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Poème “l’ange liberté” de Victor Hugo

La Fin de Satan

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l’ange liberté

***

 I

De la lumière. Et puis de la lumière encore.
Chaos de firmaments dans des gouffres d’aurore.

L’ange Liberté plane en l’azur spacieux.
On dirait que son œil cherche une issue aux cieux.
Elle voit une étoile. Elle s’approche : — Ecoute,
Etoile ; conduis-moi sous la fatale voûte ;
Dieu permet que je parle à celui qui fut grand.
— Je ne puis, répond l’astre. Et Liberté reprend :
— Du moins, dis-moi la route et comment y descendre.
— Parle à l’Eclair, dit l’astre. Il peut seul te l’apprendre.
Cet ange est dans le ciel le seul qui sait tomber.

D’une aile que le vent même ne peut courber,
L’Ange Liberté part et franchit l’éther sombre.

Elle vola longtemps ; — l’homme n’a pas de nombre
Pour compter ce temps-là ; — son vol fier était sûr.

Tout à coup, dans un angle informe de l’azur,
Elle vit l’écurie énorme des nuées.
On entendait sonner des chaînes dénouées,
Et rouler on ne sait quels effrayants essieux ;
L’ange Eclair travaillait dans cet antre des cieux ;
Il en faisait sortir tous les chars du tonnerre ;
Quelques-uns n’étaient faits que de flamme ordinaire ;
D’autres semblaient forgés dans l’enfer par les nuits ;
Et des ruissellements de foudres inouïs
Ebauchaient vaguement leur forme épouvantable ;
Les écueils dans la mer, les taureaux dans l’étable,
Sont des roucoulements près des monstrueux bruits
De tous ces chars avec de l’abîme construits.

Liberté s’avança vers l’Eclair. L’immortelle
Sourit : — Ange, tu dois connaître, lui dit-elle,
L’éclatant Lucifer tombé dans le trépas.
— C’est moi qui l’ai frappé, je ne le connais pas,
Dit l’Eclair. — Mais le gouffre où tu jetas cette âme,
Tu peux me le montrer ; — Non, dit l’esprit de flamme.
Va trouver le vieil ange Hiver. Il est le seul
Qui connaisse les plis ténébreux du linceul.
Moi, je ne me souviens de rien. Je brise, et passe.

Puis, il montra du doigt un point noir dans l’espace,
C’était la terre.

                      – Va, dit-il. Le triste enfer
Touche à ce monde et là tu trouveras l’hiver.

Et l’ange Liberté, telle qu’un jet de fronde,
Partit, et vit grandir la sphère obscure et ronde,
Et, superbe, et bravant la bise et le mistral,
S’abattit sur la terre à l’endroit sépulcral.

Dans ce cercle effrayant que les glaciers enserrent,
Au fond du désert blême où jamais ne passèrent
Les Colomb, les Gama, ces lumineux sondeurs,
Dans ces obscurités et dans ces profondeurs
Sur la création par le néant conquises,
Au-delà des spitzbergs, des flots et des banquises,
Au centre de la brume où tout rayon finit,
Loin du jour, dans l’eau marbre et dans la mer granit,
Le sombre archange Hiver se dresse sur le pôle ;
La trompette à la bouche et l’ombre sur l’épaule,
Il est là, sans qu’il sorte, au milieu de ce deuil,
De son clairon un souffle, un éclair de son œil ;
Il ne rêve pas même, étant un bloc de neige ;
Les vents ailés, pareils à l’oiseau pris au piège,
Sont dans sa main, captifs du silence éternel ;
Son œil éteint regarde affreusement le ciel ;
Le givre est dans ses os, le givre est sur sa tête ;
L’horreur pétrifiée autour de lui s’arrête ;
Sa sinistre attitude effare l’infini ;
Dur, morne, il est glacé, c’est-à-dire banni ;
La terre sous ses pieds, de ténèbres vêtue,
Se tait ; il est la blanche et muette statue
Debout sur ce tombeau dans l’éternelle nuit ;
Jamais une lueur, un mouvement, un bruit
N’effleurent le géant, seul sous de sombres voiles.
Quand, à tous ces cadrans qu’on nomme les étoiles,
L’heure du dernier jour sans terme et sans milieu
Sonnera, la clarté de la face de Dieu
Dégèlera le spectre, et tout à coup sa bouche
Se gonflera d’un pli formidable et farouche,
Et les mondes, esquifs roulant sans aviron,
Entendront l’ouragan sortir de son clairon.

Jamais l’essaim chantant des paradis n’approche
Cette âme du silence et du deuil, faite roche,
Geôlière des cieux morts et des firmaments noirs ;
Ce brouillard gris, pareil à la chute des soirs,
Fait peur aux chérubins extasiés et tendres ;
Les neiges, cette forme effroyable des cendres,
Font de cet horizon, dont l’aube hait le seuil,
Quelque chose qui semble un dedans de cercueil.

L’ange-vierge, à travers les glaciers blancs décombres,
Vola droit au géant, seul dans ces déserts sombres
Dont le jour ne veut pas et qu’il n’a pas reçus.

D’abord elle plana radieuse au-dessus
Du lourd colosse, avec les grands cercles de l’aigle ;
Puis, s’approchant, lui dit : — Celui qui juge et règle,
Celui qui fait tout vivre et qui fait tout trembler,
M’a permis de venir ici ; je veux parler
A quelqu’un d’effrayant dont seul tu connais l’antre ;
O géant, ouvre-moi le gouffre, pour que j’entre.

Le Vieillard de la Nuit resta sourd et muet ;
Pas un pli du brouillard pesant ne remuait
Dans cette immensité d’ombre et de solitude ;
Seulement, sans que rien troublât son attitude,
Et sans qu’un mouvement fit voir qu’il entendît,
La glace sous ses pieds lentement se fendit.
Une crevasse étrange apparut ; ouverture
D’on ne sait quelle horreur qui n’est plus la nature,
Bouche d’un puits livide et morne, escarpement
D’un abîme qui va plus loin que l’élément,
Vision du néant formidable, enfermée
Entre deux murs sans forme où rampe une fumée ;
Deuil, brume ; obscurité sans fond et sans contour.

La vierge Liberté, blanche et faite de jour,
Sentit le froid du lieu funeste où rien n’existe.

La désolation de ce gouffre était triste
Et profonde ; et c’était l’infini de la nuit.

Elle ouvrit sa grande aile où l’azur des cieux luit,
Et, calme, descendit dans cette ombre terrible.

II

Or, en ce même instant, l’horreur indivisible,
Sans palpitation, sans souffle et sans échos,
La lugubre unité de tombe et de chaos
Qu’on nomme Enfer, voyait une chose inouïe.

Une forme, parfois soudain évanouie,
Puis renaissant, flottant au loin, puis s’abîmant,
Sorte de voile ayant un vague mouvement,
Glissait sous ce plafond qu’on prendrait pour un rêve.

Cette figure était la même que la grève
Du fleuve Seine avait vue errer autrefois,
Et jeter dans les vents sa redoutable voix.

Elle allait, comme l’algue erre… – A travers le voile
La fixité des yeux flamboyait, et la toile
Dont ce voile était fait, semblait avoir été
Tissue avec du rêve et de l’obscurité.
Elle sondait l’enfer qui sans fin se prolonge ;
Dans la stagnation des ténèbres, qui songe,
Et qui, farouche, a l’air d’un crime qui se tait,
Elle passait, tournait, descendait, remontait,
Prenant on ne sait quels plis informes pour guides,
Blême aux endroits obscurs, noire aux endroits livides.
Ainsi vole à travers les branches l’émouchet.
Parfois, comme quelqu’un qui cherche, elle touchait
Le mur prodigieux de la cave du monde.
Elle serpentait, lente et souple comme une onde,
Dans l’abîme où l’esprit lit ce mot triste : Absent.
Souvent elle laissait derrière elle en passant
Le bleuissement pâle et fugitif du soufre.

Soudain, comme sentant sous elle plus de gouffre,
Elle hésita, pencha ce qui semblait son front,
Et regarda.

                 La nuit qu’aucun jour n’interrompt
Gisait dans l’étendue effroyable et sublime.
Ce précipice émit de la mort, faite abîme.
On y sentait flotter du sépulcre dissous.
On voyait de la nuit sous la nuit ; au-dessous

De l’ombre, dans un vide étrange, on voyait l’ombre.

Tout au fond remuait une apparence sombre ;
Un fantôme entrevu, submergé, trouble, enfui,
Errant, rampant ; c’était le Damné ; c’était Lui.

On distinguait un front, des ailes, des vertèbres.

C’était l’archange larve, âme des lieux funèbres
Mêlant en lui de l’astre avec de l’animal ;
C’était l’être sinistre en qui pense le mal ;
C’était le criminel que le crime exécute ;
C’était plus qu’un esprit tombé ; c’était la Chute.

Le chaos se roulait sur l’ange en se gonflant ;
Par intervalle, un ongle, un large crâne, un flanc
Rayé comme les lynx, les guêpes et les zèbres
Se dressait dans le spasme horrible des ténèbres
Ses écailles semblaient de fumée et de jais.
On croyait voir quelqu’un de ces vagues objets
Tortueux et flottants, dont on craint la piqûre.
Offrant tous les aspects dans une ébauche obscure,
Céleste, bestial, humain, vertigineux,
Laissant voir une face au milieu de ses nœuds,
Enflant des plis confus dans l’ombre où rien ne brille,
C’était par instants l’hydre et parfois la chenille.

Il se traînait, visqueux, blême, éclipsé, terni,
Reptile colossal du cloaque infini.

La caverne d’en bas de Tout ; voilà ce gouffre.

C’était du vide en pleurs et du miasme qui souffre.
D’affreux rocs ébauchaient de noirs décharnements ;
On croyait, dans la brume épaisse, par moments,
Entrevoir le cadavre effrayant de la Cause ;
Tout était mort ; Satan rôdait dans quelque chose
D’informe et de hideux qui paraissait détruit ;
De sorte qu’au milieu de la fétide nuit,
Tout étant noirceur, peste, épouvante, misère,
Lividité, ruine, il semblait nécessaire
Qu’au fond de cette tombe on vit ramper ce ver.

Si quelque ange, égaré dans l’éternel hiver,
Fouillant la profondeur du vide impénétrable,
Hélas ! fût arrivé jusqu’à ce misérable,
Il n’eût rien retrouvé dans ce dieu de l’enfer
Du géant éclaireur qu’on nommait Lucifer.
L’abîme avait fini par entrer dans sa forme.
La condamnation, lourde, lépreuse, énorme,
S’était, sur cet archange à jamais rejeté,
Lentement déposée en monstruosité.

L’impur typhus sortait de son haleine amère.
Parfois, car ce brouillard est rempli de chimère,
Dans cette nuit que, seul, le vertige connaît,
Quelque ruissellement de lueur dessinait
Son dos ou la membrane immonde de son aile.
La rondeur de sa rouge et fatale prunelle
Semblait, dans la terreur de ces lieux inouïs,
Une goutte de flamme au fond du puits des nuits.
Sa face était le masque effaré du vertige.
A de certains moments, phases du noir prodige,
Un flamboiement, sortant de lui, glissait sur lui ;
L’abîme aveugle était brusquement ébloui ;
Alors, ô vision ! à travers l’insondable,
A travers l’inconnu qui n’est pas regardable,
Dans l’étrange épaisseur du gouffre devenu
Glauque autour du colosse inexprimable et nu,
Satan apparaissait dans toute sa souffrance ;
Le démon fulgurant, dans cette transparence,
Horrible, se tordait comme un éclair noyé.
Puis la nuit revenait, glacée et sans pitié ;
La vaste cécité refluait sous la voûte
De l’éternel silence et l’engloutissait toute ;
Et l’enfer, un instant montré, se refermant,
Lugubre, s’emplissait d’évanouissement.

III

La goule Isis-Lilith cria dans cette fosse :

— « Sois content. Tout périt. » (Oh ; toute langue est fausse
Comment rendre ces cris de spectre en mots humains ?)
« Père, ce qu’une fois j’ai saisi dans mes mains,
« Moi, la Fatalité, jamais je ne le lâche.
« L’airain, le bois, la pierre, ont accompli leur tâche ;
« L’airain s’est fait soldat, roi, prince, chevalier,
« Et le bois s’est fait juge et la pierre geôlier ;
« Caïn a reparu sous trois formes, le glaive,
« Le gibet, la prison ; et Babel se relève ;
« Le sang coule, Jésus est mort, l’enfer prévaut ;
« L’échafaud monstrueux du monde est le pivot ;
« Tout croule ; et dans le sang humain l’homme se lave ;
« La guerre le fait brute et la prison esclave ;
« L’homme subit le joug en sortant du combat ;
« Et, tigre dans le cirque, est âne sous le bât.
« Sois content. Tout est fauve, impitoyable et triste.
« Tu règnes. Cependant un obstacle résiste ;
« Dans cette fourmilière obscure un peuple luit ;
« Il est le verbe, il est la voix, il est le bruit ;
« Il agite au-dessus de la terre une flamme ;
« Ce peuple étrange est plus qu’un peuple, c’est une âme ;
« Ce peuple est l’Homme même ; il brave avec dédain
« L’enfer, et, dans la nuit, cherche à tâtons l’Eden ;
« Ce peuple, c’est Adam ; mais Adam qui se venge,
« Adam ayant volé le glaive ardent de l’ange,
« Et chassant devant lui la Nuit et le Trépas ;
« Il va ; tous les progrès sont faits avec ses pas ;
« Pas de haute action que ses mains ne consomment ;
« Les autres nations l’admirent, et le nomment
« FRANCE, et ce nom combat dans l’ombre contre nous.
« Cette France est l’amour et la joie en courroux,
« C’est le bien qui rugit, l’idéal qui s’irrite ;
« Tous nos prêtres, docteur qui ment, juge hypocrite,
« Faux juges, faux savants déformant les esprits,
« Nagent dans le crachat de son large mépris ;
« Elle est volcan, torrent, flot, lave ; elle bouillonne ;
« Fière, elle a plus qu’Athène et plus que Babylone,
« Elle a Paris, la Ville univers, pour cerveau ;
« Sur l’horizon humain, vaste, orageux, nouveau,
« Elle souffle la vie ainsi qu’une tempête.
« Mais écoute, ce peuple est vaincu : sur sa tête
« J’ai mis le joug ; il est l’aube, je suis la fin.
« La pierre dont Abel fut frappé par Caïn,
« Gisait dans le sang, noire, inexorable, athée ;
« Tu l’en souviens, je l’ai ramassée et jetée
« Près de la Seine, ainsi qu’une graine en un champ ;
« Ton haleine, perçant le globe, et la touchant,
« L’a fait croître et grandir jusqu’au ciel, tour affreuse ;
« Cette tour en cachots innombrables se creuse ;
« Les rois en font leur antre ; elle écrase Paris ;
« Elle éteint sa lumière, elle étouffe ses cris ;
« C’est là que toute chaîne aboutit et commence ;
« Elle est le cadenas de l’esclavage immense ;
« Elle est la glace au front de la France qui bout ;
« Elle est la tombe ; et l’ombre avec elle est debout.
« Elle garde en ses flancs le billot et la roue ;
« Cette tour est la geôle où le vieux dogme écroue
« L’âme et la vie, et met l’esprit humain aux fers ;
« Car Paris bâillonné fait muet l’univers ;
« La prison de la France est le cachot du monde.
« Maintenant, c’est fini, tout râle et rien ne gronde ;
« Ris, Satan. Plus que toi les hommes sont proscrits ;
« La Bastille, implacable et dure, est sur Paris
« Comme l’épée avec la croix, sur les deux Romes.
« Puisque tous deux, moi spectre et toi démon, nous sommes
« Les damnés, sans repos, sans sommeil ; les témoins ;
« Puisque nous ne pouvons dormir, ayons du moins
« La joie âcre du mal dans notre fièvre horrible ;
« A travers ton plafond comme à travers un crible,
« Toi, souffle la fureur aux hommes malheureux,
« Et moi je secouerai le suaire sur eux.
« Oui, ta vengeance étreint le monde, et le ravage.
« Dans ces trois cercles noirs, Haine, Meurtre, Esclavage,
« Le morne enfer tient l’homme à jamais enfermé.
« Un brouillard, d’ignorance et de douleur formé,
« Envahit lentement la terre comme une onde.
« O grand désespéré, dans ta tombe profonde,
« Sois content. Nuit, terreur, mort. Eclipse de Dieu.

Et le spectre, penchant ses prunelles de feu,
Regardant l’épaisseur qu’aucun frisson n’anime,
Attendit la réponse énorme de l’abîme.

Mais rien ne remua. Rien ne semblait vivant.

Le fantôme étonné regarda plus avant.

— Es-tu là ? cria-t-il.

                             L’ombre resta muette.

Soudain la colossale et sombre silhouette
De l’ange monstre en qui le ciel s’évanouit,
Apparut, surnageant sur le flot de la nuit.

Sur son front formidable une molle fumée
Flottait, et sa paupière horrible était fermée.

O Prodige ; Satan venait de s’endormir.

Une commotion de stupeur fit frémir
L’immuable nuée au fond du précipice.

L’antique patient de l’éternel supplice,
Pour souffrir à jamais à jamais rajeuni,
Lui, l’immense œil de tigre ouvert sur l’infini,
Satan, le mal, l’horreur condensée en génie,
L’anxiété, le guet, la douleur, l’insomnie,
Dormait.

              En même temps la terre eut un répit.
La lave folle aux flancs de l’Hékla s’assoupit ;
Le fouet oublia l’âne ; et l’ours, las de ses courses,
Vint boire avec la biche à la clarté des sources ;
La rose parut belle aux dragons éblouis ;
L’âme de Marc-Aurèle entra dans saint Louis ;
Le plus grand, attendri, se pencha sur le moindre ;
Le bonze, croyant voir de la lumière poindre,
Eut peur, chouette, et dit en frémissant : déjà !
La plante, qu’étouffait le roc, se dégagea ;
Les mouches, qui pendaient aux toiles d’araignées,
S’envolèrent, de vie et d’aurore baignées ;
Le poids se souleva des reins du portefaix ;
Le vent s’arrêta court sur les flots stupéfaits,
Et fit grâce, et laissa rentrer la barque au havre ;
L’enfant mort, dont la mère embrassait le cadavre,
Rouvrant les yeux, reprit le sein en souriant.

Satan dormait.

IV

                        Isis recula s’écriant :
— Il dort ! Je souffre seule ! Oh ! je le hais.

                                                    Sa bouche
Ecarta presque, avec cette clameur farouche,
Le voile par ses yeux flamboyants traversé ;
Puis les plis du linceul froid et toujours baissé
Tombèrent longs et droits, et Lilith immobile
Songea.

              Ce rêve obscur d’un spectre, la sibylle
Peut seule l’entrevoir quand dans son noir réduit
Elle médite, ayant sous son coude la nuit.

On entendait suinter le néant goutte à goutte.

Soudain Isis leva son regard vers la voûte,
Et, comme la fumée aux cimes de l’Etna,
Dans toute sa longueur son linceul frissonna ;
Elle se dressa haute, épouvantable et pâle,
Et jeta, secouant son voile, avec le râle
Du tigre apercevant le lion importun,
Ce cri, prodigieux dans ce gouffre : Quelqu’un !

Un ange éblouissant les ailes déployées,
Entrait.

                Les profondeurs avec Satan broyées,
Tous ces monts que la fable appelle Othryx, Ossa,
Phlégon, et que le jet de soufre éclaboussa,
Monts frappés comme lui quand Dieu brisa son aile,
Et roulés dans sa chute avec lui pêle-mêle,
Les blocs cicatrisés et morts, les rocs maudits
Que Michel, soleil foudre, extermina jadis,
Crurent revoir l’éclair du grand coup de tonnerre.

Tout l’enfer tressaillit.

                                 L’ange, extraordinaire,
Superbe, souriant, descendait.

                                    Sa clarté
Sereine, blêmissait l’enfer épouvanté.
Le chaos éperdu montra sa pourriture.
On voyait au zénith du gouffre une ouverture
D’où tombait la lueur ineffable des cieux.
La géhenne s’ouvrit comme un œil chassieux ;
Tout le plafond, pendant en haillon formidable,
S’éclaira. L’on put voir le fond de l’insondable,
Et les recoins confus du grand cachot souillé ;
L’abîme frissonna comme un voleur fouillé ;
On distinguait les bords des précipices traîtres ;
Les brouillards qui flottaient prirent des formes d’êtres
Monstrueux, qui semblaient ramper, et vivre là ;
La menace qu’on sent dans les lieux noirs sembla
Plus fauve, et le visage irrité des décombres,
Le blanchissement vague et difforme des ombres,
Se hérissaient, montrant des aspects foudroyés ;
Tous les renversements en arrière, effrayés,
Se dressaient ; les granits remuaient sous la nue ;
L’obscurité lugubre apparut toute nue ;
On eût dit qu’elle ôtait l’ombre qui la revêt,
Que le masque inouï de l’enfer se levait,
Et qu’on voyait la face effroyable du vide.

L’ange continuait de descendre, splendide,
Dans cet effarement immense de la nuit.

V

Le vautour ne sait plus s’il poursuit ou s’il fuit
Quand il voit l’aigle au fond du nuage apparaître.

Isis, se retournant vers ce radieux être
Beau comme vesper, l’astre et l’ange avant-coureur,
Se dressa dans un geste effrayant dont l’horreur
S’accroissait sous le voile, et lui cria :

                                                 – « Lumière,
« Qu’es-tu ? Que nous veux-tu ? N’avance pas. Arrière,
« Arrière ! Les rayons sont de ce gouffre exclus.
« Va-t’en. Ne donne pas un coup d’aile de plus,
« Tremble ! N’avance pas ! »

                                   L’ange approchait, tranquille.

La rage alors sortit de l’abîme immobile ;
On entendit, terreur ! le cri du lieu muet ;
L’enfer aboya.

                         L’ombre écumait et huait.
L’ange approchait.

                            Isis frémit. La pâle stryge,
Avec un mouvement de rêve et de prodige,
Se déploya debout tout entière devant
L’ange, majestueux comme le jour levant.

— « Mais réveille-toi donc, Satan ; dit le fantôme.

Satan dormait.

VI

                        Ce fut, sous le ténébreux dôme,
Une attente sans nom quand l’abîme comprit
Que cette larve allait combattre cet esprit.

L’ange était une femme ; il ne semblait pas même
S’apercevoir, du haut de sa fierté suprême,
Qu’il eût quitté l’azur où Dieu rayonne et vit.
Il venait.

                   Quand il fut près d’Isis, ce qu’on vit
Fut hideux, et l’horreur s’accrut, dans la mesure
De ce gouffre où Babel, le colosse masure,
Ne serait qu’un tesson et Chéops qu’un gravat.

A travers l’affreux voile, et sans qu’il se levât,
Une tête de mort, sombre masque de flamme,
Parut, et le linceul laissa voir sous sa trame
Un squelette de feu flottant dans ses plis noirs ;
Deux yeux brillaient, ainsi que deux ardents miroirs,
Sur cet épouvantable et sinistre visage ;
Isis ouvrit les bras, pour barrer le passage,
Ainsi que le gibet au haut du Golgotha ;
Et l’apparition formidable jeta
Ces mots à l’ange, avec une clameur profonde :

« Je suis Lilith-Isis, l’âme noire du monde.
« Tremble ! L’être inconnu, funeste, illimité,
« Que l’homme en frémissant nomme Fatalité,
« C’est moi. Tremble ! Anankè, c’est moi. Tremble ! Le voile,
« C’est moi. Je suis la brume et tu n’es que l’étoile ;
« Tu n’es qu’un des flambeaux possibles, moi je suis
« La noirceur éternelle et farouche des nuits ;
« Je suis la bouche obscure et soufflant sur les phares ;
« Tremble ; malheur à toi, ver luisant qui t’égares !
« Qu’est-ce que tu viens faire ici ? Va-t’en. Ces lieux
« Sont du ciel et du jour et du maître, oublieux.
« Qui que tu sois, malheur à ce qui s’aventure
« Dans la négation et dans la sépulture ;
« Malheur à vous, fourmis volantes du ciel bleu,
« Malheur ! si vous tentez l’ombre où l’athée est Dieu,
« L’antre où le démon tient le sceptre de la cendre ;
« Si je poussais un cri, tu te sentirais prendre
« Par ce qu’on ne voit pas, l’invisible forêt
« Lâcherait son hibou, la nuit se lèverait
« Et t’envelopperait dans la grande aile onglée !
« Fuis, imbécile esprit ! Fuis, lumière aveuglée !
« Vil oiseau de l’azur, rentre à ton firmament.
« Qu’est-ce que tu viens faire au fond du châtiment ?
« Qu’est-ce que tu viens faire, ô frêle créature,
« Dans les profonds dessous de la sombre nature,
« Dans la Haine, au-delà des êtres, dans Satan ?
« Quoi ! la mouche entre où n’ose entrer Léviathan !
« Misérable ange, tremble et fuis ! Va-t’en, atome !

L’ange sans dire un mot regarda le fantôme
Fixement, et gonfla sa lèvre avec dédain.
L’étoile qu’elle avait au front se mit soudain
A grandir, emplissant d’aurore l’ombre obscure.
O vision terrible et sublime ! à mesure
Que l’astre grandissait, la larve décroissait ;
L’ardent grossissement de l’étoile poussait

Lilith-Isis vers l’ombre, et mêlait à la fange
Le fantôme rongé par la clarté de l’ange ;
Les rayons dévoraient l’affreux linceul flottant ;
L’étoile aux feux divins, plus large à chaque instant,
Météore d’abord, puis comète et fournaise,
Fondait le monstre ainsi qu’un glaçon dans la braise.
Quand l’astre fut soleil, le spectre n’était plus.

VII

Tout fit silence au fond du gouffre sans reflux,
Et rien ne troubla plus l’immobilité morte.

Comme le goëmon que le flot berce et porte,
Satan dormait toujours.

                                Dans la nappe de nuit
Où s’enfonçait son corps de chimère construit,
Ce qu’on entrevoyait, c’était sa forme humaine.

Semblable au flocon blanc qu’un vent dans l’ombre amène,
L’ange arrêta sur lui ses ailes qui flottaient,
Et pleura.

                    L’on eût dit que ses larmes étaient
De la lumière en pleurs coulant de deux étoiles.
Comme la tarentule au centre de ses toiles,
Le vaste malheureux et le vaste méchant
Palpitait ; et la vierge immortelle, penchant
L’escarboucle allumée au sommet de sa tète,
Tendit les bras vers l’ange englouti dans la bête,
Et lui parla, planant et pourtant à genoux ;
Et l’accent de sa voix divine était plus doux
Que l’incarnation vague et sombre des sphères.

« O toi ; je viens. je pleure. Ici, dans les misères,
« Dans le deuil, dans l’enfer où l’astre se perdit,
« Je viens te demander une grâce, ô maudit !
« Ici, je ne suis plus qu’une larme qui brille.
« Ce qui survit de toi, c’est moi. Je suis ta fille.
« Sens-tu que je suis là ? Me reconnais-tu, dis ?
« M’entends-tu ? C’est du fond des divins paradis,
« C’est de la profondeur lumineuse et sacrée,
« C’est de ce grand ciel clair où vit celui qui crée,
« Que je viens, éperdue, à toi, l’ange enfoui !
« J’ai crié vers Dieu ; Dieu formidable a dit Oui ;
« Il me laisse descendre au fond des nuits difformes,
« Et, pour que je te parle, il permet que tu dormes.
« Car, Père, pour tes yeux, hélas, le firmament
« Ne peut plus s’entr’ouvrir qu’en songe seulement !
« Oh ! toute cette nuit, c’est affreux ! Père, Père !
« Quoi ! toi dans ce cachot ! Quoi ! toi dans ce repaire !
« Toi puni ; toi mauvais ! toi, l’aîné des élus !
« Te voilà donc si bas que Dieu ne te voit plus !
« L’enfer ! l’océan Nuit ! Pas de flot, pas d’écume,
« Pas de souffle. Partout le Noir. C’est, dans la brume,
« Ta respiration lugubre que j’entends.
« La longueur de ton deuil dépassera le temps ;
« Le chiffre de tes maux dépassera le nombre.
« Les soleils me disaient : prends garde, il est dans l’ombre !
« Et moi j’ai dit : je veux voir le désespéré.
« Hélas, l’astre du ciel te hait, la fleur du pré
« Te craint, autour de toi tous les êtres ensemble
« Frémissent, les clartés frissonnent, l’azur tremble,
« L’infini te redoute et t’abhorre : Eh bien, moi,
« Je t’apporte en amour tout cet immense effroi !

« Je viens te prier, toi qu’on proscrit. Toi qu’on souille,
« Je viens avec des pleurs te laver. J’agenouille
« La lumière devant ton horreur, et l’espoir
« Devant les coups de foudre empreints sur ton front noir ;
« Entends-moi dans ton rêve à travers l’anathème.
« Ne te courrouce point, père, puisque je t’aime !
« Le blessé ne hait pas la main qui le soutient ;
« L’affamé n’a jamais maudit celui qui vient
« Disant : Voici du pain et de l’eau. Bois et mange.

« Oh ! quand j’étais mêlée à tes ailes, quel ange
« Que Satan, dans l’aurore et dans l’immensité !
« Dieu se nommant Bonté, tu t’appelais Beauté.
« Ta chevelure était blonde et surnaturelle,
« Et frissonnait splendide, et laissait derrière elle
« Une inondation de rayons dans la nuit !
« L’abîme était par toi comme par Dieu conduit.
« Un jour les éléments te prirent pour Lui-même ;
« Comme tu te dressais avec ton diadème
« Sur le ciel, de ton lustre effrayant envahi,
« L’air dit : Emmanuel ; et l’onde : Adonaï ;
« Ton char faisait jaillir des mondes sous sa roue.
« Près de toi, Raphaël, Gabriel, qui secoue
« Un météore épars en flammes sur son front,
« Michel, dont la clarté jamais ne s’interrompt,
« Ithuriel, qui mêle aux rayons les dictames,
« Stellial, Azraël, porte-flambeau des âmes,
« N’étaient plus que l’essaim confus de la forêt ;
« Un resplendissement de blancheur t’entourait ;
« Et l’aube en te voyant s’écriait : je suis noire ;
« Tu passais au milieu d’un ouragan de gloire ;
« Les éthers t’attendaient pour devenir azurs ;
« Les univers naissaient, prodigieux et purs,
« Avec des millions de fleurs et d’étincelles,
« Dans un rythme marqué par tes battements d’ailes ;
« Tu faisais, en fixant sur eux ton œil charmant,
« Reculer les soleils dans l’éblouissement ;
« Tu flamboyais, candeur et force ; un lys archange !
« Comme après le héros s’avance la phalange,
« A ta suite marchaient les constellations ;
« L’ombre pleurait d’amour quand nous la traversions ;
« La nuit, tu te levais dans un triomphe d’astres ;
« Et les dômes divins et les sacrés pilastres,
« Et les éternels cieux et l’éden nouveau-né,
« T’adoraient dans ta joie immense, infortuné !

« Hélas, dès qu’en ce bagne, où nul regard ne plonge,
« Tu fus précipité, Satan, tu fis ce songe
« De te venger, démon géant, sur l’infini !
« Prés de l’ange proscrit tu mis l’homme banni ;
« Tu fis tomber Adam et tu fis déchoir Eve ;
« Tu voulus frapper Dieu dans le germe et la sève,
« Dans l’enfant, dans le nid des bois, dans l’alcyon ;
« Seul, à jamais muré sous la création,
« Tu devins, dans l’horreur, le grand rêveur funeste ;
« Dans les vierges forêts tu fis sortir la peste
« De l’épaisseur charmante et terrible des fleurs ;
« Avec les voluptés tu forgeas les douleurs ;
« Tu te mêlas à l’être auguste qui gouverne ;
« L’espace se remplit d’un esprit de caverne ;
« Tu dis à l’Eternel : à nous deux maintenant !
« Tu souillas l’infini rien qu’en l’espionnant.
« A travers l’océan tu soufflas le naufrage ;
« Captif, tu pénétras la terre de ta rage ;
« Le dessous ténébreux de la vie appartint
« A ta vengeance, et fut par ton haleine atteint ;
« Tu mordis les tombeaux ; tu mordis les racines ;
« Tu mêlas aux parfums les herbes assassines ;
« Tu mis partout le monstre à côté de la loi ;
« Une émanation de nuit sortit de toi,
« Et tu déshonoras l’univers magnanime.
« Dieu rayonnait le bien, tu rayonnas le crime.
« Tu fis d’en bas, avec tes miasmes, des démons ;
« Tu pris les instincts vils et les impurs limons
« Et tu créas avec cette fange les traîtres,
« Les lâches, les cruels ; et tu fis dieux et maîtres
« Des êtres de l’abîme et des esprits forçats ;
« Tu poussas les Nemrods aux guerres, tu dressas
« Les Caïphes sanglants contre les Christs sublimes ;
« Et souvent là-haut, nous, les anges, nous pâlîmes
« D’entendre dans le deuil les prêtres et les rois
« Rire, et de voir grandir le glaive énorme en croix.

« A quoi cela t’a-t-il servi ? plus de misère ;
« Voilà tout. Ton éclair ronge et brûle ta serre ;
« Ton empoisonnement du monde a commencé
« Par toi-même, ô géant d’un combat insensé.
« Le mal ne fait pas peur à Dieu ; Dieu se courrouce,
« Et frappe. Tu croyais que la vengeance est douce ;
« Elle est amère. Hélas ! le crime est châtiment.
« La croissance du mal augmente ton tourment ;
« Le mal qu’on fait souffrir s’ajoute au mal qu’on souffre ;
« Ta lave au fond des nuits sur toi retombe en soufre ;
« Et toi-même on t’entend par moments l’avouer.
« Le supplice de Tout sur toi vient échouer.
« Tu fais tout chanceler, tout trembler sur sa base,
« Tout crouler, et c’est toi que ton effort écrase ;
« La Terre est sous ton joug, tu règnes à présent.
« Et te voilà sous plus d’épouvante gisant ;
« Te voilà plus difforme, et ton cœur d’airain saigne !

« Mais, Satan, il faut bien qu’à la fin on te plaigne,
« Tu dois avoir besoin de voir quelqu’un pleurer,
« Je viens à toi !

                        Je viens gémir, luire, éclairer,
« T’ôter du moins le poids de la terrestre chaîne,
« Et guérir à ton flanc la sombre plaie humaine.
« Mon père, écoute-moi. Pour baume et pour calmant,
« Pour mêler quelque joie à ton accablement,
« Tu n’as jusqu’à cette heure, en ton âpre géhenne,
« Essayé que la nuit, la vengeance et la haine.
« O Titan misérable, essaye enfin le jour !
« Laisse planer le cygne à ta place, ô vautour !
« Laisse un ange sorti de tes ailes répandre
« Sur les fléaux un souffle irrésistible et tendre.
« Faisons lever Caïn accroupi sur Abel.
« Assez d’ombre et de crime ! Empêchons que Babel
« Pousse encor plus avant ses hideuses spirales.
« Oh ! laisse-moi rouvrir les portes sépulcrales
« Que, du fond de l’enfer, sur l’âme tu fermais !
« Laisse-moi mettre l’homme en liberté. Permets
« Que je tende la main à l’univers qui sombre.
« Laisse-moi renverser la montagne de l’ombre ;
« Laisse-moi foudroyer l’infâme tour du mal !

« Permets que, grâce à moi, dans l’azur baptismal
« Le monde rentre, afin que l’Eden reparaisse !
« Hélas ! Sens-tu mon cœur tremblant qui te caresse ?
« M’entends-tu sangloter dans ton cachot ? Consens
« Que je sauve les bons, les purs, les innocents ;
« Laisse s’envoler l’âme et finir la souffrance.
« Dieu me fit Liberté ; toi, fais-moi Délivrance !
« Oh ! ne me défends pas de jeter dans les cieux
« Et les enfers, le cri de l’amour factieux ;
« Laisse-moi prodiguer à la terrestre sphère
« L’air vaste, le ciel bleu, l’espoir sans borne, et faire
« Sortir du front de l’homme un rayon d’infini.
« Laisse-moi sauver tout, moi ton côté béni !
« Consens ! Oh ! moi qui viens de toi, permets que j’aille
« Chez ces vivants, afin d’achever là bataille
« Entre leur ignorance, hélas, et leur raison,
« Pour mettre une rougeur sacrée à l’horizon,
« Pour que l’affreux passé dans les ténèbres roule,
« Pour que la terre tremble et que la prison croule,
« Pour que l’éruption se fasse, et pour qu’enfin
« L’homme voie, au-dessus des douleurs, de la faim,
« De la guerre, des rois, des dieux, de la démence,
« Le volcan de la joie enfler sa lave immense !

VIII

Tandis que cette vierge adorable parlait,
Pareille au sein versant goutte à goutte le lait
A l’enfant nouveau-né qui dort, la bouche ouverte,
Satan, toujours flottant comme une herbe en eau verte,
Remuait dans le gouffre, et semblait par moment
A travers son sommeil frémir éperdument ;
Ainsi qu’en un brouillard l’aube éclôt, puis s’efface,
Le démon s’éclairait, puis pâlissait ; sa face
Etait comme le champ d’un combat ténébreux ;
Le bien, le mal, luttaient sur son visage entr’eux
Avec tous les reflux de deux sombres armées ;
Ses lèvres se crispaient, sinistrement fermées ;
Ses poings s’entreheurtaient, monstrueux et noircis ;
Il n’ouvrait pas les yeux, mais sous ses lourds sourcils
On voyait les lueurs de cette âme inconnue ;
Tel le tonnerre fait des pourpres sous la nue ;
L’ange le regardait, les mains jointes ; enfin
Une clarté, qu’eût pu jeter un séraphin,
Sortit de ce grand front tout brûlé par les fièvres ;
Plus difficilement que deux rochers, ses lèvres
S’écartèrent, un souffle orageux souleva
Son flanc terrible, et l’ange entendit ce mot : Va !


La tour des rats de Victor Hugo - 1847
La tour des rats de Victor Hugo – 1847


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