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Poème “Le Seuil du gouffre” de Victor Hugo

Dieu

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< < < I. L’esprit humain
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Le Seuil du gouffre

LES VOIX

***

 une voix


— De tout temps, les douteurs, les incroyants, les forts,
Ont appelé Quelqu’un, quoique restés dehors.
Ils ont bravé l’odeur que le sépulcre exhale ;
Le front haut, ils parlaient à l’ombre colossale,
Et, prêts à tout subir, sans peur, prêts à tout voir,
Calmes, ils regardaient en face le ciel noir
Et le sourd firmament que l’obscurité voile,
Farouches, attendant quelque chute d’étoile.

Certes, ces curieux, ces hardis ignorants,
Ces lutteurs, ces esprits, ces hommes étaient grands,
Et c’étaient des penseurs à l’âme ferme et fière
Qui jetaient à la nuit ce défi de lumière.

Chercheur, trouveras-tu ce qu’ils n’ont pas trouvé ?
Songeur, rêveras-tu plus loin qu’ils n’ont rêvé ?

UNE AUTRE VOIX

Les monts sont vieux ; cent fois et cent fois séculaires,
Muets, drapés de nuit sous leurs manteaux polaires,
Leur âge monstrueux épouvante l’esprit ;
Sur leur front ténébreux tout un monde est écrit ;
L’âpre neige des jours a neigé sur leur tête ;
Le temps est un morceau de leur masse ; leur faîte,
De loin morne profil qui s’efface de près,
Livre au vent une barbe épaisse de forêts ;
Ils ont vu tous les deuils, toutes les défaillances,
Toutes les morts passer autour de leurs silences ;
Ils ont vu s’écrouler les astres dans le puits
De l’horreur infinie et sourde ; ils ont, depuis
Bien des milliers d’ans, la lassitude d’être.
Eh bien, sur leurs noirs flancs décrépits, le vent traître,
L’orage furieux, l’éclair fauve, le ver
Qui serpente dans l’ombre immense de l’hiver,
L’ouragan qui, farouche, aux grands sommets essuie
Sa chevelure d’air, de tempête et de pluie,
L’aquilon qui revient quand on croit qu’il s’enfuit,
La grêle, et l’avalanche, et la trombe, et le bruit,
Toutes les visions des affreuses nuées,
La tourmente et ses chocs, la bise et ses huées,
S’acharnent, et ne font sous leurs dais de brouillards
Pas même remuer ces effrayants vieillards.

Sois comme eux. Si tu vas dans l’espace terrible.
Ne chancelle pas, homme, et garde un calme horrible.

UNE AUTRE VOIX

Les rudes bûcherons sont venus dans le bois.

— Si tu ne vois pas nie, et doute si tu vois,
A dit Cratès. — Zenon, Gorgias, Pythagore,
Plaute et Sénèque ont dit : Si tu vois, nie encore.
Bacon a dit : — Voici l’objet, l’être, le corps.
Le fait. N’en sortez pas ; car tout tremble dehors,
— Quel est ce monde ? a dit Thalès. Apollodore
A dit : C’est de la nuit que de la cendre adore.
Et Demonax de Chypre, Épicharme de Cos,
Pyrrhon, le grand errant des monts et des échos,
Ont répondu : Tout est fantôme. Pas de type.
Tout est larve. — Et fumée, a repris Aristippe.
— Rêve ! a dit Sergius, le fatal syrien.
— Rencontre de l’atome et de l’atome, et rien !
Ces mots noirs ont été jetés par Démocrite.
Ésope a dit : À bas, monde ! masque hypocrite ! —
Épicure qui naît au mois Gamélion,
Et Job qui parle au ver, Dan qui parle au lion,
Amos, et Jean troublé par les apocalypses,
Ont dit : On ne le voit qu’à travers les éclipses.
— L’être est le premier texte et l’homme est le second ;
Lisible dans la fleur et dans l’arbre fécond
Et dans le calme éther des cieux que rien n’irrite,
La nature est dans l’homme obscure et mal transcrite, —
Voilà ce qu’Alchindé l’arabe a proclamé.
Cardan a dit : Ce monde est un cercueil fermé I
Philotadès a dit : Miracle, autel, croyance,
Dogme, religion, fondent sous la science ;
Dieu sous l’esprit humain, tas de neige au dégel ! —
Et Kant au vaste front, Montaigne, Fichte, Hegel,
Se sont penchés, pendant que le grand rieur maître,
Rabelais, chuchotait sur l’abîme : Peut-être.
Diogène a crié : — Des flambeaux ! des flambeaux !
Shakspeare a murmuré, courbé sur les tombeaux :
— Fossoyeur, combien Dieu pèse-t-il dans ta pelle ?
Et Jean-Paul a repris : — Ce qu’ainsi l’homme appelle,
C’est la vague lueur qui tremble sur le sort ;
C’est la phosphorescence impalpable qui sort
De l’incommensurable et lugubre matière ;
Dieu, c’est le feu follet du monde cimetière. —
Dante a levé les bras en s’écriant : Pourquoi ?
— Ô nuit, j’attends que Pan s’affirme et dise : Moi.
Quel est le sens des mots : foi, conscience humaine.
Raison, devoir ? a dit le pâle Anaximène.
Locke a dit : — On voit mal avec ces appareils.
Reuchlin a demandé : — Qu’est-ce que les soleils ?
Sont-ce des piloris ou des apothéoses ? —
Lucrèce a dit : — Quelle est la nature des choses ?
Il a dit : Tout est sourd, faux, muet, décevant.

Sous cette immense mort quelqu’un est-il vivant ?
Sent-on une âme au fond de la substance, et l’être
N’est-il pas tout entier dans ce mot : apparaître ?
L’ombre engendre la nuit. De quoi l’homme est-il sûr ? —

Et le ciel, le destin, l’obscurité, l’azur.
Le mystère et la vie et la tombe indignée
Retentissent encor de ces coups de cognée.



La tour des rats de Victor Hugo - 1847
La tour des rats de Victor Hugo – 1847


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