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Poème “Jersey” de Victor Hugo

Les Quatre Vents de l’esprit

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Androclès  > > >


Jersey

***

 Jersey dort dans les flots, ces éternels grondeurs ;
Et dans sa petitesse elle a les deux grandeurs ;
Île, elle a l’océan ; roche, elle est la montagne.
Par le sud Normandie et par le nord Bretagne,
Elle est pour nous la France, et, dans son lit de fleurs,
Elle en a le sourire et quelquefois les pleurs.

Pour la troisième fois j’y vois les pommes mûres.
Terre d’exil, que mord la vague aux sourds murmures,
Sois bénie, île verte, amour du flot profond !
Ce coin de terre, où l’âme à l’infini se fond,
S’il était mon pays, serait ce que j’envie.
Là, le lutteur serein, naufragé de la vie,
Pense, et, sous l’œil de Dieu, sur cet écueil vermeil,
Laisse blanchir son âme ainsi que le soleil
Blanchit sur le gazon les linges des laveuses.

Les rocs semblent frappés d’attitudes rêveuses ;
Dans leurs antres, ainsi qu’aux fentes d’un pressoir,
L’écume à flots bouillonne et luit ; quand vient le soir,
La forêt jette au vent des notes sibyllines ;
Le dolmen monstrueux songe sur les collines ;
L’obscure nuit l’ébauche en spectre ; et dans le bloc
La lune blême fait apparaître Moloch.

À cause du vent d’ouest, tout le long de la plage,
Dans tous les coins de roche où se groupe un village,
Sur les vieux toits tremblants des pêcheurs riverains,
Le chaume est retenu par des câbles marins
Pendant le long des murs avec de grosses pierres ;
La nourrice au sein nu qui baisse les paupières
Chante à l’enfant qui tette un chant de matelot ;
Le bateau dès qu’il rentre est tiré hors du flot ;
Et les prés sont charmants.

           Salut, terre sacrée !
Le seuil des maisons rit comme une aube dorée.
Phares, salut ! amis que le péril connaît !
Salut, clochers où vient nicher le martinet ;
Pauvres autels sculptés par des sculpteurs de proues ;
Chemins que dans les bois emplit le bruit des roues ;
Jardins de laurier rose et d’hortensia bleu ;
Étangs près de la mer, sagesses près de Dieu !
Salut !

    À l’horizon s’envole la frégate ;
Le flux mêle aux galets, polis comme l’agate,
Les goëmons, toison du troupeau des récifs ;
Et Vénus éblouit les vieux rochers pensifs,
Dans l’ombre, au point du jour, quand, au chant de la grive,
Tenant l’enfant matin par la main, elle arrive.

Ô bruyères ! Plémont qu’évite le steamer !
Vieux palais de Cybèle écroulé dans la mer !
Mont qu’étreint l’océan de ses liquides marbres !
Mugissement des bœufs ! Doux sommeils sous les arbres !

L’île semble prier comme un religieux ;
Tout à l’entour, chantant leur chant prodigieux,
L’abîme et l’océan font leur immense fête ;
La nue en passant pleure ; et l’écueil, sur son faîte,
Pendant que la mer brise à ses pieds le vaisseau,
Garde un peu d’eau du ciel pour le petit oiseau.

               Creux de la Touraille (L’Homme sans Tête).

8 octobre 1854.


La tour des rats de Victor Hugo - 1847
La tour des rats de Victor Hugo – 1847


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