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Faustine d’Alfred de Musset

Œuvres posthumes

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ACTE PREMIER Scène premièreScène IIScène IIIScène IVScène VScène VIScène VII


Faustine

***

FRAGMENT

Personnages
LORÉDAN, noble vénitien.
MICHEL,  }{\displaystyle \left.{\begin{matrix}\ \\\ \end{matrix}}\right\}}ses fils.
FABRICE,
GALËAS VISCONTI, noble milanais.
ORSO, joaillier.
FAUSTINE, fille de Lorédan.
NINA, suivante de Faustine.

ACTE PREMIER

Scène première

MICHEL, seul ; puis FABRICE.

Michel.

J’ai veillé plus d’une fois durant cette longue guerre ; mais je n’ai jamais passé, que je sache, une nuit pareille à celle-ci. Le jour commence à poindre. — La cloche de Saint-Maurice va bientôt annoncer le soleil. — Serait-il possible qu’elle ne revînt pas ? — Ah ! te voilà, Fabrice il est temps.

Fabrice.

Oui, ma foi, car je suis brisé. Ouf ! quelle fatigue !Il jette son manteau.

Michel.

Tu viens du bal, sans doute ? Tu as joué cette nuit ?

Fabrice.

Oui, et je dois dire, en dépit du hasard, que je me suis fort diverti. La plus délicieuse musique, les plus belles femmes de Venise ! — Mais que fais-tu là si matin ? — Tu n’as pas l’air d’un homme qui se lève, — et ces flambeaux mourants qui pâlissent, ces yeux fatigués… — Qu’as-tu donc ?

Michel.

Il faut apparemment que les aînés des familles veillent sur l’honneur de leur maison pendant que les enfants s’amusent.

Fabrice.

L’honneur de leur maison, dis-tu ? Que signifie cela ?

Michel.

Tu es bien jeune. — Sais-tu prêter et garder un serment ?

Fabrice.

Eh ! mon frère, je porte le même nom que toi.

Michel.

Jure donc, par ce nom et par celui de notre mère qui n’est plus, que tu ne révéleras jamais ce que je vais te confier.

Fabrice.

Soit. — Je le jure. — Mais quelle voix sinistre…

Michel.

Regarde cette porte.

Fabrice.

Celle de notre sœur ? — Par quel hasard ouverte à l’heure qu’il est ?

Michel.

Entre si tu veux, — tu n’éveilleras personne.

Fabrice.

Elle vient donc de sortir à présent ?

Michel.

Pas à présent.

Fabrice.

Quand donc ? Quel motif ?…

Michel.

C’est précisément pour lui faire cette question que je l’attends.

Fabrice.

Et depuis quelle heure l’attends-tu ainsi ?

Michel.

Depuis hier soir. — Tu parais surpris ?

Fabrice.

Parle mieux, — tu me fais frémir.

Michel.

Je ne puis mieux parler ; je n’en sais pas plus que toi. Regarde et pense.

Fabrice.

En vérité, je ne saurais faire ni l’un ni l’autre. Malgré le témoignage de mes yeux, certains soupçons, certaines idées, sont trop horribles, trop inattendus, pour que l’esprit, avant de les admettre, ne recule pas épouvanté.

Michel.

N’est-ce pas ? C’est exactement ce que j’ai éprouvé en passant là, hier à minuit.

Fabrice.

Tu étais seul ?

Michel.

Oui, je revenais de l’arsenal.

Fabrice.

Notre père dormait ?

Michel.

Depuis longtemps.

Fabrice.

Et Nina s’était retirée ?

Michel.

Je le crois ainsi.

Fabrice.

Juste ciel !Il se promène quelque temps en silence.

Michel, assis.

À quoi songes-tu ?

Fabrice.

À quoi songes-tu toi-même ? Nina m’a dit que notre sœur se levait quelquefois dans son sommeil, et marchait endormie.

Michel.

À d’autres ! — Je ne me repais point de contes de nourrice.

Fabrice.

Quelle est donc ta pensée ? tu ne l’oses pas dire.

Michel.

Je l’oserai devant elle.

Fabrice.

Non, par le Dieu vivant ! tant que je conserverai le sentiment de mon propre honneur, je ne croirai jamais que ma sœur puisse cesser un moment de respecter le sien. Le doute même en est impossible… De tout autre que toi je ne le souffrirais pas.

Michel.

Ni moi non plus.

Fabrice.

Qu’est-ce donc à dire ? Il y a ici, évidemment, quelque mystère inexplicable. Pas plus que toi, je ne puis le pénétrer. Cette disparition, cette chambre vide, ce hasard même qui t’a pris pour témoin, tout cela est, j’en conviens, difficile à comprendre. Mais il est bien plus difficile encore de croire que la fille des Lorédan, après avoir vécu sans reproche pendant vingt ans sous le toit de ses ancêtres, perde tout à coup la raison.

Michel.

Ce n’est pas de cela que je la soupçonne.

Fabrice.

Et de quoi donc ? Supposons-lui un amour ignoré, que sais-je ? quelque passion cachée au fond de l’âme (car elle en est capable, et c’est là ta pensée), ira-t-elle fouler aux pieds ce qui fut la règle et l’orgueil de sa vie, la loyauté, l’honneur, la pudeur ?

Michel.

Tu crois peut-être…

Fabrice.

Non ! je ne crois rien. C’est notre sœur, c’est une Lorédan. Elle porte sur son visage la ressemblance de notre mère. Tant que je n’aurai pas la preuve qu’elle est coupable, tant que je n’entendrai pas de sa bouche l’aveu de son crime et d’un tel opprobre, je dirai : Non ! c’est impossible !

Michel.

Le marquis Visconti, cousin du duc de Milan, doit arriver aujourd’hui même.

Fabrice.

Eh bien ?

Michel.

Notre sœur lui est promise.

Fabrice.

Je le sais, et je suis convaincu…

Michel.

Que ce mariage se fera ?

Fabrice.

Sans aucun doute, et que, dans peu de temps, une fois les choses expliquées, tu regretteras amèrement les soupçons que tu viens d’avoir.

Michel.

Que t’en ai-je dit ?

Fabrice.

Tout ce que le silence peut dire.

Michel.

Écoute-moi donc, maintenant que je parle. Tu es vif, prompt, toujours pressé, comme les gens qui n’ont rien à faire. Tu juges vite, de peur de réfléchir ; mais je suis dans ce fauteuil depuis hier soir, et j’ai compté les heures. Retiens ceci. L’absence de Faustine, si elle n’est pas un crime, est une ruse.

Fabrice.

Une ruse, dis-tu, dans quel but ?

Michel.

Dans le but fort clair et fort simple de faire rompre cette alliance.

Fabrice.

Le beau moyen que de se déshonorer !

Michel.

Elle sait très bien qu’il n’en sera pas ainsi. Elle sait très bien que, tous tant que nous sommes, nous serions prêts à perdre notre fortune et la vie plutôt que de voir publier notre honte. Elle sait très bien que personne dans cette maison n’ira, en pareil cas, avertir notre père, car ce serait lui donner la mort, à ce vieillard qui, après ses sequins, ne chérit que son enfant gâté. Elle se croit sûre de l’impunité, ou, si on l’accusait tout bas, penses-tu qu’une fable ou un prétexte ferait défaut à son esprit subtil ? Ce n’est pas là ce qui t’inquiète ; mais ce qu’elle veut, ce qu’elle espère, c’est justement un scandale étouffé, c’est qu’on s’aperçoive de sa fuite, et que, sans en pouvoir deviner ou vouloir éclaircir la cause, on n’ose point passer outre et disposer de sa main.

Fabrice.

Quelles imaginations tu te crées ! A-t-elle donc de la haine pour Visconti, ou de l’amour pour quelque autre ?

Michel.

Qui sait ?

Fabrice.

Pur fantôme, te dis-je !

Michel.

Pas tant que tu peux le supposer. Je connais la tête des Vénitiennes ; je l’ai étudiée autre part que dans les miroirs des courtisanes. Il ne m’étonnerait pas le moins du monde que Faustine se fût échappée, sans réfléchir d’avance où elle irait, et dans le seul but que je viens de te dire.

Fabrice.

Ainsi tu crois qu’elle va revenir ?

Michel.

Il le faut bien. Si elle cherche un scandale, c’est dans ce palais, vis-à-vis de nous seuls, et non ailleurs.

Fabrice.

Gageons que tu te trompes, et que rien de tout cela n’est la vérité.On entend une cloche.

Tiens, voici le jour ! Crois-tu qu’elle revienne maintenant ?

Michel, à la fenêtre.

Tu as raison : il est trop tard, le palais se remplit de monde. Mais où est-elle ? Que veut dire cela ? Si je me trompe en l’accusant de ruse, elle est alors bien autrement coupable, et, par mon saint patron l’Archange, je ne voudrais pas…

Fabrice.

Tu ne voudrais pas porter la main sur elle, je pense ?… Ne parlais-tu pas de notre père tout à l’heure ? Voudrais-tu être le meurtrier de ta sœur ?

Michel.

S’il était vrai qu’un séducteur…

Fabrice.

Oh ! pour cela, n’en parlons pas… Si pareille chose était possible…

Michel.

Que ferais-tu ?

Fabrice.

Tu le demandes ?

Michel.

Une provocation à la française, n’est-ce pas ?

Fabrice.

Silence ! silence ! j’entends marcher ; on vient de ce côté… Peut-être est-ce Faustine ?… Non, c’est notre père. Que Dieu veille sur elle à présent !Il ferme la porte restée ouverte.



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George Sand. Portrait by A. de Musset. 1833

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