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Le diable et la cathédrale de Cologne

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Les Contes d’Alexandre Dumas

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Le diable et la cathédrale de Cologne

Ce fut l’archevêque Engelbert, surnommé le saint, qui conçut vers 1225 l’idée de faire bâtir une cathédrale à Cologne ; mais ce ne fut que son successeur, Conrad de Hochsteden, qui ayant résolu vers 1247 de passer de l’idée à l’exécution fit venir le premier architecte de la ville, et lui ordonna de bâtir un monument qui surpassât en architecture religieuse tout ce qu’on avait fait de plus beau jusqu’alors. Il mettait à sa disposition, pour arriver à ce but, le trésor du chapitre, l’un des plus riches du monde, et les carrières du Drakenfels, la plus haute des sept montagnes.

C’était là une de ces propositions qui rendent fou un artiste ; aussi celui auquel s’était adressé le digne prélat sortit de l’archevêché doutant encore qu’il fût chargé d’une si glorieuse entreprise : néanmoins force lui fut de le croire, car le même jour Conrad lui envoya un sac plein d’or pour les premiers frais.

L’architecte auquel s’était adressé le généreux prélat était modeste comme un homme de génie ; aussi résolut-il de visiter les plus belles églises de l’Allemagne, de la France et de l’Angleterre, avant de commencer la sienne. Il alla donc trouver l’archevêque et lui demanda la permission de commencer en tournée. L’archevêque la lui accorda, à la condition que dans une année il serait de retour. L’artiste sollicita, mais en vain, quelques mois de plus ; ce fut tout le délai qu’il put obtenir, tant l’archevêque était désireux de voir mettre son projet à exécution.

Au bout d’une année l’architecte revint, plus indécis que jamais. Il était bien fixé sur la pensée mythique de son ouvrage : c’est-à-dire qu’il voulait que le monument eût deux tours pour rappeler que le chrétien doit lever ses deux bras au ciel ; qu’il eût douze chapelles en mémoire des douze apôtres ; qu’il fût bâti sur la forme d’une croix, afin que les fidèles n’oubliassent pas un instant le signe de leur rédemption ; que le chœur fût un peu plus incliné à droite qu’à gauche, parce que Jésus-Christ inclina la tête sur l’épaule droite en mourant ; enfin que le tabernacle fût éclairé par trois fenêtres, parce que Dieu est triple et que toute lumière vient de Dieu. Mais ce n’était là, si on peut le dire, que l’âme du monument, restait encore son corps, sa forme, c’est-à-dire la traduction visible de cette pensée religieuse, si puissante au Moyen Âge, qu’elle fit éclore comme une sève toute une végétation de granit : c’était donc cette forme que l’architecte cherchait le matin, le soir, à toute heure de la journée et partout où il se trouvait.

Or, un après-midi que l’architecte, toujours rêvant à son plan, avait, sans s’en apercevoir, dépassé les murailles de la ville et était arrivé à un endroit de la promenade appelé la Porte-des-Francs, il s’assit sur un banc, et du bout de sa baguette commença de tracer sur le sable des façades et des profils de cathédrale, les effaçant tous avant qu’ils ne fussent achevés, car tous lui paraissaient incomplets et mesquins, à côté du riche monument que les anges bâtissaient dans son imagination ; enfin, à force de tentatives différentes, il venait d’arriver à un ensemble plein de grandeur et de majesté qu’il regardait déjà avec une certaine satisfaction, lorsqu’il entendit derrière lui une voix aigre qui disait :

– Bravo ! l’ami, voilà bien le dôme de Strasbourg.

L’architecte se retourna, et vit debout derrière lui, et la tête presque appuyée sur son épaule, un petit vieillard à la barbe taillée en pointe comme celle d’un juif, aux yeux creux et étincelants, et au sourire sardonique, vêtu d’un pourpoint noir qui lui collait tellement sur tous les membres, qu’on eût pu le prendre pour la peau d’un nègre, encore plus maigre que lui, et dont il se serait fait un vêtement. Tel qu’il se présentait à notre architecte, le petit vieillard n’était point de nature à lui inspirer une vive sympathie : cependant, comme son observation était juste, et comme l’artiste venait de reconnaître qu’en croyant inventer il s’était souvenu, au lieu de défendre son œuvre, il répondit en soupirant : « Cela est vrai. » Puis il effaça son œuvre presque achevée et en recommença une autre. Mais à peine la baguette avait-elle gravé sur la planche mobile les premières lignes d’un autre édifice, que la même voix aigrelette, accompagnée du même sourire sardonique, s’écria :

– À merveille, et c’est bien là la cathédrale de Reims.

– Oui, oui, murmura l’artiste, et j’aurais mieux fait de rester ici et de ne rien voir, car il n’y a de véritable créateur que Dieu.

– Et Satan, murmura le petit vieillard d’une voix qui fit tressaillir l’architecte.

Mais comme une seule et éternelle pensée l’absorbait, il effaça de nouveau les malheureuses lignes, sans s’inquiéter du timbre métallique de cette voix, et se remit de nouveau à la besogne. Il y était depuis un quart d’heure, doucement bercé par les encouragements de son voisin, qui murmurait à son oreille : « Bien, très bien, parfaitement ! » lorsqu’il en fut tiré par l’approbateur, qui lui dit tout à coup :

– Vous avez beaucoup voyagé, à ce qu’il paraît ?

– Pourquoi cela ?

– Parce qu’après avoir traversé l’Alsace et visité la France, vous êtes revenu par l’Angleterre.

– Qui vous dit cela ?

– Le dessin de cette église, qui est celle de Cantorbéry.

L’artiste poussa un profond gémissement. La critique du petit vieillard était terrible, mais vraie. Il effaça donc le monument avec son pied ; puis, cédant à un mouvement d’impatience, il se retourna vers le petit vieillard, et lui présentant sa baguette :

– Pardieu, mon maître, lui dit-il, vous qui êtes un si bon critique, est-ce que vous ne pourriez pas joindre un peu l’exemple au précepte, en me montrant à votre tour ce que vous savez faire ?

– Volontiers, dit le petit vieillard, en prenant la baguette avec son rire éternel.

L’architecte voulut lui donner sa place, mais lui, faisant signe de la tête que non, il s’appuya d’un bras sur l’épaule de l’artiste, et de l’autre, sans appui et à main levée, commença de tracer sur le sable de nouvelles lignes, à la fois si hardies, si élégantes et si correctes, que l’artiste s’écria aussitôt :

– Ah ! je vois bien que nous sommes frères.

– Dis, répondit en ricanant le petit vieillard, que tu es écolier et que je suis maître.

– Je suis tout prêt à l’avouer, répondit l’artiste avec la bonne foi du génie ; mais il faudrait que je visse pour cela quelque chose de plus que des lignes isolées. Le détail n’est rien, l’ensemble est tout.

– Tu as du bon, et l’on peut faire de toi quelque chose, dit le petit vieillard ; mais il ne me plaît pas, à moi, d’en faire davantage.

– Pourquoi cela ? dit l’architecte.

– Parce que tu me prendrais mon plan.

– Vous avez donc aussi une cathédrale à bâtir, vous ?

– J’espère en avoir une.

– Laquelle ?

– Celle de Cologne.

– Comment, la mienne ?

– La tienne ?

– Sans doute, la mienne.

– Oui, si tu donnes un plan ?

– J’en donnerai un.

– Et moi aussi : monseigneur Conrad choisira entre les deux.

L’architecte pâlit.

– Ah ! ah ! s’écria l’inconnu en ricanant ; cela t’inquiète, confrère : tu as peur d’être obligé de rendre le sac d’or que t’a envoyé l’archevêque, et qu’à l’exception de cent écus tu as dépensé à faire inutilement ton tour de France et d’Angleterre ?

L’architecte regarda autour de lui ; il vit que le jour tombait et qu’il était seul avec le vieillard.

– Écoute, lui dit-il, je ne sais comment tu as appris qu’il me reste encore cent écus sur les arrhes que m’a données monseigneur Conrad ; mais, achève le dessin que tu avais commencé, ces cent écus sont à toi.

Le vieillard éclata de rire, et, tirant de son pourpoint une petite bourse de cuir, il l’ouvrit et fit voir à l’artiste qu’elle était pleine de diamants dont le plus petit valait au moins mille écus d’or.

L’architecte soupira profondément, car il vit qu’il n’y avait pas moyen de corrompre cet homme ; aussi demeura-t-il immobile et consterné, car il reconnaissait malgré lui à l’architecte étranger une supériorité étrange et incontestable dans son art. Pendant ce temps, le petit vieillard avait ajouté négligemment au plan commencé quelques lignes nouvelles si merveilleusement hardies, que l’architecte vit bien qu’il était perdu s’il avait à lutter avec un pareil homme. Alors, éperdu, hors de lui, il résolut de prendre par la violence ce qu’il n’avait pu obtenir par la corruption, et, comme l’autre s’arrêtait de nouveau et le regardait avec son rire goguenard, il le saisit par le bras, et, lui appuyant son poignard sur la poitrine :

– Vieillard ! lui dit-il, achève ce plan, ou tu mourras !

À peine avait-il prononcé ces paroles, qu’il se sentit saisi à bras-le-corps, qu’il se vit renversé en arrière, qu’un genou pesa sur sa poitrine, et que son propre poignard arraché de sa main brilla sur sa gorge.

– Ah ! ah ! dit alors le vieillard en ricanant, corrupteur et meurtrier ! bien, bien ; il y a encore récolte d’âmes à faire en ce monde, à ce qu’il me paraît.

– Tuez-moi ! dit l’artiste, mais ne me raillez pas.

– Et si je ne veux pas te tuer, moi ?

– Alors, donnez-moi votre plan ?

– Je suis prêt, mais à une condition.

– Laquelle ?

– Relève-toi d’abord, dit le vieillard en lâchant son ennemi qu’il avait tenu jusque-là terrassé et en lui rendant son poignard ; nous sommes mal ainsi pour causer, asseyons-nous.

Et l’étrange petit homme s’assit au bout du banc, une jambe sur l’autre, et les deux mains croisées sur son genou, regardant le pauvre architecte qui, tout honteux, se relevait et, secouant la poussière attachée à ses habits, restait à la même place.

– Voyons, approche, lui dit le vieillard ; tu vois bien que je suis sans rancune.

– Mais qui donc êtes-vous ? s’écria l’architecte.

– Qui je suis ? Eh bien ! je vais te le dire.

L’artiste se rapprocha d’un pas, sa curiosité l’emportant sur sa terreur.

– Tu as entendu parler, lui dit le vieillard, de la tour de Babel, des jardins de Sémiramis et du Colysée ?

– Oui, lui répondit l’artiste en s’asseyant près de lui.

– Eh bien ! c’est moi qui les ai bâtis.

– Alors, vous êtes Satan ? s’écria en bondissant sur ses pieds le pauvre artiste.

– Pour vous servir, dit Satan avec son ricanement éternel.

– Vade retro ! dit l’architecte en faisant le signe de la croix.

Le rire commencé s’acheva dans un grincement de dents ; un éclair brilla, la terre s’ouvrit comme une trappe, et le démon disparut.

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