Littérature française – Livres pour enfants – Poésie Française – Molière – L’avare – Table des matières
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SCÈNES: I – II – III – IV – V – VI – VII
ACTE QUATRIÈME.
Scène première. – Cléante, Mariane, Élise, Frosine.
Cléante –
Rentrons ici ; nous serons beaucoup mieux. Il n’y a plus autour de nous personne de suspect, et nous pouvons parler librement.
Élise –
Oui, Madame, mon frère m’a fait confidence de la passion qu’il a pour vous. Je sais les chagrins et les déplaisirs que sont capables de causer de pareilles traverses ; et c’est, je vous assure, avec une tendresse extrême, que je m’intéresse à votre aventure.
Mariane –
C’est une douce consolation que de voir dans ses intérêts une personne comme vous ; et je vous conjure, Madame, de me garder toujours cette généreuse amitié, si capable de m’adoucir les cruautés de la fortune.
Frosine –
Vous êtes, par ma foi, de malheureuses gens l’un et l’autre, de ne m’avoir point, avant tout ceci, avertie de votre affaire. Je vous aurais, sans doute, détourné cette inquiétude, et n’aurais point amené les choses où l’on voit qu’elles sont.
Cléante –
Que veux-tu ? c’est ma mauvaise destinée qui l’a voulu ainsi. Mais, belle Mariane, quelles résolutions sont les vôtres ?
Mariane –
Hélas ! suis-je en pouvoir de faire des résolutions ? et, dans la dépendance où je me vois, puis-je former que des souhaits ?
Cléante –
Point d’autre appui pour moi dans votre coeur que de simples souhaits ? Point de pitié officieuse ? Point de secourable bonté ? Point d’affection agissante ?
Mariane –
Que saurais-je vous dire ? Mettez-vous en ma place, et voyez ce que je puis faire. Avisez, ordonnez vous-même : je m’en remets à vous, et je vous crois trop raisonnable pour vouloir exiger de moi que ce qui peut m’être permis par l’honneur et la bienséance.
Cléante –
Hélas ! où me réduisez-vous que de me renvoyer à ce que voudront me permettre les fâcheux sentiments d’un rigoureux honneur et d’une scrupuleuse bienséance ?
Mariane –
Mais que voulez-vous que je fasse ? Quand je pourrais passer sur quantité d’égards où notre sexe est obligé, j’ai de la considération pour ma mère. Elle m’a toujours élevée avec une tendresse extrême, et je ne saurais me résoudre à lui donner du déplaisir. Faites, agissez auprès d’elle ; employez tous vos soins à gagner son esprit. Vous pouvez faire et dire tout ce que vous voudrez ; je vous en donne la licence ; et, s’il ne tient qu’à me déclarer en votre faveur, je veux bien consentir à lui faire un aveu, moi-même, de tout ce que je sens pour vous.
Cléante –
Frosine, ma pauvre Frosine, voudrais-tu nous servir ?
Frosine –
Par ma foi, faut-il le demander ? Je le voudrais de tout mon coeur. Vous savez que, de mon naturel, je suis assez humaine. Le ciel ne m’a point fait l’âme de bronze, et je n’ai que trop de tendresse à rendre de petits services, quand je vois des gens qui s’entr’aiment en tout bien et en tout honneur. Que pourrions-nous faire à ceci ?
Cléante –
Songe un peu, je te prie.
Mariane –
Ouvre-nous des lumières.
Élise –
Trouve quelque invention pour rompre ce que tu as fait.
Frosine –
Ceci est assez difficile.
(À Mariane.)
Pour votre mère, elle n’est pas tout à fait déraisonnable, et peut-être pourrait-on la gagner et la résoudre à transporter au fils le don qu’elle veut faire au père.
(À Cléante.)
Mais le mal que j’y trouve, c’est que votre père est votre père.
Cléante –
Cela s’entend.
Frosine –
Je veux dire qu’il conservera du dépit si l’on montre qu’on le refuse, et qu’il ne sera point d’humeur ensuite à donner son consentement à votre mariage. Il faudrait, pour bien faire, que le refus vînt de lui-même, et tâcher, par quelque moyen, de le dégoûter de votre personne.
Cléante –
Tu as raison.
Frosine –
Oui, j’ai raison, je le sais bien. C’est là ce qu’il faudrait ; mais le diantre (15) est d’en pouvoir trouver les moyens. Attendez : si nous avions quelque femme un peu sur l’âge qui fût de mon talent, et jouât assez bien pour contrefaire une dame de qualité, par le moyen d’un train fait à la hâte, et d’un bizarre nom de marquise ou de vicomtesse que nous supposerions de la Basse-Bretagne, j’aurais assez d’adresse pour faire accroire à votre père que ce serait une personne riche, outre ses maisons, de cent mille écus en argent comptant ; qu’elle serait éperdument amoureuse de lui et souhaiterait de se voir sa femme, jusqu’à lui donner tout son bien par contrat de mariage ; et je ne doute point qu’il ne prêtât l’oreille à la proposition. Car enfin il vous aime fort, je le sais, mais il aime un peu plus l’argent ; et quand, ébloui de ce leurre, il aurait une fois consenti à ce qui vous touche, il importerait peu ensuite qu’il se désabusât, en venant à vouloir voir clair aux effets de notre marquise.
Cléante –
Tout cela est fort bien pensé.
Frosine –
Laissez-moi faire. Je viens de me ressouvenir d’une de mes amies qui sera notre fait.
Cléante –
Sois assurée, Frosine, de ma reconnaissance, si tu viens à bout de la chose. Mais, charmante Mariane, commençons, je vous prie, par gagner votre mère ; c’est toujours beaucoup faire que de rompre ce mariage. Faites-y de votre part, je vous en conjure, tous les efforts qu’il vous sera possible. Servez-vous de tout le pouvoir que vous donne sur elle cette amitié qu’elle a pour vous. Déployez sans réserve les grâces éloquentes, les charmes tout-puissants que le ciel a placés dans vos yeux et dans votre bouche ; et n’oubliez rien, s’il vous plaît, de ces tendres paroles, de ces douces prières et de ces caresses touchantes à qui je suis persuadé qu’on ne saurait rien refuser.
Mariane –
J’y ferai tout ce que je puis, et n’oublierai aucune chose.
SCÈNES: I – II – III – IV – V – VI – VII
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Scène II. – Harpagon, Cléante, Mariane, Élise, Frosine.
Harpagon –
(à part, sans être aperçu.)
Ouais ! mon fils baise la main de sa prétendue belle-mère ; et sa prétendue belle-mère ne s’en défend pas fort ! Y aurait-il quelque mystère là-dessous ?
Élise –
Voilà mon père.
Harpagon –
Le carrosse est tout prêt ; vous pouvez partir quand il vous plaira.
Cléante –
Puisque vous n’y allez pas, mon père, je m’en vais les conduire.
Harpagon –
Non : demeurez. Elles iront bien toutes seules, et j’ai besoin de vous.
SCÈNES: I – II – III – IV – V – VI – VII
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Scène III. – Harpagon, Cléante.
Harpagon –
Oh çà, intérêt de belle-mère à part, que te semble, à toi, de cette personne ?
Cléante –
Ce qui m’en semble ?
Harpagon –
Oui de son air, de sa taille, de sa beauté, de son esprit.
Cléante –
Là, là !
Harpagon –
Mais encore ?
Cléante –
A vous en parler franchement, je ne l’ai pas trouvée ici ce que je l’avais crue. Son air est de franche coquette, sa taille est assez gauche, sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne croyez pas que ce soit, mon père, pour vous en dégoûter ; car, belle-mère pour belle-mère, j’aime autant celle-là qu’une autre.
Harpagon –
Tu lui disais tantôt pourtant…
Cléante –
Je lui ai dit quelques douceurs en votre nom, mais c’était pour vous plaire.
Harpagon –
Si bien donc que tu n’aurais pas d’inclination pour elle ?
Cléante –
Moi ? point du tout.
Harpagon –
J’en suis fâché, car cela rompt une pensée qui m’était venue dans l’esprit. J’ai fait, en la voyant ici, réflexion sur mon âge ; et j’ai songé qu’on pourra trouver à redire de me voir marier à une si jeune personne. Cette considération m’en faisait quitter le dessein ; et comme je l’ai fait demander, et que je suis pour elle engagé de parole, je te l’aurais donnée, sans l’aversion que tu témoignes.
Cléante –
A moi ?
Harpagon –
A toi.
Cléante –
En mariage ?
Harpagon –
En mariage.
Cléante –
Ecoutez. Il est vrai qu’elle n’est pas fort à mon goût ; mais, pour vous faire plaisir, mon père, je me résoudrai à l’épouser, si vous voulez.
Harpagon –
Moi, je suis plus raisonnable que tu ne penses. Je ne veux point forcer ton inclination.
Cléante –
Pardonnez-moi ; je me ferai cet effort pour l’amour de vous.
Harpagon –
Non, non. Un mariage ne saurait être heureux où l’inclination n’est pas.
Cléante –
C’est une chose, mon père, qui peut-être viendra ensuite ; et l’on dit que l’amour est souvent un fruit du mariage.
Harpagon –
Non. Du côté de l’homme, on ne doit point risquer l’affaire ; et ce sont des suites fâcheuses, où je n’ai garde de me commettre. Si tu avais senti quelque inclination pour elle, à la bonne heure ; je te l’aurais fait épouser au lieu de moi ; mais, cela n’étant pas, je suivrai mon premier dessein, et je l’épouserai moi-même.
Cléante –
Eh bien ! mon père, puisque les choses sont ainsi, il faut vous découvrir mon coeur ; il faut vous révéler notre secret. La vérité est que je l’aime depuis un jour que je la vis dans une promenade ; que mon dessein était tantôt de vous la demander pour femme ; et que rien ne m’a retenu que la déclaration de vos sentiments, et la crainte de vous déplaire.
Harpagon –
Lui avez-vous rendu visite ?
Cléante –
Oui, mon père.
Harpagon –
Beaucoup de fois ?
Cléante –
Assez pour le temps qu’il y a.
Harpagon –
Vous a-t-on bien reçu ?
Cléante –
Fort bien, mais sans savoir qui j’étais ; et c’est ce qui a fait tantôt la surprise de Mariane.
Harpagon –
Lui avez-vous déclaré votre passion et le dessein où vous étiez de l’épouser ?
Cléante –
Sans doute, et même j’en avais fait à sa mère quelque peu d’ouverture.
Harpagon –
A-t-elle écouté, pour sa fille, votre proposition ?
Cléante –
Oui, fort civilement.
Harpagon –
Et la fille correspond-elle fort à votre amour ?
Cléante –
Si j’en dois croire les apparences, je me persuade, mon père, qu’elle a quelque bonté pour moi.
Harpagon –
(bas, à part.)
Je suis bien aise d’avoir appris un tel secret ; et voilà justement ce que je demandais.
(Haut.)
Or sus, mon fils, savez-vous ce qu’il y a ? C’est qu’il faut songer, s’il vous plaît, à vous défaire de votre amour, à cesser toutes vos poursuites auprès d’une personne que je prétends pour moi, et à vous marier dans peu avec celle qu’on vous destine.
Cléante –
Oui, mon père ; c’est ainsi que vous me jouez ! Eh bien ! puisque les choses en sont venues là, je vous déclare, moi, que je ne quitterai point la passion que j’ai pour Mariane ; qu’il n’y a point d’extrémité où je ne m’abandonne pour vous disputer sa conquête, et que si vous avez pour vous le consentement d’une mère, j’aurai d’autres secours, peut-être, qui combattront pour moi.
Harpagon –
Comment, pendard ! tu as l’audace d’aller sur mes brisées !
Cléante –
C’est vous qui allez sur les miennes, et je suis le premier en date.
Harpagon –
Ne suis-je pas ton père ? et ne me dois-tu pas respect ?
Cléante –
Ce ne sont point ici des choses où les enfants soient obligés de déférer aux pères, et l’amour ne connaît personne.
Harpagon –
Je te ferai bien me connaître avec de bons coups de bâton.
Cléante –
Toutes vos menaces ne feront rien.
Harpagon –
Tu renonceras à Mariane.
Cléante –
Point du tout.
Harpagon –
Donnez-moi un bâton tout à l’heure.
SCÈNES: I – II – III – IV – V – VI – VII
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Scène IV. – Harpagon, Cléante, Maître Jacques.
Maître Jacques –
Hé ! hé ! hé ! Messieurs, qu’est-ce ci ? à quoi songez-vous ?
Cléante –
Je me moque de cela.
Maître Jacques –
(à Cléante.)
Ah ! Monsieur, doucement.
Harpagon –
Me parler avec cette impudence !
Maître Jacques –
(à Harpagon.)
Ah ! monsieur, de grâce !
Cléante –
Je n’en démordrai point.
Maître Jacques –
(à Cléante.)
Hé quoi ! à votre père ?
Harpagon –
Laisse-moi faire.
Maître Jacques –
(à Harpagon.)
Hé quoi ! à votre fils ? Encore passe pour moi.
Harpagon –
Je te veux faire toi-même, maître Jacques, juge de cette affaire, pour montrer comme j’ai raison.
Maître Jacques –
J’y consens.
(A Cléante.)
Eloignez-vous un peu.
Harpagon –
J’aime une fille que je veux épouser ; et le pendard a l’insolence de l’aimer avec moi, et d’y prétendre malgré mes ordres.
Maître Jacques –
Ah ! il a tort.
Harpagon –
N’est-ce pas une chose épouvantable, qu’un fils qui veut entrer en concurrence avec son père ? et ne doit-il pas, par respect, s’abstenir de toucher à mes inclinations ?
Maître Jacques –
Vous avez raison. Laissez-moi lui parler, et demeurez là.
Cléante –
(à maître Jacques, qui s’approche de lui.)
Eh bien, oui, puisqu’il veut te choisir pour juge, je n’y recule point ; il ne m’importe qui ce soit ; et je veux bien aussi me rapporter à toi, maître Jacques, de notre différend.
Maître Jacques –
C’est beaucoup d’honneur que vous me faites.
Cléante –
Je suis épris d’une jeune personne qui répond à mes voeux et reçoit tendrement les offres de ma foi, et mon père s’avise de venir troubler notre amour, par la demande qu’il en fait faire.
Maître Jacques –
Il a tort assurément.
Cléante –
N’a-t-il point de honte, à son âge, de songer à se marier ? Lui sied-il bien d’être encore amoureux ? et ne devrait-il pas laisser cette occupation aux jeunes gens ?
Maître Jacques –
Vous avez raison, il se moque. Laissez-moi lui dire deux mots.
(À Harpagon.)
Eh bien ! votre fils n’est pas si étrange que vous le dites, et il se met à la raison. Il dit qu’il sait le respect qu’il vous doit ; qu’il ne s’est emporté que dans la première chaleur, et qu’il ne fera point refus de se soumettre à ce qu’il vous plaira, pourvu que vous vouliez le traiter mieux que vous ne faites, et lui donner quelque personne en mariage, dont il ait lieu d’être content.
Harpagon –
Ah ! dis-lui, maître Jacques, que moyennant cela, il pourra espérer toutes choses de moi, et que, hors Mariane, je lui laisse la liberté de choisir celle qu’il voudra.
Maître Jacques –
Laissez-moi faire.
(À Cléante.)
Eh bien ! votre père n’est pas si déraisonnable que vous le faites, et il m’a témoigné que ce sont vos emportements qui l’ont mis en colère ; qu’il n’en veut seulement qu’à votre manière d’agir, et qu’il sera fort disposé à vous accorder ce que vous souhaitez, pourvu que vous vouliez vous y prendre par la douceur, et lui rendre les déférences, les respects et les soumissions qu’un fils doit à son père.
Cléante –
Ah ! maître Jacques, tu lui peux assurer que, s’il m’accorde Mariane, il me verra toujours le plus soumis de tous les hommes, et que jamais je ne ferai aucune chose que par ses volontés.
Maître Jacques –
(à Harpagon.)
Cela est fait. Il consent ce que vous dites.
Harpagon –
Voilà qui va le mieux du monde.
Maître Jacques –
(à Cléante.)
Tout est conclu ; il est content de vos promesses.
Cléante –
Le ciel en soit loué !
Maître Jacques –
Messieurs, vous n’avez qu’à parler ensemble ; vous voilà d’accord maintenant ; et vous alliez vous quereller, faute de vous entendre.
Cléante –
Mon pauvre maître Jacques, je te serai obligé toute ma vie.
Maître Jacques –
Il n’y a pas de quoi, monsieur.
Harpagon –
Tu m’as fait plaisir, maître Jacques ; et cela mérite une récompense.
(Harpagon fouille dans sa poche ; maître Jacques tend la main ;
mais Harpagon ne tire que son mouchoir, en disant :
Va, je m’en souviendrai, je t’assure.
Maître Jacques –
Je vous baise les mains.
SCÈNES: I – II – III – IV – V – VI – VII
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Scène V. – Harpagon, Cléante.
Cléante –
Je vous demande pardon, mon père, de l’emportement que j’ai fait paraître.
Harpagon –
Cela n’est rien.
Cléante –
Je vous assure que j’en ai tous les regrets du monde.
Harpagon –
Et moi, j’ai toutes les joies du monde de te voir raisonnable.
Cléante –
Quelle bonté à vous d’oublier si vite ma faute !
Harpagon –
On oublie aisément les fautes des enfants lorsqu’ils rentrent dans leur devoir.
Cléante –
Quoi ! ne garder aucun ressentiment de toutes mes extravagances ?
Harpagon –
C’est une chose où tu m’obliges, par la soumission et le respect où tu te ranges.
Cléante –
Je vous promets, mon père, que jusques au tombeau je conserverai dans mon coeur le souvenir de vos bontés.
Harpagon –
Et moi, je te promets qu’il n’y aura aucune chose que tu n’obtiennes de moi.
Cléante –
Ah ! mon père, je ne vous demande plus rien ; et c’est m’avoir assez donné que de me donner Mariane.
Harpagon –
Comment ?
Cléante –
Je dis, mon père, que je suis trop content de vous, et que je trouve toutes choses dans la bonté que vous ayez de m’accorder Mariane.
Harpagon –
Qui est-ce qui parle de t’accorder Mariane ?
Cléante –
Vous, mon père.
Harpagon –
Moi ?
Cléante –
Sans doute.
Harpagon –
Comment ! c’est toi qui as promis d’y renoncer.
Cléante –
Moi, y renoncer ?
Harpagon –
Oui.
Cléante –
Point du tout.
Harpagon –
Tu ne t’es pas départi d’y prétendre ?
Cléante –
Au contraire, j’y suis porté plus que jamais.
Harpagon –
Quoi, pendard ! derechef ?
Cléante –
Rien ne peut me changer.
Harpagon –
Laisse-moi faire, traître.
Cléante –
Faites tout ce qu’il vous plaira.
Harpagon –
Je te défends de me jamais voir.
Cléante –
A la bonne heure.
Harpagon –
Je t’abandonne.
Cléante –
Abandonnez.
Harpagon –
Je te renonce pour mon fils.
Cléante –
Soit.
Harpagon –
Je te déshérite.
Cléante –
Tout ce que vous voudrez.
Harpagon –
Et je te donne ma malédiction.
Cléante –
Je n’ai que faire de vos dons.
SCÈNES: I – II – III – IV – V – VI – VII
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Scène VI. – Cléante, La Flèche.
La Flèche –
(sortant du jardin avec une cassette.)
Ah ! Monsieur, que je vous trouve à propos ! Suivez-moi vite.
Cléante –
Qu’y a-t-il ?
La Flèche –
Suivez-moi, vous dis-je ; nous sommes bien.
Cléante –
Comment ?
La Flèche –
Voici votre affaire.
Cléante –
Quoi ?
La Flèche –
J’ai guigné ceci tout le jour.
Cléante –
Qu’est-ce que c’est ?
La Flèche –
Le trésor de votre père, que j’ai attrapé.
Cléante –
Comment as-tu fait ?
La Flèche –
Vous saurez tout. Sauvons-nous ; je l’entends crier.
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Scène VII. – Harpagon.
Harpagon –
(criant au voleur dès le jardin, et venant sans chapeau.)
Au voleur ! au voleur ! à l’assassin ! au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ; on m’a coupé la gorge : on m’a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu ? Où est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ? Où ne pas courir ? N’est-il point là ? n’est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête.
(À lui-même, se prenant par le bras.)
Rends-moi mon argent, coquin… Ah ! c’est moi ! Mon esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas ! mon pauvre argent ! mon pauvre argent ! mon cher ami ! on m’a privé de toi ; et puisque tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie : tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faire au monde. Sans toi, il m’est impossible de vivre. C’en est fait ; je n’en puis plus ; je me meurs ; je suis mort ; je suis enterré. N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m’apprenant qui l’a pris. Euh ! que dites-vous ? Ce n’est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu’avec beaucoup de soin on ait épié l’heure ; et l’on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la question à toute ma maison ; à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Hé ! de quoi est-ce qu’on parle là ? de celui qui m’a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut ? Est-ce mon voleur qui y est ? De grâce, si l’on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l’on m’en dise. N’est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu’ils ont part, sans doute, au vol que l’on m’a fait. Allons, vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences, et des bourreaux ! Je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.
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