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Poème “C’était la première soirée” de Victor Hugo

Dernière Gerbe

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< < < Quand je ne serai plus qu’une cendre glacée
Ton beau front s’est penché > > >


C’était la première soirée

***

          I

C’était la première soirée
      Du mois d’avril.
Je m’en souviens, mon adorée.
      T’en souvient-il ?

Nous errions dans la ville immense,
      Tous deux, sans bruit,
À l’heure où le repos commence
      Avec la nuit !

Heure calme, charmante, austère,
      Où le soir naît !
Dans cet ineffable mystère
      Tout rayonnait,

Tout ! l’amour dans tes yeux sans voile,
      Fiers, ingénus !
Aux vitres mainte pauvre étoile,
      Au ciel Vénus !

Notre-Dame, parmi les dômes
      Des vieux faubourgs,
Dressait comme deux grands fantômes
      Ses grandes tours.

La Seine, découpant les ombres
      En angles noirs,
Faisait luire sous les ponts sombres
      De clairs miroirs.

L’oeil voyait sur la plage amie
      Briller ses eaux
Comme une couleuvre endormie
      Dans les roseaux.

Et les passants, le long des grèves
      Où l’onde fuit,
Étaient vagues comme les rêves
      Qu’on a la nuit !

Je te disais : – « Clartés bénies,
      Bruits lents et doux,
Dieu met toutes les harmonies
      Autour de nous !

Aube qui luit, soir qui flamboie,
      Tout a son tour ;
Et j’ai l’âme pleine de joie,
      Ô mon amour !

Que m’importe que la nuit tombe,
      Et rende, ô Dieu !
Semblable au plafond d’une tombe
      Le beau ciel bleu !

Que m’importe que Paris dorme,
      Ivre d’oubli,
Dans la brume épaisse et sans forme
      Enseveli !

Que m’importe, aux heures nocturnes
      Où nous errons,
Les ombres qui versent leurs urnes
      Sur tous les fronts,

Et, noyant de leurs plis funèbres
      L’âme et le corps,
Font les vivants dans les ténèbres
      Pareils aux morts !

Moi, lorsque tout subit l’empire
      Du noir sommeil,
J’ai ton regard, j’ai ton sourire,
      J’ai le soleil !

Je te parlais, ma bien-aimée ;
      Ô doux instants !
Ta, main pressait ma main charmée.
      Puis, bien longtemps,

Nous nous regardions pleins de flamme,
      Silencieux,
Et l’âme répondait à l’âme,
      Les yeux aux yeux !

Sous tes cils une larme obscure
      Brillait parfois ;
Puis ta voix parlait, tendre et pure,
      Après ma voix,

Comme on entend dans la coupole
      Un double écho ;
Comme après un oiseau s’envole
      Un autre oiseau.

Tu disais : « Je suis calme et fière,
      Je t’aime ! oui ! »
Et je rêvais à ta lumière
      Tout, ébloui !

Oh ! ce fut une heure sacrée,
      T’en souvient-il?
Que cette première soirée
      Du mois d’avril !

Tout en disant toutes les choses,
      Tous les discours
Qu’on dit dans la saison des roses
      Et des amours,

Nous allions, contemplant dans l’onde
      Et dans l’azur
Cette lune qui jette au monde
      Son rayon pur,

Et qui, d’en haut, sereine comme
      Un front dormant,
Regarde le bonheur de l’homme
      Si doucement ! ….


            II

Tu disais : « Ô soleils sans nombre !
      Nuit ! ciel en feu !
Dans vos clartés et dans votre ombre,
      Tout monte à Dieu.

Rien ne se perd ! Cendre, étincelle,
      Ramier, vautour,
Le moindre battement d’une aile
      Ou d’un amour,

Le chant du nid qui sous la feuille
      Va s’assoupir,
Du coeur pensif qui se recueille
      Chaque soupir,

Les rêves de l’âme enivrée,
      Du front qui bout;
La nature immense et sacrée
      Retrouve tout !

Car tout suit sa loi grave et douce !
      Tout à la fois !
L’herbe verdit, la branche pousse
      Au fond des bois,

La nuit endort les champs, la foule,
      Les mers, les monts,
Le vent fuit, l’astre luit, l’eau coule,
      Et nous aimons !

Nous aimons parce que nous sommes !
      C’est notre voeu !
Aimer, c’est vivre loin des hommes
      Et près de Dieu !

C’est s’ouvrir à la clarté pure,
      Comme la fleur !
C’est sentir toute la nature
      Vivre en son coeur !

C’est accomplir le code auguste
      D’Éden naissant
Que suivait devant le ciel juste
      L’homme innocent !

Soyons heureux, ô toi que j’aime !
      Bravons le sort !
Car seuls à cette heure suprême,
      Seuls quand tout dort ;

Dédaignant d’un monde où tout tremble
      Les bonheurs vains,
Sûrs d’être en paix avec l’ensemble
      Des faits divins,

Comme en un temple où l’ombre rampe
      Devant nos pas,
On suit la lueur d’une lampe
      Qu’on ne voit pas,

Nous sentons sur notre âme fière,
      Tout en rêvant,
L’oeil sans sommeil, l’oeil sans paupière
      Du Dieu vivant !

Va, dans mon coeur rien ne chancelle.
      Sois mon époux.
La conscience universelle
      Est avec nous !

Donnons-nous à l’amour ! – Écoute,
      Soupirs, concerts,
Pervenche du bord de la route,
      Perle des mers,

La mousse en avril épaissie
      Des bois dormants,
Les sourires, la poésie,
      Les pleurs charmants,

Le bleu du ciel, le vert de l’onde,
      L’éclat du jour,
Les belles choses de ce monde
      Sont à l’amour !

C’est l’amour qui tient tolite chose,
      Et fait d’un mot
Épanouir ici la rose,
      L’astre là-haut.

C’est lui qui veut qu’on ne commande
      Qu’à deux genoux !
C’est lui qui fait la femme grande
      Et l’homme doux !

Ainsi tu parlais, et sans doute,
      Dieu t’inspirait ;
Car j’écoutais comme on écoute
      Dans la forêt,

Quand Dieu se mêle à la nature,
      Au bruit des vents,
Quand il parle dans le murmure
      Des bois vivants !

                  Août 1844.


La tour des rats de Victor Hugo - 1847
La tour des rats de Victor Hugo – 1847


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