Dieu
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Littérature française – Livres bilingues – Contes de fées et Livres d’enfants – Poésie Française – Victor Hugo – Poèmes de Victor Hugo
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II. Les voix > > >
Le Seuil du gouffre
I. L’esprit humain
***
Et je voyais au loin sur ma tête un point noir.
Comme on voit une mouche au plafond se mouvoir,
Ce point allait, venait, et l’ombre était sublime.
Et, l’homme quand il pense, étant ailé, l’abîme
M’attirant dans sa nuit toujours de plus en plus,
Comme une algue qu’entraîne un ténébreux reflux,
Vers ce point noir planant dans la profondeur blême
Je me sentais déjà m’envoler de moi-même
Quand je fus arrêté par quelqu’un qui me dit :
— Demeure.
En même temps une main s’étendit.
J’étais déjà très haut dans la nuée obscure.
Et je vis apparaître une étrange figure ;
Un être tout semé de bouches, d’ailes, d’yeux,
Vivant, presque lugubre et presque radieux ;
Vaste, il volait ; plusieurs des ailes étaient chauves.
En s’agitant, les cils de ses prunelles fauves
Jetaient plus de rumeur qu’une troupe d’oiseaux,
Et ses plumes faisaient un bruit de grandes eaux.
Cauchemar de la chair ou vision d’apôtre,
Selon qu’il se montrait d’une face ou de l’autre,
Il semblait une bête ou semblait un esprit.
Il paraissait, dans l’air où mon vol le surprit,
Faire de la lumière et faire des ténèbres.
Calme, il me regardait dans les brouillards funèbres.
Et je sentais en lui quelque chose d’humain.
Qu’es-tu donc, toi qui viens me barrer le chemin,
Être obscur, frissonnant au souffle de ces brumes ?
Lui dis-je.
Il répondit :
— Je suis une des plumes
De la nuit, sombre oiseau de nue et de rayons,
Noir paon épanoui des constellations.
— Ton nom ? — dis-je.
*
Il reprit :
— Pour toi qui, loin des causes,
Vas flottant, et ne peux voir qu’un côté des choses,
Je suis l’Esprit Humain.
Mon nom est Légion.
Je suis l’essaim des bruits et la contagion
Des mots vivants allant et venant d’âme en âme.
Je suis souffle. Je suis cendre, fumée et flamme.
Tantôt l’instinct brutal, tantôt l’élan divin,
Je suis ce grand passant, vaste, invincible et vain,
Qu’on nomme vent ; et j’ai l’étoile et l’étincelle
Dans ma parole, étant l’haleine universelle ;
L’haleine et non la bouche ; un zéphir me grandit
Et m’abat ; et quand j’ai respiré, j’ai tout dit.
Je suis géant et nain, faux, vrai, sourd et sonore,
Populace dans l’ombre et peuple dans l’aurore ;
Je dis moi, je dis nous ; j’affirme, nous nions.
Je suis le flux des voix et des opinions,
Le fantôme de l’an, du mois, de la semaine,
Fait du groupe fuyant de la nuée humaine.
Homme, toujours en moi la contradiction
Tourne sa roue obscure et j’en suis l’Ixion.
Démos, c’est moi. C’est moi ce qui marche, attend, roule,
Pleure et rit, nie et croit ; je suis le démon Foule.
Je suis comme la trombe, ouragan et pilier.
En même temps je vis dans l’âtre familier.
Oui, j’arrache au tison la soudaine étincelle
Qui heurte un germe obscur que le crâne recèle,
Et qui, des fronts courbés perçant les épaisseurs,
Fait faire explosion à l’esprit des penseurs.
Je vis près d’eux, veilleur intime ; je combine
Le vieux houblon de Flandre et la vigne sabine,
La franche joie attique et le rire gaulois ;
L’antique insouciance avec ses douces lois,
Paix, liberté, gaîté, bon sens, est mon breuvage ;
J’en grise Érasme et Sterne, et même mon sauvage
Diderot ; et j’en fais couler quelques filets
De l’amphore d’Horace au broc de Rabelais.
Que suis-je encor ?
Je crie à quiconque commence :
Assez ! finis ! Je suis le médiocre immense,
Toutes les fois qu’on parle et qu’on dit : mitoyen,
Mode, médiateur, méridien, moyen,
Par chacun de ces mots on m’évoque, on m’adjure,
Et tantôt c’est louange, et tantôt c’est injure.
Je suis l’esprit Milieu : l’être neutre, qui va
Bas sans trouver Iblis, haut sans voir Jéhovah ;
Dans le nombre, je suis Multitude ; dans l’être,
Borne. Je m’oppose, homme, à l’excès de connaître,
De chercher, de trouver, d’errer, d’aller au bout ;
Je suis Tous, l’ennemi mystérieux de Tout.
Je suis la loi d’arrêt, d’enceinte, de ceinture
Et d’horizon, qui sort de toute la nature ;
L’éther irrespirable et bleu sur la hauteur,
Dans le gouffre implacable et sourd la pesanteur.
C’est moi qui dis : « Voici ta sphère. Attends, arrête.
Tout être a sa frontière, homme ou pierre, ange ou bête,
Et doit, sans dilater sa forme d’aujourd’hui,
Subir le nœud des lois qui se croisent en lui.
Je me nomme Limite et je me nomme Centre.
Je garde tous les seuils de tous les mondes. Rentre. »
Tout est par moi saisi, pris, circonscrit, dompté.
Je me défie, ayant peur de l’extrémité,
De la folie un peu, beaucoup de la sagesse.
Je tiens l’enthousiasme et l’appétit en laisse ;
Pour qu’il aille au réel sans s’écarter du bien,
J’attelle au genre humain ce lion et ce chien.
Et, comme je suis souffle et poids, nul ne m’évite,
Car tout, comme esprit, flotte et, comme corps, gravite.
Et l’explication, je te l’ai dit, vivant,
C’est que je suis l’esprit matériel, le vent,
Et je suis la matière impalpable, la force.
Je contrains toute séve à couler sous l’écorce.
Tout miroir, étant piége, à mon souffle est terni.
Contre l’enivrement du splendide infini
Je garde les penseurs, ces pauvres mouches frêles.
Je tiens les pieds de ceux dont l’azur prend les ailes.
Je suis parfum, poison, bien, mal, silence, bruit ;
Je suis en haut midi, je suis en bas minuit ;
Je vais, je viens, je suis l’alternative sombre ;
Je suis l’heure qui fait sortir, en frappant l’ombre,
Douze apôtres le jour, la nuit douze césars.
Du beau donnant sa forme au grand je fais les arts.
Dans les milieux humains, dans les brumes charnelles,
J’erre et je vois ; je suis le troupeau des prunelles.
Je suis l’universel, je suis le partiel.
Je nais de la vapeur ainsi que l’eau du ciel,
Et j’éclos du rocher comme le saxifrage.
Je sors du sentier vert, du foyer, du naufrage,
Du pavé du chemin, de la borne du champ,
Des haillons du noyé sur la grève séchant,
Du flambeau qui s’éteint, de la fleur qui se fane.
Je me suis appelé Pyrrhon, Aristophane,
Démocrite, Aristote, Ésope, Lucien,
Diogène, Timon, Plaute, Pline l’Ancien,
Cervantes, Bacon, Swift, Locke, Rousseau, Voltaire.
Je suis la résultante énorme de la terre :
La raison. —
*
J’étais là, pensif, troublé, muet.
Pendant que j’écoutais, l’être continuait :
— Homme, à nous le mystère est ouvert. Nous en sommes.
Pour l’abîme, je suis un spectre ; pour vous, hommes,
Je suis la voix qui dit : Allez, mais sachez où.
J’erre près du néant le long du garde-fou.
J’avertis. —
Il reprit :
Écoute, esprit qui trembles
Et qui ne peux pas même entrevoir les ensembles :
Hommes, vous m’ignorez, mais je vous connais tous ;
Et je suis encor vous, même en dehors de vous.
Entre les brutes, foule, et les anges, élite,
Il est, sur chaque terre et chaque satellite,
Un être à part, pensée et chair, matière, esprit,
Page mixte du livre où la nature écrit,
Dernier feuillet du Monstre et premier du Génie !
Créature où la fange et l’or font l’harmonie ;
Dans la bête à moitié, dans l’idée à demi,
Flamme accouplée avec le corps son ennemi,
Double rayon tordu d’ombre et d’aube ravie ;
Mystère ; ayant un pied, dans l’échelle de vie,
Sur une fin, un pied sur un commencement.
Cet être, comparant, sentant, voyant, aimant,
C’est l’homme.
Que la mort conserve, accroisse ou fauche
Cet à peu près sublime et ce chef-d’œuvre ébauche,
Qu’il ait ce qu’il appelle une âme, en ce moment
Je ne t’en parle pas, je te dis seulement
Que partout l’homme existe, étant un milieu d’êtres.
Il vit près des soleils, foyers, astres, ancêtres.
Sur des terres, qui sont plus ou moins loin du feu,
Il vit, domptant son globe. Il est grand, il est peu ;
Par la forme divers, mais un par sa nature ;
Il a l’hydre animal et plante pour ceinture ;
Il est sur le sommet de son visible à lui
Et, larve où deux lueurs se croisent, point d’appui
De tout un phénomène identique à lui-même,
Marque partout le même étage du problème.
Entre l’aile et le ventre il est l’être debout ;
Il est partout le roi planétaire ; partout
Il possède et régit l’astre intermédiaire
Entre l’ombre et le grand soleil incendiaire ;
Car tout globe qui tourne autour d’une clarté
Est planète de loin, de près humanité.
Or, — puisque jusqu’à moi ton œil plonge et pénètre, —
C’est moi qui suis l’esprit collectif de cet être,
Partout, sous toute forme, et dans l’immensité.
Tu n’es qu’homme, ô passant ; je suis humanité.
*
L’être effrayant, planant dans l’ombre inaccessible,
Ajouta :
Nul ne doit sortir de son possible ;
Nul ne doit transgresser son réel. Cependant
Je veux, puisque tu viens dans cette ombre, imprudent,
Faire une exception pour toi que je rencontre.
Quel que soit ton dessein, je ne ferai rien contre ;
Homme, je consens même à contenter tes vœux.
Étant de l’infini, je peux ce que je veux ;
Ma main peut ouvrir tout puisqu’elle peut tout clore ;
Qui puise de la nuit peut puiser de l’aurore,
Et ce que tu voudras, je te l’accorderai.
Que demandes-tu ? parle. —
Et dans l’effroi sacré
Je me taisais, roseau ployant, vil brin de chaume.
Tu n’es pas jusqu’ici venu, dit le fantôme,
Pour ne pas demander quelque chose. Voyons,
Parle. Veux-tu des feux, des nimbes, des rayons ?
Que veux-tu de ce gouffre où, lorsque je me penche,
La colombe nuée accourt, farouche et blanche ?
Veux-tu savoir le fond du serpent, ou du ver ?
Veux-tu que je t’emporte avec moi dans l’éther ?
Je t’obéirai. Parle. Ou faut-il qu’on te montre
Comment l’aurore arrive et vient à la rencontre
Du parfum de la fleur et du chant des oiseaux ?
Veux-tu que nous prenions la tempête aux naseaux
Et que nous nous roulions tous deux dans la tourmente
Quand la meute du vent court sur l’onde écumante
Et quand l’archer tonnerre et le chasseur éclair
Percent de traits la peau d’écailles de la mer ?
Veux-tu qu’à pleines mains, tous deux, dans l’invisible,
Ô passant, nous puisions l’illusion terrible ?
Veux-tu que nous penchions nos yeux sur les secrets,
Et que nous regardions la nature de près
Pendant qu’elle produit dans l’immense pénombre ?
Serais-tu curieux de l’accouchement sombre ?
Veux-tu voir dans le germe, et voir comment éclôt
Le songe ou le rocher, le sommeil ou le flot,
Et prendre sur le fait la création, mère
De la réalité comme de la chimère ?
Veux-tu d’une naissance entendre la rumeur,
Regarder un éden poindre, avoir la primeur
D’une sphère, d’un globe en fleur, d’une lumière ?
Ou voir surgir l’idée, éblouissante, fière,
Cherchant l’époux génie au fond du ciel lointain ?
Dis, veux-tu dans la nuit, veux-tu dans le destin
Voir quelque lueur d’astre ou quelque lever d’âme ?
Tu peux choisir. Demande, interroge, réclame,
Parle. J’attends. Faut-il ressaisir, je le puis,
Une étoile aux cheveux dans la fuite des nuits,
Et te la rapporter splendide et frémissante ?
Que veux-tu ? Veux-tu voir dix soleils, vingt, soixante
Se lever à la fois dans soixante univers ?
Veux-tu voir, sur le seuil des cieux tout grands ouverts,
Le matin dételant les sept chevaux de l’Ourse ?
Ou veux-tu que, dans l’ombre où le jour a sa source,
Homme, pour te donner le temps d’examiner,
Les mondes, qu’un prodige éternel fait tourner,
S’arrêtent un moment et reprennent haleine ?
Parle.
*
L’esprit baissa ses ailes de phalène,
Et se tut.
L’air tremblait sous mes pieds hasardeux.
Et l’âpre obscurité, qui nous voyait tous deux
Et s’étoilait au loin de vagues auréoles,
Put entendre ce sombre échange de paroles
Entre l’esprit étrange et moi, l’homme ébloui :
— Non, rien de tout cela.
— Que demandes-tu ?
— LUI.
*
— Hein ? dit l’esprit.
Et tout disparut, et l’espèce
De jour qui blêmissait dans la nuée épaisse
Sombra dans l’air plus noir qu’un ciel cimmérien.
J’entendis un éclat de rire, et ne vis rien.
*
Hélas ! n’étant qu’un homme, une chair misérable,
Dans cette obscurité fauve, âpre, impénétrable,
Dans ces brumes sans fond, sans bords, sous ce linceul,
Je songeai qu’il était horrible d’être seul.
Puis mon esprit revint à son but : — voir, connaître,
Savoir ! — pendant que l’ombre affreuse, louche, traître,
Roulant dans ses échos ce noir rire moqueur,
Grandissait dans l’espace ainsi que dans mon cœur.
*
Alors il me sembla qu’en un sombre mirage,
Comme des tourbillons que chasse un vent d’orage,
Je voyais devant moi pêle-mêle passer
Et croître et frissonner et fuir et s’effacer
Ces cryptes du vertige et ces villes du rêve,
Rome, sur ses frontons changeant en croix son glaive,
Thèbes, Jérusalem, Mecque, Médine, Hébron ;
Des figures tenant à la main un clairon,
Et des arbres hagards, des cavernes, des baumes
Où priaient, barbe au vent, de ténébreux Jérômes,
Et, parmi des babels, des tours, des temples grecs,
D’horribles fronts d’écueils aux cheveux de varechs ;
Et tout cela, Ninive, Éphèse, Delphe, Abdère,
Tombeau de saint Grégoire où veille un lampadaire,
Marches de Bénarès, pagodes de Ceylan,
Monts d’où l’aigle de mer le soir prend son élan,
Minarets, parthénons, wigwams, temple d’Aglaure
Où l’on voit l’aube, fleur vertigineuse, éclore,
Et grotte de Calvin, et chambre de Luther,
Passages d’anges bleus dans le liquide éther,
Trépieds où flamboyaient des âmes, yeux de braise
De la chienne Scylla sur la mer calabraise,
Dodone, Horeb, rochers effarés, bois troublants,
Couvent d’Eschmiadzin aux quatre clochers blancs,
Noir cromlech de Bretagne, affreux cruack d’Irlande,
Pæstum où les rosiers suspendent leur guirlande,
Temples des fils de Cham, temples des fils de Seth,
Tout lentement flottait et s’évanouissait
Dans une sorte d’âpre et vague perspective ;
Et ce n’était, devant ma prunelle attentive,
Que de la vision qui ne fait pas de bruit
Et de la forme obscure éparse dans la nuit.
Et pâle et frissonnant je fis cet appel sombre,
Sans oser élever la voix, de peur de l’ombre :
— Êtres ! lieux ! choses ! nuit ! nuit froide qui te tais !
Cèdres de Salomon, chênes de Teutatès ;
Ô plongeurs de nuée, ô rapporteurs de tables,
Devins, mages, voyants, hommes épouvantables ;
Thébaïdes, forêts, solitudes ; ombos
Où les docteurs, vivant dans des creux de tombeaux,
S’emplissent d’infini comme d’eau les éponges ;
Ô croisements obscurs des gouffres et des songes,
Sommeil, blanc soupirail des apparitions ;
Germes, avatars, nuit des incarnations
Où l’archange s’envole, où le monstre se vautre ;
Mort, noir pont naturel entre une étoile et l’autre,
Communication entre l’homme et le ciel ;
Colosse de Minerve Aptère, aux pieds duquel
Le vent respectueux fait tomber ceux qui passent ;
Flots revenant toujours que les rocs toujours chassent ;
Chauve Apollonius, vieux rêveur sidéral ;
Ô scribes, qui du bout du bâton augural
Tracez de l’alphabet les ténébreux jambages ;
Époptes grecs, fakirs, voghis, bonzes, eubages ;
Isthme de Suez fermant l’Inde comme un verrou ;
Ô voûtes d’Ellora, croupes du mont Mérou ;
Jean, interlocuteur de l’oiseau Chéroubime ;
Et vous, poëtes ; Dante, homme effrayant d’abîme,
Grand front tragique ombré de feuilles de laurier,
Qui t’en reviens, laissant l’obscurité crier,
Rapportant sous tes cils la lueur des avernes ;
Dompteurs qui sans pâlir allez dans les cavernes
Forcer le hurlement jusque dans son chenil ;
Pilotes nubiens qui remontez le Nil ;
Ô prodigieux cerf aux rameaux noirs qui brames
Dans la forêt des djinns, des pandits et des brames ;
Hommes enterrés vifs, songeant dans vos cercueils ;
Ô pâtres accoudés, ô bruyères ; écueils
Où rêve au crépuscule une forme sinistre ;
Pythie assise au front du hideux cap Canistre ;
Angle de la syringe où les songeurs entrés
Distinguent vaguement des satrapes mitrés ;
Vous que la lune enivre et trouble, sélénites ;
Vous, bénitiers sanglants des seules eaux bénites,
Yeux en pleurs des martyrs ; vous, savants indécis ;
Merlin, sous l’escarboucle inexprimable assis ;
Job, qui contemples ; toi, Jérôme, qui médites ;
Est-ce qu’on ne peut pas voir un peu de jour, dites ?
*
On éclata de rire une seconde fois.
*
Et ce rire était plus un rictus qu’une voix ;
Il remua longtemps l’ombre visionnaire
Et, s’évanouissant, roula comme un tonnerre,
De nuage en nuage, au fond du ciel grondant.
Et je restai muet, grave, et me demandant
Ce que ma question avait de si risible.
*
Cependant par degrés l’ombre devint visible ;
Et l’être qui m’avait parlé précédemment
Reparut, mais grandi jusqu’à l’effarement ;
Il remplissait du haut en bas le sombre dôme
Comme si l’infini dilatait ce fantôme ;
De sorte que l’espace effrayant n’offrait plus
Que des visages, flux vivant, vivant reflux,
Un sourd fourmillement d’hydres, d’hommes, de bêtes,
Et que le fond du ciel me semblait plein de têtes.
Ces têtes par moments semblaient se quereller.
Je voyais tous ces yeux dans l’ombre étinceler.
Le monstre grandissait et grandissait sans cesse,
Et je ne savais plus ce que c’était. Était-ce
Une montagne, une hydre, un gouffre, une cité,
Un nuage, un amas d’ombre, l’immensité ?
Je sentais tous les yeux sur moi fixés ensemble.
*
Tout à coup frissonnant comme un arbre qui tremble,
Le fantôme géant se répandit en voix
Qui sous ses flancs confus murmuraient à la fois.
Et, comme d’un brasier tombent des étincelles,
Comme on voit des oiseaux épars, pigeons, sarcelles,
D’un grand essaim passant s’écarter quelquefois,
Comme un vert tourbillon de feuilles sort d’un bois,
Comme, dans les hauteurs par les vents remuées,
En avant d’un orage il vole des nuées,
Toutes ces voix, mêlant le cri, l’appel, le chant,
De l’immense être informe et noir se détachant,
Me montrant vaguement des masques et des bouches,
Vinrent sur moi bruire avec des bruits farouches,
Parfois en même temps et souvent tour à tour,
Comme des monts, à l’heure où se lève le jour,
L’un après l’autre au fond de l’horizon s’éclairent.
Et des formes, sortant du monstre, me parlèrent.

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