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Twenty Thousand Leagues Under The Sea by Jules Vernes Bilingual Book French/English Page 3

Ce n’est pas une traduction mots a mots mais les livres dans les deux languages mis côte a côte. Vous pouvez le lire en Français, en anglais ou parallèlement.

This is not a word-by-word translation but the books in the two languages put side by side. You can read it in French, in English or both.

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Twenty Thousand Leagues Under The Sea by Jules Vernes

Twenty Thousand Leagues Under The Sea by Jules VernesVingt Mille Lieues
Sous Les Mers de Jules Vernes
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PART IPART I
CHAPTER VIIICHAPITRE VIII
“If master will permit me, I will relate it in German.”«Si monsieur m’y autorise, je raconterai la chose en allemand.
—Comment! tu sais l’allemand? m’écriai-je.
—Comme un flamand, n’en déplaise à monsieur.
—Cela me plaît, au contraire. Va, mon garçon.»
Et Conseil, de sa voix tranquille, raconta pour la troisième fois les diverses péripéties de notre histoire.
But in spite of the elegant terms and good accent of the narrator, the German language had no success. At last, nonplussed, I tried to remember my first lessons, and to narrate our adventures in Latin, but with no better success. This last attempt being of no avail, the two strangers exchanged some words in their unknown language, and retired.Mais, malgré les élégantes tournures et la belle accentuation du narrateur, la langue allemande n’eut aucun succès.
Enfin, poussé à bout, je rassemblai tout ce qui me restait de mes premières études, et j’entrepris de narrer nos aventures en latin. Cicéron se fût bouché les oreilles et m’eût renvoyé à la cuisine, mais cependant, je parvins à m’en tirer. Même résultat négatif. Cette dernière tentative définitivement avortée, les deux inconnus échangèrent quelques mots dans leur incompréhensible langage, et se retirèrent, sans même nous avoir adressé un de ces gestes rassurants qui ont cours dans tous les pays du monde.
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The door shut.La porte se referma.
“It is an infamous shame,” cried Ned Land, who broke out for the twentieth time. “We speak to those rogues in French, English, German, and Latin, and not one of them has the politeness to answer!”«C’est une infamie! s’écria Ned Land, qui éclata pour la vingtième fois. Comment! on leur parle français, anglais, allemand, latin, à ces coquins-là, et il n’en est pas un qui ait la civilité de répondre!
“Calm yourself,” I said to the impetuous Ned; “anger will do no good.”—Calmez-vous, Ned, dis-je au bouillant harponneur, la colère ne mènerait à rien.
“But do you see, Professor,” replied our irascible companion, “that we shall absolutely die of hunger in this iron cage?”—Mais savez-vous, monsieur le professeur, reprit notre irascible compagnon, que l’on mourrait parfaitement de faim dans cette cage de fer?
“Bah!” said Conseil, philosophically; “we can hold out some time yet.”—Bah! fit Conseil, avec de la philosophie, on peut encore tenir longtemps!
“My friends,” I said, “we must not despair. We have been worse off than this. Do me the favour to wait a little before forming an opinion upon the commander and crew of this boat.”—Mes amis, dis-je, il ne faut pas se désespérer. Nous nous sommes trouvés dans de plus mauvaises passes. Faites-moi donc le plaisir d’attendre pour vous former une opinion sur le commandant et l’équipage de ce bateau.
“My opinion is formed,” replied Ned Land, sharply. “They are rascals.”—Mon opinion est toute faite, riposta Ned Land. Ce sont des coquins…
“Good! and from what country?”
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—Bon! et de quel pays?
“From the land of rogues!”—Du pays des coquins!
“My brave Ned, that country is not clearly indicated on the map of the world; but I admit that the nationality of the two strangers is hard to determine. Neither English, French, nor German, that is quite certain. However, I am inclined to think that the commander and his companion were born in low latitudes. There is southern blood in them. But I cannot decide by their appearance whether they are Spaniards, Turks, Arabians, or Indians. As to their language, it is quite incomprehensible.”—Mon brave Ned, ce pays-là n’est pas encore suffisamment indiqué sur la mappemonde, et j’avoue que la nationalité de ces deux inconnus est difficile à déterminer! Ni Anglais, ni Français, ni Allemands, voilà tout ce que l’on peut affirmer. Cependant, je serais tenté d’admettre que ce commandant et son second sont nés sous de basses latitudes. Il y a du méridional en eux. Mais sont-ils Espagnols, Turcs, Arabes ou Indiens, c’est ce que leur type physique ne me permet pas de décider. Quant à leur langage, il est absolument incompréhensible.
“There is the disadvantage of not knowing all languages,” said Conseil, “or the disadvantage of not having one universal language.”—Voilà le désagrément de ne pas savoir toutes les langues, répondit Conseil, ou le désavantage de ne pas avoir une langue unique!
—Ce qui ne servirait à rien! répondit Ned Land. Ne voyez-vous pas que ces gens-là ont un langage à eux, un langage inventé pour désespérer les braves gens qui demandent à dîner! Mais, dans tous les pays de la terre, ouvrir la bouche, remuer les mâchoires, happer des dents et des lèvres, est-ce que cela ne se comprend pas de reste? Est-ce que cela ne veut pas dire à Québec comme aux Pomotou, à Paris comme aux antipodes: J’ai faim! donnez-moi à manger!…
—Oh! fit Conseil, il y a des natures si inintelligentes!…»
As he said these words, the door opened. A steward entered. He brought us clothes, coats and trousers, made of a stuff I did not know. I hastened to dress myself, and my companions followed my example. During that time, the steward—dumb, perhaps deaf—had arranged the table, and laid three plates.Comme il disait ces mots, la porte s’ouvrit. Un stewart[5] entra. Il nous apportait des vêtements, vestes et culottes de mer, faites d’une étoffe dont je ne reconnus pas la nature. Je me hâtai de les revêtir, et mes compagnons m’imitèrent. [5] Domestique à bord d’un steamer.
Pendant ce temps, le stewart,—muet, sourd peut-être,—avait disposé la table et placé trois couverts.
“This is something like!” said Conseil.«Voilà quelque chose de sérieux, dit Conseil, et cela s’annonce bien.
“Bah!” said the angry harpooner, “what do you suppose they eat here? Tortoise liver, filleted shark, and beef steaks from seadogs.”—Bah! répondit le rancunier harponneur, que diable voulez-vous qu’on mange ici? du foie de tortue, du filet de requin, du beefsteak de chien de mer!
“We shall see,” said Conseil.—Nous verrons bien!» dit Conseil.
The dishes, of bell metal, were placed on the table, and we took our places. Undoubtedly we had to do with civilised people, and, had it not been for the electric light which flooded us, I could have fancied I was in the dining-room of the Adelphi Hotel at Liverpool, or at the Grand Hotel in Paris. I must say, however, that there was neither bread nor wine. The water was fresh and clear, but it was water and did not suit Ned Land’s taste. Les plats, recouverts de leur cloche d’argent, furent symétriquement posés sur la nappe, et nous prîmes place à table. Décidément, nous avions affaire à des gens civilisés, et sans la lumière électrique qui nous inondait, je me serais cru dans la salle à manger de l’hôtel Adelphi, à Liverpool, ou du Grand-Hôtel, à Paris. Je dois dire toutefois que le pain et le vin manquaient totalement. L’eau était fraîche et limpide, mais c’était de l’eau,—ce qui ne fut pas du goût de Ned Land.
Amongst the dishes which were brought to us, I recognised several fish delicately dressed; but of some, although excellent, I could give no opinion, neither could I tell to what kingdom they belonged, whether animal or vegetable. As to the dinner-service, it was elegant, and in perfect taste. Each utensil—spoon, fork, knife, plate—had a letter engraved on it, with a motto above it, of which this is an exact facsimile:Parmi les mets qui nous furent servis, je reconnus divers poissons délicatement apprêtés; mais, sur certains plats, excellents d’ailleurs, je ne pus me prononcer, et je n’aurais même su dire à quel règne, végétal ou animal, leur contenu appartenait. Quant au service de table, il était élégant et d’un goût parfait. Chaque ustensile, cuiller, fourchette, couteau, assiette, portait une lettre entourée d’une devise en exergue, et dont voici le fac-simile exact:
MOBILIS IN MOBILI NMobile dans l’élément mobile!
The letter N was no doubt the initial of the name of the enigmatical person who commanded at the bottom of the seas.Cette devise s’appliquait justement à cet appareil sous-marin, à la condition de traduire la préposition in par dans et non par sur. La lettre N formait sans doute l’initiale du nom de l’énigmatique personnage qui commandait au fond des mers!
Ned and Conseil did not reflect much. They devoured the food, and I did likewise. I was, besides, reassured as to our fate; and it seemed evident that our hosts would not let us die of want.Ned et Conseil ne faisaient pas tant de réflexions. Ils dévoraient, et je ne tardai pas à les imiter. J’étais, d’ailleurs, rassuré sur notre sort, et il me paraissait évident que nos hôtes ne voulaient pas nous laisser mourir d’inanition.
However, everything has an end, everything passes away, even the hunger of people who have not eaten for fifteen hours. Our appetites satisfied, we felt overcome with sleep.Cependant, tout finit ici-bas, tout passe, même la faim de gens qui n’ont pas mangé depuis quinze heures. Notre appétit satisfait, le besoin de sommeil se fit impérieusement sentir. Réaction bien naturelle, après l’interminable nuit pendant laquelle nous avions lutté contre la mort.
“Faith! I shall sleep well,” said Conseil.«Ma foi, je dormirais bien, dit Conseil.
“So shall I,” replied Ned Land.—Et moi, je dors!» répondit Ned Land.
My two companions stretched themselves on the cabin carpet, and were soon sound asleep. For my own part, too many thoughts crowded my brain, too many insoluble questions pressed upon me, too many fancies kept my eyes half open. Where were we? What strange power carried us on? I felt—or rather fancied I felt—the machine sinking down to the lowest beds of the sea. Dreadful nightmares beset me; I saw in these mysterious asylums a world of unknown animals, amongst which this submarine boat seemed to be of the same kind, living, moving, and formidable as they. Then my brain grew calmer, my imagination wandered into vague unconsciousness, and I soon fell into a deep sleep.Mes deux compagnons s’étendirent sur le tapis de la cabine, et furent bientôt plongés dans un profond sommeil.
Pour mon compte, je cédai moins facilement à ce violent besoin de dormir. Trop de pensées s’accumulaient dans mon esprit, trop de questions insolubles s’y pressaient, trop d’images tenaient mes paupières entr’ouvertes! Où étions-nous? Quelle étrange puissance nous emportait? Je sentais,—ou plutôt je croyais sentir,—l’appareil s’enfoncer vers les couches les plus reculées de la mer. De violents cauchemars m’obsédaient. J’entrevoyais dans ces mystérieux asiles tout un monde d’animaux inconnus, dont ce bateau sous-marin semblait être le congénère, vivant, se mouvant, formidable comme eux!… Puis, mon cerveau se calma, mon imagination se fondit en une vague somnolence, et je tombai bientôt dans un morne sommeil.
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CHAPTER IX
NED LAND’S TEMPERS
CHAPITRE IX
LES COLÈRES DE NED LAND.
How long we slept I do not know; but our sleep must have lasted long, for it rested us completely from our fatigues. I woke first. My companions had not moved, and were still stretched in their corner.Quelle fut la durée de ce sommeil, je l’ignore; mais il dut être long, car il nous reposa complétement de nos fatigues. Je me réveillai le premier. Mes compagnons n’avaient pas encore bougé, et demeuraient étendus dans leur coin comme des masses inertes.
Hardly roused from my somewhat hard couch, I felt my brain freed, my mind clear. I then began an attentive examination of our cell. Nothing was changed inside. The prison was still a prison—the prisoners, prisoners. However, the steward, during our sleep, had cleared the table. I breathed with difficulty. The heavy air seemed to oppress my lungs. Although the cell was large, we had evidently consumed a great part of the oxygen that it contained. Indeed, each man consumes, in one hour, the oxygen contained in more than 176 pints of air, and this air, charged (as then) with a nearly equal quantity of carbonic acid, becomes unbreathable.A peine relevé de cette couche passablement dure, je sentis mon cerveau dégagé, mon esprit net. Je recommençai alors un examen attentif de notre cellule. Rien n’était changé à ses dispositions intérieures. La prison était restée prison, et les prisonniers, prisonniers. Cependant le stewart, profitant de notre sommeil, avait desservi la table. Rien n’indiquait donc une modification prochaine dans cette situation, et je me demandai sérieusement si nous étions destinés à vivre indéfiniment dans cette cage. Cette perspective me sembla d’autant plus pénible que, si mon cerveau était libre de ses obsessions de la veille, je me sentais la poitrine singulièrement oppressée. Ma respiration se faisait difficilement. L’air lourd ne suffisait plus au jeu de mes poumons. Bien que la cellule fût vaste, il était évident que nous avions consommé en grande partie l’oxygène qu’elle contenait. En effet, chaque homme dépense, en une heure, l’oxygène renfermé dans cent litres d’air, et cet air, chargé alors d’une quantité presque égale d’acide carbonique, devient irrespirable.
It became necessary to renew the atmosphere of our prison, and no doubt the whole in the submarine boat. That gave rise to a question in my mind. How would the commander of this floating dwelling-place proceed? Would he obtain air by chemical means, in getting by heat the oxygen contained in chlorate of potash, and in absorbing carbonic acid by caustic potash? Or—a more convenient, economical, and consequently more probable alternative—would he be satisfied to rise and take breath at the surface of the water, like a whale, and so renew for twenty-four hours the atmospheric provision?Il était donc urgent de renouveler l’atmosphère de notre prison, et, sans doute aussi, l’atmosphère du bateau sous-marin. Là se posait une question à mon esprit. Comment procédait le commandant de cette demeure flottante? Obtenait-il de l’air par des moyens chimiques, en dégageant par la chaleur l’oxygène contenu dans du chlorate de potasse, et en absorbant l’acide carbonique par la potasse caustique? Dans ce cas, il devait avoir conservé quelques relations avec les continents, afin de se procurer les matières nécessaires à cette opération. Se bornait-il seulement à emmagasiner l’air sous de hautes pressions dans des réservoirs, puis à le répandre suivant les besoins de son équipage? Peut-être. Ou, procédé plus commode, plus économique, et par conséquent plus probable, se contentait-il de revenir respirer à la surface des eaux, comme un cétacé, et de renouveler pour vingt-quatre heures sa provision d’atmosphère?
Quoi qu’il en soit, et quelle que fût la méthode, il me paraissait prudent de l’employer sans retard.
In fact, I was already obliged to increase my respirations to eke out of this cell the little oxygen it contained, when suddenly I was refreshed by a current of pure air, and perfumed with saline emanations. It was an invigorating sea breeze, charged with iodine. I opened my mouth wide, and my lungs saturated themselves with fresh particles.En effet, j’étais déjà réduit à multiplier mes inspirations pour extraire de cette cellule le peu d’oxygène qu’elle renfermait, quand, soudain, je fus rafraîchi par un courant d’air pur et tout parfumé d’émanations salines. C’était bien la brise de mer, vivifiante et chargée d’iode! J’ouvris largement la bouche, et mes poumons se saturèrent de fraîches molécules.
At the same time I felt the boat rolling. The iron-plated monster had evidently just risen to the surface of the ocean to breathe, after the fashion of whales. I found out from that the mode of ventilating the boat.En même temps, je sentis un balancement, un roulis de médiocre amplitude, mais parfaitement déterminable. Le bateau, le monstre de tôle venait évidemment de remonter à la surface de l’Océan pour y respirer à la façon des baleines. Le mode de ventilation du navire était donc parfaitement reconnu.
When I had inhaled this air freely, I sought the conduit pipe, which conveyed to us the beneficial whiff, and I was not long in finding it. Above the door was a ventilator, through which volumes of fresh air renewed the impoverished atmosphere of the cell.Lorsque j’eus absorbé cet air pur à pleine poitrine, je cherchai le conduit, «l’aérifère,» si l’on veut, qui laissait arriver jusqu’à nous cette bienfaisante effluve, et je ne tardai pas à le trouver. Au-dessus de la porte s’ouvrait un trou d’aérage laissant passer une fraîche colonne d’air, qui renouvelait ainsi l’atmosphère appauvrie de la cellule.
I was making my observations, when Ned and Conseil awoke almost at the same time, under the influence of this reviving air. They rubbed their eyes, stretched themselves, and were on their feet in an instant.J’en étais là de mes observations, quand Ned et Conseil s’éveillèrent presque en même temps, sous l’influence de cette aération revivifiante. Ils se frottèrent les yeux, se détirèrent les bras et furent sur pied en un instant.
“Did master sleep well?” asked Conseil, with his usual politeness.«Monsieur a bien dormi? me demanda Conseil avec sa politesse quotidienne.
“Very well, my brave boy. And you, Mr. Land?”—Fort bien, mon brave garçon, répondis-je. Et, vous, maître Ned Land?
“Soundly, Professor. But, I don’t know if I am right or not, there seems to be a sea breeze!”—Profondément, monsieur le professeur. Mais, je ne sais si je me trompe, il me semble que je respire comme une brise de mer?»
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A seaman could not be mistaken, and I told the Canadian all that had passed during his sleep.Un marin ne pouvait s’y méprendre, et je racontai au Canadien ce qui s’était passé pendant son sommeil.
“Good!” said he. “That accounts for those roarings we heard, when the supposed narwhal sighted the Abraham Lincoln.”«Bon! dit-il, cela explique parfaitement ces mugissements que nous entendions, lorsque le prétendu narwal se trouvait en vue de l’Abraham-Lincoln.
“Quite so, Master Land; it was taking breath.”—Parfaitement, maître Land, c’était sa respiration!
“Only, Mr. Aronnax, I have no idea what o’clock it is, unless it is dinner-time.”—Seulement, monsieur Aronnax, je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est, à moins que ce ne soit l’heure du dîner?
“Dinner-time! my good fellow? Say rather breakfast-time, for we certainly have begun another day.”—L’heure du dîner, mon digne harponneur? Dites, au moins, l’heure du déjeuner, car nous sommes certainement au lendemain d’hier.
“So,” said Conseil, “we have slept twenty-four hours?”—Ce qui démontre, répondit Conseil, que nous avons pris vingt-quatre heures de sommeil.
“That is my opinion.”—C’est mon avis, répondis-je.
“I will not contradict you,” replied Ned Land. “But, dinner or breakfast, the steward will be welcome, whichever he brings.”—Je ne vous contredis point, répliqua Ned Land. Mais dîner ou déjeuner, le stewart sera le bien venu, qu’il apporte l’un ou l’autre.
—L’un et l’autre, dit Conseil.
—Juste, répondit le Canadien, nous avons droit à deux repas, et pour mon compte, je ferai honneur à tous les deux.
—Eh bien! Ned, attendons, répondis-je. Il est évident que ces inconnus n’ont pas l’intention de nous laisser mourir de faim, car, dans ce cas, le dîner d’hier soir n’aurait aucun sens.
—A moins qu’on ne nous engraisse! riposta Ned.
—Je proteste, répondis-je. Nous ne sommes point tombés entre les mains de cannibales!
—Une fois n’est pas coutume, répondit sérieusement le Canadien. Qui sait si ces gens-là ne sont pas privés depuis longtemps de chair fraîche, et dans ce cas, trois particuliers sains et bien constitués comme monsieur le professeur, son domestique et moi…
—Chassez ces idées, maître Land, répondis-je au harponneur, et surtout, ne partez pas de là pour vous emporter contre nos hôtes, ce qui ne pourrait qu’aggraver la situation.
—En tous cas, dit le harponneur, j’ai une faim de tous les diables, et dîner ou déjeuner, le repas n’arrive guère!
“Master Land, we must conform to the rules on board, and I suppose our appetites are in advance of the dinner hour.”—Maître Land, répliquai-je, il faut se conformer au règlement du bord, et je suppose que notre estomac avance sur la cloche du maître-coq.
—Eh bien! on le mettra à l’heure, répondit tranquillement Conseil.
“That is just like you, friend Conseil,” said Ned, impatiently. “You are never out of temper, always calm; you would return thanks before grace, and die of hunger rather than complain!”—Je vous reconnais là, ami Conseil, riposta l’impatient Canadien. Vous usez peu votre bile et vos nerfs! Toujours calme! Vous seriez capable de dire vos Grâces avant votre Bénédicité, et de mourir de faim plutôt que de vous plaindre!
—A quoi cela servirait-il? demanda Conseil.
Time was getting on, and we were fearfully hungry; and this time the steward did not appear. It was rather too long to leave us, if they really had good intentions towards us. Ned Land, tormented by the cravings of hunger, got still more angry; and, notwithstanding his promise, I dreaded an explosion when he found himself with one of the crew.—Mais cela serviraite à se plaindre! C’est déjà quelque chose. Et si ces pirates,—je dis pirates par respect, et pour ne pas contrarier monsieur le professeur qui défend de les appeler cannibales,—si ces pirates se figurent qu’ils vont me garder dans cette cage où j’étouffe, sans apprendre de quels jurons j’assaisonne mes emportements, ils se trompent!
Voyons, monsieur Aronnax, parlez franchement. Croyez-vous qu’ils nous tiennent longtemps dans cette boîte de fer?
—A dire vrai, je n’en sais pas plus long que vous, ami Land.
—Mais enfin, que supposez-vous?
—Je suppose que le hasard nous a rendus maîtres d’un secret important. Or, si l’équipage de ce bateau sous-marin a intérêt à le garder, et si cet intérêt est plus grave que la vie de trois hommes, je crois notre existence très-compromise. Dans le cas contraire, à la première occasion, le monstre qui nous a engloutis nous rendra au monde habité par nos semblables.
—A moins qu’il ne nous enrôle parmi son équipage, dit Conseil, et qu’il nous garde ainsi…
—Jusqu’au moment, répliqua Ned Land, où quelque frégate, plus rapide ou plus adroite que l’Abraham-Lincoln, s’emparera de ce nid de forbans, et enverra son équipage et nous respirer une dernière fois au bout de sa grand’vergue.
—Bien raisonné, maître Land, répliquai-je. Mais on ne nous a pas encore fait, que je sache, de proposition à cet égard. Inutile donc de discuter le parti que nous devrons prendre, le cas échéant. Je vous le répète, attendons, prenons conseil des circonstances, et ne faisons rien, puisqu’il n’y a rien à faire.
—Au contraire! monsieur le professeur, répondit le harponneur, qui n’en voulait pas démordre, il faut faire quelque chose.
—Eh! quoi donc, maître Land?
—Nous sauver.
—Se sauver d’une prison «terrestre» est souvent difficile, mais d’une prison sous-marine, cela me paraît absolument impraticable.
—Allons, ami Ned, demanda Conseil, que répondez-vous à l’objection de monsieur? Je ne puis croire qu’un Américain soit jamais à bout de ressources!»
Le harponneur, visiblement embarrassé, se taisait. Une fuite, dans les conditions où le hasard nous avait jetés, était absolument impossible. Mais un Canadien est à demi Français, et maître Ned Land le fit bien voir par sa réponse.
«Ainsi, monsieur Aronnax, reprit-il après quelques instants de réflexion, vous ne devinez pas ce que doivent faire des gens qui ne peuvent s’échapper de leur prison?
—Non, mon ami.
—C’est bien simple, il faut qu’ils s’arrangent de manière à y rester.
—Parbleu! fit Conseil, vaut encore mieux être dedans que dessus ou dessous!
—Mais après avoir jeté dehors geôliers, porte-clefs et gardiens, ajouta Ned Land.
—Quoi, Ned? vous songeriez sérieusement à vous emparer de ce bâtiment?
—Très-sérieusement, répondit le Canadien.
—C’est impossible.
—Pourquoi donc, monsieur? Il peut se présenter quelque chance favorable, et je ne vois pas ce qui pourrait nous empêcher d’en profiter. S’ils ne sont qu’une vingtaine d’hommes à bord de cette machine, ils ne feront pas reculer deux Français et un Canadien, je suppose!»
Mieux valait admettre la proposition du harponneur que de la discuter. Aussi, me contentai-je de répondre:
«Laissons venir les circonstances, maître Land, et nous verrons. Mais, jusque-là, je vous en prie, contenez votre impatience. On ne peut agir que par ruse, et ce n’est pas en vous emportant que vous ferez naître des chances favorables. Promettez-moi donc que vous accepterez la situation sans trop de colère.
—Je vous le promets, monsieur le professeur, répondit Ned Land d’un ton peu rassurant. Pas un mot violent ne sortira de ma bouche, pas un geste brutal ne me trahira, quand bien même le service de la table ne se ferait pas avec toute la régularité désirable.
—J’ai votre parole, Ned,» répondis-je au Canadien.
Puis, la conversation fut suspendue, et chacun de nous se mit à réfléchir à part soi. J’avouerai que, pour mon compte, et malgré l’assurance du harponneur, je ne conservais aucune illusion. Je n’admettais pas ces chances favorables dont Ned Land avait parlé. Pour être si sûrement manœuvré, le bateau sous-marin exigeait un nombreux équipage, et conséquemment, dans le cas d’une lutte, nous aurions affaire à trop forte partie. D’ailleurs, il fallait, avant tout, être libres, et nous ne l’étions pas. Je ne voyais même aucun moyen de fuir cette cellule de tôle si hermétiquement fermée. Et pour peu que l’étrange commandant de ce bateau eût un secret à garder,—ce qui paraissait au moins probable,—il ne nous laisserait pas agir librement à son bord. Maintenant, se débarrasserait-il de nous par la violence, ou nous jetterait-il un jour sur quelque coin de terre? c’était là l’inconnu. Toutes ces hypothèses me semblaient extrêmement plausibles, et il fallait être un harponneur pour espérer de reconquérir sa liberté.
Je compris d’ailleurs que les idées de Ned Land s’aigrissaient avec les réflexions qui s’emparaient de son cerveau. J’entendais peu à peu les jurons gronder au fond de son gosier, et je voyais ses gestes redevenir menaçants. Il se levait, tournait comme une bête fauve en cage, frappait les murs du pied et du poing. D’ailleurs, le temps s’écoulait, la faim se faisait cruellement sentir, et, cette fois, le stewart ne paraissait pas. Et c’était oublier trop longtemps notre position de naufragés, si l’on avait réellement de bonnes intentions à notre égard.
Ned Land, tourmenté par les tiraillements de son robuste estomac, se montait de plus en plus, et, malgré sa parole, je craignais véritablement une explosion, lorsqu’il se trouverait en présence de l’un des hommes du bord.
For two hours more Ned Land’s temper increased; he cried, he shouted, but in vain. The walls were deaf. There was no sound to be heard in the boat; all was still as death. It did not move, for I should have felt the trembling motion of the hull under the influence of the screw. Plunged in the depths of the waters, it belonged no longer to earth: this silence was dreadful.
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Pendant deux heures encore, la colère de Ned Land s’exalta. Le Canadien appelait, il criait, mais en vain. Les murailles de tôle étaient sourdes. Je n’entendais même aucun bruit à l’intérieur de ce bateau, qui semblait mort. Il ne bougeait pas, car j’aurais évidemment senti les frémissements de la coque sous l’impulsion de l’hélice. Plongé sans doute dans l’abîme des eaux, il n’appartenait plus à la terre. Tout ce morne silence était effrayant.
Quant à notre abandon, à notre isolement au fond de cette cellule, je n’osais estimer ce qu’il pourrait durer. Les espérances que j’avais conçues après notre entrevue avec le commandant du bord s’effaçaient peu à peu. La douceur du regard de cet homme, l’expression généreuse de sa physionomie, la noblesse de son maintien, tout disparaissait de mon souvenir. Je revoyais cet énigmatique personnage tel qu’il devait être, nécessairement impitoyable, cruel. Je le sentais en-dehors de l’humanité, inaccessible à tout sentiment de pitié, implacable ennemi de ses semblables auxquels il avait dû vouer une impérissable haine! Mais, cet homme, allait-il donc nous laisser périr d’inanition, enfermés dans cette prison étroite, livrés à ces horribles tentations auxquelles pousse la faim farouche? Cette affreuse pensée prit dans mon esprit une intensité terrible, et, l’imagination aidant,
I felt terrified, Conseil was calm, Ned Land roared.je me sentis envahir par une épouvante insensée. Conseil restait calme, Ned Land rugissait.
Just then a noise was heard outside. Steps sounded on the metal flags. The locks were turned, the door opened, and the steward appeared.En ce moment, un bruit se fit entendre extérieurement. Des pas résonnèrent sur la dalle de métal. Les serrures furent fouillées, la porte s’ouvrit, le stewart parut.
Before I could rush forward to stop him, the Canadian had thrown him down, and held him by the throat. The steward was choking under the grip of his powerful hand.Avant que j’eusse fait un mouvement pour l’en empêcher, le Canadien s’était précipité sur ce malheureux; il l’avait renversé; il le tenait à la gorge. Le stewart étouffait sous sa main puissante.
Conseil was already trying to unclasp the harpooner’s hand from his half-suffocated victim, and I was going to fly to the rescue, when suddenly I was nailed to the spot by hearing these words in French:Conseil cherchait déjà à retirer des mains du harponneur sa victime à demi suffoquée, et j’allais joindre mes efforts aux siens, quand, subitement, je fus cloué à ma place par ces mots prononcés en français:
“Be quiet, Master Land; and you, Professor, will you be so good as to listen to me?”«Calmez-vous, maître Land, et vous, monsieur le professeur, veuillez m’écouter!»
CHAPTER X
THE MAN OF THE SEAS
CHAPITRE X
L’HOMME DES EAUX.
It was the commander of the vessel who thus spoke.C’était le commandant du bord qui parlait ainsi.
At these words, Ned Land rose suddenly. The steward, nearly strangled, tottered out on a sign from his master. But such was the power of the commander on board, that not a gesture betrayed the resentment which this man must have felt towards the Canadian. Conseil interested in spite of himself, I stupefied, awaited in silence the result of this scene.A ces mots, Ned Land se releva subitement. Le stewart, presque étranglé, sortit en chancelant sur un signe de son maître; mais tel était l’empire du commandant à son bord, que pas un geste ne trahit le ressentiment dont cet homme devait être animé contre le Canadien. Conseil, intéressé malgré lui, moi stupéfait, nous attendions en silence le dénouement de cette scène.
The commander, leaning against the corner of a table with his arms folded, scanned us with profound attention. Did he hesitate to speak? Did he regret the words which he had just spoken in French? One might almost think so.Le commandant, appuyé sur l’angle de la table, les bras croisés, nous observait avec une profonde attention. Hésitait-il à parler? Regrettait-il ces mots qu’il venait de prononcer en français? On pouvait le croire.
After some moments of silence, which not one of us dreamed of breaking, “Gentlemen,” said he, in a calm and penetrating voice, “I speak French, English, German, and Latin equally well. I could, therefore, have answered you at our first interview, but I wished to know you first, then to reflect. 
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Après quelques instants d’un silence qu’aucun de nous ne songeae à interrompre:
«Messieurs, dit-il d’une voix calme et pénétrante, je parle également le français, l’anglais, l’allemand et le latin. J’aurais donc pu vous répondre dès notre première entrevue, mais je voulais vous connaître d’abord, réfléchir ensuite.
The story told by each one, entirely agreeing in the main points, convinced me of your identity. I know now that chance has brought before me M. Pierre Aronnax, Professor of Natural History at the Museum of Paris, entrusted with a scientific mission abroad, Conseil, his servant, and Ned Land, of Canadian origin, harpooner on board the frigate Abraham Lincoln of the navy of the United States of America.”Votre quadruple récit, absolument semblable au fond, m’a affirmé l’identité de vos personnes. Je sais maintenant que le hasard a mis en ma présence monsieur Pierre Aronnax, professeur d’histoire naturelle au Muséum de Paris, chargé d’une mission scientifique à l’étranger, Conseil son domestique, et Ned Land, d’origine canadienne, harponneur à bord de la frégate l’Abraham-Lincoln, de la marine nationale des États-Unis d’Amérique.»
I bowed assent. It was not a question that the commander put to me. Therefore there was no answer to be made. This man expressed himself with perfect ease, without any accent. His sentences were well turned, his words clear, and his fluency of speech remarkable. Yet, I did not recognise in him a fellow-countryman.Je m’inclinai d’un air d’assentiment. Ce n’était pas une question que me posait le commandant. Donc, pas de réponse à faire. Cet homme s’exprimait avec une aisance parfaite, sans aucun accent. Sa phrase était nette, ses mots justes, sa facilité d’élocution remarquable. Et cependant, je ne «sentais» pas en lui un compatriote.
He continued the conversation in these terms:Il reprit la conversation en ces termes:
“You have doubtless thought, sir, that I have delayed long in paying you this second visit. The reason is that, your identity recognised, I wished to weigh maturely what part to act towards you. I have hesitated much. Most annoying circumstances have brought you into the presence of a man who has broken all the ties of humanity. You have come to trouble my existence.”«Vous avez trouvé sans doute, monsieur, que j’ai longtemps tardé à vous rendre cette seconde visite. C’est que, votre identité reconnue, je voulais peser mûrement le parti à prendre envers vous. J’ai beaucoup hésité. Les plus fâcheuses circonstances vous ont mis en présence d’un homme qui a rompu avec l’humanité. Vous êtes venu troubler mon existence…
“Unintentionally!” said I.—Involontairement, dis-je.
“Unintentionally?” replied the stranger, raising his voice a little. “Was it unintentionally that the Abraham Lincoln pursued me all over the seas? Was it unintentionally that you took passage in this frigate? Was it unintentionally that your cannon-balls rebounded off the plating of my vessel? Was it unintentionally that Mr. Ned Land struck me with his harpoon?”—Involontairement? répondit l’inconnu, en forçant un peu sa voix. Est-ce involontairement que l’Abraham-Lincoln me chasse sur toutes les mers? Est-ce involontairement que vous avez pris passage à bord de cette frégate? Est-ce involontairement que vos boulets ont rebondi sur la coque de mon navire? Est-ce involontairement que maître Ned Land m’a frappé de son harpon?»
I detected a restrained irritation in these words. But to these recriminations I had a very natural answer to make, and I made it.Je surpris dans ces paroles une irritation contenue. Mais, à ces récriminations j’avais une réponse toute naturelle à faire, et je la fis.
“Sir,” said I, “no doubt you are ignorant of the discussions which have taken place concerning you in America and Europe. You do not know that divers accidents, caused by collisions with your submarine machine, have excited public feeling in the two continents. I omit the theories without number by which it was sought to explain that of which you alone possess the secret. But you must understand that, in pursuing you over the high seas of the Pacific, the Abraham Lincoln believed itself to be chasing some powerful sea-monster, of which it was necessary to rid the ocean at any price.”«Monsieur, dis-je, vous ignorez sans doute les discussions qui ont eu lieu à votre sujet en Amérique et en Europe. Vous ne savez pas que divers accidents, provoqués par le choc de votre appareil sous-marin, ont ému l’opinion publique dans les deux continents. Je vous fais grâce des hypothèses sans nombre par lesquelles on cherchait à expliquer l’inexplicable phénomène dont seul vous aviez le secret. Mais sachez qu’en vous poursuivant jusque sur les hautes mers du Pacifique, l’Abraham-Lincoln croyait chasser quelque puissant monstre marin dont il fallait à tout prix délivrer l’Océan.»
A half-smile curled the lips of the commander: then, in a calmer tone:Un demi-sourire détendit les lèvres du commandant, puis, d’un ton plus calme:
“M. Aronnax,” he replied, “dare you affirm that your frigate woulde not as soon have pursued and cannonaded a submarine boat as a monster?”«Monsieur Aronnax, répondit-il, oseriez-vous affirmer que votre frégate n’aurait pas poursuivi et canonné un bateau sous-marin aussi bien qu’un monstre?»
This question embarrassed me, for certainly Captain Farragut might not have hesitated. He might have thought it his duty to destroy a contrivance of this kind, as he would a gigantic narwhal.Cette question m’embarrassa, car certainement le commandant Farragut n’eût pas hésité. Il eût cru de son devoir de détruire un appareil de ce genre tout comme un narwal gigantesque.
“You understand then, sir,” continued the stranger, “that I have the right to treat you as enemies?”«Vous comprenez donc, monsieur, reprit l’inconnu, que j’ai le droit de vous traiter en ennemis.»
I answered nothing, purposely. For what good would it be to discuss such a proposition, when force could destroy the best arguments?Je ne répondis rien, et pour cause. A quoi bon discuter une proposition semblable, quand la force peut détruire les meilleurs arguments.
“I have hesitated some time,” continued the commander; “nothing obliged me to show you hospitality. If I chose to separate myself from you, I should have no interest in seeing you again; I could place you upon the deck of this vessel which has served you as a refuge, I could sink beneath the waters, and forget that you had ever existed. Would not that be my right?”
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«J’ai longtemps hésité, reprit le commandant. Rien ne m’obligeait à vous donner l’hospitalité. Si je devais me séparer de vous, je n’avais aucun intérêt à vous revoir. Je vous remettais sur la plate-forme de ce navire qui vous avait servi de refuge. Je m’enfonçais sous les mers, et j’oubliais que vous aviez jamais existé. N’était-ce pas mon droit?
“It might be the right of a savage,” I answered, “but not that of a civilised man.”—C’était peut-être le droit d’un sauvage, répondis-je, ce n’était pas celui d’un homme civilisé.
“Professor,” replied the commander, quickly, “I am not what you call a civilised man! I have done with society entirely, for reasons which I alone have the right of appreciating. I do not, therefore, obey its laws, and I desire you never to allude to them before me again!”—Monsieur le professeur, répliqua vivement le commandant, je ne suis pas ce que vous appelez un homme civilisé! J’ai rompu avec la société toute entière pour des raisons que moi seul j’ai le droit d’apprécier. Je n’obéis donc point à ses règles, et je vous engage à ne jamais les invoquer devant moi!»
This was said plainly. A flash of anger and disdain kindled in the eyes of the Unknown, and I had a glimpse of a terrible past in the life of this man. Not only had he put himself beyond the pale of human laws, but he had made himself independent of them, free in the strictest acceptation of the word, quite beyond their reach! Who then would dare to pursue him at the bottom of the sea, when, on its surface, he defied all attempts made against him?Ceci fut dit nettement. Un éclair de colère et de dédain avait allumé les yeux de l’inconnu, et dans la vie de cet homme, j’entrevis un passé formidable. Non-seulement il s’était mis en-dehors des lois humaines, mais il s’était fait indépendant, libre dans la plus rigoureuse acception du mot, hors de toute atteinte! Qui donc oserait le poursuivre au fond des mers, puisque, à leur surface, il déjouait les efforts tentés contre lui?
What vessel could resist the shock of his submarine monitor? What cuirass, however thick, could withstand the blows of his spur? No man could demand from him an account of his actions; God, if he believed in one—his conscience, if he had one—were the sole judges to whom he was answerable.Quel navire résisterait au choc de son monitor sous-marin? Quelle cuirasse, si épaisse qu’elle fût, supporterait les coups de son éperon? Nul, entre les hommes, ne pouvait lui demander compte de ses œuvres. Dieu, s’il y croyait, sa conscience, s’il en avait une, étaient les seuls juges dont il pût dépendre.
These reflections crossed my mind rapidly, whilst the stranger personage was silent, absorbed, and as if wrapped up in himself. I regarded him with fear mingled with interest, as, doubtless, OEdiphus regarded the Sphinx.Ces réflexions traversèrent rapidement mon esprit, pendant que l’étrange personnage se taisait, absorbé et comme retiré en lui-même. Je le considérais avec un effroi mélangé d’intérêt, et sans doute, ainsi qu’Œdipe considérait le sphinx.
After rather a long silence, the commander resumed the conversation.Après un assez long silence, le commandant reprit la parole.
“I have hesitated,” said he, “but I have thought that my interest might be reconciled with that pity to which every human being has a right. You will remain on board my vessel, since fate has cast you there. You will be free; and, in exchange for this liberty, I shall only impose one single condition. Your word of honour to submit to it will suffice.”J’ai donc hésité, dit-il, mais j’ai pensé que mon intérêt pouvait s’accorder avec cette pitié naturelle à laquelle tout être humain a droit. Vous resterez à mon bord, puisque la fatalité vous y a jetés. Vous y serez libres, et, en échange de cette liberté, toute relative d’ailleurs, je ne vous imposerai qu’une seule condition. Votre parole de vous y soumettre me suffira.
“Speak, sir,” I answered. “I suppose this condition is one which a man of honour may accept?”—Parlez, monsieur, répondis-je, je pense que cette condition est de celles qu’un honnête homme peut accepter?
“Yes, sir; it is this: It is possible that certain events, unforeseen, may oblige me to consign you to your cabins for some hours or some days, as the case may be. As I desire never to use violence, I expect from you, more than all the others, a passive obedience. In thus acting, I take all the responsibility: I acquit you entirely, for I make it an impossibility for you to see what ought not to be seen. Do you accept this condition?”—Oui, monsieur, et la voici. Il est possible que certains événements imprévus m’obligent à vous consigner dans vos cabines pour quelques heures ou quelques jours, suivant le cas. Désirant ne jamais employer la violence, j’attends de vous, dans ce cas, plus encore que dans tous les autres, une obéissance passive. En agissant ainsi, je couvre votre responsabilité, je vous dégage entièrement, car c’est à moi de vous mettre dans l’impossibilité de voir ce qui ne doit pas être vu. Acceptez-vous cette condition?»
Then things took place on board which, to say the least, were singular, and which ought not to be seen by people who were not placed beyond the pale of social laws. Amongst the surprises which the future was preparing for me, this might not be the least.Il se passait donc à bord des choses tout au moins singulières, et que ne devaient point voir des gens qui ne s’étaient pas mis hors des lois sociales! Entre les surprises que l’avenir me ménageait, celle-ci ne devait pas être la moindre.
“We accept,” I answered; “only I will ask your permission, sir, to address one question to you—one only.”«Nous acceptons, répondis-je. Seulement, je vous demanderai, monsieur, la permission de vous adresser une question, une seule.
“Speak, sir.”—Parlez, monsieur.
“You said that we should be free on board.”—Vous avez dit que nous serions libres à votre bord?
“Entirely.”—Entièrement.
“I ask you, then, what you mean by this liberty?”—Je vous demanderai donc ce que vous entendez par cette liberté.
“Just the liberty to go, to come, to see, to observe even all that passes here save under rare circumstances—the liberty, in short, which we enjoy ourselves, my companions and I.”—Mais la liberté d’aller, de venir, de voir, d’observer même tout ce qui se passe ici,—sauf en quelques circonstances rares,—la liberté enfin dont nous jouissons nous-mêmes, mes compagnons et moi.»
It was evident that we did not understand one another.Il était évident que nous ne nous entendions point.
“Pardon me, sir,” I resumed, “but this liberty is only what every prisoner has of pacing his prison. It cannot suffice us.”«Pardon, monsieur, repris-je, mais cette liberté, ce n’est que celle que tout prisonnier a de parcourir sa prison! Elle ne peut nous suffire.
“It must suffice you, however.”—Il faudra, cependant, qu’elle vous suffise!
“What! we must renounce for ever seeing our country, our friends, our relations again?”—Quoi! nous devons renoncer à jamais de revoir notre patrie, nos amis, nos parents!
“Yes, sir. But to renounce thate unendurable worldly yoke which men believe to be liberty is not perhaps so painful as you think.”—Oui, monsieur. Mais renoncer à reprendre cet insupportable joug de la terre, que les hommes croient être la liberté, n’est peut-être pas aussi pénible que vous le pensez!
“Well,” exclaimed Ned Land, “never will I give my word of honour not to try to escape.”—Par exemple, s’écria Ned Land, jamais je ne donnerai ma parole de ne pas chercher à me sauver!
“I did not ask you for your word of honour, Master Land,” answered the commander, coldly.—Je ne vous demande pas de parole, maître Land, répondit froidement le commandant.
“Sir,” I replied, beginning to get angry in spite of my self, “you abuse your situation towards us; it is cruelty.”—Monsieur, répondis-je, emporté malgré moi, vous abusez de votre situation envers nous! C’est de la cruauté!
“No, sir, it is clemency. You are my prisoners of war. I keep you, when I could, by a word, plunge you into the depths of the ocean. You attacked me. You came to surprise a secret which no man in the world must penetrate—the secret of my whole existence. And you think that I am going to send you back to that world which must know me no more? Never! In retaining you, it is not you whom I guard—it is myself.”—Non, monsieur, c’est de la clémence! Vous êtes mes prisonniers après combat! Je vous garde, quand je pourrais d’un mot vous replonger dans les abîmes de l’Océan! Vous m’avez attaqué! Vous êtes venus surprendre un secret que nul homme au monde ne doit pénétrer, le secret de toute mon existence! Et vous croyez que je vais vous renvoyer sur cette terre qui ne doit plus me connaître! Jamais! En vous retenant, ce n’est pas vous que je garde, c’est moi-même!»
These words indicated a resolution taken on the part of the commander, against which no arguments would prevail.Ces paroles indiquaient de la part du commandant un parti pris contre lequel ne prévaudrait aucun argument.
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“So, sir,” I rejoined, “you give us simply the choice between life and death?”«Ainsi, monsieur, repris-je, vous nous donnez tout simplement à choisir entre la vie ou la mort?
“Simply.”—Tout simplement.
“My friends,” said I, “to a question thus put, there is nothing to answer. But no word of honour binds us to the master of this vessel.”—Mes amis, dis-je, à une question ainsi posée, il n’y a rien à répondre. Mais aucune parole ne nous lie au maître de ce bord.
“None, sir,” answered the Unknown.—Aucune, monsieur,» répondit l’inconnu.
Then, in a gentler tone, he continued:Puis, d’une voix plus douce, il reprit:
“Now, permit me to finish what I have to say to you. I know you, M. Aronnax. You and your companions will not, perhaps, have so much to complain of in the chance which has bound you to my fate. You will find amongst the books which are my favourite study the work which you have published on `the depths of the sea.’ I have often read it. You have carried out your work as far as terrestrial science permitted you. But you do not know all—you have not seen all. Let me tell you then, Professor, that you will not regret the time passed on board my vessel. You are going to visit the land of marvels.”«Maintenant, permettez-moi d’achever ce que j’ai à vous dire. Je vous connais, monsieur Aronnax. Vous, sinon vos compagnons, vous n’aurez peut-être pas tant à vous plaindre du hasard qui vous lie à mon sort. Vous trouverez parmi les livres qui servent à mes études favorites cet ouvrage que vous avez publié sur les grands fonds de la mer. Je l’ai souvent lu. Vous avez poussé votre œuvre aussi loin que vous le permettait la science terrestre. Mais vous ne savez pas tout, vous n’avez pas tout vu. Laissez-moi donc vous dire, monsieur le professeur, que vous ne regretterez pas le temps passé à mon bord. Vous allez voyager dans le pays des merveilles.
L’étonnement, la stupéfaction seront probablement l’état habituel de votre esprit. Vous ne vous blaserez pas facilement sur le spectacle incessamment offert à vos yeux. Je vais revoir dans un nouveau tour du monde sous-marin,—qui sait? le dernier peut-être,—tout ce que j’ai pu étudier au fond de ces mers tant de fois parcourues, et vous serez mon compagnon d’études. A partir de ce jour, vous entrez dans un nouvel élément, vous verrez ce que n’a vu encore aucun homme,—car moi et les miens nous ne comptons plus,—et notre planète, grâce à moi, va vous livrer ses derniers secrets.»
These words of the commander had a great effect upon me. I cannot deny it. My weak point was touched; and I forgot, for a moment, that the contemplation of these sublime subjects was not worth the loss of liberty. Besides, I trusted to the future to decide this grave question. So I contented myself with saying:Je ne puis le nier; ces paroles du commandant firent sur moi un grand effet. J’étais pris là par mon faible, et j’oubliai, pour un instant, que la contemplation de ces choses sublimes ne pouvait valoir la liberté perdue. D’ailleurs, je comptais sur l’avenir pour trancher cette grave question. Aussi, je me contentai de répondre:
«Monsieur, si vous avez brisé avec l’humanité, je veux croire que vous n’avez pas renié tout sentiment humain. Nous sommes des naufragés charitablement recueillis à votre bord, nous ne l’oublierons pas. Quant à moi, je ne méconnais pas que, si l’intérêt de la science pouvait absorber jusqu’au besoin de liberté, ce que me promet notre rencontre m’offrirait de grandes compensations.»
Je pensais que le commandant allait me tendre la main pour sceller notre traité. Il n’en fit rien. Je le regrettai pour lui.
«Une dernière question, dis-je, au moment où cet être inexplicable semblait vouloir se retirer.
—Parlez, monsieur le professeur.
“By what name ought I to address you?”—De quel nom dois-je vous appeler?
“Sir,” replied the commander, “I am nothing to you but Captain Nemo; and you and your companions are nothing to me but the passengers of the Nautilus.”—Monsieur, répondit le commandant, je ne suis pour vous que le capitaine Nemo, et vos compagnons et vous, n’êtes pour moi que les passagers du Nautilus.»
Captain Nemo called. A steward appeared. The captain gave him his orders in that strange language which I did not understand. Then, turning towards the Canadian and Conseil:Le capitaine Nemo appela. Un stewart parut. Le capitaine lui donna ses ordres dans cette langue étrangère que je ne pouvais reconnaître. Puis, se tournant vers le Canadien et Conseil:
“A repast awaits you in your cabin,” said he. “Be so good as to follow this man.«Un repas vous attend dans votre cabine, leur dit-il. Veuillez suivre cet homme.
—Ça n’est pas de refus!» répondit le harponneur.
Conseil et lui sortirent enfin de cette cellule où ils étaient renfermés depuis plus de trente heures.
“And now, M. Aronnax, our breakfast is ready. Permit me to lead the way.”«Et maintenant, monsieur Aronnax, notre déjeuner est prêt. Permettez-moi de vous précéder.
“I am at your service, Captain.”—A vos ordres, capitaine.»
I followed Captain Nemo; and as soon as I had passed through the door, I found myself in a kind of passage lighted by electricity, similar to the waist of a ship. After we had proceeded a dozen yards, a second door opened before me.Je suivis le capitaine Nemo, et dès que j’eus franchi la porte, je pris une sorte de couloir électriquement éclairé, semblable aux coursives d’un navire. Après un parcours d’une dizaine de mètres, une seconde porte s’ouvrit devant moi.
I then entered a dining-room, decorated and furnished in severe taste. High oaken sideboards, inlaid with ebony, stood at the two extremities of the room, and upon their shelves glittered china, porcelain, and glass of inestimable value. The plate on the table sparkled in the rays which the luminous ceiling shed around, while the light was tempered and softened by exquisite paintings.J’entrai alors dans une salle à manger, ornée et meublée avec un goût sévère. De hauts dressoirs de chêne, incrustés d’ornements d’ébène, s’élevaient aux deux extrémités de cette salle, et sur leurs rayons à ligne ondulée étincelaient des faïences, des porcelaines, des verreries d’un prix inestimable. La vaisselle plate y resplendissait sous les rayons que versait un plafond lumineux, dont de fines peintures tamisaient et adoucissaient l’éclat.
In the centre of the room was a table richly laid out. Captain Nemo indicatede the place I was to occupy.Au centre de la salle était une table richement servie. Le capitaine Nemo m’indiqua la place que je devais occuper.
«Asseyez-vous, me dit-il, et mangez comme un homme qui doit mourir de faim.»
The breakfast consisted of a certain number of dishes, the contents of which were furnished by the sea alone; and I was ignorant of the nature and mode of preparation of some of them. I acknowledged that they were good, but they had a peculiar flavour, which I easily became accustomed to. These different aliments appeared to me to be rich in phosphorus, and I thought they must have a marine origin.Le déjeuner se composait d’un certain nombre de plats dont la mer seule avait fourni le contenu, et de quelques mets dont j’ignorais la nature et la provenance. J’avouerai que c’était bon, mais avec un goût particulier auquel je m’habituai facilement. Ces divers aliments me parurent riches en phosphore, et je pensai qu’ils devaient avoir une origine marine.
Captain Nemo looked at me. I asked him no questions, but he guessed my thoughts, and answered of his own accord the questions which I was burning to address to him.Le capitaine Nemo me regardait. Je ne lui demandai rien, mais il devina mes pensées, et il répondit de lui-même aux questions que je brûlais de lui adresser.
“The greater part of these dishes are unknown to you,” he said to me. “However, you may partake of them without fear. They are wholesome and nourishing. For a long time I have renounced the food of the earth, and I am never ill now. My crew, who are healthy, are fed on the same food.”«La plupart de ces mets vous sont inconnus, me dit-il. Cependant, vous pouvez en user sans crainte. Ils sont sains et nourrissants. Depuis longtemps, j’ai renoncé aux aliments de la terre, et je ne m’en porte pas plus mal. Mon équipage, qui est vigoureux, ne se nourrit pas autrement que moi.
“So,” said I, “all these eatables are the produce of the sea?”—Ainsi, dis-je, tous ces aliments sont des produits de la mer?
“Yes, Professor, the sea supplies all my wants. Sometimes I cast my nets in tow, and I draw them in ready to break. Sometimes I hunt in the midst of this element, which appears to be inaccessible to man, and quarry the game which dwells in my submarine forests. My flocks, like those of Neptune’s old shepherds, graze fearlessly in the immense prairies of the ocean. I have a vast property there, which I cultivate myself, and which is always sown by the hand of the Creator of all things.”—Oui, monsieur le professeur, la mer fournit à tous mes besoins. Tantôt, je mets mes filets à la traîne, et je les retire, prêts à se rompre. Tantôt, je vais chasser au milieu de cet élément qui paraît être inaccessible à l’homme, et je force le gibier qui gîte dans mes forêts sous-marines. Mes troupeaux, comme ceux du vieux pasteur de Neptune, paissent sans crainte les immenses prairies de l’Océan. J’ai là une vaste propriété que j’exploite moi-même et qui est toujours ensemencée par la main du Créateur de toutes choses.»
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Je regardai le capitaine Nemo avec un certain étonnement, et je lui répondis:
“I can understand perfectly, sir, that your nets furnish excellent fish for your table; I can understand also that you hunt aquatic game in your submarine forests; but I cannot understand at all how a particle of meat, no matter how small, can figure in your bill of fare.”«Je comprends parfaitement, monsieur, que vos filets fournissent d’excellents poissons à votre table; je comprends moins que vous poursuiviez le gibier aquatique dans vos forêts sous-marines; mais je ne comprends plus du tout qu’une parcelle de viande, si petite qu’elle soit, figure dans votre menu.
—Aussi, monsieur, me répondit le capitaine Nemo, ne fais-je jamais usage de la chair des animaux terrestres.
—Ceci, cependant, repris-je, en désignant un plat où restaient encore quelques tranches de filet.
“This, which you believe to be meat, Professor, is nothing else than fillet of turtle. Here are also some dolphins’ livers, which you take to be ragout of pork. My cook is a clever fellow, who excels in dressing these various products of the ocean. Taste all these dishes. Here is a preserve of sea-cucumber, which a Malay would declare to be unrivalled in the world; here is a cream, of which the milk has been furnished by the cetacea, and the sugar by the great fucus of the North Sea; and, lastly, permit me to offer you some preserve of anemones, which is equal to that of the most delicious fruits.”—Ce que vous croyez être de la viande, monsieur le professeur, n’est autre chose que du filet de tortue de mer. Voici également quelques foies de dauphin que vous prendriez pour un ragoût de porc. Mon cuisinier est un habile préparateur, qui excelle à conserver ces produits variés de l’Océan. Goûtez à tous ces mets. Voici une conserve d’holoturies qu’un Malais déclarerait sans rivale au monde, voilà une crème dont le lait a été fourni par la mamelle des cétacés, et le sucre par les grands fucus de la mer du Nord, et enfin, permettez-moi de vous offrir des confitures d’anémones qui valent celles des fruits les plus savoureux.»
I tasted, more from curiosity than as a connoisseur, whilst Captain Nemo enchanted me with his extraordinary stories.Et je goûtais, plutôt en curieux qu’en gourmet, tandis que le capitaine Nemo m’enchantait par ses invraisemblables récits.
«Mais cette mer, monsieur Aronnax, me dit-il, cette nourrice prodigieuse, inépuisable, elle ne me nourrit pas seulement; elle me vêtit encore. Ces étoffes qui vous couvrent sont tissées avec le byssus de certains coquillages; elles sont teintes avec la pourpre des anciens et nuancées de couleurs violettes que j’extrais des aplysis de la Méditerranée. Les parfums que vous trouverez sur la toilette de votre cabine sont le produit de la distillation des plantes marines. Votre lit est fait du plus doux zostère de l’Océan. Votre plume sera un fanon de baleine, votre encre la liqueur sécrétée par la seiche ou l’encornet. Tout me vient maintenant de la mer comme tout lui retournera un jour!
“You like the sea, Captain?”—Vous aimez la mer, capitaine.
“Yes; I love it! The sea is everything. It covers seven tenths of the terrestrial globe. Its breath is pure and healthy. It is an immense desert, where man is never lonely, for he feels life stirring on all sides. The sea is only the embodiment of a supernatural and wonderful existence. It is nothing but love and emotion; it is the `Living Infinite,’ as one of your poets has said. In fact, Professor, Nature manifests herself in it by her three kingdoms—mineral, vegetable, and animal. —Oui! je l’aime! La mer est tout! Elle couvre les sept dixièmes du globe terrestre. Son souffle est pur et sain. C’est l’immense désert où l’homme n’est jamais seul, car il sent frémir la vie à ses côtés. La mer n’est que le véhicule d’une surnaturelle et prodigieuse existence; elle n’est que mouvement et amour; c’est l’infini vivant, comme l’a dit un de vos poëtes. Et en effet, monsieur le professeur, la nature s’y manifeste par ses trois règnes, minéral, végétal, animal.
Ce dernier y est largement représenté par les quatre groupes des zoophytes, par trois classes des articulés, par cinq classes des mollusques, par trois classes des vertébrés, les mammifères, les reptiles et ces innombrables légions de poissons, ordre infini d’animaux qui compte plus de treize mille espèces, dont un dixième seulement appartient à l’eau douce.
 The sea is the vast reservoir of Nature. The globe began with sea, so to speak; and who knows if it will not end with it? In it is supreme tranquillity. The sea does not belong to despots. Upon its surface men can still exercise unjust laws, fight, tear one another to pieces, and be carried away with terrestrial horrors. But at thirty feet below its level, their reign ceases, their influence is quenched, and their power disappears. Ah! sir, live—live in the bosom of the waters! There only is independence! There I recognise no masters! There I am free!”La mer est le vaste réservoir de la nature. C’est par la mer que le globe a pour ainsi dire commencé, et qui sait s’il ne finira pas par elle! Là est la suprême tranquillité. La mer n’appartient pas aux despotes. A sa surface, ils peuvent encore exercer des droits iniques, s’y battre, s’y dévorer, y transporter toutes les horreurs terrestres. Mais à trente pieds au-dessous de sone niveau, leur pouvoir cesse, leur influence s’éteint, leur puissance disparaît! Ah! monsieur, vivez, vivez au sein des mers! Là seulement est l’indépendance! Là je ne reconnais pas de maîtres! Là je suis libre!»
Captain Nemo suddenly became silent in the midst of this enthusiasm, by which he was quite carried away. For a few moments he paced up and down, much agitated. Then he became more calm, regained his accustomed coldness of expression, and turning towards me:Le capitaine Nemo se tut subitement au milieu de cet enthousiasme qui débordait de lui. S’était-il laissé entraîner au-delà de sa réserve habituelle? Avait-il trop parlé? Pendant quelques instants, il se promena, très-agité. Puis, ses nerfs se calmèrent, sa physionomie reprit sa froideur accoutumée, et, se tournant vers moi:
“Now, Professor,” said he, “if you wish to go over the Nautilus, I am at your service.”«Maintenant, monsieur le professeur, dit-il, si vous voulez visiter le Nautilus, je suis à vos ordres.»
CHAPITRE XI
LE NAUTILUS.
Captain Nemo rose. I followed him. A double door, contrived at the back of the dining-room, opened, and I entered a room equal in dimensions to that which I had just quitted.Le capitaine Nemo se leva. Je le suivis. Une double porte, ménagée à l’arrière de la salle, s’ouvrit, et j’entrai dans une chambre de dimension égale à celle que je venais de quitter.
It was a library. High pieces of furniture, of black violet ebony inlaid with brass, supported upon their wide shelves a great number of books uniformly bound. They followed the shape of the room, terminating at the lower part in huge divans, covered with brown leather, which were curved, to afford the greatest comfort. Light movable desks, made to slide in and out at will, allowed one to rest one’s book while reading. In the centre stood an immense table, covered with pamphlets, amongst which were some newspapers, already of old date. The electric light flooded everything; it was shed from four unpolished globes half sunk in the volutes of the ceiling. I looked with real admiration at this room, so ingeniously fitted up, and I could scarcely believe my eyes.C’était une bibliothèque. De hauts meubles en palissandre noir, incrustés de cuivres, supportaient sur leurs larges rayons un grand nombre de livres uniformément reliés. Ils suivaient le contour de la salle et se terminaient à leur partie inférieure par de vastes divans, capitonnés de cuir marron, qui offraient les courbes les plus confortables. De légers pupitres mobiles, en s’écartant ou se rapprochant à volonté, permettaient d’y poser le livre en lecture. Au centre se dressait une vaste table, couverte de brochures, entre lesquelles apparaissaient quelques journaux déjà vieux. La lumière électrique inondait tout cet harmonieux ensemble, et tombait de quatre globes dépolis à demi engagés dans les volutes du plafond. Je regardais avec une admiration réelle cette salle si ingénieusement aménagée, et je ne pouvais en croire mes yeux.
“Captain Nemo,” said I to my host, who had just thrown himself on one of the divans, “this is a library which would do honour to more than one of the continental palaces, and I am absolutely astounded when I consider that it can follow you to the bottom of the seas.”«Capitaine Nemo, dis-je à mon hôte, qui venait de s’étendre sur un divan, voilà une bibliothèque qui ferait honneur à plus d’un palais des continents, et je suis vraiment émerveillé, quand je songe qu’elle peut vous suivre au plus profond des mers.
“Where could one find greater solitude or silence, Professor?” replied Captain Nemo. “Did your study in the Museum afford you such perfect quiet?”—Où trouverait-on plus de solitude, plus de silence, monsieur le professeur? répondit le capitaine Nemo. Votre cabinet du Muséum vous offre-t-il un repos aussi complet?
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“No, sir; and I must confess that it is a very poor one after yours. You must have six or seven thousand volumes here.”—Non, monsieur, et je dois ajouter qu’il est bien pauvre auprès du vôtre. Vous possédez là six ou sept mille volumes…
“Twelve thousand, M. Aronnax. These are the only ties which bind me to the earth. But I had done with the world on the day when my Nautilus plunged for the first time beneath the waters. That day I bought my last volumes, my last pamphlets, my last papers, and from that time I wish to think that men no longer think or write. These books, Professor, are at your service besides, and you can make use of them freely.”—Douze mille, monsieur Aronnax. Ce sont les seuls liens qui me rattachent à la terre. Mais le monde a fini pour moi le jour où mon Nautilus s’est plongé pour la première fois sous les eaux. Ce jour-là, j’ai acheté mes derniers volumes, mes dernières brochures, mes derniers journaux, et depuis lors, je veux croire que l’humanité n’a plus ni pensé, ni écrit. Ces livres, monsieur le professeur, sont d’ailleurs à votre disposition, et vous pourrez en user librement.»
I thanked Captain Nemo, and went up to the shelves of the library. Works on science, morals, and literature abounded in every language; but I did not see one single work on political economy; that subject appeared to be strictly proscribed. Strange to say, all these books were irregularly arranged, in whatever language they were written; and this medley proved that the Captain of the Nautilus must have read indiscriminately the books which he took up by chance.Je remerciai le capitaine Nemo, et je m’approchai des rayons de la bibliothèque. Livres de science, de morale et de littérature, écrits en toute langue, y abondaient, mais je ne vis pas un seul ouvrage d’économie politique; ils semblaient être sévèrement proscrits du bord. Détail curieux, tous ces livres étaient indistinctement classés, en quelque langue qu’ils fussent écrits, et ce mélange prouvait que le capitaine du Nautilus devait lire couramment les volumes que sa main prenait au hasard.
Parmi ces ouvrages, je remarquai les chefs-d’œuvre des maîtres anciens et modernes, c’est-à-dire tout ce que l’humanité a produit de plus beau dans l’histoire, la poésie, le roman et la science, depuis Homère jusqu’à Victor Hugo, depuis Xénophon jusqu’à Michelet, depuis Rabelais jusqu’à madame Sand. Mais la science, plus particulièrement, faisait les frais de cette bibliothèque; les livres de mécanique, de balistique, d’hydrographie, de météorologie, de géographie, de géologie, etc., y tenaient une place non moins importante que les ouvrages d’histoire naturelle, et je compris qu’ils formaient la principale étude du capitaine. Je vis là tout le Humboldt, tout l’Arago, les travaux de Foucault, d’Henry Sainte-Claire Deville, de Chasles, de Milne-Edwards, de Quatrefages, de Tyndall, de Faraday, de Berthelot, de l’abbé Secchi, de Petermann, du commandant Maury, d’Agassis, etc., les mémoires de l’Académie des sciences, les bulletins des diverses sociétés de géographie, etc., et, en bon rang, les deux volumes qui m’avaient peut-être valu cet accueil relativement charitable du capitaine Nemo. Parmi les œuvres de Joseph Bertrand, son livre intitulé les Fondateurs de l’Astronomie me donna même une date certaine; et comme je savais qu’il avait paru dans le courant de 1865, je pus en conclure que l’installation du Nautilus ne remontait pas à une époque postérieure. Ainsi donc, depuis trois ans, au plus, le capitaine Nemo avait commencé son existence sous-marine. J’espérai, d’ailleurs, que des ouvrages plus récents encore me permettraient de fixer exactement cette époque; mais j’avais le temps de faire cette recherche, et je ne voulus pas retarder davantage notre promenade à travers les merveilles du Nautilus.
“Sir,” said I to the Captain, “I thank you for having placed this library at my disposal. It contains treasures of science, and I shall profit by them.”«Monsieur, dis-je au capitaine, je vous remercie d’avoir mis cette bibliothèque à ma disposition. Il y a là des trésors de science, et j’en profiterai.
“This room is not only a library,” said Captain Nemo, “it is also a smoking-room.”—Cette salle n’est pas seulement une bibliothèque, dit le capitaine Nemo, c’est aussi un fumoir.
“A smoking-room!” I cried. “Then one may smoke on board?”—Un fumoir? m’écriai-je. On fume donc à bord?
“Certainly.”—Sans doute.
“Then, sir, I am forced to believe that you have kept up a communication with Havannah.”—Alors, monsieur, jee suis forcé de croire que vous avez conservé des relations avec la Havane.
“Not any,” answered the Captain. “Accept this cigar, M. Aronnax; and, though it does not come from Havannah, you will be pleased with it, if you are a connoisseur.”—Aucune, répondit le capitaine. Acceptez ce cigare, monsieur Aronnax, et, bien qu’il ne vienne pas de la Havane, vous en serez content, si vous êtes connaisseur.»
I took the cigar which was offered me; its shape recalled the London ones, but it seemed to be made of leaves of gold. I lighted it at a little brazier, which was supported upon an elegant bronze stem, and drew the first whiffs with the delight of a lover of smoking who has not smoked for two days.Je pris le cigare qui m’était offert, et dont la forme rappelait celui du londrès; mais il semblait fabriqué avec des feuilles d’or. Je l’allumai à un petit brasero que supportait un élégant pied de bronze, et j’aspirai ses premières bouffées avec la volupté d’un amateur qui n’a pas fumé depuis deux jours.
“It is excellent, but it is not tobacco.”«C’est excellent, dis-je, mais ce n’est pas du tabac.
“No!” answered the Captain, “this tobacco comes neither from Havannah nor from the East. It is a kind of sea-weed, rich in nicotine, with which the sea provides me, but somewhat sparingly.”—Non, répondit le capitaine, ce tabac ne vient ni de la Havane ni de l’Orient. C’est une sorte d’algue, riche en nicotine, que la mer me fournit, non sans quelque parcimonie.
Regrettez-vous les londrès, monsieur?
—Capitaine, je les méprise à partir de ce jour.
—Fumez donc à votre fantaisie, et sans discuter l’origine de ces cigares. Aucune régie ne les a contrôlés, mais ils n’en sont pas moins bons, j’imagine.
—Au contraire.»
At that moment Captain Nemo opened a door which stood opposite to that by which I had entered the library, and I passed into an immense drawing-room splendidly lighted.A ce moment, le capitaine Nemo ouvrit une porte qui faisait face à celle par laquelle j’étais entré dans la bibliothèque, et je passai dans un salon immense et splendidement éclairé.
It was a vast, four-sided room, thirty feet long, eighteen wide, and fifteen high. A luminous ceiling, decorated with light arabesques, shed a soft clear light over all the marvels accumulated in this museum. For it was in fact a museum, in which an intelligent and prodigal hand had gathered all the treasures of nature and art, with the artistic confusion which distinguishes a painter’s studio.C’était un vaste quadrilatère, à pans coupés, long de dix mètres, large de six, haut de cinq. Un plafond lumineux, décoré de légères arabesques, distribuait un jour clair et doux sur toutes les merveilles entassées dans ce musée. Car, c’était réellement un musée dans lequel une main intelligente et prodigue avait réuni tous les trésors de la nature et de l’art, avec ce pêle-mêle artiste qui distingue un atelier de peintre.
Thirty first-rate pictures, uniformly framed, separated by bright drapery, ornamented the walls, which were hung with tapestry of severe design. I saw works of great value, the greater part of which I had admired in the special collections of Europe, and in the exhibitions of paintings.Une trentaine de tableaux de maîtres, à cadres uniformes, séparés par d’étincelantes panoplies, ornaient les parois tendues de tapisseries d’un dessin sévère. Je vis là des toiles de la plus haute valeur, et que, pour la plupart, j’avais admirées dans les collections particulières de l’Europe et aux expositions de peinture.
 The several schools of the old masters were represented by a Madonna of Raphael, a Virgin of Leonardo da Vinci, a nymph of Corregio, a woman of Titan, an Adoration of Veronese, an Assumption of Murillo, a portrait of Holbein, a monk of Velasquez, a martyr of Ribera, a fair of Rubens, two Flemish landscapes of Teniers, three little “genre” pictures of Gerard Dow, Metsu, and Paul Potter, two specimens of Gericault and Prudhon, and some sea-pieces of Backhuysen and Vernet. Amongst the works of modern painters were pictures with the signatures of Delacroix, Ingres, Decamps, Troyon, Meissonier, Daubigny, etc.; and some admirable statues in marble and bronze, after the finest antique models, stood upon pedestals in the corners of this magnificent museum. Amazement, as the Captain of the Nautilus had predicted, had already begun to take possession of me.Les diverses écoles des maîtres anciens étaient représentées par une madone de Raphaël, une vierge de Léonard de Vinci, une nymphe du Corrège, une femme du Titien, une adoration de Véronèse, une assomption de Murillo, un portrait d’Holbein, un moine de Velasquez, un martyr de Ribeira, une kermesse de Rubens, deux paysages flamands de Teniers, trois petits tableaux de genre de Gérard Dow, de Metsu, de Paul Potter, deux toiles de Géricault et de Prudhon, quelques marines de Backuysen et de Vernet. Parmi les œuvres de la peinture moderne, apparaissaient des tableaux signés Delacroix, Ingres, Decamp, Troyon, Meissonnier, Daubigny, etc., et quelques admirables réductions de statues de marbre ou de bronze, d’après les plus beaux modèles de l’antiquité, se dressaient sur leurs piédestaux dans les angles de ce magnifique musée. Cet état de stupéfaction que m’avait prédit le commandant du Nautilus commençait déjà à s’emparer de mon esprit.
“Professor,” said this strange man, “you must excuse the unceremonious way in which I receive you, and the disorder of this room.”«Monsieur le professeur, dit alors cet homme étrange, vous excuserez le sans-gêne avec lequel je vous reçois, et le désordre qui règne dans ce salon.
“Sir,” I answered, “without seeking to know who you are, I recognise in you an artist.”—Monsieur, répondis-je, sans chercher à savoir qui vous êtes, m’est-il permis de reconnaître en vous un artiste?
“An amateur, nothing more, sir. Formerly I loved to collect these beautiful works created by the hand of man. I sought them greedily, and ferreted them out indefatigably, and I have been able to bring together some objects of great value. These are my last souvenirs of that world which is dead to me. In my eyes, your modern artists are already old; they have two or three thousand years of existence; I confound them in my own mind. Masters have no age.”—Un amateur, tout au plus, monsieur. J’aimais autrefois à collectionner ces belles œuvres créées par la main de l’homme. J’étais un chercheur avide, un fureteur infatigable, et j’ai pu réunir quelques objets d’un haut prix. Ce sont mes derniers souvenirs de cette terre qui est morte pour moi. A mes yeux, vos artistes modernes ne sont déjà plus que des anciens; ils ont deux ou trois mille ans d’existence, et je les confonds dans mon esprit. Les maîtres n’ont pas d’âge.
“And these musicians?” said I, pointing out some works of Weber, Rossini, Mozart, Beethoven, Haydn, Meyerbeer, Herold, Wagner, Auber, Gounod, and a number of others, scattered over a large model piano-organ which occupied one of the panels of the drawing-room.—Et ces musiciens? dis-je, en montrant des partitions de Weber, de Rossini, de Mozart, de Beethoven, d’Haydn, de Meyerbeer, d’Herold, de Wagner, d’Auber, de Gounod, et nombre d’autres, éparses sur un piano-orgue de grand modèle qui occupait un des panneaux du salon.
“These musicians,” replied Captain Nemo, “are the contemporaries of Orpheus; for in the memory of the dead all chronological differences are effaced; and I am dead, Professor; as much dead as those of your friends who are sleeping six feet under the earth!”—Ces musiciens, me répondit le capitaine Nemo, ce sont des contemporains d’Orphée, car les différences chronologiques s’effacent dans la mémoire des morts,—et je suis mort, monsieur le professeur, aussi bien mort que ceux de vos amis qui reposent à six pieds sous terre!»
Captain Nemo was silent, and seemed lost in a profound reverie. I contemplated him with deep interest, analysing in silence the strange expression of his countenance. Leaning on his elbow against an angle of a costly mosaic table, he no longer saw me,—he had forgotten my presence.Le capitaine Nemo se tut et sembla perdu dans une rêverie profonde. Je le considérais avec une vive émotion, analysant en silence les étrangetés de sa physionomie. Accoudé sur l’angle d’une précieuse table de mosaïque, il ne me voyait plus, il oubliait ma présence.
I did not disturb this reverie, and continued my observation of the curiosities which enriched this drawing-room.Je respectai ce recueillement, et je continuai de passer en revue les curiosités qui enrichissaient ce salon.
Auprès des œuvres de l’art, les raretés naturelles tenaient une place très importante. Elles consistaient principalement en plantes, en coquilles et autres productions de l’Océan, qui devaient être les trouvailles personnelles du capitaine Nemo. Au milieu du salon, un jet d’eau, électriquement éclairé, retombait dans une vasque faite d’une seule tridacne. Cette coquille, fournie par le plus grand des mollusques acéphales, mesurait sur ses bords, délicatement festonnés, une circonférence de six mètres environ; elle dépassait donc en grandeur ces belles tridacnes qui furent données à François Ier par la République de Venise, et dont l’église Saint-Sulpice, à Paris, a fait deux bénitiers gigantesques.
Under elegant glass cases, fixed by copper rivets, were classed and labelled the most precious productions of the sea which had ever been presented to the eye of a naturalist. My delight as a professore may be conceived.Autour de cette vasque, sous d’élégantes vitrines fixées par des armatures de cuivre, étaient classés et étiquetés les plus précieux produits de la mer qui eussent jamais été livrés aux regards d’un naturaliste. On conçoit ma joie de professeur.
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The division containing the zoophytes presented the most curious specimens of the two groups of polypi and echinodermes. In the first group, the tubipores, were gorgones arranged like a fan, soft sponges of Syria, ises of the Moluccas, pennatules, an admirable virgularia of the Norwegian seas, variegated unbellulairae, alcyonariae, a whole series of madrepores, which my master Milne Edwards has so cleverly classified, amongst which I remarked some wonderful flabellinae oculinae of the Island of Bourbon, the “Neptune’s car” of the Antilles, superb varieties of corals—in short, every species of those curious polypi of which entire islands are formed, which will one day become continents. Of the echinodermes, remarkable for their coating of spines, asteri, sea-stars, pantacrinae, comatules, asterophons, echini, holothuri, etc., represented individually a complete collection of this group.L’embranchement des zoophytes offrait de très curieux spécimens de ses deux groupes des polypes et des échinodermes. Dans le premier groupe, des tubipores, des gorgones disposées en éventail, des éponges douces de Syrie, des isis des Molluques, des pennatules, une virgulaire admirable des mers de Norwége, des ombellulaires variées, des alcyonnaires, toute une série de ces madrépores que mon maître Milne-Edwards a si sagacement classés en sections, et parmi lesquels je remarquai d’adorables flabellines, des oculines de l’île Bourbon, le «char de Neptune» des Antilles, de superbes variétés de coraux, enfin toutes les espèces de ces curieux polypiers dont l’assemblage forme des îles entières qui deviendront un jour des continents. Dans les échinodermes, remarquables par leur enveloppe épineuse, les astéries, les étoiles de mer, les pantacrines, les comatules, les astérophons, les oursins, les holoturies, etc., représentaient la collection complète des individus de ce groupe.
A somewhat nervous conchyliologist would certainly have fainted before other more numerous cases, in which were classified the specimens of molluscs. It was a collection of inestimable value, which time fails me to describe minutely. Amongst these specimens I will quote from memory only the elegant royal hammer-fish of the Indian Ocean, whose regular white spots stood out brightly on a red and brown ground, an imperial spondyle, bright-coloured, bristling with spines, a rare specimen in the European museums—(I estimated its value at not less than L1000); a common hammer-fish of the seas of New Holland, which is only procured with difficulty; exotic buccardia of Senegal; fragile white bivalve shells, which a breath might shatter like a soap-bubble; several varieties of the aspirgillum of Java, a kind of calcareous tube, edged with leafy folds, and much debated by amateurs; a whole series of trochi, some a greenish-yellow, found in the American seas, others a reddish-brown, natives of Australian waters; others from the Gulf of Mexico, remarkable for their imbricated shell; stellari found in the Southern Seas; and last, the rarest of all, the magnificent spur of New Zealand; and every description of delicate and fragile shells to which science has given appropriate names.Un conchyliologue un peu nerveux se serait pâmé certainement devant d’autres vitrines plus nombreuses où étaient classés les échantillons de l’embranchement des mollusques. Je vis là une collection d’une valeur inestimable, et que le temps me manquerait à décrire tout entière. Parmi ces produits, je citerai, pour mémoire seulement,—l’élégant marteau royal de l’Océan indien, dont les régulières taches blanches ressortaient vivement sur un fond rouge et brun,—un spondyle impérial, aux vives couleurs, tout hérissé d’épines, rare spécimen dans les muséums européens, et dont j’estimai la valeur à vingt mille francs,—un marteau commun des mers de la Nouvelle-Hollande, qu’on se procure difficilement,—des buccardes exotiques du Sénégal, fragiles coquilles blanches à doubles valves, qu’un souffle eût dissipées comme une bulle de savon,—plusieurs variétés des arrosoirs de Java, sortes de tubes calcaires bordés de replis foliacés, et très disputés par les amateurs,—toute une série de troques, les uns jaunes-verdâtres, pêchés dans les mers d’Amérique, les autres d’un brun-roux, amis des eaux de la Nouvelle-Hollande, ceux-ci, venus du golfe du Mexique, et remarquables par leur coquille imbriquée, ceux-là, des stellaires trouvés dans les mers australes, et enfin, le plus rare de tous, le magnifique éperon de la Nouvelle-Zélande;—puis, d’admirables tellines sulfurées, de précieuses espèces de cythérées et de Vénus, le cadran treillissé des côtes de Tranquebar, le sabot marbré à nacre resplendissante, les perroquets verts des mers de Chine, le cône presque inconnu du genre Cœnodulli, toutes les variétés de porcelaines qui servent de monnaie dans l’Inde et en Afrique, «la Gloire de la Mer», la plus précieuse coquille des Indes orientales;—enfin des littorines, des dauphinules, des turritelles, des janthines, des ovules, des volutes, des olives, des mitres, des casques, des pourpres, des buccins, des harpes, des rochers, des tritons, des cérites, des fuseaux, des strombes, des ptérocères, des patelles, des hyales, des cléodores, coquillages délicats et fragiles, que la science a baptisés de ses noms les plus charmants.
Apart, in separate compartments, were spread out chaplets of pearls of the greatest beauty, which reflected the electric light in little sparks of fire; pink pearls, torn from the pinna-marina of the Red Sea; green pearls of the haliotyde iris; yellow, blue and black pearls, the curious productions of the divers molluscs of every ocean, and certain mussels of the water-courses of the North; lastly, several specimens of inestimable value which had been gathered from the rarest pintadines. Some of these pearls were larger than a pigeon’s egg, and were worth as much, and more than that which the traveller Tavernier sold to the Shah of Persia for three millions, and surpassed the one in the possession of the Imaum of Muscat, which I had believed to be unrivalled in the world.A part, et dans des compartiments spéciaux, se déroulaient des chapelets de perles de la plus grande beauté, que la lumière électrique piquait de pointes de feu, des perles roses, arrachées aux pinnes marines de la mer Rouge, des perles vertes de l’haliotyde iris, des perles jaunes, bleues, noires, curieux produits des divers mollusques de tous les océans et de certaines moules des cours d’eau du Nord, enfin plusieurs échantillons d’un prix inappréciable qui avaient été distillés par les pintadines les plus rares. Quelques-unes de ces perles surpassaient en grosseur un œuf de pigeon; elles valaient, et au delà, celle que le voyageur Tavernier vendit trois millions au shah de Perse, et primaient cette autre perle de l’iman de Mascate, que je croyais sans rivale au monde.
Therefore, to estimate the value of this collection was simply impossible. Captain Nemo must have expended millions in the acquirement of these various specimens, and I was thinking what source he could have drawn from, to have been able thus to gratify his fancy for collecting, when I was interrupted by these words:Ainsi donc, chiffrer la valeur de cette collection était, pour ainsi dire, impossible. Le capitaine Nemo avait dû dépenser des millions pour acquérir ces échantillons divers, et je me demandais à quelle source il puisait pour satisfaire ainsi ses fantaisies de collectionneur, quand je fus interrompu par ces mots:
“You are examining my shells, Professor? Unquestionably they must be interesting to a naturalist; but for me they have a far greater charm, for I have collected them all with my own hand, and there is not a sea on the face of the globe which has escaped my researches.”«Vous examinez mes coquilles, monsieur le professeur. En effet, elles peuvent intéresser un naturaliste; mais, pour moi, elles ont un charme de plus, car je les ai toutese recueillies de ma main, et il n’est pas une mer du globe qui ait échappé à mes recherches.
“I can understand, Captain, the delight of wandering about in the midst of such riches. You are one of those who have collected their treasures themselves. No museum in Europe possesses such a collection of the produce of the ocean. But if I exhaust all my admiration upon it, I shall have none left for the vessel which carries it. I do not wish to pry into your secrets: but I must confess that this Nautilus, with the motive power which is confined in it, the contrivances which enable it to be worked, the powerful agent which propels it, all excite my curiosity to the highest pitch. I see suspended on the walls of this room instruments of whose use I am ignorant.”—Je comprends, capitaine, je comprends cette joie de se promener au milieu de telles richesses. Vous êtes de ceux qui ont fait eux-mêmes leur trésor. Aucun muséum de l’Europe ne possède une semblable collection des produits de l’Océan. Mais si j’épuise mon admiration pour elle, que me restera-t-il pour le navire qui les porte! Je ne veux point pénétrer des secrets qui sont les vôtres! Cependant, j’avoue que ce Nautilus, la force motrice qu’il renferme en lui, les appareils qui permettent de le manœuvrer, l’agent si puissant qui l’anime, tout cela excite au plus haut point ma curiosité. Je vois suspendus aux murs de ce salon des instruments dont la destination m’est inconnue. Puis-je savoir?…
—Monsieur Aronnax, me répondit le capitaine Nemo, je vous ai dit que vous seriez libre à mon bord, et par conséquent, aucune partie du Nautilus ne vous est interdite. Vous pouvez donc le visiter en détail et je me ferai un plaisir d’être votre cicérone.
—Je ne sais comment vous remercier, monsieur, mais je n’abuserai pas de votre complaisance. Je vous demanderai seulement à quel usage sont destinés ces instruments de physique…
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“You will find these same instruments in my own room, Professor, where I shall have much pleasure in explaining their use to you. But first come and inspect the cabin which is set apart for your own use. You must see how you will be accommodated on board the Nautilus.”—Monsieur le professeur, ces mêmes instruments se trouvent dans ma chambre, et c’est là que j’aurai le plaisir de vous expliquer leur emploi. Mais auparavant, venez visiter la cabine qui vous est réservée. Il faut que vous sachiez comment vous serez installé à bord du Nautilus.»
I followed Captain Nemo who, by one of the doors opening from each panel of the drawing-room, regained the waist. He conducted me towards the bow, and there I found, not a cabin, but an elegant room, with a bed, dressing-table, and several other pieces of excellent furniture.Je suivis le capitaine Nemo, qui, par une des portes percées à chaque pan coupé du salon, me fit rentrer dans les coursives du navire. Il me conduisit vers l’avant, et là je trouvai, non pas une cabine, mais une chambre élégante, avec lit, toilette et divers autres meubles.
I could only thank my host.Je ne pus que remercier mon hôte.
“Your room adjoins mine,” said he, opening a door, “and mine opens into the drawing-room that we have just quitted.”«Votre chambre est contiguë à la mienne, me dit-il, en ouvrant une porte, et la mienne donne sur le salon que nous venons de quitter.»
I entered the Captain’s room: it had a severe, almost a monkish aspect. A small iron bedstead, a table, some articles for the toilet; the whole lighted by a skylight. No comforts, the strictest necessaries only.J’entrai dans la chambre du capitaine. Elle avait un aspect sévère, presque cénobitique. Une couchette de fer, une table de travail, quelques meubles de toilette. Le tout éclairé par un demi-jour. Rien de confortable. Le strict nécessaire, seulement.
Captain Nemo pointed to a seat.Le capitaine Nemo me montra un siége.
“Be so good as to sit down,” he said. I seated myself, and he began thus:«Veuillez vous asseoir,» me dit-il.
Je m’assis, et il prit la parole en ces termes:
CHAPTER XI
ALL BY ELECTRICITY
CHAPITRE XII
TOUT PAR L’ÉLECTRICITÉ.
“Sir,” said Captain Nemo, showing me the instruments hanging on the walls of his room, “here are the contrivances required for the navigation of the Nautilus. Here, as in the drawing-room, I have them always under my eyes, and they indicate my position and exact direction in the middle of the ocean.«Monsieur, dit le capitaine Nemo, me montrant les instruments suspendus aux parois de sa chambre, voici les appareils exigés par la navigation du Nautilus. Ici comme dans le salon, je les ai toujours sous les yeux, et ils m’indiquent ma situation et ma direction exacte au milieu de l’Océan.
 Some are known to you, such as the thermometer, which gives the internal temperature of the Nautilus; the barometer, which indicates the weight of the air and foretells the changes of the weather; the hygrometer, whiche marks the dryness of the atmosphere; the storm-glass, the contents of which, by decomposing, announce the approach of tempests; the compass, which guides my course; the sextant, which shows the latitude by the altitude of the sun; chronometers, by which I calculate the longitude; and glasses for day and night, which I use to examine the points of the horizon, when the Nautilus rises to the surface of the waves.”Les uns vous sont connus, tels que le thermomètre qui donne la température intérieure du Nautilus; le baromètre, qui pèse le poids de l’air et prédit les changements de temps; l’hygromètre, qui marque le degré de sécheresse de l’atmosphère; le storm-glass, dont le mélange, en se décomposant, annonce l’arrivée des tempêtes; la boussole, qui dirige ma route; le sextant, qui par la hauteur du soleil m’apprend ma latitude; les chronomètres, qui me permettent de calculer ma longitude; et enfin des lunettes de jour et de nuit, qui me servent à scruter tous les points de l’horizon, quand le Nautilus est remonté à la surface des flots.
“These are the usual nautical instruments,” I replied, “and I know the use of them. But these others, no doubt, answer to the particular requirements of the Nautilus. This dial with movable needle is a manometer, is it not?”—Ce sont les instruments habituels au navigateur, répondis-je, et j’en connais l’usage. Mais en voici d’autres qui répondent sans doute aux exigences particulières du Nautilus. Ce cadran que j’aperçois et que parcourt une aiguille mobile, n’est-ce pas un manomètre?
“It is actually a manometer. But by communication with the water, whose external pressure it indicates, it gives our depth at the same time.”—C’est un manomètre, en effet. Mis en communication avec l’eau dont il indique la pression extérieure, il me donne par là même la profondeur à laquelle se maintient mon appareil.
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Vingt Mille Lieues
Sous Les Mers de Jules Vernes

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