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Comédie: “À quoi rêvent les jeunes filles” d’Alfred de Musset

Premières Poésies

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À quoi rêvent les jeunes filles

Acte Second

Scène I

***

Le jardin. — Il est nuit.

LE DUC LAËRTE en robe de chambre ; SILVIO, enveloppé d’un manteau.

Laërte.

Lorsque cette lueur, que vous voyez là-bas,
Après avoir erré de fenêtre en fenêtre,
Tournera vers ce coin pour ne plus reparaître,
Il sera temps d’agir, — Elle y marche à grands pas.

Silvio.

Je vous l’ai dit, seigneur, cela ne me plaît pas.

Laërte.

Eh bien, moi, tout cela m’amuse à la folie.
Je ne fais pas la guerre à la mélancolie.
Après l’oisiveté, c’est le meilleur des maux.
En général d’ailleurs, c’est ma pierre de touche ;
Elle ne pousse pas, cette plante farouche,
Sur la majestueuse obésité des sots.
Mais la gaîté, Silvio, sied mieux à la vieillesse ;
Nous voulons la beauté pour aimer la tristesse.
Il faut bien mettre un peu de rouge à soixante ans ;
C’est le métier des vieux de dérider le temps.
On fait de la vieillesse une chose honteuse ;
C’est tout simple : ici-bas, chez les trois quarts des gens,
Quand elle n’est pas prude, elle est entremetteuse.

Cassandre est la terreur des vieillards indulgents.
Croyez-vous, cependant, mon cher, que la nature
Laisse ainsi par oubli vivre sa créature ?
Qu’elle nous ait donné trente ans pour exister,
Et le reste pour geindre ou bien pour tricoter ?
Figurez-vous, Silvio, que j’ai, la nuit dernière,
Chanté fort joliment pendant une heure entière.
C’était pour intriguer mes filles ; mais, ma foi,
Je crois, en vérité, que j’ai chanté pour moi.

Silvio.

Aussi, dans tout cela, cher duc, c’est vous que j’aime.
Il faudra bien pourtant redevenir moi-même.
Songez donc, mon ami, qu’il ne restera rien
Du héros de roman.

Laërte.

Mon Dieu ! Je le sais bien.
Un roman dans un lit, on n’en saurait que faire.
On réalise là tous ceux qu’on a rêvés.
Après la bagatelle il faut le nécessaire ;
Et j’espère pour vous, mon cher, que vous l’avez.
Très-ordinairement, dans ces sortes de choses,
Ceux qui parlent beaucoup savent prouver très-peu.
C’est ce qui montre en tout la sagesse de Dieu.
Tous ces galants musqués, fleuris comme des roses,
Qu’on voit soir et matin courir les rendez-vous,
S’assouplir comme un gant autour des jeunes filles,
Escalader les murs, et danser sur les grilles,
Savent au bout du doigt ce qui vous manque, à vous.
Vous avez dans le cœur, Silvio, ce qui leur manque.
Je me moque d’avoir pour gendre un saltimbanque,
Capable de passer par le trou d’une clef.
Si vous étiez comme eux, j’en serais désolé.
Mais la méthode existe : il faut songer à plaire.

Une fois marié, parbleu ! c’est votre affaire.
Permettez-moi, de grâce, une autre question.
Avez-vous jusqu’ici vécu sans passion ?
En un mot… franchement, mon cher, êtes-vous vierge ?

Silvio.

Vierge du cœur à l’âme, et de la tête aux pieds.

Laërte.

Bon ! Je ne hais rien tant que les jeunes roués.
Le cœur d’un libertin est fait comme une auberge ;
On y trouve à toute heure un grand feu bien nourri,
Un bon gîte, un bon lit — et la clef sur la porte.
Mais on entre aujourd’hui : demain il faut qu’on sorte.
Ce n’est pas ce bois-là, dont on fait un mari.
Que tout vous soit nouveau, quand la femme est nouvelle.
Ce n’est jamais un bien que l’on soit plus vieux qu’elle,
Ni du corps ni du cœur. — Tâchez de deviner.
Quel bonheur, en amour, de pouvoir s’étonner !
Elle aura ses secrets, et vous aurez les vôtres.
Restez longtemps enfants : vous vous en ferez d’autres.
Ce secret-là surtout est si vite oublié !

Silvio.

Si ma femme pourtant croit trouver un roué,
Quel misérable effet fera mon ignorance !
N’appréhendez-vous rien de ces étonnements ?

Laërte.

Ceci pourrait sonner comme une impertinence.
Mes filles n’ont, monsieur, que de très bons romans.
Ah ! Silvio, je vous livre une fleur précieuse.
Effeuillez lentement cette ignorance heureuse.
Si vous saviez quel tort se font bien des maris,
En se livrant, dans l’ombre, à des secrets infâmes,
Pour le fatal plaisir d’assimiler leurs femmes
Aux femmes sans pudeur dont ils les ont appris !

Ils ne leur laissent plus de neuf que l’adultère.
Si vous étiez ainsi, j’aimerais mieux Irus.
Rappelez-vous ces mots, qui sont dans l’Hespérus :
« Respectez votre femme, amassez de la terre
Autour de cette fleur prête à s’épanouir ;
Mais n’en laissez jamais tomber dans son calice. »

Silvio.

Mon père, embrassez-moi. — Je vois le ciel s’ouvrir.

Laërte.

Vous êtes, mon enfant, plus blanc qu’une génisse ;
Votre bon petit cœur est plus pur que son lait ;
Vous vous en défiez, et c’est ce qui me plaît.
Croyez-en un vieillard qui vous donne sa fille.
Puisque je vous ai pris pour remplir ma famille,
Fiez-vous à mon choix. — Je ne me trompe pas.

Silvio.

La lumière s’en va de fenêtre en fenêtre.

Laërte.

L’heure va donc sonner. — Mon fils, viens dans mes bras.

Silvio.

Elle se perd dans l’ombre, elle va disparaître.

Laërte.

Ton rôle est bien appris ? Tu n’as rien oublié ?

Silvio.

La lumière s’éteint.

Laërte.

Bravo ! l’heure est venue.
Suivons tout doucement le mur de l’avenue.
Allons, mon cavalier, sur la pointe du pied.

(Exeunt.)



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George Sand. Portrait by A. de Musset. 1833

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