Œuvres posthumes
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Le songe d’Auguste
Scène II
***
AUGUSTE, LIVIE, OCTAVIE.
Auguste, répondant au chœur qui sort.
Salut. — Oui, ma chère Livie,
César a fait ce soir appeler Octavie.
Sur un souci que j’ai, je veux vous consulter.
Livie.
Quel souci, cher seigneur, peut vous inquiéter ?
Auguste.
Aucun, assurément, quand je vous vois sourire.
Dès que votre cœur bat dans l’air que je respire,
Je braverais les dieux, de mon bonheur jaloux !
Livie.
S’il ne faut que mon cœur, seigneur, que craignez-vous ?
Octavie.
Est-ce quelque ennemi qui relève la tête,
Quelque nouveau Brutus dont le glaive s’apprête ?
Auguste.
Non ! aux nouveaux Brutus je n’ajoute plus foi.
Et Rome en est, je pense, aussi lasse que moi.
Octavie.
Est-ce quelque vaincu, quelque roi tributaire
Qui vous désobéit, aux confins de la terre,
Quelque Scythe qui tarde à payer ses impôts ?
Auguste.
Le ciel est sans nuage, et le monde en repos.
Livie.
Serait-ce par hasard quelque mauvais présage ?
Un songe peut agir sur l’esprit le plus sage ;
Mais, pour un qui dit vrai, bien d’autres ont menti.
Auguste.
Par un songe souvent les dieux m’ont averti ;
Mais le doute où je suis, rien de tel ne l’inspire.
Je ne redoute rien, — mais je pense à l’empire,
À ces Romains que j’aime, et qui m’aiment aussi,
Et ce n’est pas pour moi que j’ai quelque souci.
Livie.
Vous vous disiez heureux, seigneur, dès qu’on vous aime.
Auguste.
Puisse de votre front ce léger diadème,
Livie, à tout jamais éloigner tout ennui,
Et que le plaisir seul voltige autour de lui !
Que je sois seul chargé du terrible héritage
Qu’à la mort de César je reçus en partage,
Lorsque sous les poignards le plus grand des humains
Tomba, laissant le monde échapper de ses mains !
Non que de vos conseils et de votre prudence
Je ne veuille au besoin réclamer l’assistance ;
De la vulgaire loi votre esprit excepté
Nous montre la sagesse auprès de la beauté.
Je le savais, mon cœur vous en a mieux chérie.
Ma sœur jusqu’à présent fut ma seule Égérie ;
Sur vos deux bras charmants maintenant appuyé,
J’aurai deux confidents, l’amour et l’amitié.
Livie.
Ils vous seront, seigneur, fidèles et sincères.
Auguste.
Or donc, écoutez-moi, mes belles conseillères :
Revenant d’Actium, quand tout me fut soumis,
Resté dans l’univers seul et sans ennemis,
N’ayant plus qu’à régner, j’eus un jour la pensée,
Voyant de ses tyrans Rome débarrassée,
De lui rendre, après tout, l’état républicain,
Et de briser, vainqueur, trois sceptres dans ma main.
César était vengé ; que m’importait le reste ?
Je crus dans ce projet voir un avis céleste.
Mais, comme en toute chose, avant d’exécuter,
C’est l’humaine raison qu’il nous faut écouter,
J’appelai près de moi, de nos grands politiques,
Les plus accoutumés aux affaires publiques.
D’une et d’autre façon le point fut débattu ;
D’un ni d’autre côté je ne fus convaincu.
Donc, je restai le maître, et suivis ma fortune.
Aujourd’hui j’ai chassé cette idée importune.
Mon trône m’est trop cher pour le vouloir quitter,
À Livie.
Alors qu’auprès de moi vous venez d’y monter.
Mais un tourment nouveau m’afflige et me dévore ;
Ma gloire inassouvie en moi s’éveille encore.
J’ai voulu, j’ai cherché, j’ai conquis le repos.
Et ce bien qu’on m’envie est le plus grand des maux.
Moi qu’on a toujours vu, durant toute ma vie,
Tenir l’oisiveté pour mortelle ennemie,
Il faut que mon bras dorme, et qu’ayant tout vaincu,
Je désapprenne à vivre, à peine ayant vécu.
J’ai cette fois encor, sur ce mal qui m’accable,
Consulté ce que Rome a de considérable.
Les uns m’ont conseillé de réformer les lois,
De fonder, de créer des peuples et des rois,
D’accroître mes trésors, de régner, et d’attendre ;
Les autres, de marcher sur les pas d’Alexandre,
De le surpasser même, et, par delà l’Indus,
D’aller chercher au loin des pays inconnus.
Pas plus que l’autre fois leur facile éloquence
N’a fait dans mon esprit naître la confiance.
Ceux qui veulent la guerre, en croyant me flatter,
M’indiquent des écueils que je dois éviter ;
Ceux qui veulent la paix, par un motif contraire,
Me font trouver plus grand ce que j’hésite à faire.
Voilà ce qui m’a fait ce soir vous appeler,
Ma sœur, et c’est de quoi j’ai voulu vous parler.
Octavie.
Mon frère, quand César, voyant sa foi trompée,
Franchit le Rubicon pour marcher à Pompée,
Plus d’un vaillant guerrier, blanchi dans les combats,
Était à ses côtés, qu’il ne consulta pas.
Comme par l’aquilon ses aigles déchaînées
S’élançaient du sommet des Alpes étonnées,
Et lorsqu’il arriva, son épée à la main,
À peine savait-on qu’il était en chemin.
Lorsqu’on demande avis, qu’on doute, qu’on hésite,
Sur le bien qu’on poursuit, sur le mal qu’on évite,
Est-ce Auguste qui parle ? ou par quel changement
Est-ce ainsi, devant lui, qu’on parle impunément ?
En vous écoutant dire, ou je me suis méprise,
Ou vous avez au cœur quelque vaste entreprise.
Ce dessein, quel qu’il soit, m’est sans doute inconnu,
Mais l’ennui qui vous tient de là vous est venu.
Depuis quand, dites-moi, le maître de la terre
A-t-il donc condamné sa pensée à se taire ?
Devant quelle fortune ou quelle adversité
Le neveu de César a-t-il donc hésité ?
Est-ce aux champs de Modène ? Est-ce aux murs de Pérouse ?
Est-ce quand Marc-Antoine, avec sa noire épouse,
Fuyait épouvanté, par notre aigle abattu,
Ou quand Brutus mourant reniait la vertu ?
Quand le jeune César (c’est ainsi qu’on vous nomme)
Autrement qu’en triomphe est-il entré dans Rome ?
Pour combattre aujourd’hui vous n’osez en sortir,
À moins que vos rhéteurs n’y daignent consentir !
Que ne demandez-vous le conseil d’un esclave ?
Souvenez-vous, seigneur, souvenez-vous, Octave.
N’est-ce rien que ces chants, ces rameaux de laurier,
Un seul nom dans la voix d’un peuple tout entier ?
Rappelez-vous ces jours qui furent vos délices,
Les autels tout couverts du sang des sacrifices,
Votre coursier sans tache, et qui ne voulait pas
Fouler aux pieds les fleurs qu’on jetait sous ses pas ;
Rappelez-vous surtout, si vous faites la guerre,
Ces trois mots que César nous écrivait naguère :
« Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu ! »
Auguste.
Chère sœur,
En toute occasion j’aime à voir un grand cœur.
J’écoute avec plaisir, dans votre jeune tête,
Le vieil esprit romain respirant la conquête.
Ce coursier, dont les pas vous ont semblé si doux,
Les rois égyptiens me l’ont donné pour vous.
Livie, à votre tour, parlez ; que dois-je faire ?
Livie.
Seigneur, dans ce palais je suis presque étrangère ;
À peine aux pieds des dieux j’ai fléchi les genoux ;
J’arrive, et dans ces lieux je ne connais que vous.
Rome en ces questions est trop intéressée,
Pour qu’il me soit permis de dire ma pensée…
Auguste.
Quelle est-elle ?
Livie.
La paix ! J’admire et n’aime pas
Cette gloire qu’on trouve à chercher les combats.
J’en demande pardon et donnerais ma vie
Plutôt que de déplaire à ma sœur Octavie ;
Mais l’empereur a fait tout ce qu’on peut oser :
Revenant d’Actium, on peut se reposer.
Je suis femme, seigneur. Aussi bien que personne
Je sens battre mon cœur lorsque le clairon sonne.
Mais César est vengé, c’est vous qui le disiez ;
La tête de Brutus a roulé sous vos pieds.
À qui sut faire tant que reste-t-il à faire ?
La patrie aujourd’hui vous appelle son père ;
Le peuple vous chérit, vous met au rang des dieux,
Et, vivant sur la terre, il vous voit dans les cieux.
Que pourrait un combat, que pourrait une armée,
Pour ajouter encore à votre renommée ?
Que nous apprendrez-vous quand vous serez vainqueur ?
Il ne faut point aller plus loin que le bonheur.
César (nous le savons), marchant sur sa parole,
A franchi le ruisseau qui mène au Capitole ;
Mais de veiller sur lui les dieux s’étaient lassés ;
L’inflexible Destin avait dit : « C’est assez ! »
Du nom que vous portez conservez la mémoire ;
Pensez à l’avenir et respectez l’histoire.
Ne laissez pas de vous un vain rêve approcher ;
Votre gloire est à nous, — vous n’y pouvez toucher.
Octavie.
Jamais, pour qui sait vaincre, il n’est assez de gloire.
Livie.
La paix, quand on la veut, c’est encor la victoire.
Octavie.
À la voir trop facile, on peut la dédaigner.
Livie.
Oui, sans doute, on le peut, mais il faut la gagner.
Octavie.
Héritier du héros qui lui servit de père,
Le neveu de César doit régner par la guerre.
Livie.
Par la guerre ou la paix, il n’importe, ma sœur ;
Le neveu de César nous rendra sa grandeur.
Auguste, se levant.
Assez sur ce sujet. Approchez, Octavie,
Et mettez votre main dans celle de Livie.
Bien que vos sentiments soient entre eux différents,
Tous deux ils me sont chers ; j’y cède et je m’y rends.
À Octavie.
Si j’ouvre de Janus la porte meurtrière,
Vous m’accompagnerez, vous, ma belle guerrière.
À Livie.
Si j’ai dans les combats encor quelque bonheur,
Vous me consolerez d’avoir été vainqueur.
Vous m’avez rappelé toutes deux à moi-même ;
Adieu. Souvenez-vous surtout que je vous aime.
Livie et Octavie sortent.
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