Ce n’est pas une traduction mots a mots mais les livres dans les deux languages mis côte a côte. Vous pouvez le lire en Français, en anglais ou parallèlement.
This is not a word-by-word translation but the books in the two languages put side by side. You can read it in French, in English or both.
Twenty Thousand Leagues Under The Sea by Jules Vernes
| Twenty Thousand Leagues Under The Sea by Jules Vernes | Vingt Mille Lieues Sous Les Mers de Jules Vernes |
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| PART I | PART I |
| CHAPTER XXIII | CHAPITRE XXIII |
| Chance had thrown me just by the most precious specimens of the zoophyte. This coral was more valuable than that found in the Mediterranean, on the coasts of France, Italy and Barbary. Its tints justified the poetical names of “Flower of Blood,” and “Froth of Blood,” that trade has given to its most beautiful productions. | Le hasard m’avait mis là en présence des plus précieux échantillons de ce zoophyte. Ce corail valait celui qui se pêche dans la Méditerranée, sur les côtes de France, d’Italie et de Barbarie. Il justifiait par ses tons vifs ces noms poétiques de fleur de sang et d’écume de sang que le commerce donne à ses plus beaux produits. |
| Coral is sold for L20 per ounce; and in this place the watery beds would make the fortunes of a company of coral-divers. This precious matter, often confused with other polypi, formed then the inextricable plots called “macciota,” and on which I noticed several beautiful specimens of pink coral. | Le corail se vend jusqu’à cinq cents francs le kilogramme, et en cet endroit, les couches liquides recouvraient la fortune de tout un monde de corailleurs. Cette précieuse matière, souvent mélangée avec d’autres polypiers, formait alors des ensembles compacts et inextricables appelés «macciota,» et sur lesquels je remarquai d’admirables spécimens de corail rose. Akirill.com |
| But soon the bushes contract, and the arborisations increase. Real petrified thickets, long joints of fantastic architecture, were disclosed before us. Captain Nemo placed himself under a dark gallery, where by a slight declivity we reached a depth of a hundred yards. The light from our lamps produced sometimes magical effects, following the rough outlines of the natural arches and pendants disposed like lustres, that were tipped with points of fire. | Mais bientôt les buissons se resserrèrent, les arborisations grandirent. De véritables taillis pétrifiés et de longues travées d’une architecture fantaisiste s’ouvrirent devant nos pas. Le capitaine Nemo s’engagea sous une obscure galerie dont la pente douce nous conduisit à une profondeur de cent mètres. La lumière de nos serpentins produisait parfois des effets magiques, en s’accrochant aux rugueuses aspérités de ces arceaux naturels et aux pendentifs disposés comme des lustres, qu’elle piquait de pointes de feu. |
| Entre les arbrisseaux coralliens, j’observai d’autres polypes non moins curieux, des mélites, des iris aux ramifications articulées, puis quelques touffes de corallines, les unes vertes, les autres rouges, véritables algues encroûtées dans leurs sels calcaires, que les naturalistes, après longues discussions, ont définitivement rangées dans le règne végétal. Mais, suivant la remarque d’un penseur, «c’est peut-être là le point réel où la vie obscurément se soulève du sommeil de pierre, sans se détacher encore de ce rude point de départ.» | |
| At last, after walking two hours, we had attained a depth of about three hundred yards, that is to say, the extreme limit on which coral begins to form. But there was no isolated bush, nor modest brushwood, at the bottom of lofty trees. It was an immense forest of large mineral vegetations, enormous petrified trees, united by garlands of elegant sea-bindweed, all adorned with clouds and reflections. We passed freely under their high branches, lost in the shade of the waves. | Enfin, après deux heures de marche, nous avions atteint une profondeur de trois cents mètres environ, c’est-à-dire la limite extrême sur laquelle le corail commence à se former. Mais là, ce n’était plus le buisson isolé, ni le modeste taillis de basse futaie. C’était la forêt immense, les grandes végétations minérales, les énormes arbres pétrifiés, réunis par des guirlandes d’élégantes plumarias, ces lianes de la mer, toutes parées de nuances et de reflets. Nous passions librement sous leur haute ramure perdue dans l’ombre des flots, |
| tandis qu’à nos pieds, les tubipores, les méandrines, les astrées, les fongies, les cariophylles, formaient un tapis de fleurs, semé de gemmes éblouissantes. Quel indescriptible spectacle! Ah! que ne pouvions-nous communiquer nos sensations! Pourquoi étions-nous emprisonnés sous ce masque de métal et de verre! Pourquoi les paroles nous étaient-elles interdites de l’un à l’autre! Que ne vivions-nous, du moins, de la vie de ces poissons qui peuplent le liquide élément, ou plutôt encore de celle de ces amphibies qui, pendant de longues heures, peuvent parcourir, au gré de leur caprice, le double domaine de la terre et des eaux! | |
| Captain Nemo had stopped. I and my companions halted, and, turning round, I saw his men were forming a semi-circle round their chief. Watching attentively, I observed that four of them carried on their shoulders an object of an oblong shape. | Cependant, le capitaine Nemo s’était arrêté. Mes compagnons et moi nous suspendîmes notre marche, et, me retournant, je vis que ses hommes formaient un demi-cercle autour de leur chef. En regardant avec plus d’attention, j’observai que quatre d’entre eux portaient sur leurs épaules un objet de forme oblongue. |
| We occupied, in this place, the centre of a vast glade surrounded by the lofty foliage of the submarine forest. Our lamps threw over this place a sort of clear twilight that singularly elongated the shadows on the ground. At the end of the glade the darkness increased, and was only relieved by little sparks reflected by the points of coral. | Nous occupions, en cet endroit, le centre d’une vaste clairière, entourée par les hautes arborisations de la forêt sous-marine. Nos lampes projetaient sur cet espace une sorte de clarté crépusculaire qui allongeait démesurément les ombres sur le sol. A la limite de la clairière, l’obscurité redevenait profonde, et ne recueillait que de petites étincelles retenues par les vives arrêtes du corail. |
| Ned Land and Conseil were near me. We watched, and I thought I was going to witness a strange scene. On observing the ground, I saw that it was raised in certain places by slight excrescences encrusted with limy deposits, and disposed with a regularity that betrayed the hand of man. | Ned Land et Conseil étaient près de moi. Nous regardions, et il me vint à la pensée que j’allais assister à une scène étrange. En observant le sol, je vis qu’il était gonflé, en de certains points, par de légères extumescences encroûtées de dépôts calcaires, et disposées avec une régularité qui trahissait la main de l’homme. |
| In the midst of the glade, on a pedestal of rocks roughly piled up, stood a cross of coral that extended its long arms that one might have thought were made of petrified blood. Upon a sign from Captain Nemo one of the men advanced; and at some feet from the cross he began to dig a hole with a pickaxe that he took from his belt. | Au milieu de la clairière, sur un piédestal de rocs grossièrement entassés, se dressait une croix de corail, qui étendait ses longs bras qu’on eût dit faits d’un sang pétrifié. Sur un signe du capitaine Nemo, un de ses hommes s’avança, et à quelques pieds de la croix, il commença à creuser un trou avec une pioche qu’il détacha de sa ceinture. |
| I understood all! This glade was a cemetery, this hole a tomb, this oblong object the body of the man who had died in the night! The Captain and his men had come to bury their companion in this general resting-place, at the bottom of this inaccessible ocean! | Je compris tout! Cette clairière c’était un cimetière, ce trou, une tombe, cet objet oblong, le corps de l’homme mort dans la nuit! Le capitaine Nemo et les siens venaient enterrer leur compagnon dans cette demeure commune, au fond de cet inaccessible Océan! |
| Non! jamais mon esprit ne fut surexcité à ce point! Jamais idées plus impressionnantes n’envahirent mon cerveau! Je ne voulais pas voir ce que voyaient mes yeux! | |
| The grave was being dug slowly; the fish fled on all sides while their retreat was being thus disturbed; I heard the strokes of the pickaxe, which sparkled when it hit upon some flint lost at the bottom of the waters. The hole was soon large and deep enough to receive the body. Then the bearers approached; the body, enveloped in a tissue of white linen, was lowered into the damp grave. Captain Nemo, with his arms crossed on his breast, and all the friends of him who had loved them, knelt in prayer. | Cependant, la tombe se creusait lentement. Les poissons fuyaient ça et là leur retraite troublée. J’entendais résonner, sur le sol calcaire, le fer du pic qui étincelait parfois en heurtant quelque silex perdu au fond des eaux. Le trou s’allongeait, s’élargissait, et bientôt il fut assez profond pour recevoir le corps. Alors, les porteurs s’approchèrent. Le corps, enveloppé dans un tissu de byssus blanc, descendit dans son humide tombe. Le capitaine Nemo, les bras croisés sur la poitrine, et tous les amis de celui qui les avait aimés s’agenouillèrent dans l’attitude de la prière… Mes deux compagnons et moi, nous nous étions religieusement inclinés. |
| The grave was then filled in with the rubbish taken from the ground, which formed a slight mound. When this was done, Captain Nemo and his men rose; then, approaching the grave, they knelt again, and all extended their hands in sign of a last adieu. | La tombe fut alors recouverte des débris arrachés au sol, qui formèrent un léger renflement. Quand ce fut fait, le capitaine Nemo et ses hommes se redressèrent; puis, se rapprochant de la tombe, tous fléchirent encore le genou, et tous étendirent leur main en signe de suprême adieu… |
| Then the funeral procession returned to the Nautilus, passing under the arches of the forest, in the midst of thickets, along the coral bushes, and still on the ascent. At last the light of the ship appeared, and its luminous track guided us to the Nautilus. At one o’clock we had returned. | Alors, la funèbre troupe reprit le chemin du Nautilus, repassant sous les arceaux de la forêt, au milieu des taillis, le long des buissons de corail et toujours montant. Enfin, les feux du bord apparurent. Leur traînée lumineuse nous guida jusqu’au Nautilus. A une heure, nous étions de retour. |
| As soon as I had changed my clothes I went up on to the platform, and, a prey to conflicting emotions, I sat down near the binnacle. Captain Nemo joined me. I rose and said to him: | Dès que mes vêtements furent changés, je remontai sur la plate-forme, et, en proie à une terrible obsession d’idées, j’allai m’asseoir près du fanal. Le capitaine Nemo me rejoignit. Je me levai et lui dis: |
| “So, as I said he would, this man died in the night?” | «Ainsi, suivant mes prévisions, cet homme est mort dans la nuit? |
| “Yes, M. Aronnax.” | —Oui, monsieur Aronnax, répondit le capitaine Nemo. |
| “And he rests now, near his companions, in the coral cemetery?” | —Et il repose maintenant près de ses compagnons, dans ce cimetière de corail? |
| “Yes, forgotten by all else, but not by us. We dug the grave, and the polypi undertake to seal our dead for eternity.” And, burying his face quickly in his hands, he tried in vain to suppress a sob. Then he added: “Our peaceful cemetery is there, some hundred feet below the surface of the waves.” | —Oui, oubliés de tous, mais non de nous! Nous creusons la tombe, et les polypes se chargent d’y sceller nos morts pour l’éternité!» Et cachant d’un geste brusque son visage dans ses mains crispées, le capitaine essaya vainement de comprimer un sanglot. Puis il ajouta: «C’est là notre paisible cimetière, à quelques centaines de pieds au-dessous de la surface des flots! |
| “Your dead sleep quietly, at least, Captain, out of the reach of sharks.” | —Vos morts y dorment, du moins, tranquilles, capitaine, hors de l’atteinte des requins! |
| “Yes, sir, of sharks and men,” gravely replied the Captain. | —Oui, monsieur, répondit gravement le capitaine Nemo, des requins et des hommes!» |
| FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE. | |
| PART TWO | DEUXIEME PARTIE |
| CHAPTER I THE INDIAN OCEAN | CHAPITRE PREMIER L’OCÉAN INDIEN. |
| We now come to the second part of our journey under the sea. The first ended with the moving scene in the coral cemetery which left such a deep impression on my mind. Thus, in the midst of this great sea, Captain Nemo’s life was passing, even to his grave, which he had prepared in one of its deepest abysses. Akirill.com | Ici commence la seconde partie de ce voyage sous les mers. La première s’est terminée sur cette émouvante scène du cimetière de corail qui a laissé dans mon esprit une impression profonde. Ainsi donc, au sein de cette mer immense, la vie du capitaine Nemo se déroulait tout entière, et il n’était pas jusqu’à sa tombe qu’il n’eût préparée dans le plus impénétrable de ses abîmes. |
| There, not one of the ocean’s monsters could trouble the last sleep of the crew of the Nautilus, of those friends riveted to each other in death as in life. “Nor any man, either,” had added the Captain. Still the same fierce, implacable defiance towards human society! | Là, pas un des monstres de l’Océan ne viendrait troubler le dernier sommeil de ces hôtes du Nautilus, de ces amis, rivés les uns aux autres, dans la mort aussi bien que dans la vie! «Nul homme, non plus!» avait ajouté le capitaine. Toujours cette même défiance, farouche, implacable, envers les sociétés humaines! |
| I could no longer content myself with the theory which satisfied Conseil. | Pour moi, je ne me contentais plus des hypothèses qui satisfaisaient Conseil. |
| That worthy fellow persisted in seeing in the Commander of the Nautilus one of those unknown savants who return mankind contempt for indifference. For him, he was a misunderstood genius who, tired of earth’s deceptions, had taken refuge in this inaccessible medium, where he might follow his instincts freely. | Ce digne garçon persistait à ne voir dans le commandant du Nautilus qu’un de ces savants méconnus qui rendent à l’humanité mépris pour indifférence. C’était encore pour lui un génie incompris qui, las des déceptions de la terre, avait dû se réfugier dans cet inaccessible milieu où ses instincts s’exerçaient librement. |
| To my mind, this explains but one side of Captain Nemo’s character. Indeed, the mystery of that last night during which we had been chained in prison, the sleep, and the precaution so violently taken by the Captain of snatching from my eyes the glass I had raised to sweep the horizon, the mortal wound of the man, due to an unaccountable shock of the Nautilus, all put me on a new track. | Mais, à mon avis, cette hypothèse n’expliquait qu’un des côtés du capitaine Nemo. En effet, le mystère de cette dernière nuit pendant laquelle nous avions été enchaînés dans la prison et le sommeil, la précaution si violemment prise par le capitaine d’arracher de mes yeux la lunette prête à parcourir l’horizon, la blessure mortelle de cet homme due à un choc inexplicable du Nautilus, tout cela me poussait dans une voie nouvelle. |
| No; Captain Nemo was not satisfied with shunning man. His formidable apparatus not only suited his instinct of freedom, but perhaps also the design of some terrible retaliation. | Non! le capitaine Nemo ne se contentait pas de fuir les hommes! Son formidable appareil servait non-seulement ses instincts de liberté, mais peut-être aussi les intérêts de je ne sais quelles terribles représailles. |
| At this moment nothing is clear to me; I catch but a glimpse of light amidst all the darkness, and I must confine myself to writing as events shall dictate. | En ce moment, rien n’est évident pour moi, je n’entrevois encore dans ces ténèbres que des lueurs, et je dois me borner à écrire, pour ainsi dire, sous la dictée des événements. |
D’ailleurs rien ne nous lie au capitaine Nemo. Il sait que s’échapper du Nautilus est impossible. Nous ne sommes pas même prisonniers sur parole. Aucun engagement d’honneur ne nous enchaîne. Nous ne sommes que des captifs, que des prisonniers déguisés sous le nom d’hôtes par un semblant de courtoisie. Toutefois, Ned Land n’a pas renoncé à l’espoir de recouvrer sa liberté. Il est certain qu’il profitera de la première occasion que le hasard lui offrira. Je ferai comme lui sans doute. Et cependant, ce ne sera pas sans une sorte de regret que j’emporterai ce que la générosité du capitaine nous aura laissé pénétrer des mystères du Nautilus! Car enfin, faut-il haïr cet homme ou l’admirer? Est-ce une victime ou un bourreau? Et puis, pour être franc, je voudrais, avant de l’abandonner à jamais, je voudrais avoir accompli ce tour du monde sous-marin dont les débuts sont si magnifiques. Je voudrais avoir observé la complète série des merveilles entassées sous les mers du globe. Je voudrais avoir vu ce que nul homme n’a vu encore, quand je devrais payer de ma vie cet insatiable besoin d’apprendre! Qu’ai-je découvert jusqu’ici? Rien, ou presque rien, puisque nous n’avons encore parcouru que six mille lieues à travers le Pacifique! Pourtant je sais bien que le Nautilus se rapproche des terres habitées, et que, si quelque chance de salut s’offre à nous, il serait cruel de sacrifier mes compagnons à ma passion pour l’inconnu. Il faudra les suivre, peut-être même les guider. Mais cette occasion se présentera-t-elle jamais? L’homme privé par la force de son libre arbitre la désire, cette occasion, mais le savant, le curieux, la redoute. | |
| That day, the 21st of January, 1868, at noon, the second officer came to take the altitude of the sun. I mounted the platform, lit a cigar, and watched the operation. It seemed to me that the man did not understand French; for several times I made remarks in a loud voice, which must have drawn from him some involuntary sign of attention, if he had understood them; but he remained undisturbed and dumb. | Ce jour-là, 21 janvier 1868, à midi, le second vint prendre la hauteur du soleil. Je montai sur la plate-forme, j’allumai un cigare, et je suivis l’opération. Il me parut évident que cet homme ne comprenait pas le français, car plusieurs fois je fis à voix haute des réflexions qui auraient dû lui arracher quelque signe involontaire d’attention, s’il les eût comprises, mais il resta impassible et muet. |
| As he was taking observations with the sextant, one of the sailors of the Nautilus (the strong man who had accompanied us on our first submarine excursion to the Island of Crespo) came to clean the glasses of the lantern. I examined the fittings of the apparatus, the strength of which was increased a hundredfold by lenticular rings, placed similar to those in a lighthouse, and which projected their brilliance in a horizontal plane. The electric lamp was combined in such a way as to give its most powerful light. Indeed, it was produced in vacuo, which insured both its steadiness and its intensity. This vacuum economised the graphite points between which the luminous arc was developed—an important point of economy for Captain Nemo, who could not easily have replaced them; and under these conditions their waste was imperceptible. When the Nautilus was ready to continue its submarine journey, I went down to the saloon. The panel was closed, and the course marked direct west. | Pendant qu’il observait au moyen du sextant, un des matelots du Nautilus,—cet homme vigoureux qui nous avait accompagnés lors de notre première excursion sous-marine à l’île Crespo,—vint nettoyer les vitres du fanal. J’examinai alors l’installation de cet appareil dont la puissance était centuplée par des anneaux lenticulaires disposés comme ceux des phares, et qui maintenaient sa lumière dans le plan utile. La lampe électrique était combinée de manière à donner tout son pouvoir éclairant. Sa lumière, en effet, se produisait dans le vide, ce qui assurait à la fois sa régularité et son intensité. Ce vide économisait aussi les pointes de graphite entre lesquelles se développe l’arc lumineux. Économie importante pour le capitaine Nemo, qui n’aurait pu les renouveler aisément. Mais, dans ces conditions, leur usure était presque insensible. Lorsque le Nautilus se prépara à reprendre sa marche sous-marine, je redescendis au salon. Les panneaux se refermèrent, et la route fut donnée directement à l’ouest. |
| We were furrowing the waters of the Indian Ocean, a vast liquid plain, with a surface of 1,200,000,000 of acres, and whose waters are so clear and transparent that any one leaning over them would turn giddy. The Nautilus usually floated between fifty and a hundred fathoms deep. We went on so for some days. To anyone but myself, who had a great love for the sea, the hours would have seemed long and monotonous; but the daily walks on the platform, when I steeped myself in the reviving air of the ocean, the sight of the rich waters through the windows of the saloon, the books in the library, the compiling of my memoirs, took up all my time, and left me not a moment of ennui or weariness. | Nous sillonnions alors les flots de l’océan Indien, vaste plaine liquide d’une contenance de cinq cent cinquante millions d’hectares, et dont les eaux sont si transparentes qu’elles donnent le vertige à qui se penche à leur surface. Le Nautilus y flottait généralement entre cent et deux cents mètres de profondeur. Ce fut ainsi pendant quelques jours. A tout autre que moi, pris d’un immense amour de la mer, les heures eussent sans doute paru longues et monotones; mais ces promenades quotidiennes sur la plate-forme où je me retrempais dans l’air vivifiant de l’Océan, le spectacle de ces riches eaux à travers les vitres du salon, la lecture des livres de la bibliothèque, la rédaction de mes mémoires, employaient tout mon temps et ne me laissaient pas un moment de lassitude ou d’ennui. |
| Notre santé à tous se maintenait dans un état très-satisfaisant. Le régime du bord nous convenait parfaitement, et pour mon compte, je me serais bien passé des variantes que Ned Land, par esprit de protestation, s’ingéniait à y apporter. De plus, dans cette température constante, il n’y avait pas même un rhume à craindre. D’ailleurs, ce madréporaire Dendrophyllée, connu en Provence sous le nom de «Fenouil de mer,» et dont il existait une certaine réserve à bord, eût fourni avec la chair fondante de ses polypes une pâte excellente contre la toux. | |
| For some days we saw a great number of aquatic birds, sea-mews or gulls. Some were cleverly killed and, prepared in a certain way, made very acceptable water-game. Amongst large-winged birds, carried a long distance from all lands and resting upon the waves from the fatigue of their flight, I saw some magnificent albatrosses, uttering discordant cries like the braying of an ass, and birds belonging to the family of the long-wings. | Pendant quelques jours, nous vîmes une grande quantité d’oiseaux aquatiques, palmipèdes, mouettes ou goëlands. Quelques-uns furent adroitement tués, et, préparés d’une certaine façon, ils fournirent un gibier d’eau très-acceptable. Parmi les grands voiliers, emportés à de longues distances de toutes terres, et qui se reposent sur les flots des fatigues du vol, j’aperçus de magnifiques albatros au cri discordant comme un braiement d’âne, oiseaux qui appartiennent à la famille des longipennes. |
| La famille des totipalmes était représentée par des frégates rapides qui pêchaient prestement les poissons de la surface, et par de nombreux phaétons ou paille-en-queue, entre autres, ce phaéton à brins rouges, gros comme un pigeon, et dont le plumage blanc est nuancé de tons roses qui font valoir la teinte noire des ailes. Les filets du Nautilus rapportèrent plusieurs sortes de tortues marines, du genre caret, à dos bombé, et dont l’écaille est très-estimée. Ces reptiles, qui plongent facilement, peuvent se maintenir longtemps sous l’eau en fermant la soupape charnue située à l’orifice externe de leur canal nasal. Quelques-uns de ces carets, lorsqu’on les prit, dormaient encore dans leur carapace, à l’abri des animaux marins. La chair de ces tortues était généralement médiocre, mais leurs œufs formaient un régal excellent. | |
| As to the fish, they always provoked our admiration when we surprised the secrets of their aquatic life through the open panels. I saw many kinds which I never before had a chance of observing. | Quant aux poissons, ils provoquaient toujours notre admiration, quand nous surprenions à travers les panneaux ouverts les secrets de leur vie aquatique. Je remarquai plusieurs espèces qu’il ne m’avait pas été donné d’observer jusqu’alors. |
| I shall notice chiefly ostracions peculiar to the Red Sea, the Indian Ocean, and that part which washes the coast of tropical America. These fishes, like the tortoise, the armadillo, the sea-hedgehog, and the Crustacea, are protected by a breastplate which is neither chalky nor stony, but real bone. | Je citerai principalement des ostracions particuliers à la mer Rouge, à la mer des Indes et à cette partie de l’Océan qui baigne les côtes de l’Amérique équinoxiale. Ces poissons, comme les tortues, les tatous, les oursins, les crustacés, sont protégés par une cuirasse qui n’est ni crétacée, ni pierreuse, mais véritablement osseuse. |
| In some it takes the form of a solid triangle, in others of a solid quadrangle. Amongst the triangular I saw some an inch and a half in length, with wholesome flesh and a delicious flavour; they are brown at the tail, and yellow at the fins, and I recommend their introduction into fresh water, to which a certain number of sea-fish easily accustom themselves. | Tantôt, elle affecte la forme d’un solide triangulaire, tantôt la forme d’un solide quadrangulaire. Parmi les triangulaires, j’en notai quelques-uns d’une longueur d’un demi-décimètre, d’une chair salubre, d’un goût exquis, bruns à la queue, jaunes aux nageoires, et dont je recommande l’acclimatation même dans les eaux douces, auxquelles d’ailleurs un certain nombre de poissons de mer s’accoutument aisément. |
| I would also mention quadrangular ostracions, having on the back four large tubercles; some dotted over with white spots on the lower part of the body, and which may be tamed like birds; trigons provided with spikes formed by the lengthening of their bony shell, and which, from their strange gruntings, are called “seapigs”; also dromedaries with large humps in the shape of a cone, whose flesh is very tough and leathery. | Je citerai aussi des ostracions quadrangulaires, surmontés sur le dos de quatre gros tubercules; des ostracions mouchetés de points blancs sous la partie inférieure du corps, qui s’apprivoisent comme des oiseaux; des trigones, pourvus d’aiguillons formés par la prolongation de leur croûte osseuse, et auxquels leur singulier grognement a valu le surnom de «cochons de mer»; puis des dromadaires à grosses bosses en forme de cône, dont la chair est dure et coriace. |
| I now borrow from the daily notes of Master Conseil. “Certain fish of the genus petrodon peculiar to those seas, with red backs and white chests, which are distinguished by three rows of longitudinal filaments; and some electrical, seven inches long, decked in the liveliest colours. | Je relève encore sur les notes quotidiennes tenues par maître Conseil certains poissons du genre tétrodons, particuliers à ces mers, des spenglériens au dos rouge, à la poitrine blanche, qui se distinguent par trois rangées longitudinales de filaments, et des électriques, longs de sept pouces, parés des plus vives couleurs. Akirill.com |
| Then, as specimens of other kinds, some ovoides, resembling an egg of a dark brown colour, marked with white bands, and without tails; diodons, real sea-porcupines, furnished with spikes, and capable of swelling in such a way as to look like cushions bristling with darts; hippocampi, common to every ocean; some pegasi with lengthened snouts, which their pectoral fins, being much elongated and formed in the shape of wings, allow, if not to fly, at least to shoot into the air; pigeon spatulae, with tails covered with many rings of shell; macrognathi with long jaws, an excellent fish, nine inches long, and bright with most agreeable colours; pale-coloured calliomores, with rugged heads; and plenty of chaetpdons, with long and tubular muzzles, which kill insects by shooting them, as from an air-gun, with a single drop of water. These we may call the flycatchers of the seas. | Puis, comme échantillons d’autres genres, des ovoïdes semblables à un œuf d’un brun noir, sillonnés de bandelettes blanches et dépourvus de queue; des diodons, véritables porcs-épics de la mer, munis d’aiguillons et pouvant se gonfler de manière à former une pelote hérissée de dards; des hippocampes communs à tous les océans; des pégases volants, à museau allongé, auxquels leurs nageoires pectorales, très-étendues et disposées en forme d’ailes, permettent sinon de voler, du moins de s’élancer dans les airs; des pigeons spatulés, dont la queue est couverte de nombreux anneaux écailleux; des macrognathes à longue mâchoire, excellents poissons longs de vingt-cinq centimètres et brillants des plus agréables couleurs; des calliomores livides, dont la tête est rugueuse; des myriades de blennies-sauteurs, rayés de noir, aux longues nageoires pectorales, glissant à la surface des eaux avec une prodigieuse vélocité; de délicieux vélifères, qui peuvent hisser leurs nageoires comme autant de voiles déployées aux courants favorables; |
| des kurtes splendides, auxquels la nature a prodigué le jaune, le bleu céleste, l’argent et l’or; des trichoptères, dont les ailes sont formées de filaments; des cottes, toujours maculées de limon, qui produisent un certain bruissement; des trygles, dont le foie est considéré comme poison; des bodians, qui portent sur les yeux une œillère mobile; enfin des soufflets, au museau long et tubuleux, véritables gobes-mouches de l’Océan, armés d’un fusil que n’ont prévu ni les Chassepot ni les Remington, et qui tuent les insectes en les frappant d’une simple goutte d’eau. | |
| “In the eighty-ninth genus of fishes, classed by Lacepede, belonging to the second lower class of bony, characterised by opercules and bronchial membranes, I remarked the scorpaena, the head of which is furnished with spikes, and which has but one dorsal fin; these creatures are covered, or not, with little shells, according to the sub-class to which they belong. The second sub-class gives us specimens of didactyles fourteen or fifteen inches in length, with yellow rays, and heads of a most fantastic appearance. | Dans le quatre-vingt-neuvième genre des poissons classés par Lacépède, qui appartient à la seconde sous-classe des osseux, caractérisés par un opercule et une membrane bronchiale, je remarquai la scorpene, dont la tête est garnie d’aiguillons et qui ne possède qu’une seule nageoire dorsale; ces animaux sont revêtus ou privés de petites écailles, suivant le sous-genre auquel ils appartiennent. Le second sous-genre nous donna des échantillons de dydactyles longs de trois à quatre décimètres, rayés de jaune, mais dont la tête est d’un aspect fantastique. |
| As to the first sub-class, it gives several specimens of that singular looking fish appropriately called a ‘seafrog,’ with large head, sometimes pierced with holes, sometimes swollen with protuberances, bristling with spikes, and covered with tubercles; it has irregular and hideous horns; its body and tail are covered with callosities; its sting makes a dangerous wound; it is both repugnant and horrible to look at.” | Quant au premier sous-genre, il fournit plusieurs spécimens de ce poisson bizarre justement surnommé «crapaud de mer,» poisson à tête grande, tantôt creusée de sinus profonds, tantôt boursouflée de protubérances; hérissé d’aiguillons et parsemé de tubercules, il porte des cornes irrégulières et hideuses; son corps et sa queue sont garnis de callosités; ses piquants font des blessures dangereuses; il est répugnant et horrible. |
| From the 21st to the 23rd of January the Nautilus went at the rate of two hundred and fifty leagues in twenty-four hours, being five hundred and forty miles, or twenty-two miles an hour. If we recognised so many different varieties of fish, it was because, attracted by the electric light, they tried to follow us; the greater part, however, were soon distanced by our speed, though some kept their place in the waters of the Nautilus for a time. The morning of the 24th, in 12° 5′ S. lat., and 94° 33′ long., we observed Keeling Island, a coral formation, planted with magnificent cocos, and which had been visited by Mr. Darwin and Captain Fitzroy. | Du 21 au 23 janvier, le Nautilus marcha à raison de deux cent cinquante lieues par vingt-quatre heures, soit cinq cent quarante milles, ou vingt-deux milles à l’heure. Si nous reconnaissions au passage les diverses variétés de poissons, c’est que ceux-ci, attirés par l’éclat électrique, cherchaient à nous accompagner; la plupart, distancés par cette vitesse, restaient bientôt en arrière; quelques-uns cependant parvenaient à se maintenir pendant un certain temps dans les eaux du Nautilus. Le 24 au matin, par 12° 5′ de latitude sud et 94° 33′ de longitude, nous eûmes connaissance de l’île Keeling, soulèvement madréporique planté de magnifiques cocos, et qui fut visitée par M. Darwin et le capitaine Fitz-Roy. |
| The Nautilus skirted the shores of this desert island for a little distance. Its nets brought up numerous specimens of polypi and curious shells of mollusca. Some precious productions of the species of delphinulae enriched the treasures of Captain Nemo, to which I added an astraea punctifera, a kind of parasite polypus often found fixed to a shell. | Le Nautilus prolongea à peu de distance les accores de cette île déserte. Ses dragues rapportèrent de nombreux échantillons de polypes et d’échinodermes, et des tests curieux de l’embranchement des mollusques. Quelques précieux produits de l’espèce des dauphinules accrurent les trésors du capitaine Nemo, auquel je joignis une astrée punctifère, sorte de polypier parasite souvent fixé sur une coquille. |
| Soon Keeling Island disappeared from the horizon, and our course was directed to the north-west in the direction of the Indian Peninsula. | Bientôt l’île Keeling disparut sous l’horizon, et la route fut donnée au nord-ouest vers la pointe de la péninsule indienne. |
| «Des terres civilisées, me dit ce jour-là Ned Land. Cela vaudra mieux que ces îles de la Papouasie, où l’on rencontre plus de sauvages que de chevreuils! Sur cette terre indienne, monsieur le professeur, il y a des routes, des chemins de fer, des villes anglaises, françaises et indoues. On ne ferait pas cinq milles sans y rencontrer un compatriote. Hein! est-ce que le moment n’est pas venu de brûler la politesse au capitaine Nemo? —Non, Ned, non, répondis-je d’un ton très-déterminé. Laissons courir, comme vous dites, vous autres marins. Le Nautilus se rapproche des continents habités. Il revient vers l’Europe, qu’il nous y conduise. Une fois arrivés dans nos mers, nous verrons ce que la prudence nous conseillera de tenter. D’ailleurs, je ne suppose pas que le capitaine Nemo nous permette d’aller chasser sur les côtes du Malabar ou de Coromandel comme dans les forêts de la Nouvelle-Guinée. —Eh bien! monsieur, ne peut-on se passer de sa permission?» Je ne répondis pas au Canadien. Je ne voulais pas discuter. Au fond, j’avais à cœur d’épuiser jusqu’au bout les hasards de la destinée qui m’avait jeté à bord du Nautilus. | |
| From Keeling Island our course was slower and more variable, often taking us into great depths. Several times they made use of the inclined planes, which certain internal levers placed obliquely to the waterline. In that way we went about two miles, but without ever obtaining the greatest depths of the Indian Sea, which soundings of seven thousand fathoms have never reached. As to the temperature of the lower strata, the thermometer invariably indicated 4° above zero. I only observed that in the upper regions the water was always colder in the high levels than at the surface of the sea. | A partir de l’île Keeling, notre marche se ralentit généralement. Elle fut aussi plus capricieuse et nous entraîna souvent à de grandes profondeurs. On fit plusieurs fois usage des plans inclinés que des leviers intérieurs pouvaient placer obliquement à la ligne de flottaison. Nous allâmes ainsi jusqu’à deux et trois kilomètres, mais sans jamais avoir vérifié les grands fonds de cette mer indienne que des sondes de treize mille mètres n’ont pas pu atteindre. Quant à la température des basses couches, le thermomètre indiqua toujours invariablement quatre degrés au-dessus de zéro. J’observai seulement que, dans les nappes supérieures, l’eau était toujours plus froide sur les hauts fonds qu’en pleine mer. |
| On the 25th of January the ocean was entirely deserted; the Nautilus passed the day on the surface, beating the waves with its powerful screw and making them rebound to a great height. Who under such circumstances would not have taken it for a gigantic cetacean? Three parts of this day I spent on the platform. I watched the sea. Nothing on the horizon, till about four o’clock a steamer running west on our counter. Her masts were visible for an instant, but she could not see the Nautilus, being too low in the water. I fancied this steamboat belonged to the P.O. Company, which runs from Ceylon to Sydney, touching at King George’s Point and Melbourne. | Le 25 janvier, l’Océan étant absolument désert, le Nautilus passa la journée à sa surface, battant les flots de sa puissante hélice et les faisant rejaillir à une grande hauteur. Comment, dans ces conditions, ne l’eût-on pas pris pour un cétacé gigantesque? Je passai les trois quarts de cette journée sur la plate-forme. Je regardais la mer. Rien à l’horizon, si ce n’est, vers quatre heures du soir, un long steamer qui courait dans l’ouest à contre-bord. Sa mâture fut visible un instant, mais il ne pouvait apercevoir le Nautilus, trop ras sur l’eau. Je pensai que ce bateau à vapeur appartenait à la ligne péninsulaire et orientale qui fait le service de l’île de Ceyland à Sydney, en touchant à la pointe du roi Georges et à Melbourne. |
| At five o’clock in the evening, before that fleeting twilight which binds night to day in tropical zones, Conseil and I were astonished by a curious spectacle. | A cinq heures du soir, avant ce rapide crépuscule qui lie le jour à la nuit dans les zones tropicales, Conseil et moi nous fûmes émerveillés par un curieux spectacle. |
| Il est un charmant animal dont la rencontre, suivant les anciens, présageait des chances heureuses. Aristote, Athénée, Pline, Oppien, avaient étudié ses goûts et épuisé à son égard toute la poétique des savants de la Grèce et de l’Italie. Ils l’appelèrent Nautilus et Pompylius. Mais la science moderne n’a pas ratifié leur appellation, et ce mollusque est maintenant connu sous le nom d’Argonaute. Qui eût consulté Conseil eût appris de ce brave garçon que l’embranchement des mollusques se divise en cinq classes; que la première classe, celle des céphalopodes dont les sujets sont tantôt nus, tantôt testacés, comprend deux familles, celles des dibranchiaux et des tétrabranchiaux, qui se distinguent par le nombre de leurs branches; que la famille des dibranchiaux renferme trois genres, l’argonaute, le calmar et la seiche, et que la famille des tétrabranchiaux n’en contient qu’un seul, le nautile. Si après cette nomenclature, un esprit rebelle eût confondu l’argonaute, qui est acétabulifère, c’est-à-dire porteur de ventouses, avec le nautile, qui est tentaculifère, c’est-à-dire porteur de tentacules, il aurait été sans excuse. | |
| It was a shoal of argonauts travelling along on the surface of the ocean. We could count several hundreds. They belonged to the tubercle kind which are peculiar to the Indian seas. | Or, c’était une troupe de ces argonautes qui voyageait alors à la surface de l’Océan. Nous pouvions en compter plusieurs centaines. Ils appartenaient à l’espèce des argonautes tuberculés qui est spéciale aux mers de l’Inde. |
| These graceful molluscs moved backwards by means of their locomotive tube, through which they propelled the water already drawn in. Of their eight tentacles, six were elongated, and stretched out floating on the water, whilst the other two, rolled up flat, were spread to the wing like a light sail. I saw their spiral-shaped and fluted shells, which Cuvier justly compares to an elegant skiff. A boat indeed! It bears the creature which secretes it without its adhering to it. | Ces gracieux mollusques se mouvaient à reculons au moyen de leur tube locomoteur en chassant par ce tube l’eau qu’ils avaient aspirée. De leurs huit tentacules, six, allongés et amincis, flottaient sur l’eau, tandis que les deux autres, arrondis en palmes, se tendaient au vent comme une voile légère. Je voyais parfaitement leur coquille spiraliforme et ondulée que Cuvier compare justement à une élégante chaloupe. Véritable bateau en effet. Il transporte l’animal qui l’a sécrété, sans que l’animal y adhère. |
| «L’argonaute est libre de quitter sa coquille, dis-je à Conseil, mais il ne la quitte jamais. —Ainsi fait le capitaine Nemo, répondit judicieusement Conseil. C’est pourquoi il eût mieux fait d’appeler son navire l’Argonaute.» | |
| For nearly an hour the Nautilus floated in the midst of this shoal of molluscs. Then I know not what sudden fright they took. But as if at a signal every sail was furled, the arms folded, the body drawn in, the shells turned over, changing their centre of gravity, and the whole fleet disappeared under the waves. Never did the ships of a squadron manoeuvre with more unity. | Pendant une heure environ, le Nautilus flotta au milieu de cette troupe de mollusques. Puis, je ne sais quel effroi les prit soudain. Comme à un signal, toutes les voiles furent subitement amenées; les bras se replièrent, les corps se contractèrent, les coquilles se renversant changèrent leur centre de gravité, et toute la flottille disparut sous les flots. Ce fut instantané, et jamais navires d’une escadre ne manœuvrèrent avec plus d’ensemble. |
| At that moment night fell suddenly, and the reeds, scarcely raised by the breeze, lay peaceably under the sides of the Nautilus. | En ce moment, la nuit tomba subitement, et les lames, à peine soulevées par la brise, s’allongèrent paisiblement sous les précintes du Nautilus. |
| The next day, 26th of January, we cut the equator at the eighty-second meridian and entered the northern hemisphere. During the day a formidable troop of sharks accompanied us, terrible creatures, which multiply in these seas and make them very dangerous. | Le lendemain, 26 janvier, nous coupions l’Équateur sur le quatre-vingt-deuxième méridien, et nous rentrions dans l’hémisphère boréal. Pendant cette journée, une formidable troupe de squales nous fit cortége. Terribles animaux qui pullulent dans ces mers et les rendent fort dangereuses. |
| They were “cestracio philippi” sharks, with brown backs and whitish bellies, armed with eleven rows of teeth—eyed sharks—their throat being marked with a large black spot surrounded with white like an eye. There were also some Isabella sharks, with rounded snouts marked with dark spots. | C’étaient des squales philipps au dos brun et au ventre blanchâtre, armés de onze rangées de dents, des squales œillés dont le cou est marqué d’une grande tache noire cerclée de blanc qui ressemble à un œil, des squales isabelle à museau arrondi et semé de points obscurs. |
| These powerful creatures often hurled themselves at the windows of the saloon with such violence as to make us feel verye insecure. At such times Ned Land was no longer master of himself. He wanted to go to the surface and harpoon the monsters, particularly certain smooth-hound sharks, whose mouth is studded with teeth like a mosaic; and large tiger-sharks nearly six yards long, the last named of which seemed to excite him more particularly. But the Nautilus, accelerating her speed, easily left the most rapid of them behind. | Souvent, ces puissants animaux se précipitaient contre la vitre du salon avec une violence peu rassurante. Ned Land ne se possédait plus alors. Il voulait remonter à la surface des flots et harponner ces monstres, surtout certains squales émissoles dont la gueule est pavée de dents disposées comme une mosaïque, et de grands squales tigrés, longs de cinq mètres, qui le provoquaient avec une insistance toute particulière. Mais bientôt le Nautilus, accroissant sa vitesse, laissa facilement en arrière les plus rapides de ces requins. |
C’étaient des squales philipps au dos brun et au ventre blanchâtre, armés de onze rangées de dents, des squales œillés dont le cou est marqué d’une grande tache noire cerclée de blanc qui ressemble à un œil, des squales isabelle à museau arrondi et semé de points obscurs. | |
| The 27th of January, at the entrance of the vast Bay of Bengal, we met repeatedly a forbidding spectacle, dead bodies floating on the surface of the water. They were the dead of the Indian villages, carried by the Ganges to the level of the sea, and which the vultures, the only undertakers of the country, had not been able to devour. But the sharks did not fail to help them at their funeral work. | Le 27 janvier, à l’ouvert du vaste golfe du Bengale, nous rencontrâmes à plusieurs reprises, spectacle sinistre! des cadavres qui flottaient à la surface des flots. C’étaient les morts des villes indiennes, charriés par le Gange jusqu’à la haute mer, et que les vautours, les seuls ensevelisseurs du pays, n’avaient pas achevé de dévorer. Mais les squales ne manquaient pas pour les aider dans leur funèbre besogne. |
| About seven o’clock in the evening, the Nautilus, half-immersed, was sailing in a sea of milk. At first sight the ocean seemed lactified. Was it the effect of the lunar rays? No; for the moon, scarcely two days old, was still lying hidden under the horizon in the rays of the sun. The whole sky, though lit by the sidereal rays, seemed black by contrast with the whiteness of the waters. | Vers sept heures du soir, le Nautilus à demi-immergé navigua au milieu d’une mer de lait. A perte de vue l’Océan semblait être lactifié. Était-ce l’effet des rayons lunaires? Non, car la lune, ayant deux jours à peine, était encore perdue au-dessous de l’horizon dans les rayons du soleil. Tout le ciel, quoique éclairé par le rayonnement sidéral, semblait noir par contraste avec la blancheur des eaux. |
| Conseil could not believe his eyes, and questioned me as to the cause of this strange phenomenon. Happily I was able to answer him. | Conseil ne pouvait en croire ses yeux, et il m’interrogeait sur les causes de ce singulier phénomène. Heureusement, j’étais en mesure de lui répondre. |
| “It is called a milk sea,” I explained. “A large extent of white wavelets often to be seen on the coasts of Amboyna, and in these parts of the sea.” | «C’est ce qu’on appelle une mer de lait, lui dis-je, vaste étendue de flots blancs qui se voit fréquemment sur les côtes d’Amboine et dans ces parages. |
| “But, sir,” said Conseil, “can you tell me what causes such an effect? for I suppose the water is not really turned into milk.” | —Mais, demanda Conseil, monsieur peut-il m’apprendre quelle cause produit un pareil effet, car cette eau ne s’est pas changée en lait, je suppose! |
| “No, my boy; and the whiteness which surprises you is caused only by the presence of myriads of infusoria, a sort of luminous little worm, gelatinous and without colour, of the thickness of a hair, and whose length is not more than seven-thousandths of an inch. These insects adhere to one another sometimes for several leagues.” | —Non, mon garçon, et cette blancheur qui te surprend n’est due qu’à la présence de myriades de bestioles infusoires, sortes de petits vers lumineux, d’un aspect gélatineux et incolore, de l’épaisseur d’un cheveu, et dont la longueur ne dépasse pas un cinquième de millimètre. Quelques-unes de ces bestioles adhèrent entre elles pendant l’espace de plusieurs lieues. |
| “Several leagues!” exclaimed Conseil. | —Plusieurs lieues! s’écria Conseil. |
| “Yes, my boy; and you need not try to compute the number of these infusoria. You will not be able, for, if I am not mistaken, ships have floated on these milk seas for more than forty miles.” | —Oui, mon garçon, et ne cherche pas à supputer le nombre de ces infusoires! Tu n’y parviendrais pas, car, si je ne me trompe, certains navigateurs ont flotté sur ces mers de lait pendant plus de quarante milles.» |
| Je ne sais si Conseil tint compte de ma recommandation, mais il parut se plonger dans des réflexions profondes, cherchant sans doute à évaluer combien quarante milles carrés contiennent de cinquièmes de millimètres. Pour moi, je continuai d’observer le phénomène. Pendant plusieurs heures, le Nautilus trancha de son éperon ces flots blanchâtres, et je remarquai qu’il glissait sans bruit sur cette eau savonneuse, comme s’il eût flotté dans ces remous d’écume que les courants et les contre-courants des baies laissaient quelquefois entre eux. | |
| Towards midnight the sea suddenly resumed its usual colour; but behind us, even to the limits of the horizon, the sky reflected the whitened waves, and for a long time seemed impregnated with the vague glimmerings of an aurora borealis. | Vers minuit, la mer reprit subitement sa teinte ordinaire, mais derrière nous, jusqu’aux limites de l’horizon, le ciel, réfléchissant la blancheur des flots, sembla longtemps imprégné des vagues lueurs d’une aurore boréale. |
| CHAPTER II A NOVEL PROPOSAL OF CAPTAIN NEMO’S | CHAPITRE II UNE NOUVELLE PROPOSITION DU CAPITAINE NEMO. |
| On the 28th of February, when at noon the Nautilus came to the surface of the sea, in 9° 4′ N. lat., there was land in sight about eight miles to westward. The first thing I noticed was a range of mountains about two thousand feet high, the shapes of which were most capricious. On taking the bearings, I knew that we were nearing the island of Ceylon, the pearl which hangs from the lobe of the Indian Peninsula. | Le 28 février, lorsque le Nautilus revint à midi à la surface de la mer, par 9° 4′ de latitude nord, il se trouvait en vue d’une terre qui lui restait à huit milles dans l’ouest. J’observai tout d’abord une agglomération de montagnes, hautes de deux mille pieds environ, dont les formes se modelaient très-capricieusement. Le point terminé, je rentrai dans le salon, et lorsque le relèvement eut été reporté sur la carte, je reconnus que nous étions en présence de l’île de Ceyland, cette perle qui pend au lobe inférieur de la péninsule indienne. |
| J’allai chercher dans la bibliothèque quelque livre relatif à cette île, l’une des plus fertiles du globe. Je trouvai précisément un volume de Sirr H. C., esq., intitulé Ceylan and the Cingalese. Rentré au salon, je notai d’abord les relèvements de Ceyland, à laquelle l’antiquité avait prodigué tant de noms divers. Sa situation était entre 5° 55′ et 9° 49′ de latitude nord, et entre 79° 42′ et 82° 4′ de longitude à l’est du méridien de Greenwich; sa longueur, deux cent soixante-quinze milles; sa largeur maximum, cent cinquante milles; sa circonférence, neuf cents milles; sa superficie, vingt-quatre mille quatre cent quarante-huit milles, c’est-à-dire un peu inférieure à celle de l’Irlande. | |
| Captain Nemo and his second appeared at this moment. The Captain glanced at the map. Then turning to me, said: | Le capitaine Nemo et son second parurent en ce moment. Le capitaine jeta un coup d’œil sur la carte. Puis, se retournante vers moi: |
| “The Island of Ceylon, noted for its pearl-fisheries. Would you like to visit one of them, M. Aronnax?” | «L’île de Ceyland, dit-il, une terre célèbre par ses pêcheries de perles. Vous serait-il agréable, monsieur Aronnax, de visiter l’une de ses pêcheries? |
| “Certainly, Captain.” | —Sans aucun doute, capitaine. |
| “Well, the thing is easy. Though, if we see the fisheries, we shall not see the fishermen. The annual exportation has not yet begun. Never mind, I will give orders to make for the Gulf of Manaar, where we shall arrive in the night.” | —Bien. Ce sera chose facile. Seulement, si nous voyons les pêcheries, nous ne verrons pas les pêcheurs. L’exploitation annuelle n’est pas encore commencée. N’importe. Je vais donner l’ordre de rallier le golfe de Manaar, où nous arriverons dans la nuit.» |
| The Captain said something to his second, who immediately went out. Soon the Nautilus returned to her native element, and the manometer showed that she was about thirty feet deep. | Le capitaine dit quelques mots à son second qui sortit aussitôt. Bientôt le Nautilus rentra dans son liquide élément, et le manomètre indiqua qu’il s’y tenait à une profondeur de trente pieds. |
La carte sous les yeux, je cherchai alors ce golfe de Manaar. Je le trouvai par le neuvième parallèle, sur la côte nord-ouest de Ceyland. Il était formé par une ligne allongée de la petite île Manaar. Pour l’atteindre, il fallait remonter tout le rivage occidental de Ceyland. «Monsieur le professeur, me dit alors le capitaine Nemo, on pêche des perles dans le golfe du Bengale, dans la mer des Indes, dans les mers de Chine et du Japon, dans les mers du sud de l’Amérique, au golfe de Panama, au golfe de Californie; mais c’est à Ceyland que cette pêche obtient les plus beaux résultats. Nous arrivons un peu tôt, sans doute. Les pêcheurs ne se rassemblent que pendant le mois de mars au golfe de Manaar, et là, pendant trente jours, leurs trois cents bateaux se livrent à cette lucrative exploitation des trésors de la mer. Chaque bateau est monté par dix rameurs et par dix pêcheurs. Ceux-ci, divisés en deux groupes, plongent alternativement et descendent à une profondeur de douze mètres au moyen d’une lourde pierre qu’ils saisissent entre leurs pieds et qu’une corde rattache au bateau. —Ainsi, dis-je, c’est toujours ce moyen primitif qui est encore en usage? —Toujours, me répondit le capitaine Nemo, bien que ces pêcheries appartiennent au peuple le plus industrieux du globe, aux Anglais, auxquels le traité d’Amiens les a cédées en 1802. —Il me semble, cependant, que le scaphandre, tel que vous l’employez, rendrait de grands services dans une telle opération. —Oui, car ces pauvres pêcheurs ne peuvent demeurer longtemps sous l’eau. L’Anglais Perceval, dans son voyage à Ceyland, parle bien d’un Cafre qui restait cinq minutes sans remonter à la surface, mais le fait me paraît peu croyable. Je sais que quelques plongeurs vont jusqu’à cinquante-sept secondes, et de très-habiles jusqu’à quatre-vingt-sept; toutefois ils sont rares, et, revenus à bord, ces malheureux rendent par le nez et les oreilles de l’eau teintée de sang. Je crois que la moyenne de temps que les pêcheurs peuvent supporter est de trente secondes, pendant lesquelles ils se hâtent d’entasser dans un petit filet toutes les huîtres perlières qu’ils arrachent; mais, généralement, ces pêcheurs ne vivent pas vieux; leur vue s’affaiblit; des ulcérations se déclarent à leurs yeux; des plaies se forment sur leur corps, et souvent même ils sont frappés d’apoplexie au fond de la mer. —Oui, dis-je, c’est un triste métier, et qui ne sert qu’à la satisfaction de quelques caprices. Mais, dites-moi, capitaine, quelle quantité d’huîtres peut pêcher un bateau dans sa journée? —Quarante à cinquante mille environ. On dit même qu’en 1814, le gouvernement anglais ayant fait pêcher pour son propre compte, ses plongeurs, dans vingt journées de travail, rapportèrent soixante-seize millions d’huîtres. —Au moins, demandai-je, ces pêcheurs sont-ils suffisamment rétribués? —A peine, monsieur le professeur. A Panama, ils ne gagnent qu’un dollar par semaine. Le plus souvent, ils ont un sol par huître qui renferme une perle, et combien en ramènent-ils qui n’en contiennent pas! —Un sol à ces pauvres gens qui enrichissent leurs maîtres! C’est odieux. | |
| “Well, sir,” said Captain Nemo, “you and your companions shall visit the Bank of Manaar, and if by chance some fisherman should be there, we shall see him at work.” | —Ainsi, monsieur le professeur, me dit le capitaine Nemo, vos compagnons et vous, vous visiterez le banc de Manaar, et si par hasard quelque pêcheur hâtif s’y trouve déjà, eh bien, nous le verrons opérer. |
| “Agreed, Captain!” | —C’est convenu, capitaine. |
| “By the bye, M. Aronnax you are not afraid of sharks?” | —A propos, monsieur Aronnax, vous n’avez pas peur des requins? |
| “Sharks!” exclaimed I. | —Des requins?» m’écriai-je. |
| This question seemed a very hard one. | Cette question me parut, pour le moins, très-oiseuse. |
| “Well?” continued Captain Nemo. | «Eh bien? reprit le capitaine Nemo. |
| “I admit, Captain, that I am not yet very familiar with that kind of fish.” | —Je vous avouerai, capitaine, que je ne suis pas encore très-familiarisé avec ce genre de poissons. |
| “We are accustomed to them,” replied Captain Nemo, “and in time you will be too. However, we shall be armed, and on the road we may be able to hunt some of the tribe. It is interesting. So, till to-morrow, sir, and early.” | —Nous y sommes habitués, nous autres, répliqua le capitaine Nemo, et avec le temps, vous vous y ferez. D’ailleurs, nous serons armés, et, chemin faisant, nous pourrons peut-être chasser quelque squale. C’est une chasse intéressante. Ainsi donc, à demain, monsieur le professeur, et de grand matin.» |
| This said in a careless tone, Captain Nemo left the saloon. Now, if you were invited to hunt the bear in the mountains of Switzerland, what would you say? | |
| “Very well! to-morrow we will go and hunt the bear.” If you were asked to hunt the lion in the plains of Atlas, or the tiger in the Indian jungles, what would you say? | Cela dit d’un ton dégagé, le capitaine Nemo quitta le salon. On vous inviterait à chasser l’ours dans les montagnes de la Suisse, que vous diriez: |
| “Ha! ha! it seems we are going to hunt the tiger or the lion!” But when you are invited to hunt the shark in its natural element, you would perhaps reflect before accepting the invitation. As for myself, I passed my hand over my forehead, on which stood large drops of cold perspiration. “Let us reflect,” said I, “and take our time. | «Très-bien! demain nous irons chasser l’ours.» On vous inviterait à chasser le lion dans les plaines de l’Atlas, ou le tigre dans les jungles de l’Inde, que vous diriez: «Ah! ah! il paraît que nous allons chasser le tigre ou le lion!» Mais on vous inviterait à chasser le requin dans son élément naturel, que vous demanderiez peut-être à réfléchir avant d’accepter cette invitation. Pour moi, je passai ma main sur mon front où perlaient quelques gouttes de sueur froide. «Réfléchissons, me dis-je, et prenons notre temps. |
| Hunting otters in submarine forests, as we did in the Island of Crespo, will pass; but going up and down at the bottom of the sea, where one is almost certain to meet sharks, is quite another thing! | Chasser des loutres dans les forêts sous-marines, comme nous l’avons fait dans les forêts de l’île Crespo, passe encore. Mais courir le fond des mers, quand on est à peu près certain d’y rencontrer des squales, c’est autre chose! |
| I know well that in certain countries, particularly in the Andaman Islands, the negroes never hesitate to attack them with a dagger in one hand and a running noose in the other; but I also know that few who affront those creatures ever return alive. However, I am not a negro, and if I were I think a little hesitation in this case would not be ill-timed.” | Je sais bien que dans certains pays, aux îles Andamènes particulièrement, les nègres n’hésitent pas à attaquer le requin, un poignard dans une main et un lacet dans l’autre, mais je sais aussi que beaucoup de ceux qui affrontent ces formidables animaux ne reviennent pas vivants! D’ailleurs, je ne suis pas un nègre, et quand je serais un nègre, je crois que, dans ce cas, une légère hésitation de ma part ne serait pas déplacée.» |
| Et me voilà rêvant de requins, songeant à ces vastes mâchoires armées de multiples rangées de dents, et capables de couper un homme en deux. Je me sentais déjà une certaine douleur autour des reins. Puis, je ne pouvais digérer le sans-façon avec lequel le capitaine avait fait cette déplorable invitation! N’eût-on pas dit qu’il s’agissait d’aller traquer sous bois quelque renard inoffensif? «Bon! pensai-je, jamais Conseil ne voudra venir, et cela me dispensera d’accompagner le capitaine.» Quant à Ned Land, j’avoue que je ne me sentais pas aussi sûr de sa sagesse. Un péril, si grand qu’il fût, avait toujours un attrait pour sa nature batailleuse. Je repris ma lecture du livre de Sirr, mais je le feuilletai machinalement. Je voyais, entre les lignes, des mâchoires formidablement ouvertes. | |
| At this moment Conseil and the Canadian entered, quite composed, and even joyous. They knew not what awaited them. | En ce moment, Conseil et le Canadien entrèrent, l’air tranquille et même joyeux. Ils ne savaient pas ce qui les attendait. |
| “Faith, sir,” said Ned Land, “your Captain Nemo—the devil take him!—has just made us a very pleasant offer.” | «Ma foi, monsieur, me dit Ned Land, votre capitaine Nemo,—que le diable emporte!—vient de nous faire une très-aimable proposition. |
| “Ah!” said I, “you know?” | —Ah! dis-je, vous savez… |
| “If agreeable to you, sir,” interrupted Conseil, “the commander of the Nautilus has invited us to visit the magnificent Ceylon fisheries to-morrow, in your company; he did it kindly, and behaved like a real gentleman.” | —N’en déplaise à monsieur, répondit Conseil, le commandant du Nautilus nous a invités à visiter demain, en compagnie de monsieur, les magnifiques pêcheries de Ceyland. Il l’a fait en termes excellents et s’est conduit en véritable gentleman. |
| “He said nothing more?” | —Il ne vous a rien dit de plus? |
| “Nothing more, sir, except that he had already spoken to you of this little walk.” | —Rien, monsieur, répondit le Canadien, si ce n’est qu’il vous avait parlé de cette petite promenade. |
| “Sir,” said Conseil, “would you give us some details of the pearl fishery?” | —En effet, dis-je. Et il ne vous a donné aucun détail sur… |
| —Aucun, monsieur le naturaliste. Vous nous accompagnerez, n’est-il pas vrai? —Moi… sans doute! Je vois que vous y prenez goût, maître Land. —Oui! c’est curieux, très-curieux. —Dangereux peut-être! ajoutai-je d’un ton insinuant. —Dangereux, répondit Ned Land, une simple excursion sur un banc d’huîtres!» Décidément le capitaine Nemo avait jugé inutile d’éveiller l’idée de requins dans l’esprit de mes compagnons. Moi, je les regardais d’un œil troublé, et comme s’il leur manquait déjà quelque membre. Devais-je les prévenir? Oui, sans doute, mais je ne savais trop comment m’y prendre. «Monsieur, me dit Conseil, monsieur voudra-t-il nous donner des détails sur la pêche des perles? | |
| “As to the fishing itself,” I asked, “or the incidents, which?” | —Sur la pêche elle-même, demandai-je, ou sur les incidents qui… |
| “On the fishing,” replied the Canadian; “before entering upon the ground, it is as well to know something about it.” | —Sur la pêche, répondit le Canadien. Avant de s’engager sur le terrain, il est bon de le connaître. |
| “Very well; sit down, my friends, and I will teach you.” | —Eh bien! asseyez-vous, mes amis, et je vais vous apprendre tout ce que l’anglais Sirr vient de m’apprendre à moi-même.» |
| Ned and Conseil seated themselves on an ottoman, and the first thing the Canadian asked was: | Ned et Conseil prirent place sur un divan, et tout d’abord le Canadien me dit: |
| “Sir, what is a pearl?” | «Monsieur, qu’est-ce que c’est qu’une perle? |
| “My worthy Ned,” I answered, “to the poet, a pearl is a tear of the sea; to the Orientals, it is a drop of dew solidified; to the ladies, it is a jewel of an oblong shape, of a brilliancy of mother-of-pearl substance, which they wear on their fingers, their necks, or their ears; for the chemist it is a mixture of phosphate and carbonate of lime, with a little gelatine; and lastly, for naturalists, it is simply a morbid secretion of the organ that produces the mother-of-pearl amongst certain bivalves.” | —Mon brave Ned, répondis-je, pour le poëte, la perle est une larme de la mer; pour les Orientaux, c’est une goutte de rosée solidifiée; pour les dames, c’est un bijou de forme oblongue, d’un éclat hyalin, d’une matière nacrée, qu’elles portent au doigt, au cou ou à l’oreille; pour le chimiste, c’est un mélange de phosphate et de carbonate de chaux avec un peu de gélatine, et enfin, pour les naturalistes, c’est une simple sécrétion maladive de l’organe qui produit la nacre chez certains bivalves. |
| “Branch of molluscs,” said Conseil. | —Embranchement des mollusques, dit Conseil, classe des acéphales, ordre des testacés. |
| “Precisely so, my learned Conseil; and, amongst these testacea the earshell, the tridacnae, the turbots, in a word, all those which secrete mother-of-pearl, that is, the blue, bluish, violet, or white substance which lines the interior of their shells, are capable of producing pearls.” | —Précisément, savant Conseil. Or, parmi ces testacés, l’oreille-de-mer iris, les turbots, les tridacnes, les pinnes-marines, en un mot tous ceux qui sécrètent la nacre, c’est-à-dire cette substance bleue, bleuâtre, violette ou blanche, qui tapisse l’intérieur de leurs valves, sont susceptibles de produire des perles. |
| “Mussels too?” asked the Canadian. | —Les moules aussi? demanda le Canadien. |
| “Yes, mussels of certain waters in Scotland, Wales, Ireland, Saxony, Bohemia, and France.” | —Oui! les moules de certains cours d’eau de l’Écosse, du pays de Galles, de l’Irlande, de la Saxe, de la Bohême, de la France. |
| “Good! For the future I shall pay attention,” replied the Canadian. | —Bon! on y fera attention, désormais, répondit le Canadien. |
| “But,” I continued, “the particular mollusc which secretes the pearl is the pearl-oyster, the meleagrina margaritiferct, that precious pintadine. The pearl is nothing but a nacreous formation, deposited in a globular form, either adhering to the oyster shell, or buried in the folds of the creature. | —Mais, repris-je, le mollusque par excellence qui distille la perle, c’est l’huître perlière, la méléagrina Margaritifera, la précieuse pintadine. La perle n’est qu’une concrétion nacrée qui se dispose sous une forme globuleuse. Ou elle adhère à la coquille de l’huître, ou elle s’incruste dans les plis de l’animal. |
| On the shell it is fast; in the flesh it is loose; but always has for a kernel a small hard substance, may be a barren egg, may be a grain of sand, around which the pearly matter deposits itself year after year successively, and by thin concentric layers.” | Sur les valves, la perle est adhérente; sur les chairs, elle est libre. Mais elle a toujours pour noyau un petit corps dur, soit un ovule stérile, soit un grain de sable, autour duquel la matière nacrée se dépose en plusieurs années, successivement et par couches minces et concentriques. |
| “Are many pearls found in the same oyster?” asked Conseil. | —Trouve-t-on plusieurs perles dans une même huître? demanda Conseil. |
| “Yes, my boy. Some are a perfect casket. One oyster has been mentioned, though I allow myself to doubt it, as having contained no less than a hundred and fifty sharks.” | —Oui, mon garçon. Il y a de certaines pintadines qui forment un véritable écrin. On a même cité une huître, mais je me permets d’en douter, qui ne contenait pas moins de cent cinquante requins. |
| “A hundred and fifty sharks!” exclaimed Ned Land. | —Cent cinquante requins! s’écria Ned Land. |
| “Did I say sharks?” said I hurriedly. “I meant to say a hundred and fifty pearls. Sharks would not be sense.” | —Ai-je dit requins? m’écriai-je vivement. Je veux dire cent cinquante perles. Requins n’aurait aucun sens. |
| “Certainly not,” said Conseil; “but will you tell us now by what means they extract these pearls?” | —En effet, dit Conseil. Mais monsieur nous apprendra-t-il maintenant par quels moyens on extrait ces perles? |
| “They proceed in various ways. When they adhere to the shell, the fishermen often pull them off with pincers; but the most common way is to lay the oysters on mats of the seaweed which covers the banks. Thus they die in the open air; and at the end of ten days they are in a forward state of decomposition. They are then plunged into large reservoirs of sea-water; then they are opened and washed.” | —On procède de plusieurs façons, et souvent même, quand les perles adhèrent aux valves, les pêcheurs les arrachent avec des pinces. Mais, le plus communément, les pintadines sont étendues sur des nattes de sparterie qui couvrent le rivage. Elles meurent ainsi à l’air libre, et, au bout de dix jours, elles se trouvent dans un état satisfaisant de putréfaction. On les plonge alors dans de vastes réservoirs d’eau de mer, puis on les ouvre et on les lave. |
| C’est à ce moment que commence le double travail des rogueurs. D’abord, ils séparent les plaques de nacre connues dans le commerce sous le nom de franche argentée, de bâtarde blanche et de bâtarde noire, qui sont livrées par caisses de cent vingt-cinq à cent cinquante kilogrammes. Puis, ils enlèvent le parenchyme de l’huître, ils le font bouillir, et ils le tamisent afin d’en extraire jusqu’aux plus petites perles. | |
| “The price of these pearls varies according to their size?” asked Conseil. | —Le prix de ces perles varie suivant leur grosseur? demanda Conseil. |
| “Not only according to their size,” I answered, “but also according to their shape, their water (that is, their colour), and their lustre: that is, that bright and diapered sparkle which makes them so charming to the eye. The most beautiful are called virgin pearls, or paragons. They are formed alone in the tissue of the mollusc, are white, often opaque, and sometimes have the transparency of an opal; they are generally round or oval. | —Non-seulement selon leur grosseur, répondis-je, mais aussi selon leur forme, selon leur eau, c’est-à-dire leur couleur, et selon leur orient, c’est-à-dire cet éclat chatoyant et diapré qui les rend si charmantes à l’œil. Les plus belles perles sont appelées perles vierges ou paragons; elles se forment isolément dans le tissu du mollusque; elles sont blanches, souvent opaques, mais quelquefois d’une transparence opaline, et le plus communément sphériques ou piriformes. |
| The round are made into bracelets, the oval into pendants, and, being more precious, are sold singly. Those adhering to the shell of the oyster are more irregular in shape, and are sold by weight. Lastly, in a lower order are classed those small pearls known under the name of seed-pearls; they are sold by measure, and are especially used in embroidery for church ornaments.” | Sphériques, elles forment les bracelets; piriformes, des pendeloques, et, étant les plus précieuses, elles se vendent à la pièce. Les autres perles adhèrent à la coquille de l’huître, et, plus irrégulières, elles se vendent au poids. Enfin, dans un ordre inférieur se classent les petites perles, connues sous le nom de semences; elles se vendent à la mesure et servent plus particulièrement à exécuter des broderies sur les ornements d’église. |
| —Mais ce travail, qui consiste à séparer les perles selon leur grosseur, doit être long et difficile, dit le Canadien. —Non, mon ami. Ce travail se fait au moyen de onze tamis ou cribles percés d’un nombre variable de trous. Les perles qui restent dans les tamis, qui comptent de vingt à quatre-vingts trous, sont de premier ordre. Celles qui ne s’échappent pas des cribles percés de cent à huit cents trous sont de second ordre. Enfin, les perles pour lesquelles l’on emploie les tamis percés de neuf cents à mille trous forment la semence. —C’est ingénieux, dit Conseil, et je vois que la division, le classement des perles, s’opère mécaniquement. Et monsieur pourra-t-il nous dire ce que rapporte l’exploitation des bancs d’huîtres perlières? —A s’en tenir au livre de Sirr, répondis-je, les pêcheries de Ceyland sont affermées annuellement pour la somme de trois millions de squales. —De francs! reprit Conseil. —Oui, de francs! Trois millions de francs, repris-je. Mais je crois que ces pêcheries ne rapportent plus ce qu’elles rapportaient autrefois. Il en est de même des pêcheries américaines, qui, sous le règne de Charles-Quint, produisaient quatre millions de francs, présentement réduits aux deux tiers. En somme, on peut évaluer à neuf millions de francs le rendement général de l’exploitation des perles. —Mais, demanda Conseil, est-ce que l’on ne cite pas quelques perles célèbres qui ont été cotées à un très-haut prix? —Oui, mon garçon. On dit que César offrit à Servillia une perle estimée cent vingt mille francs de notre monnaie. —J’ai même entendu raconter, dit le Canadien, qu’une certaine dame antique buvait des perles dans son vinaigre. —Cléopâtre, riposta Conseil. —Ça devait être mauvais, ajouta Ned Land. —Détestable, ami Ned, répondit Conseil; mais un petit verre de vinaigre qui coûte quinze cents mille francs, c’est d’un joli prix. —Je regrette de ne pas avoir épousé cette dame, dit le Canadien en manœuvrant son bras d’un air peu rassurant. —Ned Land l’époux de Cléopâtre! s’écria Conseil. —Mais j’ai dû me marier, Conseil, répondit sérieusement le Canadien, et ce n’est pas ma faute si l’affaire n’a pas réussi. J’avais même acheté un collier de perles à Kat Tender, ma fiancée, qui, d’ailleurs, en a épousé un autre. Eh bien, ce collier ne m’avait pas coûté plus d’un dollar et demi, et cependant,—monsieur le professeur voudra bien me croire,—les perles qui le composaient n’auraient pas passé par le tamis de vingt trous. —Mon brave Ned, répondis-je en riant, c’étaient des perles artificielles, de simples globules de verre enduits à l’intérieur d’essence d’Orient. —Eh! cette essence d’Orient, répondit le Canadien, cela doit coûter cher. —Si peu que rien! Ce n’est autre chose que la substance argentée de l’écaille de l’ablette, recueillie dans l’eau et conservée dans l’ammoniaque. Elle n’a aucune valeur. —C’est peut-être pour cela que Kat Tender en a épousé un autre, répondit philosophiquement maître Land. —Mais, dis-je, pour en revenir aux perles de haute valeur, je ne crois pas que jamais souverain en ait possédé une supérieure à celle du capitaine Nemo. —Celle-ci, dit Conseil, en montrant le magnifique bijou enfermé sous sa vitrine. —Certainement, je ne me trompe pas en lui assignant une valeur de deux millions de… —Francs! dit vivement Conseil. —Oui, dis-je, deux millions de francs, et, sans doute, elle n’aura coûté au capitaine que la peine de la ramasser. —Eh! s’écria Ned Land, qui dit que demain, pendant notre promenade, nous ne rencontrerons pas sa pareille! —Bah! fit Conseil. —Et pourquoi pas? —A quoi des millions nous serviraient-ils à bord du Nautilus? —A bord, non, dit Ned Land, mais… ailleurs. —Oh! ailleurs! fit Conseil en secouant la tête. —Au fait, dis-je, maître Land a raison. Et si nous rapportons jamais en Europe ou en Amérique une perle de quelques millions, voilà du moins qui donnera une grande authenticité, et, en même temps, un grand prix au récit de nos aventures. —Je le crois, dit le Canadien. | |
| “But,” said Conseil, “is this pearl-fishery dangerous?” | —Mais, dit Conseil, qui revenait toujours au côté instructif des choses, est-ce que cette pêche des perles est dangereuse? |
| “No,” I answered, quickly; “particularly if certain precautions are taken.” | —Non, répondis-je vivement, surtout si l’on prend certaines précautions. |
| “What does one risk in such a calling?” said Ned Land, “the swallowing of some mouthfuls of sea-water?” | —Que risque-t-on dans ce métier? dit Ned Land: d’avaler quelques gorgées d’eau de mer! |
| “As you say, Ned. By the bye,” said I, trying to take Captain Nemo’s careless tone, “are you afraid of sharks, brave Ned?” | —Comme vous dites, Ned. A propos, dis-je, en essayant de prendre le ton dégagé du capitaine Nemo, est-ce que vous avez peur des requins, brave Ned? |
| “I!” replied the Canadian; “a harpooner by profession? It is my trade to make light of them.” | —Moi, répondit le Canadien, un harponneur de profession! C’est mon métier de me moquer d’eux! |
| “But,” said I, “it is not a question of fishing for them with an iron-swivel, hoisting them into the vessel, cutting off their tails with a blow of a chopper, ripping them up, and throwing their heart into the sea!” | —Il ne s’agit pas, dis-je, de les pêcher avec un émerillon, de les hisser sur le pont d’un navire, de leur couper la queue à coups de hache, de leur ouvrir le ventre, de leur arracher le cœur et de le jeter à la mer! |
| “Then, it is a question of——” | —Alors, il s’agit de…? |
| “Precisely.” | —Oui, précisément. |
| “In the water?” | —Dans l’eau? |
| “In the water.” | —Dans l’eau. |
| “Faith, with a good harpoon! You know, sir, these sharks are ill-fashioned beasts. They turn on their bellies to seize you, and in that time——” | —Ma foi, avec un bon harpon! Vous savez, monsieur, ces requins, ce sont des bêtes assez mal façonnées. Il faut qu’elles se retournent sur le ventre pour vous happer, et, pendant ce temps…» |
| Ned Land had a way of saying “seize” which made my blood run cold. | Ned Land avait une manière de prononcer le mot «happer» qui donnait froid dans le dos. |
| “Well, and you, Conseil, what do you think of sharks?” | «Eh bien, et toi, Conseil, que penses-tu de ces squales? |
| “Me!” said Conseil. “I will be frank, sir.” | —Moi, dit Conseil, je serai franc avec monsieur. |
| “So much the better,” thought I. | —A la bonne heure, pensai-je. |
| “If you, sir, mean to face the sharks, I do not see why your faithful servant should not face them with you.” | —Si monsieur affronte les requins, dit Conseil, je ne vois pas pourquoi son fidèle domestique ne les affronterait pas avec lui!» |
| CHAPTER III A PEARL OF TEN MILLIONS | CHAPITRE III UNE PERLE DE DIX MILLIONS. |
| La nuit arriva. Je me couchai. Je dormis assez mal. Les squales jouèrent un rôle important dans mes rêves, et je trouvai très-juste et très-injuste à la fois cette étymologie qui fait venir le mot requin du mot «requiem.» | |
| The next morning at four o’clock I was awakened by the steward whom Captain Nemo had placed at my service. I rose hurriedly, dressed, and went into the saloon. | Le lendemain, à quatre heures du matin, je fus réveillé par le stewart que le capitaine Nemo avait spécialement mis à mon service. Je me levai rapidement, je m’habillai et je passai dans le salon. |
| Captain Nemo was awaiting me. | Le capitaine Nemo m’y attendait. |
| “M. Aronnax,” said he, “are you ready to start?” | «Monsieur Aronnax, me dit-il, êtes-vous prêt à partir? |
| “I am ready.” | —Je suis prêt. |
| “Then please to follow me.” | —Veuillez me suivre. |
| “And my companions, Captain?” | —Et mes compagnons, capitaine? |
| “They have been told and are waiting.” | —Ils sont prévenus et nous attendent. |
| “Are we not to put on our diver’s dresses?” asked I. | —N’allons-nous pas revêtir nos scaphandres? demandai-je. |
| “Not yet. I have not allowed the Nautilus to come too near this coast, and we are some distance from the Manaar Bank; but the boat is ready, and will take us to the exact point of disembarking, which will save us a long way. It carries our diving apparatus, which we will put on when we begin our submarine journey.” | —Pas encore. Je n’ai pas laissé le Nautilus approcher de trop près cette côte, et nous sommes assez au large du banc de Manaar; mais j’ai fait parer le canot qui nous conduira au point précis de débarquement et nous épargnera un assez long trajet. Il emporte nos appareils de plongeurs, que nous revêtirons au moment où commencera cette exploration sous-marine.» |
| Captain Nemo conducted me to the central staircase, which led on the platform. Ned and Conseil were already there, delighted at the idea of the “pleasure party” which was preparing. Five sailors from the Nautilus, with their oars, waited in the boat, which had been made fast against the side. | Le capitaine Nemo me conduisit vers l’escalier central, dont les marches aboutissaient à la plate-forme. Ned et Conseil se trouvaient là, enchantés de «la partie de plaisir» qui se préparait. Cinq matelots du Nautilus, les avirons armés, nous attendaient dans le canot qui avait été bossé contre le bord. |
| The night was still dark. Layers of clouds covered the sky, allowing but few stars to be seen. I looked on the side where the land lay, and saw nothing but a dark line enclosing three parts of the horizon, from south-west to north west. | La nuit était encore obscure. Des plaques de nuages couvraient le ciel et ne laissaient apercevoir que de rares étoiles. Je portai mes yeux du côté de la terre, mais je ne vis qu’une ligne trouble qui fermait les trois quarts de l’horizon du sud-ouest au nord-ouest. |
| The Nautilus, having returned during the night up the western coast of Ceylon, was now west of the bay, or rather gulf, formed by the mainland and the Island of Manaar. There, under the dark waters, stretched the pintadine bank, an inexhaustible field of pearls, the length of which is more than twenty miles. | Le Nautilus, ayant remonté pendant la nuit la côte occidentale de Ceylan, se trouvait à l’ouest de la baie, ou plutôt de ce golfe formé par cette terre et l’île de Manaar. Là, sous les sombres eaux, s’étendait le banc de pintadines, inépuisable champ de perles dont la longueur dépasse vingt milles. Akirill.com |
| Captain Nemo, Ned Land, Conseil, and I took our places in the stern of the boat. The master went to the tiller; his four companions leaned on their oars, the painter was cast off, and we sheered off. | Le capitaine Nemo, Conseil, Ned Land et moi, nous prîmes place à l’arrière du canot. Le patron de l’embarcation se mit à la barre; ses quatre compagnons appuyèrent sur leurs avirons; la bosse fut larguée et nous débordâmes. |
| The boat went towards the south; the oarsmen did not hurry. I noticed that their strokes, strong in the water, only followed each other every ten seconds, according to the method generally adopted in the navy. Whilst the craft was running by its own velocity, the liquid drops struck the dark depths of the waves crisply like spats of melted lead. A little billow, spreading wide, gave a slight roll to the boat, and some samphire reeds flapped before it. | Le canot se dirigea vers le sud. Ses nageurs ne se pressaient pas. J’observai que leurs coups d’aviron, vigoureusement engagés sous l’eau, ne se succédaient que de dix secondes en dix secondes, suivant la méthode généralement usitée dans les marines de guerre. Tandis que l’embarcation courait sur son erre, les gouttelettes liquides frappaient en crépitant le fond noir des flots comme des bavures de plomb fondu. Une petite houle, venue du large, imprimait au canot un léger roulis, et quelques crêtes de lames clapotaient à son avant. |
| We were silent. What was Captain Nemo thinking of? Perhaps of the land he was approaching, and which he found too near to him, contrary to the Canadian’s opinion, who thought it too far off. As to Conseil, he was merely there from curiosity. | Nous étions silencieux. A quoi songeait le capitaine Nemo? Peut-être à cette terre dont il s’approchait, et qu’il trouvait trop près de lui, contrairement à l’opinion du Canadien, auquel elle semblait encore trop éloignée. Quant à Conseil, il était là en simple curieux. |
| About half-past five the first tints on the horizon showed the upper line of coast more distinctly. Flat enough in the east, it rose a little to the south. Five miles still lay between us, and it was indistinct owing to the mist on the water. | Vers cinq heures et demie, les premières teintes de l’horizon accusèrent plus nettement la ligne supérieure de la côte. Assez plate dans l’est, elle se renflait un peu vers le sud. Cinq milles la séparaient encore, et son rivage se confondait avec les eaux brumeuses. Entre elle et nous, la mer était déserte. Pas un bateau, pas un plongeur. Solitude profonde sur ce lieu de rendez-vous des pêcheurs de perles. Ainsi que le capitaine Nemo me l’avait fait observer, nous arrivions un mois trop tôt dans ces parages. |
| At six o’clock it became suddenly daylight, with that rapidity peculiar to tropical regions, which know neither dawn nor twilight. The solar rays pierced the curtain of clouds, piled up on the eastern horizon, and the radiant orb rose rapidly. I saw land distinctly, with a few trees scattered here and there. The boat neared Manaar Island, which was rounded to the south. Captain Nemo rose from his seat and watched the sea. | A six heures, le jour se fit subitement, avec cette rapidité particulière aux régions tropicales, qui ne connaissent ni l’aurore ni le crépuscule. Les rayons solaires percèrent le rideau de nuages amoncelés sur l’horizon oriental, et l’astre radieux s’éleva rapidement. Je vis distinctement la terre, avec quelques arbres épars çà et là. Le canot s’avança vers l’île de Manaar, qui s’arrondissait dans le sud. Le capitaine Nemo s’était levé de son banc et observait la mer. |
| At a sign from him the anchor was dropped, but the chain scarcely ran, for it was little more than a yard deep, and this spot was one of the highest points of the bank of pintadines. | Sur un signe de lui, l’ancre fut mouillée, et la chaîne courut à peine, car le fond n’était pas à plus d’un mètre, et il formait en cet endroit l’un des plus hauts points du banc de pintadines. Le canot évita aussitôt sous la poussée du jusant qui portait au large. |
| “Here we are, M. Aronnax,” said Captain Nemo. “You see that enclosed bay? Here, in a month will be assembled the numerous fishing boats of the exporters, and these are the waters their divers will ransack so boldly. Happily, this bay is well situated for that kind of fishing. It is sheltered frome the strongest winds; the sea is never very rough here, which makes it favourable for the diver’s work. We will now put on our dresses, and begin our walk.” | «Nous voici arrivés, monsieur Aronnax, dit alors le capitaine Nemo. Vous voyez cette baie resserrée. C’est ici même que dans un mois se réuniront les nombreux bateaux de pêche des exploitants, et ce sont ces eaux que leurs plongeurs iront audacieusement fouiller. Cette baie est heureusement disposée pour ce genre de pêche. Elle est abritée des vents les plus forts, et la mer n’y est jamais très-houleuse, circonstance très-favorable au travail des plongeurs. Nous allons maintenant revêtir nos scaphandres, et nous commencerons notre promenade.» |
| I did not answer, and, while watching the suspected waves, began with the help of the sailors to put on my heavy sea-dress. Captain Nemo and my companions were also dressing. None of the Nautilus men were to accompany us on this new excursion. | Je ne répondis rien, et tout en regardant ces flots suspects, aidé des matelots de l’embarcation, je commençai à revêtir mon lourd vêtement de mer. Le capitaine Nemo et mes deux compagnons s’habillaient aussi. Aucun des hommes du Nautilus ne devait nous accompagner dans cette nouvelle excursion. |
| Soon we were enveloped to the throat in india-rubber clothing; the air apparatus fixed to our backs by braces. As to the Ruhmkorff apparatus, there was no necessity for it. Before putting my head into the copper cap, I had asked the question of the Captain. | Bientôt nous fûmes emprisonnés jusqu’au cou dans le vêtement de caoutchouc, et des bretelles fixèrent sur notre dos les appareils à air. Quant aux appareils Ruhmkorff, il n’en était pas question. Avant d’introduire ma tête dans sa capsule de cuivre, j’en fis l’observation au capitaine. |
| “They would be useless,” he replied. “We are going to no great depth, and the solar rays will be enough to light our walk. Besides, it would not be prudent to carry the electric light in these waters; its brilliancy might attract some of the dangerous inhabitants of the coast most inopportunely.” | «Ces appareils nous seraient inutiles, me répondit le capitaine. Nous n’irons pas à de grandes profondeurs, et les rayons solaires suffiront à éclairer notre marche. D’ailleurs, il n’est pas prudent d’emporter sous ces eaux une lanterne électrique. Son éclat pourrait attirer inopinément quelque dangereux habitant de ces parages.» |
| As Captain Nemo pronounced these words, I turned to Conseil and Ned Land. But my two friends had already encased their heads in the metal cap, and they could neither hear nor answer. | Pendant que le capitaine Nemo prononçait ces paroles, je me retournai vers Conseil et Ned Land. Mais ces deux amis avaient déjà emboîté leur tête dans la calotte métallique, et ils ne pouvaient ni entendre ni répondre. |
| One last question remained to ask of Captain Nemo. | Une dernière question me restait à adresser au capitaine Nemo: |
| “And our arms?” asked I; “our guns?” | «Et nos armes, lui demandai-je, nos fusils? |
| “Guns! What for? Do not mountaineers attack the bear with a dagger in their hand, and is not steel surer than lead? Here is a strong blade; put it in your belt, and we start.” | —Des fusils! à quoi bon? Vos montagnards n’attaquent-ils pas l’ours un poignard à la main, et l’acier n’est-il pas plus sûr que le plomb? Voici une lame solide. Passez-la à votre ceinture et partons.» |
| I looked at my companions; they were armed like us, and, more than that, Ned Land was brandishing an enormous harpoon, which he had placed in the boat before leaving the Nautilus. | Je regardai mes compagnons. Ils étaient armés comme nous, et, de plus, Ned Land brandissait un énorme harpon qu’il avait déposé dans le canot avant de quitter le Nautilus. |
| Then, following the Captain’s example, I allowed myself to be dressed in the heavy copper helmet, and our reservoirs of air were at once in activity. An instant after we were landed, one after the other, in about two yards of water upon an even sand. Captain Nemo made a sign with his hand, and we followed him by a gentle declivity till we disappeared under the waves. | Puis, suivant l’exemple du capitaine, je me laissai coiffer de la pesante sphère de cuivre, et nos réservoirs à air furent immédiatement mis en activité. Un instant après, les matelots de l’embarcation nous débarquaient les uns après les autres, et, par un mètre et demi d’eau, nous prenions pied sur un sable uni. Le capitaine Nemo nous fit un signe de la main. Nous le suivîmes, et par une pente douce nous disparûmes sous les flots. |
| Là, les idées qui obsédaient mon cerveau m’abandonnèrent. Je redevins étonnamment calme. La facilité de mes mouvements accrut ma confiance, et l’étrangeté du spectacle captiva mon imagination. Le soleil envoyait déjà sous les eaux une clarté suffisante. Les moindres objets restaient perceptibles. Après dix minutes de marche, nous étions par cinq mètres d’eau, et le terrain devenait à peu près plat. | |
| Over our feet, like coveys of snipe in a bog, rose shoals of fish, of the genus monoptera, which have no other fins but their tail. I recognized the Javanese, a real serpent two and a half feet long, of a livid colour underneath, and which might easily be mistaken for a conger eel if it were not for the golden stripes on its side. In the genus stromateus, whose bodies are very flat and oval, | Sur nos pas, comme des compagnies de bécassines dans un marais, se levaient des volées de poissons curieux du genre des monoptères, dont les sujets n’ont d’autre nageoire que celle de la queue. Je reconnus le javanais, véritable serpent long de huit décimètres, au ventre livide, que l’on confondrait facilement avec le congre sans les lignes d’or de ses flancs. Dans le genre des stromatées, dont le corps est très-comprimé et ovale, |
| I saw some of the most brilliant colours, carrying their dorsal fin like a scythe; an excellent eating fish, which, dried and pickled, is known by the name of Karawade; then some tranquebars, belonging to the genus apsiphoroides, whose body is covered with a shell cuirass of eight longitudinal plates. | j’observai des parus aux couleurs éclatantes portant comme une faux leur nageoire dorsale, poissons comestibles qui, séchés et marinés, forment un mets excellent connu sous le nom de karawade; puis des tranquebars, appartenant au genre des apsiphoroïdes, dont le corps est recouvert d’une cuirasse écailleuse à huit pans longitudinaux. |
| The heightening sun lit the mass of waters more and more. The soil changed by degrees. To the fine sand succeeded a perfect causeway of boulders, covered with a carpet of molluscs and zoophytes. Amongst the specimens of these branches I noticed some placenae, with thin unequal shells, a kind of ostracion peculiar to the Red Sea and the Indian Ocean; some orange lucinae with rounded shells; rockfish three feet and a half long, which raised themselves under the waves like hands ready to seize one. There were also some panopyres, slightly luminous; and lastly, some oculines, like magnificent fans, forminge one of the richest vegetations of these seas. Akirill.com | Cependant l’élévation progressive du soleil éclairait de plus en plus la masse des eaux. Le sol changeait peu à peu. Au sable fin succédait une véritable chaussée de rochers arrondis, revêtus d’un tapis de mollusques et de zoophytes. Parmi les échantillons de ces deux embranchements, je remarquai des placènes à valves minces et inégales, sorte d’ostracées particulières à la mer Rouge et à l’océan Indien, des lucines orangées à coquille orbiculaire, des tarières subulées, quelques-unes de ces pourpres persiques qui fournissaient au Nautilus une teinture admirable, des rochers cornus, longs de quinze centimètres, qui se dressaient sous les flots comme des mains prêtes à vous saisir, des turbinelles cornigères, toutes hérissées d’épines, des lingules hyantes, des anatines, coquillages comestibles qui alimentent les marchés de l’Hindoustan, des pélagies panopyres, légèrement lumineuses, et enfin d’admirables oculines flabelliformes, magnifiques éventails qui forment l’une des plus riches arborisations de ces mers. |
| In the midst of these living plants, and under the arbours of the hydrophytes, were layers of clumsy articulates, particularly some raninae, whose carapace formed a slightly rounded triangle; and some horrible looking parthenopes. | Au milieu de ces plantes vivantes et sous les berceaux d’hydrophytes couraient de gauches légions d’articulés, particulièrement des ranines dentées, dont la carapace représente un triangle un peu arrondi, des birgues spéciales à ces parages, des parthenopes horribles, dont l’aspect répugnait aux regards |
| . Un animal non moins hideux que je rencontrai plusieurs fois, ce fut ce crabe énorme observé par M. Darwin, auquel la nature a donné l’instinct et la force nécessaire pour se nourrir de noix de cocos; il grimpe aux arbres du rivage, il fait tomber la noix qui se fend dans sa chute, et il l’ouvre avec ses puissantes pinces. Ici, sous ces flots clairs, ce crabe courait avec une agilité sans pareille, tandis que des chélonées franches, de cette espèce qui fréquente les côtes du Malabar, se déplaçaient lentement entre les roches ébranlées. | |
| At about seven o’clock we found ourselves at last surveying the oyster-banks on which the pearl-oysters are reproduced by millions. | Vers sept heures, nous arpentions enfin le banc de pintadines, sur lequel les huîtres perlières se reproduisent par millions. |
| Ces mollusques précieux adhéraient aux rocs et y étaient fortement attachés par ce byssus de couleur brune qui ne leur permet pas de se déplacer. En quoi ces huîtres sont inférieures aux moules elles-mêmes, auxquelles la nature n’a pas refusé toute faculté de locomotion. La pintadine meleagrina, la mère perle, dont les valves sont à peu près égales, se présente sous la forme d’une coquille arrondie, aux épaisses parois, très-rugueuses à l’extérieur. Quelques-unes de ces coquilles étaient feuilletées et sillonnées de bandes verdâtres qui rayonnaient de leur sommet. Elles appartenaient aux jeunes huîtres. Les autres, à surface rude et noire, vieilles de dix ans et plus, mesuraient jusqu’à quinze centimètres de largeur. | |
| Captain Nemo pointed with his hand to the enormous heap of oysters; and I could well understand that this mine was inexhaustible, for Nature’s creative power is far beyond man’s instinct of destruction. Ned Land, faithful to his instinct, hastened to fill a net which he carried by his side with some of the finest specimens. | Le capitaine Nemo me montra de la main cet amoncellement prodigieux de pintadines, et je compris que cette mine était véritablement inépuisable, car la force créatrice de la nature l’emporte sur l’instinct destructif de l’homme. Ned Land, fidèle à cet instinct, se hâtait d’emplir des plus beaux mollusques un filet qu’il portait à son côté. |
| But we could not stop. We must follow the Captain, who seemed to guide him self by paths known only to himself. The ground was sensibly rising, and sometimes, on holding up my arm, it was above the surface of the sea. Then the level of the bank would sink capriciously. | Mais nous ne pouvions nous arrêter. Il fallait suivre le capitaine qui semblait se diriger par des sentiers connus de lui seul. Le sol remontait sensiblement, et parfois mon bras, que j’élevais, dépassait la surface de la mer. Puis le niveau du banc se rabaissait capricieusement. |
| Often we rounded high rocks scarped into pyramids. In their dark fractures huge crustacea, perched upon their high claws like some war-machine, watched us with fixed eyes, and under our feet crawled various kinds of annelides. | Souvent nous tournions de hauts rocs effilés en pyramidions. Dans leurs sombres anfractuosités de gros crustacés, pointés sur leurs hautes pattes comme des machines de guerre, nous regardaient de leurs yeux fixes, et sous nos pieds rampaient des myrianes, des glycères, des aricies et des annélides, qui allongeaient démesurément leurs antennes et leurs cyrrhes tentaculaires. |
| At this moment there opened before us a large grotto dug in a picturesque heap of rocks and carpeted with all the thick warp of the submarine flora. At first it seemed very dark to me. The solar rays seemed to be extinguished by successive gradations, until its vague transparency became nothing more than drowned light. Captain Nemo entered; we followed. | En ce moment s’ouvrit devant nos pas une vaste grotte, creusée dans un pittoresque entassement de rochers tapissés de toutes les hautes-lisses de la flore sous-marine. D’abord, cette grotte me parut profondément obscure. Les rayons solaires semblaient s’y éteindre par dégradations successives. Sa vague transparence n’était plus que de la lumière noyée.Le capitaine Nemo y entra. Nous après lui. |
| My eyes soon accustomed themselves to this relative state of darkness. I could distinguish the arches springing capriciously from natural pillars, standing broad upon their granite base, like the heavy columns of Tuscan architecture. Why had our incomprehensible guide led us to the bottom of this submarine crypt? | Mes yeux s’accoutumèrent bientôt à ces ténèbres relatives. Je distinguai les retombées si capricieusement contournées de la voûte que supportaient des piliers naturels, largement assis sur leur base granitique, comme les lourdes colonnes de l’architecture toscane. Pourquoi notre incompréhensible guide nous entraînait-il au fond de cette crypte sous-marine? |
| I was soon to know. After descending a rather sharp declivity, our feet trod the bottom of a kind of circular pit. There Captain Nemo stopped, and with his hand indicated an object I had not yet perceived. It was an oyster of extraordinary dimensions, a gigantic tridacne, a goblet which could have contained a whole lake of holy-water, a basin the breadth of which was more than two yards and a half, and consequently larger than that ornamenting the saloon of the Nautilus. | J’allais le savoir avant peu. Après avoir descendu une pente assez raide, nos pieds foulèrent le fond d’une sorte de puits circulaire. Là, le capitaine Nemo s’arrêta, et de la main il nous indiqua un objet que je n’avais pas encore aperçu. C’était une huître de dimension extraordinaire, une tridacne gigantesque, un bénitier qui eût contenu un lac d’eau sainte, une vasque dont la largeur dépassait deux mètres, et conséquemment plus grande que celle qui ornait le salon du Nautilus. |
| I approached this extraordinary mollusc. It adhered by its filaments to a table of granite, and there, isolated, it developed itself in the calm waters of the grotto. I estimated the weight of this tridacne at 600 lb. Such an oyster would contain 30 lb. of meat; and one must have the stomach of a Gargantua to demolish some dozens of them. | Je m’approchai de ce mollusque phénoménal. Par son byssus il adhérait à une table de granit, et là il se développait isolément dans les eaux calmes de la grotte. J’estimai le poids de cette tridacne à trois cents kilogrammes. Or, une telle huître contient quinze kilos de chair, et il faudrait l’estomac d’un Gargantua pour en absorber quelques douzaines. |
| Captain Nemo was evidently acquainted with the existence of this bivalve, and seemed to have a particular motive in verifying the actual state of this tridacne. The shells were a little open; the Captain came near and put his dagger between to prevent them from closing; then with his hand he raised the membrane with its fringed edges, which formed a cloak for the creature. | Le capitaine Nemo connaissait évidemment l’existence de ce bivalve. Ce n’était pas la première fois qu’il le visitait, et je pensais qu’en nous conduisant en cet endroit il voulait seulement nous montrer une curiosité naturelle. Je me trompais. Le capitaine Nemo avait un intérêt particulier à constater l’état actuel de cette tridacne. Les deux valves du mollusque étaient entr’ouvertes. Le capitaine s’approcha et introduisit son poignard entre les coquilles pour les empêcher de se rabattre; puis, de la main, il souleva la tunique membraneuse et frangée sur ses bords qui formait le manteau de l’animal. |
| There, between the folded plaits, I saw a loose pearl, whose size equalled that of a coco-nut. Its globular shape, perfect clearness, and admirable lustre made it altogether a jewel of inestimable value. Carried away by my curiosity, I stretched out my hand to seize it, weigh it, and touch it; but the Captain stopped me, made a sign of refusal, and quickly withdrew his dagger, and the two shells closed suddenly. | Là, entre les plis foliacés, je vis une perle libre dont la grosseur égalait celle d’une noix de cocotier. Sa forme globuleuse, sa limpidité parfaite, son orient admirable en faisaient un bijou d’un inestimable prix. Emporté par la curiosité, j’étendais la main pour la saisir, pour la peser, pour la palper! Mais le capitaine m’arrêta, fit un signe négatif, et, retirant son poignard par un mouvement rapide, il laissa les deux valves se refermer subitement. |
| I then understood Captain Nemo’s intention. In leaving this pearl hidden in the mantle of the tridacne he was allowing it to grow slowly. Each year the secretions of the mollusc would add new concentric circles. I estimated its value at L500,000 at least. | Je compris alors quel était le dessein du capitaine Nemo. En laissant cette perle enfouie sous le manteau de la tridacne, il lui permettait de s’accroître insensiblement. Avec chaque année la sécrétion du mollusque y ajoutait de nouvelles couches concentriques. Seul, le capitaine connaissait la grotte où «mûrissait» cet admirable fruit de la nature: seul il l’élevait, pour ainsi dire, afin de la transporter un jour dans son précieux musée. Peut-être même, suivant l’exemple des Chinois et des Indiens, avait-il déterminé la production de cette perle en introduisant sous les plis du mollusque quelque morceau de verre et de métal, qui s’était peu à peu recouverte de la matière nacrée. En tout cas, comparant cette perle à celles que je connaissais déjà, à celles qui brillaient dans la collection du capitaine, j’estimai sa valeur à dix millions de francs au moins. |
| Superbe curiosité naturelle et non bijou de luxe, car je ne sais quelles oreilles féminines auraient pu la supporter. La visite à l’opulente tridacne était terminée. Le capitaine Nemo quitta la grotte, et nous remontâmes sur le banc de pintadines, au milieu de ces eaux claires que ne troublait pas encore le travail des plongeurs. Nous marchions isolément, en véritables flâneurs, chacun s’arrêtant ou s’éloignant au gré de sa fantaisie. Pour mon compte, je n’avais plus aucun souci des dangers que mon imagination avait exagérés si ridiculement. Le haut-fond se rapprochait sensiblement de la surface de la mer, et bientôt par un mètre d’eau ma tête dépassa le niveau océanique. Conseil me rejoignit, et collant sa grosse capsule à la mienne, il me fit des yeux un salut amical. Mais ce plateau élevé ne mesurait que quelques toises, et bientôt nous fumes rentrés dans notre élément. Je crois avoir maintenant le droit de le qualifier ainsi. | |
| After ten minutes Captain Nemo stopped suddenly. I thought he had halted previously to returning. No; by a gesture he bade us crouch beside him in a deep fracture of the rock, his hand pointed to one part of the liquid mass, which I watched attentively. | Dix minutes après, le capitaine Nemo s’arrêtait soudain. Je crus qu’il faisait halte pour retourner sur ses pas. Non. D’un geste, il nous ordonna de nous blottir près de lui au fond d’une large anfractuosité. Sa main se dirigea vers un point de la masse liquide, et je regardai attentivement. |
| About five yards from me a shadow appeared, and sank to the ground. The disquieting idea of sharks shot through my mind, but I was mistaken; and once again it was not a monster of the ocean that we had anything to do with. | A cinq mètres de moi, une ombre apparut et s’abaissa jusqu’au sol. L’inquiétante idée des requins traversa mon esprit. Mais je me trompais, et, cette fois encore, nous n’avions pas affaire aux monstres de l’Océan. |
| It was a man, a living man, an Indian, a fisherman, a poor devil who, I suppose, had come to glean before the harvest. I could see the bottom of his canoe anchored some feet above his head. He dived and went up successively. A stone held between his feet, cut in the shape of a sugar loaf, whilst a rope fastened him to his boat, helped him to descend more rapidly. This was all his apparatus. Reaching the bottom, about five yards deep, he went on his knees and filled his bag with oysters picked up at random. Then he went up, emptied it, pulled up his stone, and began the operation once more, which lasted thirty seconds. | C’était un homme, un homme vivant, un Indien, un noir, un pêcheur, un pauvre diable, sans doute, qui venait glaner avant la récolte. J’apercevais les fonds de son canot mouillé à quelques pieds au-dessus de sa tête. Il plongeait, et remontait successivement. Une pierre taillée en pain de sucre et qu’il serrait du pied, tandis qu’une corde la rattachait à son bateau, lui servait à descendre plus rapidement au fond de la mer. C’était là tout son outillage. Arrivé au sol, par cinq mètres de profondeur environ, il se précipitait à genoux et remplissait son sac de pintadines ramassées au hasard. Puis, il remontait, vidait son sac, ramenait sa pierre, et recommençait son opération qui ne durait que trente secondes. |
| The diver did not see us. The shadow of the rock hid us from sight. And how should this poor Indian ever dream that men, beings like himself, should be there under the water watching his movements and losing no detail of the fishing? Several times he went up in this way, and dived again. He did not carry away more than ten at each plunge, for he was obliged to pull them from the bank to which they adhered by means of their strong byssus. And how many of those oysters for which he risked his life had no pearl in them! I watched him closely; his manoeuvres were regular; and for the space of half an hour no danger appeared to threaten him. | Ce plongeur ne nous voyait pas. L’ombre du rocher nous dérobait à ses regards. Et d’ailleurs, comment ce pauvre Indien aurait-il jamais supposé que des hommes, des êtres semblables à lui, fussent là, sous les eaux, épiant ses mouvements, ne perdant aucun détail de sa pêche! Plusieurs fois, il remonta ainsi et plongea de nouveau. Il ne rapportait pas plus d’une dizaine de pintadines à chaque plongée, car il fallait les arracher du banc auquel elles s’accrochaient par leur robuste byssus. Et combien de ces huîtres étaient privées de ces perles pour lesquelles il risquait sa vie! Je l’observais avec une attention profonde. Sa manœuvre se faisait régulièrement, et pendant une demi-heure, aucun danger ne parut le menacer. |
| I was beginning to accustom myself to the sight of this interesting fishing, when suddenly, as the Indian was on the ground, I saw him make a gesture of terror, rise, and make a spring to return to the surface of the sea. | Je me familiarisais donc avec le spectacle de cette pêche intéressante, quand, tout d’un coup, à un moment où l’Indien était agenouillé sur le sol, je lui vis faire un geste d’effroi, se relever et prendre son élan pour remonter à la surface des flots. |
| I understood his dread. A gigantic shadow appeared just above the unfortunate diver. It was a shark of enormous size advancing diagonally, his eyes on fire, and his jaws open. I was mute with horror and unable to move. | Je compris son épouvante. Une ombre gigantesque apparaissait au-dessus du malheureux plongeur. C’était un requin de grande taille qui s’avançait diagonalement, l’œil en feu, les mâchoires ouvertes! J’étais muet d’horreur, incapable de faire un mouvement. |
| The voracious creature shot towards the Indian, who threw himself on one side to avoid the shark’s fins; but not its tail, for it struck his chest and stretched him on the ground. | Le vorace animal, d’un vigoureux coup de nageoire, s’élança vers l’Indien, qui se jeta de côté et évita la morsure du requin, mais non le battement de sa queue, car cette queue, le frappant à la poitrine, l’étendit sur le sol. |
| This scene lasted but a few seconds: the shark returned, and, turning on his back, prepared himself for cutting the Indian in two, when I saw Captain Nemo rise suddenly, and then, dagger in hand, walk straight to the monster, ready to fight face to face with him. The very moment the shark was going to snap the unhappy fisherman in two, he perceived his new adversary, and, turning over, made straight towards him. | Cette scène avait duré quelques secondes à peine. Le requin revint, et, se retournant sur le dos, il s’apprêtait à couper l’Indien en deux, quand je sentis le capitaine Nemo, posté près de moi, se lever subitement. Puis, son poignard à la main, il marcha droit au monstre, prêt à lutter corps à corps avec lui. Le squale, au moment où il allait happer le malheureux pêcheur, aperçut son nouvel adversaire, et se replaçant sur le ventre, il se dirigea rapidement vers lui. |
| I can still see Captain Nemo’s position. Holding himself well together, he waited for the shark with admirable coolness; and, when it rushed at him, threw himself on one side with wonderful quickness, avoiding the shock, and burying his dagger deep into its side. But it was not all over. A terrible combat ensued. | Je vois encore la pose du capitaine Nemo. Replié sur lui-même, il attendait avec un admirable sang-froid le formidable squale, et lorsque celui-ci se précipita sur lui, le capitaine, se jetant de côté avec une prestesse prodigieuse, évita le choc et lui enfonça son poignard dans le ventre. Mais, tout n’était pas dit. Un combat terrible s’engagea. |
| The shark had seemed to roar, if I might say so. The blood rushed in torrents from its wound. The sea was dyed red, and through the opaque liquid I could distinguish nothing more. Nothing more until the moment when, like lightning, I saw the undaunted Captain hanging on to one of the creature’s fins, struggling, as it were, hand to hand with the monster, and dealing successive blows at his enemy, yet still unable to give a decisive one. | Le requin avait rugi, pour ainsi dire. Le sang sortait à flots de ses blessures. La mer se teignit de rouge, et, à travers ce liquide opaque, je ne vis plus rien. Plus rien, jusqu’au moment où, dans une éclaircie, j’aperçus l’audacieux capitaine, cramponné à l’une des nageoires de l’animal, luttant corps à corps avec le monstre, labourant de coups de poignards le ventre de son ennemi, sans pouvoir toutefois porter le coup définitif, c’est-à-dire l’atteindre en plein cœur. |
| The shark’s struggles agitated the water with such fury that the rocking threatened to upset me. | Le squale, se débattant, agitait la masse des eaux avec furie, et leur remous menaçait de me renverser. |
| I wanted to go to the Captain’s assistance, but, nailed to the spot with horror, I could not stir. | J’aurais voulu courir au secours du capitaine. Mais, cloué par l’horreur, je ne pouvais remuer. |
| I saw the haggard eye; I saw the different phases of the fight. The Captain fell to the earth, upset by the enormous mass which leant upon him. The shark’s jaws opened wide, like a pair of factory shears, and it would have been all over with the Captain; but, quick as thought, harpoon in hand, Ned Land rushed towards the shark and struck it with its sharp point. | Je regardais, l’œil hagard. Je voyais les phases de la lutte se modifier. Le capitaine tomba sur le sol, renversé par la masse énorme qui pesait sur lui. Puis, les mâchoires du requin s’ouvrirent démesurément comme une cisaille d’usine, et c’en était fait du capitaine si, prompt comme la pensée, son harpon à la main, Ned Land, se précipitant vers le requin, ne l’eût frappé de sa terrible pointe. |
| The waves were impregnated with a mass of blood. They rocked under the shark’s movements, which beat them with indescribable fury. Ned Land had not missed his aim. It was the monster’s death-rattle. Struck to the heart, it struggled in dreadful convulsions, the shock of which overthrew Conseil. | Les flots s’imprégnèrent d’une masse de sang. Ils s’agitèrent sous les mouvements du squale qui les battait avec une indescriptible fureur. Ned Land n’avait pas manqué son but. C’était le râle du monstre. Frappé au cœur, il se débattait dans des spasmes épouvantables, dont le contre-coup renversa Conseil. |
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Vingt Mille Lieues
Sous Les Mers de Jules Vernes
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