Œuvres posthumes
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Le songe d’Auguste
Scène III
***
AUGUSTE, seul ; puis MÉCÈNE.
Auguste, s’asseyant.
Ô puissance absolue ! ô suprême grandeur !
Êtes-vous du Destin la haine ou la faveur ?
On ouvre, — qui vient là ? — C’est vous, mon cher Mécène !
Et d’où venez-vous donc, que l’on vous voit à peine ?
D’oublier l’empereur, sans doute à vous permis,
Et le monde et le temps ; mais non pas vos amis.
Mécène.
César, que Jupiter vous protège et vous aide !
Que l’univers, soumis, à vos volontés cède,
Et que votre fortune, à toute heure, en tout lieu…
Auguste.
Asseyez-vous. — Je sais que je dois être un dieu.
On dit que vos jardins sont un petit Parnasse,
Et que votre falerne a fait les vers d’Horace.
Que dit-il ? que fait-il ?
Mécène.
Il va toujours rêvant ;
Conduit par son caprice, il marche en le suivant.
Auguste.
Et Virgile ?
Mécène.
Toujours fidèle à son génie,
Son immortelle voix n’est plus qu’une harmonie,
Et, pour nous dire un mot, sans vouloir dire mieux,
Il ne sait plus parler que la langue des dieux.
Auguste.
Vous les aimez, Mécène ?
Mécène.
Oui, seigneur, je confesse
Que la muse est pour moi la grande enchanteresse,
Et que tous les bavards, de leur gloire ennemis,
Ne valent pas trois vers écrits par mes amis.
Auguste.
Et c’est assez pour vous de cette poésie ?
Vous habitez l’Olympe et vivez d’ambroisie.
Ah ! Mécène est heureux !
Mécène.
César ne l’est-il pas ?
Quel serpent écrasé s’est dressé sous ses pas ?
Auguste.
Aucun. J’ai, grâce aux dieux, conjuré les tempêtes ;
Je tiens pour abattu le monstre aux milles têtes.
Mais je souffre, ce soir, d’une étrange douleur.
Mécène.
Au comble de la gloire, au comble du bonheur,
Se peut-il ?…
Auguste.
Oui, Mécène, et je n’y sais que faire.
Mécène.
César veut-il permettre un langage sincère ?
Auguste.
Oui.
Mécène.
Je crains d’employer des termes un peu bas.
Auguste.
Ce sont les beaux discours que l’on n’écoute pas.
César, prenez la bêche, ou poussez la charrue…
Ce n’est pas un ennui, c’est l’ennui qui vous tue.
Si, comme moi, seigneur, au lever du soleil,
Vous veniez voir aux champs la terre à son réveil,
Si vous alliez cueillir, marchant dans la rosée,
Une fleur qu’avant vous les dieux ont arrosée,
Si vous la rapportiez vous-même à la maison,
Vous n’auriez pas d’ennuis.
Auguste.
Il a presque raison.
Mécène.
Si vous pouviez, César, en juger par vous-même,
Et voir combien, partout, vit la beauté suprême,
Combien la moindre fleur, ou son bouton naissant,
A coûté de travail, pour mourir en passant !
Les poètes du jour croient que la poésie,
Sans rien voir ni savoir, naît dans leur fantaisie ;
D’autres, pour la trouver, courent le monde entier ;
Elle est dans un brin d’herbe, au coin de ce sentier,
Dans les amandiers verts que fait blanchir la pluie,
Dans ce fauteuil d’ivoire où votre bras s’appuie.
Partout où le soleil nous verse sa clarté,
Toujours est la grandeur et toujours la beauté.
Auguste.
Les poètes, chez vous, sont en faveur extrême,
Mais on pourrait, parfois, vous en croire un vous-même.
De vos charmants loisirs j’aimerais la douceur ;
Ils sont d’un homme heureux, mais non d’un empereur.
Où prendrais-je le temps de cette nonchalance ?
Alors que vous rêvez, il faut, moi, que je pense,
Mécène, et que j’agisse alors que vous pensez.
Savez-vous bien ma vie ?
Mécène.
Oui, seigneur, je la sais.
Je sais que votre main, en volonté féconde,
Tient un arc dont la flèche a traversé le monde ;
Et déjà du passé l’éclatant souvenir
Vous fait incessamment regarder l’avenir.
Mais pourquoi l’empereur, m’accusant de faiblesse,
Croit-il mon pauvre toit hanté par la paresse ?
Lorsqu’Horace et Virgile y viennent le matin
Respirer dans mes bois la verveine et le thym,
J’écoute avec transport ces lèvres inspirées
Verser en souriant les paroles dorées.
Mes abeilles gaiement voltigent devant nous ;
Le ciel en est plus pur et l’air en est plus doux.
Depuis quand l’action nuit-elle à la pensée ?
Quand Tyrtée avait pris sa lyre et son épée,
Devant toute une armée il marchait autrefois,
Il chantait, la victoire accourait à sa voix.
Alexandre, vainqueur, pourtant toujours en guerre,
Gardait comme un trésor les vers du vieil Homère,
Et relisait sans cesse, à toute heure, en tous lieux,
Ce poème immortel, dicté par tous les dieux.
Le grand Jules, bravant les hasards du naufrage,
Avec son manuscrit se jetait à la nage,
Et, défendant aux flots d’y toucher en chemin,
Il savait bien quel sceptre il tenait à la main !
Et vous ne voulez pas, César…
Auguste.
Je le répète,
Malgré vous, mon ami, vous n’êtes qu’un poète.
Lorsqu’Horace avec vous parle grec ou latin,
Votre esprit est en fleur comme votre jardin.
Les premiers des héros, Alexandre et mon père,
Ont tous deux, je le sais, aimé les vers d’Homère ;
Mais, lorsque leur grande âme y prit quelque plaisir,
C’est entre deux combats qu’ils trouvaient ce loisir.
Quand mon père lui-même a raconté ses guerres,
C’est au milieu des camps qu’il fit ses Commentaires.
Pour peu qu’on soit soldat, on sent, quand on les lit,
Que le bruit des clairons partout y retentit.
Autre chose, Mécène, est la frivole muse
Dont la grâce vous charme ou l’esprit vous amuse ;
Ce n’est qu’un jeu de mots fait pour l’oisiveté,
Un rêve, et, pour tout dire, une inutilité.
Mécène.
Que dites-vous, seigneur ? Quoi ! la muse inutile !
Ce n’est qu’un jeu de mots, lorsque chante Virgile,
Tibulle aimé de tous, Horace aimé des dieux !
Quoi la muse à ce point est déchue à vos yeux !
Inutile ! Et ses sœurs, César, qu’en diraient-elles ?
Songez-y bien, seigneur, ces vierges immortelles
Se tiennent par la main dans le sacré vallon,
Et comme une guirlande entourent Apollon.
Songez que de tous ceux qui les ont outragées
Ce redoutable dieu les a toujours vengées.
Ses traits assurément n’iraient pas jusqu’à vous ;
Gardez-vous toutefois d’exciter son courroux.
Les Muses n’ont qu’une âme et leur cause est commune :
Toutes elles vont fuir, si vous en blessez une ;
Et loin de ce palais, fait pour les réunir,
Elles s’envoleront pour ne plus revenir.
Songez qu’elles sont sœurs et qu’elles ont des ailes !
Auguste.
Adieu. — Je prendrai soin de vos sœurs immortelles.
Tâchez que le Parnasse, avant de s’irriter,
Quelquefois avec vous vienne me visiter !

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