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Le Signe Rouge Des Braves de Stephen Crane


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Chapitre XXI


À présent ils savaient qu’aucune bataille ne les menaçait. Les routes s’ouvraient encore une fois devant eux. Les lignes bleues et poussiéreuses de leurs camarades étaient visibles à courte distance. Au loin le vacarme était énorme, mais dans cette partie du terrain il y avait une tranquillité soudaine.

Ils s’aperçurent qu’ils étaient libres. Le groupe affaibli et réduit aspira une longue bouffée de soulagement, et se rassembla en une seule masse pour continuer son trajet. Durant cette dernière partie du parcours, les hommes commencèrent à exprimer d’étranges émotions. Ils se hâtaient avec une peur panique. Ceux qui furent sombres et sans peur dans les moments les plus noirs, ne pouvaient maintenant cacher une folle anxiété. Peut-être qu’ils craignaient d’être tués de manière insignifiante, après que le moment de mourir dignement au combat eut passé. Ou, pensaient-ils ; peut-être qu’il serait trop ridicule de mourir au seuil de la délivrance. Ils se hâtèrent en jetant des regards inquiets derrière eux.

Comme ils s’approchaient de leurs propres lignes, quelques sarcasmes leur furent lancés par les hommes étiques et bronzés d’un régiment au repos à l’ombre des arbres. Ils furent assaillis de questions :

– « Où étiez-vous que diable ? »

– « Pourquoi est-ce que vous revenez ? »

– « Pourquoi qu’vous ne restez pas là-bas ? »

– « Ça a chauffé là-bas, fiston ? »

– « On s’en retourne chez soi les gars ? »

Quelqu’un s’écria dans une mimique provocante : « Oh, maman, viens vite voir les jolis soldats ! »

Il n’y eut aucune réplique de la part du régiment meurtri et battu, à part qu’un homme distribua largement des défis autour de lui pour se battre à coups de poings, et que l’officier à barbe rousse passa plutôt prêt d’un capitaine de grande taille le défiant d’un regard de matamore. Mais le lieutenant fit taire l’homme qui voulait se battre à coups de poings, et le grand capitaine, rougissant à la voix de fanfare de l’officier roux, détourna les yeux et fixa intensément les arbres.

La sensibilité de l’adolescent fût profondément piquée par ces remarques. Le front plissé, il fronçait les sourcils en jetant des regards de haine vers les railleurs. Il médita sur quelque revanche. Dans le régiment pourtant, nombreux étaient ceux qui baissèrent la tête comme des criminels, et se mirent laborieusement en marche avec une lourdeur soudaine, comme s’ils portaient sur leurs épaules affaissées le poids de leur déshonneur. Alors, le jeune lieutenant, se ressaisissant, commença à murmurer en douceur de noires malédictions.

Quand ils parvinrent à leur position initiale, ils se retournèrent pour voir le terrain sur lequel ils avaient chargé.

À cette vue l’adolescent fût frappé d’un grand étonnement. Il découvrit que les distances franchies, comparées aux brillantes estimations de son esprit, étaient faibles et même ridicules. Les arbres impassibles, là où presque tout s’était passé, paraissaient incroyablement proches. Maintenant qu’il y pensait le temps aussi, il voyait bien qu’il avait été court. Il s’émerveillait sur le nombre d’émotions et d’évènements qui se massèrent en foule dans de tels espaces réduits. Sa fantasmagorique imagination a dû tout exagérer et tout agrandir, se dit-il.

Il lui parut alors qu’il y avait une amère justice dans les paroles des vétérans étiques et bronzés. Il voila un regard de dédain envers ses camarades étalés au sol, étouffant sous la poussière, rouges tellement ils transpiraient, les yeux embués, les cheveux en désordre.

Ils buvaient de leurs gourdes à grands traits, avides d’en tirer jusqu’à la moindre goutte ; et s’essuyaient les traits enflés et mouillés avec la manche de leur veste ainsi que des poignées d’herbes.

Néanmoins, l’adolescent éprouvait une joie considérable à revoir ses performances durant l’attaque. Auparavant il n’avait eu que très peu de temps pour s’apprécier, aussi, en réfléchissant tranquillement à ce qu’il avait fait, il ressentait maintenant une grande satisfaction. Il se rappela ces actions colorées, qui dans la confusion s’étaient imprimées à son insu dans ses sens éprouvés.

Alors que le régiment était allongé à souffler après le terrible effort déployé, l’officier qui les avait taxés de muletiers arriva en galopant le long de la ligne. Il avait perdu son képi. Ses cheveux en désordre ondulaient furieusement, et son visage était noir de colère et de vexation. Sa fureur se manifestait plus clairement dans sa manière de traiter son cheval : il secouait la bride et la tordait de sauvage façon ; arrêtant la bête essoufflée près du colonel du régiment en tirant furieusement sur les rênes. Il explosa immédiatement en reproches qui arrivaient sans peine à l’oreille des hommes. Ils devinrent aussitôt alertes, étant toujours curieux d’entendre une dispute verbale entre officiers.

– « Ah, sacré tonnerre ! Mac Chesney, quelle terrible boutade tu nous as faite là ! » Commença l’officier. Il baissa le ton, mais son indignation permit à quelques hommes de saisir le sens de ses mots. « Quelle terrible pagaille tu as faite ! Seigneur, mon vieux, tu t’es arrêté à cent pieds en deçà d’un vrai petit succès ! Si tes hommes étaient allés cent pieds plus loin, tu aurais réussi une grande attaque, mais les choses étant ce qu’elles sont… quelle bande d’éboueurs tu as eue après tout ! »

Les hommes écoutant le souffle court, tournaient maintenant des regards curieux sur le colonel. Ils avaient l’air de gamins de rue ameutés par une dispute.

On voyait le colonel qui se redressait et mettait les mains en avant de façon oratoire. Il avait l’air blessé d’un diacre accusé de vol. Les hommes se trémoussaient dans un délire d’excitation.

Mais subitement les manières du colonel passèrent de celles du diacre accusé à celles d’un Français touché dans son amour propre. Il haussa les épaules : « Hé bien général on est allé aussi loin qu’on a pu », dit-il calmement.

– « Aussi loin que vous avez pu ? n’est-ce pas ! Seigneur ! » railla l’autre. « Hé bien, ça n’a pas été très loin, n’est-ce pas ? » Ajouta-t-il, en fixant l’autre d’un regard de froid mépris. « Pas très loin, je pense. Vous étiez supposé faire diversion en faveur de Whiterside. À quel point vous avez réussi, vos propres oreilles vous le diront maintenant. » Il tourna son cheval et chevaucha au loin avec raideur. Le colonel convié à entendre le désagréable vacarme d’un engagement vers la gauche, éclata en vagues malédictions.

Le lieutenant qui avait assisté à l’entrevue avec un air de rage impuissante, s’exprima soudain avec un ton ferme et indomptable : « Je n’aurais garde d’écouter l’homme – qu’il soit général ou pas –, qui dira que les gars ne se sont pas bien battus là-bas, ce n’est qu’un damné idiot. »

– « Lieutenant » commença le colonel, sévère, « ceci est ma propre affaire, et je vous prierais… »

Avec un geste de soumission le lieutenant dit : « Très bien colonel, très bien colonel, » dit-il, et il se rassit content de lui-même.

La nouvelle que le régiment était réprimandé, courut le long de la ligne. Les hommes en restèrent un moment stupéfaits. « Tonnerre ! » éclatèrent-ils, fixant la silhouette du général qui s’éloignait. Ils crurent qu’il y avait là une grosse méprise.

Mais néanmoins, ils commençaient à croire à présent qu’on taxait bel et bien leurs efforts de maigres… L’adolescent voyait bien que cette accusation pesait sur tout le régiment, leur donnant l’air de forçats maudits et enchaînés, mais quand même rétifs.

L’adolescent fût rejoint par son ami, des griefs plein le regard : « Je me demande ce qu’il veut »dit-il. « Il doit croire qu’on est allé là-bas jouer aux billes ! Je n’ai jamais vu un type pareil ! »

Pour expliquer la colère du général, l’adolescent développa une tranquille philosophie : « Hé bien, » dit-il en réponse à son ami, « il n’a probablement rien vu, et en est devenu fou furieux, concluant que nous n’étions qu’un tas de moutons, juste parce qu’on n’a pas fait ce qu’il a voulu qu’on fasse. C’est une pitié que le bon vieux père Henderson fut tué hier… Il aurait su qu’on a fait de notre mieux, et que nous nous sommes bien battus. C’est seulement notre terrible malchance c’est tout. »

– « Je dois dire que c’est ça » répondit l’ami, qui paraissait profondément blessé par l’injustice. « Je dois dire que nous avons une terrible malchance ! C’est pas drôle de se battre pour des gens quand tout ce que tu fais, – n’importe quoi –, va de travers. Je crois bien que la prochaine fois je resterais à l’arrière et les laisserais faire leur charge de vieux décrépis tout seuls, et qu’ils aillent au diable ! »

L’adolescent essaya de réconforter son camarade : « Hé bien, nous nous sommes bien comportés tous les deux. Je voudrais bien voir l’idiot qui dirait qu’on n’a pas fait du mieux qu’on a pu ! »

– « Et comment ! » déclara son ami fièrement. « Et je lui tordrais le cou au type, même s’il est aussi grand qu’un portail d’église. Mais on est bien vu de toute façon, car j’ai entendu un type dire que tous les deux on s’est le mieux battu dans le régiment, et ils se sont longuement querellés à propos de ça. Bien sûr, un autre type s’est levé et a dit que c’était un mensonge… qu’il avait vu tout ce qui s’était passé, et il ne nous a jamais vu depuis de début jusqu’à la fin. Et d’autres encore s’en sont mêlés pour dire que ce n’était pas un mensonge, qu’on s’était battus comme des diables, et qu’ils nous saluaient. Mais ce que je ne peux supporter c’est les vieux soldats qui rient toujours entre les dents et s’amusent ; et en plus ce général, est-il fou ! »

L’adolescent s’exclama, soudain exaspéré : « C’est une tête de lard ! Il me rend fou. Je souhaite qu’il vienne par là la prochaine fois. Nous lui montrerons… »

Il se tut, car un groupe d’hommes arrivait en courant. Leurs visages exprimaient l’importance des nouvelles qu’ils apportaient.

– « Hé Flem, tu dois entendre ça ! » s’écria l’un d’entre eux avec impatience.

– « Entendre quoi ? » dit l’adolescent.

– « Tu dois entendre ça ! » répéta l’autre, et il se mit à l’aise pour dire les nouvelles. Les autres, tout excités, se mirent en cercle.

– « Hé bien, monsieur, le colonel était avec votre lieutenant juste à côté de nous, c’était la chose la plus surprenante que j’ai jamais entendue, et il dit : « Hum ! Hum ! » qu’il dit, « Monsieur Hasbrouk ! à propos, qui était le jeune homme qui portait le drapeau ? » qu’il dit. Alors Fleming, qu’est-ce que t’en penses ? « Qui était le jeune homme qui portait le drapeau ? » qu’il dit, et le lieutenant qui répond aussitôt : « C’est Fleming, un fonceur » qu’il dit tout de go. Quoi ? Je vous dis que si. « Un fonceur » qu’il dit… ce sont ses propres mots. Oui c’est ça. J’ai bien dit que c’était ça. Si tu peux raconter la chose mieux que moi, vas-y dis – là… Hé bien alors ferme-là. Le lieutenant qu’il dit : « C’est un fonceur », et le colonel qui répond : « Hum ! Hum ! Il l’est en vérité, c’est bien de l’avoir ce gars-là, hum ! Il a gardé le drapeau pointé droit sur le front d’attaque. Je l’ai vu. C’est un bon gars, dit le colonel », « c’est juste, » dit le lieutenant, « lui et un type nommé Wilson étaient à la tête de la charge, et ils hurlaient tout le temps comme des indiens » qu’il dit. « À la tête de la charge tout le temps » qu’il dit, « un type nommé Wilson » qu’il dit. Ça mon brave Wilson tu la mets dans une lettre, et tu l’envoies en express à ta mère hein ? « Un type nommé Wilson, » qu’il dit. Et le colonel il dit : « Au fait où sont-ils ? Hum ! Hum ! Mon Dieu ! » qu’il dit. « À la tête du régiment » qu’il dit. « Oui mon colonel » dit le lieutenant. « Mon Dieu ! » dit le colonel. Il ajouta : « Hé bien, hé bien » qu’il dit, « ces deux gamins ! ». « Oui mon colonel » dit le lieutenant. « Hé bien, hé bien » dit le colonel, « ils méritent le grade de général-major ! » qu’il dit. « Ils méritent le grade de général-major ! »

L’adolescent et son ami dirent : « Ho ! », « tu mens Thompson ! », « Ho, va au diable ! », « il n’a jamais dit ça », « oh ! quel gros mensonge ! », « ho ! ». Mais malgré ces embarras et ces railleries d’adolescents, ils savaient qu’ils rougissaient très fort, à la fois de plaisir et d’excitation. Les deux amis échangèrent un discret regard de joie et de félicitation.

Rapidement ils oublièrent pas mal de choses. Le passé ne portait plus aucune image d’erreur ou de déception. Ils étaient très heureux et leur cœur se gonfla d’affection et de gratitude pour le colonel et le jeune lieutenant.


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