akirill.com

Le Signe Rouge Des Braves de Stephen Crane


Littérature AméricaineLivres pour enfantsPoésie AméricaineStephen Crane – Le Signe Rouge Des Braves – Table des matières
< < < Chapitre III
Chapitre V > > >


Chapitre IV


La brigade était positionnée à la lisière d’un petit bois. Les hommes s’accroupirent parmi les arbres, en pointant leurs fusils inquiets vers les champs. Ils essayaient de voir à travers la fumée.

Derrière ce voile ils pouvaient voir des hommes courir. Quelques-uns faisaient des gestes et criaient des mises en garde en courant.

Les novices du régiment regardaient et écoutaient d’un air avide, tandis que leurs langues couraient dans un incessant bavardage autour de la bataille. Dans leurs bouches volaient les rumeurs surgies du néant…

– « On dit que Perry a été repoussé avec de grosses pertes… »

– « Oui Carott est à l’infirmerie. Il dit être malade. Ce joli lieutenant commande la compagnie G. Les gars disent qu’ils ne veulent plus être sous ses ordres, quitte à tous finir par déserter. Ils ont toujours su qu’il était… »

– « L’artillerie de Hannisses a été prise. »

– « C’est pas vrai non plus. J’ai vu l’artillerie de Hannisses plus loin sur la gauche, y a pas plus de quinze minutes. »

– « Hé bien… »

– « Le général dit qu’il va prendre les commandes de toute la 304e, quand on va entrer en action ; alors il dit qu’on se battra comme aucun régiment ne l’a fait. »

– « Il paraît qu’ils vont nous tomber dessus par la gauche. On dit que l’ennemi pousse nos lignes dans de sacrés marécages, et que l’artillerie de Hannisses a été prise. »

– « Rien de tout ça n’est vrai. L’artillerie de Hannisses était le long de ce côté il n’y a pas une minute. »

– « Le jeune Hasbrouk, il fait un très bon officier. Il ne craint rien. »

– « J’ai rencontré quelqu’un de la 148è, les gars du Maine, qui a vu sa brigade combattre toute l’armée rebelle pendant quatre heures entières, là-bas au croisement des routes, et tuer au moins cinq milles d’entre eux. Il dit qu’une autre bataille comme ça et s’en serait fini de la guerre. »

– « Bill aussi n’avait pas peur. Non-monsieur ! pas du tout ! Bill ne s’effraie pas facilement. Il est seulement toqué, c’est ce qu’il est. Quand ce type lui a marché sur la main, il s’est levé et dit qu’il était volontaire pour donner sa main pour son pays, mais qu’on lui coupe la langue s’il allait permettre à tout idiot de soldat embusqué de lui marcher dessus en silence sans rien dire. C’est pourquoi il est allé à l’infirmerie sans se soucier de combattre. Il avait trois doigts écrasés. Ce cher docteur a voulu les lui amputer, et Bill, il lança un terrifiant rugissement que j’ai entendu. C’est un type drôle. »

– « Écoutez ce que le vieux colonel, il dit les gars. Il dit qu’il abattra le premier qui fera volte-face pour s’enfuir. »

– « Il n’a qu’à essayer. Je voudrais bien le voir me tirer dessus. »

– « Il veut seulement voir par lui-même. Il ne parle pas pour ne rien dire. »

– « On dit que la division Perry leur est tombée dessus comme la foudre. »

– « Ed Williams, là-bas dans la compagnie A, il a vu les rebelles qui lâchaient toutes leurs armes et fuyaient en braillant quand on leur donnait un bon assaut dès le début. »

– « Hé diantre ! Ed Williams qu’est-ce qu’il en sait ? Depuis qu’on lui a tiré dessus quand il était de garde, il se défile des combats. »

– « Hé bien, il… »

– « Entendu les nouvelles les gars ? Corkright a écrasé toute l’aile droite des rebelles, et capturé deux divisions entières. Demain on passera par le plus court pour revenir à nos quartiers d’hiver. »

– « J’vous l’dis, j’ai été dans le secteur où se trouve l’aile droite de l’armée rebelle, et c’est la partie la plus dégueulasse de la ligne ennemie. C’est tout un mélange de collines, de maudits petits ruisseaux. Je parie ma chemise que Corkright ne les a jamais inquiétés là-bas. »

– « Hé bien c’est un fier combattant, et s’il y a quelqu’un qui peut les battre c’est lui. »

L’énorme vacarme issu des premières lignes enfla jusqu’à atteindre au niveau d’un terrifiant concert. L’adolescent et ses camarades restaient figés, en silence. Ils pouvaient voir un drapeau secoué avec rage dans la fumée. Tout près s’agitait la forme confuse des troupes. Un flot turbulent d’hommes arrivait à travers champs. Une batterie de canons changea de position dans un galop frénétique, éparpillant les soldats dispersés à gauche et à droite de son passage.

Un obus hurlant la mort passa par-dessus les têtes baissées des réservistes. Il atterrit dans le petit bois, et l’explosion souleva la terre en jetant une lueur rouge. Il y eut une petite averse d’aiguilles de pin.

Les balles commencèrent de siffler parmi les branches, et, se plantaient dans les troncs d’arbres. Des feuilles et de petites branches tombaient avec lenteur. C’était comme si un millier de haches minuscules et invisibles eussent été habilement utilisées. Beaucoup faisaient de brusques écarts en rentrant la tête.

Le lieutenant de la compagnie de l’adolescent fut touché à la main. Il lâcha de si formidables jurons que des rires nerveux coururent le long de la ligne du régiment. Les blasphèmes de l’officier paraissaient ne pas franchir la limite des convenances. Ce qui soulagea les sens tendus des novices. Comme si chez lui il se fut tapé sur les doigts avec un marteau. Il tint le membre blessé soigneusement éloigné de lui de manière à ce que le sang ne s’égouttât pas sur son pantalon.

Le capitaine de la compagnie, serrant son épée sous le bras, tira un mouchoir et serra avec la blessure du lieutenant. Ils discutèrent sur la façon de mettre le bandage.

À distance l’étendard s’agitait follement au milieu de la bataille. Il paraissait lutter pour se libérer d’une agonie. Les volutes de fumée étaient striées d’éclairs horizontaux.

De cet écran de fumée, des hommes émergèrent au pas de course. Leur nombre augmentait jusqu’à ce qu’on comprit que toute la ligne de front fuyait. Soudain le drapeau tomba comme s’il venait de mourir. Sa chute avait l’air d’un acte désespéré.

Des cris sauvages parvenaient de derrière l’écran de fumée. Le tableau en gris et rouge se transformait en une sorte de masse humaine qui galopait comme des chevaux sauvages.

Les régiments des anciens à droite et à gauche du 304e commencèrent immédiatement leurs moqueries. Au chant passionné des balles, et aux hululements perçants des obus, se mêlaient les sifflets moqueurs et les conseils facétieux concernant les abris sûrs.

Mais le régiment des novices, horrifié avait le souffle coupé.

– « Mon Dieu Saunders est enfoncé ! » souffla un homme à côté de l’adolescent. Ils se reculèrent et s’accroupirent comme s’ils étaient contraints de subir la vague.

L’adolescent jeta un regard rapide le long des rangs de son régiment. Les profils étaient immobiles, sculptés ; plus tard il se souvint que le sergent qui portait le drapeau se tenait debout les jambes écartées, comme s’il s’attendait à être renversé.

La masse des fuyards se jeta comme un tourbillon autour des flancs de l’armée. Ça et là des officiers exaspérés étaient entraînés comme des éclats de bois sur un courant. Ils frappaient autour d’eux de leurs épées, de leurs poings, assommant toute tête qu’ils pouvaient atteindre. Ils juraient comme des bandits de grands chemins.

Un officier à cheval manifesta la colère furieuse d’un enfant gâté. Tous les membres de son corps tremblaient de rage. Un autre, le commandant de la brigade, galopait tout autour en vociférant. Il n’avait plus de casquette et sa tenue était de travers. Il ressemblait à un homme qui venait directement du saut du lit pour aller au feu. Les sabots de son cheval menaçaient fréquemment la tête des fuyards, mais ils esquivaient avec un singulier bonheur. Dans cette ruée ils paraissaient tous être aveugles et sourds. Ils ne firent seulement pas attention aux longs et larges jurons qu’on déversait sur eux de toute part.

Souvent, dominant le tumulte, on pouvait entendre les plaisanteries grinçantes des vétérans, toujours très critiques ; mais les hommes qui battaient en retraite n’étaient, apparemment, même pas conscients qu’ils avaient une audience.

Ces effets de la bataille qui parurent sur la face des hommes de ce torrent fou, firent sentir à l’adolescent que les mains puissantes de la providence n’eussent pas été capables de le tenir en place, même s’il avait pu raisonnablement maîtriser ses jambes.

Sur ces visages, il y avait une empreinte terrifiante. La fumée avait comme amplifié la lutte sur ces joues pâles et ces yeux fous remplis d’un unique désir.

La vue de cette débandade était comme la force entraînante d’un fleuve en crue capable d’emporter les hommes, comme les arbres et les pierres. Les réservistes devaient tenir bon. Ils s’affermissaient, ils pâlissaient, ils rougissaient, ils tremblaient.

L’adolescent au milieu de ce chaos se permit une petite pensée. Le monstre composite qui avait fait fuir les autres troupes n’apparaissait pas encore. Il résolut d’en voir un bout, et alors, pensa-t-il, il pourrait probablement courir mieux que le meilleur d’entre eux.


< < < Chapitre III
Chapitre V > > >

Littérature AméricaineLivres pour enfantsPoésie AméricaineStephen Crane – Le Signe Rouge Des Braves – Table des matières

Copyright holders –  Public Domain Book

Si vous aimez le site, abonnez-vous, mettez des likes, écrivez des commentaires!

Partager sur les réseaux sociaux

Consultez Nos Derniers Articles


© 2023 Akirill.com – All Rights Reserved

Leave a comment