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Le Cuisinier d’un grand homme” de Gérard de Nerval

Élégies nationales et Satires politiques

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Le Cuisinier d’un grand homme (1826) (Scène PremièreScène IIScène IIIScène IVScène VScène VIScène VII


Scène II

***

M. DENTSCOURT, SON FRÈRE CADET.

LE CADET.

Mon frère, embrassez-moi ; pour mon cœur quelle fête
De vous revoir ici, quand si long temps…

DENTSCOURT.

Arrête !
Chapeau bas, mon cadet, devant ton frère aîné !
Tu vois de quels honneurs je marche environné.

LE CADET.

Il est vrai : quel éclat ! quelle magnificence !
Jusqu’où d’un cuisinier peut aller la puissance !
Mon frère, est-ce bien vous que je vis autrefois,
Maigre subordonné d’un cuisinier bourgeois,
Récurer les chaudrons et laver les assiettes ?…
Les temps sont bien changés !

DENTSCOURT.

Ignorant que vous êtes !
Dans l’état où jadis le sort m’avait jeté,
Un cuistre comme vous serait toujours resté ;
Moi, j’en ai su bientôt laver l’ignominie,
Il n’est point d’état vil pour l’homme de génie ;
Afin de s’élever, il faut ramper, dit-on :
On devient cuisinier, mais on naît marmiton.
Long-temps je végétai dans cette classe obscure,
Où, comme en un creuset, me jeta la nature ;
Mais un feu, plus ardent que celui des fourneaux,
Vint épurer en moi des sentimens nouveaux :
Nous étions dans un temps où de nobles cuisines
Effrayèrent les yeux de leurs vastes ruines.
Voyant de possesseurs tant de tables changer,
Le peuple qui jeûnait crut avoir à manger :
Mais les nouvelles dents n’étaient pas moins actives :
Ces grandes tables-là sont pour peu de convives ;
Ce sont de gros gaillards, ayant bon appétit,
L’un tient la poêle à frire, et puis le peuple cuit.
Alors on nous disait que les hommes sont frères,
Que les distinctions ne sont qu’imaginaires,
Et que, si le destin l’environne d’éclat,
L’homme le doit à soi, mais non à son état.
Et je me dis : « Il faut que je sois quelque chose ;
» Et de peur qu’à ma gloire un obstacle s’oppose,
» Je transporte en un lieu plus propre à mon emploi,
» Les dieux de mon foyer, mon art sublime et moi.
» Je pars de la Gascogne, et…. » Mais ma vie entière
Serait à te compter une trop longue affaire :
Qu’il me suffise donc de te dire qu’enfin,
Quelquefois malheureux, mais bravant le destin,
Et sans être jamais du parti qu’on opprime,
Je changeai de ragoûts ainsi que de régime.
Mais après la journée où certain grand brouillon,
Pour l’avoir trop chauffé, but un mauvais bouillon,
Un noble personnage où j’étais fort à l’aise,
Se sentant prêt à cuire, et les pieds sur la braise,
Sans rien dire à ses gens, s’enfuit à l’étranger,
Me laissant lourd de graisse, et d’argent fort léger.

Alors, je m’accostai d’un homme à maigre trogne,
Tout récemment encor arrivé de Gascogne,
Audacieux, fluet, médiocre et rampant,
Toujours grand ennemi du premier occupant,
Très-vide de vertu, mais gonflé d’espérance,
Qui sur sa route avait laissé sa conscience,
Comme un poids incommode à qui fait son chemin.
Le poids n’était pas lourd, il est vrai ; mais enfin,
À ravoir son paquet comme il pouvait prétendre,
Bientôt, grâce à mes soins, il en eut à revendre.
Je ne te dirai pas nos immenses succès,
Si de notre destin nous sommes satisfaits,
Si nous savons flatter les appétits des hommes :
Lève les yeux, cadet, et vois ce que nous sommes !
Jusqu’au faîte élevé, par mes nobles travaux,
Monseigneur a dompté ses plus fameux rivaux.
L’un d’eux, plus rodomont, voulait faire le crâne ;
Mais nous avons prouvé que ce n’était qu’un âne :
Et, comme il refusait d’aller à sa façon,
Monseigneur l’a chassé comme un petit garçon.
Puis, étouffant enfin d’audacieux murmures,
Nous avons en tous lieux semé nos créatures :
Comme nos spectateurs ne battaient pas des mains,
Nous avons au parterre envoyé des Romains.
En vain quelques railleurs attaquaient notre empire,
Nous les avons, sous main, muselés sans rien dire.
Rien ne peut maintenant borner notre crédit ;
Sur le ventre fondé, nourri par l’appétit,
L’appétit, roi du monde, et d’autant plus terrible
Qu’il cache au fond des cœurs sa puissance invisible.

LE CADET.

Je conviens qu’un tel sort peut avoir des appas ;
Mais un abîme s’ouvre, et bâille sous vos pas :
La France trop long-temps a tremblé sous un homme ;
Son pouvoir abattu….

M. DENTSCOURT.

Mais il faudra voir comme.

LE CADET.

Eh bien, nous le verrons ; il n’est pas très-aimé ;
Le peuple, contre lui dès long-temps animé,
Portant au pied du trône une plainte importune…

M. DENTSCOURT.

Et comptes-tu pour rien César et sa fortune ?
Me comptes-tu pour rien moi-même ? et nos amis,
À nos moindres désirs ne sont-ils pas soumis ?

LE CADET.

Ne vous y fiez pas, si le sort vous traverse.
Amis du pot-au-feu, tous fuiront, s’il renverse.
Tremblez qu’un grand échec n’abaisse votre ton,
Car… plus d’un grand ministre est mort à Montfaucon.

M. DENTSCOURT.

Il faut faire une fin ; et pour nous quelle gloire,
Quand la postérité lira dans notre histoire :
« Ces deux héros sont morts ; la France les pleura ;
» L’un fut grand diplomate, et l’autre… »

LE CADET.

Et cætera.
L’histoire sur son compte en aurait trop à dire :
Pensons-le seulement, gardons-nous de l’écrire.

M. DENTSCOURT.

Qu’entendez-vous par là ? Pas tant de libertés,
Cadet : on n’aime point toutes les vérités ;
Vous avouerez pourtant que sa digne excellence
Sait fort bien travailler un royaume en finance :
On se plaint qu’en ses mains, sans s’en apercevoir,
Le monarque trompé laisse trop de pouvoir :
Mais on sait que jadis sur un autre rivage,
De l’art d’administrer il fit l’apprentissage ;
Ainsi…

LE CADET.

Je sais fort bien que ton maître autrefois
Fit la traite des Noirs, ou leur donna des lois :
Belle preuve !

M. DENTSCOURT.

Oh ! très-belle : il est homme de tête ;
Pourtant en ce moment ce sont les blancs qu’il traite :
Et l’on peut demander à tous nos invités
Si je ne suis qu’un cuistre, et s’ils sont bien traités.

LE CADET.

Mais le peuple l’est mal ; et bientôt sa misère
Demandera du pain aux gens du ministère ;
Ou dans son désespoir, pour recouvrer son bien,
Il fera voir les dents…

M. DENTSCOURT.

Nous ne redoutons rien.
Par nos soins rétabli, Montrouge nous protège ;
Montrouge protégé par le sacré collége ;
Montrouge triomphant, et qui, malgré vos cris,
Envahit pied à pied le pavé de Paris ;
Ce grand ordre, qu’à peine on a senti renaître,
Dans nos murs étonnés s’élève et rentre en maître ;
Et bientôt ses enfans, armés de nouveaux fers,
Vont dévorer Paris, la France et l’univers !
Ignobile vulgus, tremblez !

LE CADET.

Tremblez vous-même !
On a long-temps souffert votre insolence extrême ;
Mais on vous montrera de la bonne façon,
Qu’une majorité n’a pas toujours raison ;
Et le peuple à vos gens fera bientôt connaître
Que celui qui les paie à droit d’être leur maître.

M. DENTSCOURT.

Ceci ne peut se faire au temps où nous voilà ;
Si vous voulez crier, les gendarmes sont là !
Des mouchards décorés, ou portant des soutanes,
Empoignent, dans leur vol, les paroles profanes.
Nous irons droit au but que nous nous proposons :
D’ailleurs, nous vous donnons les meilleures raisons ;
Dans notre coffre-fort, si nous serrons vos pièces,
C’est pour vous enseigner le mépris des richesses ;
Car le bon temps revient, les bons pères aussi,
Gare à vos esprits forts ! ils sentent le roussi.
À tout cela d’ailleurs l’esprit public se prête :
La canaille, il est vrai, comme dit la Gazette,
Fait quelquefois du bruit, et veut montrer les dents :
Mais, nous avons pour nous tous les honnêtes gens.
Une dame a marché pieds nus ; une seconde
A voulu l’imiter… Hein ? voilà du grand monde !
Nous avons vu passer un illustre baron,
De la nef d’une église en celle de Caron ;
Et, dans chaque soirée, il est de bienséance
D’entendre, avant le bal, sermon et conférence.
Écrivez maintenant, messieurs les beaux-esprits :
Il est certain endroit, dans un coin de Paris,
Où, par arrêt de cour, quand ils ont beau ramage,
Nous savons faire entrer les oiseaux dans la cage.

LE CADET.

Ne vous en vantez point : la cour n’est pas pour vous ;
L’équité la conduit, et non votre courroux ;
Déjà, plus d’une fois, sa justice prudente
A détruit les projets que l’artifice enfante ;
Le Tartufe puissant compta sur son appui,
Mais les efforts du vice ont tourné contre lui :
Et nous avons vu tous que, bravant vos caprices,
La cour rend des arrêts, mais non pas des services

M. DENTSCOURT.

Je n’ai rien à répondre à cette raison-là,
Mais nous….



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