréquenter les eaux profondes, et s’éloigner des continents ou des îles dont l’animal avait toujours paru éviter l’approche, «sans doute parce qu’il n’y avait pas assez d’eau pour lui!» disait le maître d’équipage. |
| The frigate passed at some distance from the Marquesas and the Sandwich Islands, crossed the tropic of Cancer, and made for the China Seas. We were on the theatre of the last diversions of the monster: and, to say truth, we no longer LIVED on board. The entire ship’s crew were undergoing a nervous excitement, of which I can give no idea: they could not eat, they could not sleep—twenty times a day, a misconception or an optical illusion of some sailor seated on the taffrail, would cause dreadful perspirations, and these emotions, twenty times repeated, kept us in a state of excitement so violent that a reaction was unavoidable. | La frégate passa donc au large des Pomotou, des Marquises, des Sandwich, coupa le tropique du Cancer par 132° de longitude, et se dirigea vers les mers de Chine. Nous étions enfin sur le théâtre des derniers ébats du monstre! Et, pour tout dire, on ne vivait plus à bord. Les cœurs palpitaient effroyablement, et se préparaient pour l’avenir d’incurables anévrismes. L’équipage entier subissait une surexcitation nerveuse, dont je ne saurais donner l’idée. On ne mangeait pas, on ne dormait plus. Vingt fois par jour, une erreur d’appréciation, une illusion d’optique de quelque matelot perché sur les barres, causaient d’intolérables souleurs, et ces émotions, vingt fois répétées, nous maintenaient dans un état d’éréthisme trop violent pour ne pas amener une réaction prochaine. |
| And truly, reaction soon showed itself. For three months, during which a day seemed an age, the Abraham Lincoln furrowed all the waters of the Northern Pacific, running at whales, making sharp deviations from her course, veering suddenly from one tack to another, stopping suddenly, putting on steam, and backing ever and anon at the risk of deranging her machinery, and not one point of the Japanese or American coast was left unexplored. | Et en effet, la réaction ne tarda pas à se produire. Pendant trois mois, trois mois dont chaque jour durait un siècle! l’Abraham-Lincoln sillonna toutes les mers septentrionales du Pacifique, courant aux baleines signalées, faisant de brusques écarts de route, virant subitement d’un bord sur l’autre, s’arrêtant soudain, forçant ou renversant sa vapeur, coup sur coup, au risque de déniveler sa machine, et il ne laissa pas un point inexploré des rivages du Japon à la côte américaine. |
| Et rien! rien que l’immensité des flots déserts! rien qui ressemblât à un narwal gigantesque, ni à un îlot sous-marin, ni à une épave de naufrage, ni à un écueil fuyant, ni à quoi que ce fût de surnaturel! La réaction se fit donc. Le découragement s’empara d’abord des esprits, et ouvrit une brèche à l’incrédulité. Un nouveau sentiment se produisit à bord, qui se composait de trois dixièmes de honte contre sept dixièmes de fureur. On était «tout bête» de s’être laissé prendre à une chimère, mais encore plus furieux! Les montagnes d’arguments entassés depuis un an s’écroulèrent à la fois, et chacun ne songea plus qu’à se rattraper aux heures de repas ou de sommeil du temps qu’il avait si sottement sacrifié. | |
| The warmest partisans of the enterprise now became its most ardent detractors. Reaction mounted from the crew to the captain himself, and certainly, had it not been for the resolute determination on the part of Captain Farragut, the frigate would have headed due southward. This useless search could not last much longer. The Abraham Lincoln had nothing to reproach herself with, she had done her best to succeed. Never had an American ship’s crew shown more zeal or patience; its failure could not be placed to their charge—there remained nothing but to return. | Avec la mobilité naturelle à l’esprit humain, d’un excès on se jeta dans un autre. Les plus chauds partisans de l’entreprise devinrent fatalement ses plus ardents détracteurs. La réaction monta des fonds du navire, du poste des soutiers jusqu’au carré de l’état-major, et certainement, sans un entêtement très-particulier du commandant Farragut, la frégate eût définitivement remis le cap au sud. Cependant, cette recherche inutile ne pouvait se prolonger plus longtemps. L’Abraham-Lincoln n’avait rien à se reprocher, ayant tout fait pour réussir. Jamais équipage d’un bâtiment de la marine américaine ne montra plus de patience et plus de zèle; son insuccès ne saurait lui être imputé; il ne restait plus qu’à revenir. |
| This was represented to the commander. The sailors could not hide their discontent, and the service suffered. I will not say there was a mutiny on board, but after a reasonable period of obstinacy, Captain Farragut (as Columbus did) asked for three days’ patience. If in three days the monster did not appear, the man at the helm should give three turns of the wheel, and the Abraham Lincoln would make for the European seas. | Une représentation dans ce sens fut faite au commandant. Le commandant tint bon. Les matelots ne cachèrent point leur mécontentement, et le service en souffrit. Je ne veux pas dire qu’il y eut révolte à bord, mais après une raisonnable période d’obstination, le commandant Farragut, comme autrefois Colomb, demanda trois jours de patience. Si dans le délai de trois jours, le monstre n’avait pas paru, l’homme de barre donnerait trois tours de roue, et l’Abraham-Lincoln ferait route vers les mers européennes. |
| This promise was made on the 2nd of November. It had the effect of rallying the ship’s crew. The ocean was watched with renewed attention. Each one wished for a last glance in which to sum up his remembrance. Glasses were used with feverish activity. It was a grand defiance given to the giant narwhal, and he could scarcely fail to answer the summons and “appear.” | Cette promesse fut faite le 2 novembre. Elle eut tout d’abord pour résultat de ranimer les défaillances de l’équipage. L’Océan fut observé avec une nouvelle attention. Chacun voulait lui jeter ce dernier coup d’œil dans lequel se résume tout le souvenir. Les lunettes fonctionnèrent avec une activité fiévreuse. C’était un suprême défi porté au narwal géant, et celui-ci ne pouvait raisonnablement se dispenser de répondre à cette sommation «à comparaître!» |
| Two days passed, the steam was at half pressure; a thousand schemes were tried to attract the attention and stimulate the apathy of the animal in case it should be met in those parts. Large quantities of bacon were trailed in the wake of the ship, to the great satisfaction (I must say) of the sharks. Small craft radiated in all directions round the Abraham Lincoln as she lay to, and did not leave a spot of the sea unexplored. But the night of the 4th of November arrived without the unveiling of this submarine mystery. | Deux jours se passèrent. L’Abraham-Lincoln se tenait sous petite vapeur. On employait mille moyens pour éveiller l’attention ou stimuler l’apathie de l’animal, au cas où il se fût rencontré dans ces parages. D’énormes quartiers de lard furent mis à la traîne,—pour la plus grande satisfaction des requins, je dois le dire. Les embarcations rayonnèrent dans toutes les directions autour de l’Abraham-Lincoln, pendant qu’il mettait en panne, et ne laissèrent pas un point de mer inexploré. Mais le soir du 4 novembre arriva sans que se fût dévoilé ce mystère sous-marin. |
| The next day, the 5th of November, at twelve, the delay would (morally speaking) expire; after that time, Commander Farragut, faithful to his promise, was to turn the course to the south-east and abandon for ever the northern regions of the Pacific. | Le lendemain, 5 novembre, à midi, expirait le délai de rigueur. Après le point, le commandant Farragut, fidèle à sa promesse, devait donner la route au sud-est, et abandonner définitivement les régions septentrionales du Pacifique. |
| The frigate was then in 31° 15′ N. lat. and 136° 42′ E. long. The coast of Japan still remained less than two hundred miles to leeward. Night was approaching. They had just struck eight bells; large clouds veiled the face of the moon, then in its first quarter. The sea undulated peaceably under the stern of the vessel. | La frégate se trouvait alors par 31° 15′ de latitude nord et par 136° 42′ de longitude est. Les terres du Japon nous restaient à moins de deux cents milles sous le vent. La nuit approchait. On venait de piquer huit heures. De gros nuages voilaient le disque de la lune, alors dans son premier quartier. La mer ondulait paisiblement sous l’étrave de la frégate. |
| At that moment I was leaning forward on the starboard netting. Conseil, standing near me, was looking straight before him. The crew, perched in the ratlines, examined the horizon which contracted and darkened by degrees. Officers with their night glasses scoured the growing darkness: sometimes the ocean sparkled under the rays of the moon, which darted between two clouds, then all trace of light was lost in the darkness. | En ce moment, j’étais appuyé à l’avant, sur le bastingage de tribord. Conseil, posté près de moi, regardait devant lui. L’équipage, juché dans les haubans, examinait l’horizon qui se rétrécissait et s’obscurcissait peu à peu. Les officiers, armés de leur lorgnette de nuit, fouillaient l’obscurité croissante. Parfois le sombre Océan étincelait sous un rayon que la lune dardait entre la frange de deux nuages. Puis, toute trace lumineuse s’évanouissait dans les ténèbres. |
| In looking at Conseil, I could see he was undergoing a little of the general influence. At least I thought so. Perhaps for the first time his nerves vibrated to a sentiment of curiosity. | En observant Conseil, je constatai que ce brave garçon subissait tant soit peu l’influence générale. Du moins, je le crus ainsi. Peut-être, et pour la première fois, ses nerfs vibraient-ils sous l’action d’un sentiment de curiosité. |
| “Come, Conseil,” said I, “this is the last chance of pocketing the two thousand dollars.” | «Allons, Conseil, lui dis-je, voilà une dernière occasion d’empocher deux mille dollars. |
| “May I be permitted to say, sir,” replied Conseil, “that I never reckoned on getting the prize; and, had the government of the Union offered a hundred thousand dollars, it would have been none the poorer.” | —Que monsieur me permette de le lui dire, répondit Conseil, je n’ai jamais compté sur cette prime, et le gouvernement de l’Union pouvait promettre cent mille dollars, il n’en aurait pas été plus pauvre. |
| “You are right, Conseil. It is a foolish affair after all, and one upon which we entered too lightly. What time lost, what useless emotions! We should have been back in France six months ago.” | —Tu as raison, Conseil. C’est une sotte affaire, après tout, et dans laquelle nous nous sommes lancés trop légèrement. Que de temps perdu, que d’émotions inutiles! Depuis six mois déjà, nous serions rentrés en France… |
| “In your little room, sir,” replied Conseil, “and in your museum, sir; and I should have already classed all your fossils, sir. And the Babiroussa would have been installed in its cage in the Jardin des Plantes, and have drawn all the curious people of the capital!” | —Dans le petit appartement de monsieur, répliqua Conseil, dans le Muséum de monsieur! Et j’aurais déjà classé les fossiles de monsieur! Et le babiroussa de monsieur serait installé dans sa cage du Jardin des Plantes, et il attirerait tous les curieux de la capitale! |
| “As you say, Conseil. I fancy we shall run a fair chance of being laughed at for our pains.” | —Comme tu dis, Conseil, et sans compter, j’imagine, que l’on se moquera de nous! |
| “That’s tolerably certain,” replied Conseil, quietly; “I think they will make fun of you, sir. And, must I say it——?” | —Effectivement, répondit tranquillement Conseil, je pense que l’on se moquera de monsieur. Et, faut-il le dire…? |
| “Go on, my good friend.” | —Il faut le dire, Conseil. |
| “Well, sir, you will only get your deserts.” | —Eh bien, monsieur n’aura que ce qu’il mérite! |
| “Indeed!” | —Vraiment! |
| “When one has the honour of being a savant as you are, sir, one should not expose one’s self to——” | —Quand on a l’honneur d’être un savant comme monsieur, on ne s’expose pas…» |
| Conseil had not time to finish his compliment. In the midst of general silence a voice had just been heard. It was the voice of Ned Land shouting: | Conseil ne put achever son compliment. Au milieu du silence général, une voix venait de se faire entendre. C’était la voix de Ned Land, et Ned Land s’écriait: |
| “Look out there! The very thing we are looking for—on our weather beam!” | «Ohé! la chose en question, sous le vent, par le travers à nous!» |
| CHAPTER VI AT FULL STEAM | CHAPITRE VI A TOUTE VAPEUR. |
| At this cry the whole ship’s crew hurried towards the harpooner—commander, officers, masters, sailors, cabin boys; even the engineers left their engines, and the stokers their furnaces. | A ce cri, l’équipage entier se précipita vers le harponneur, commandant, officiers, maîtres, matelots, mousses, jusqu’aux ingénieurs qui quittèrent leur machine, jusqu’aux chauffeurs qui abandonnèrent leurs fourneaux. |
| The order to stop her had been given, and the frigate now simply went on by her own momentum. The darkness was then profound, and, however good the Canadian’s eyes were, I asked myself how he had managed to see, and what he had been able to see. My heart beat as if it would break. But Ned Land was not mistaken, and we all perceived the object he pointed to. | L’ordre de stopper avait été donné, et la frégate ne courait plus que sur son erre. L’obscurité était profonde alors, et quelque bons que fussent les yeux du Canadien, je me demandais comment il avait vu et ce qu’il avait pu voir. Mon cœur battait à se rompre. Mais Ned Land ne s’était pas trompé, et tous, nous aperçûmes l’objet qu’il indiquait de la main. |
| At two cables’ length from the Abraham Lincoln, on the starboard quarter, the sea seemed to be illuminated all over. It was not a mere phosphoric phenomenon. The monster emerged some fathoms from the water, and then threw out that very intense but mysterious light mentioned in the report of several captains. | A deux encâblures de l’Abraham-Lincoln et de sa hanche de tribord, la mer semblait être illuminée par dessous. Ce n’était point un simple phénomène de phosphorescence, et l’on ne pouvait s’y tromper. Le monstre, immergé à quelques toises de la surface des eaux, projetait cet éclat très-intense, mais inexplicable, que mentionnaient les rapports de plusieurs capitaines. |
| This magnificent irradiation must have been produced by an agent of great SHINING power. The luminous part traced on the sea an immense oval, much elongated, the centre of which condensed a burning heat, whose overpowering brilliancy died out by successive gradations. | Cette magnifique irradiation devait être produite par un agent d’une grande puissance éclairante. La partie lumineuse décrivait sur la mer un immense ovale très-allongé, au centre duquel se condensait un foyer ardent dont l’insoutenable éclat s’éteignait par dégradations successives. |
| “It is only a massing of phosphoric particles,” cried one of the officers. | «Ce n’est qu’une agglomération de molécules phosphorescentes, s’écria l’un des officiers. |
| “No, sir, certainly not,” I replied. “That brightness is of an essentially electrical nature. Besides, see, see! it moves; it is moving forwards, backwards; it is darting towards us!” | —Non, monsieur, répliquai-je avec conviction. Jamais les pholades ou les salpes ne produisent une si puissante lumière. Cet éclat est de nature essentiellement électrique… D’ailleurs, voyez, voyez! il se déplace! il se meut en avant, en arrière! il s’élance sur nous!» |
| A general cry arose from the frigate. | Un cri général s’éleva de la frégate. |
| “Silence!” said the captain. “Up with the helm, reverse the engines.” | «Silence! dit le commandant Farragut. La barre au vent, toute! Machine en arrière!» |
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Vingt Mille Lieues
Sous Les Mers de Jules Vernes
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