Premières Poésies
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Scène III
***
Devant la maison de la Camargo.
L’abbé ANNIBAL DESIDERIO, descendant de sa chaise ;
Musiciens, porteurs.
L’abbé.
Holà ! dites, marauds, — est-ce pas là que loge
La Camargo ?
Un porteur.
Seigneur, c’est là. — Proche l’horloge
Saint-Vincent, tout devant ; ces rideaux que voici,
C’est sa chambre à coucher.
L’abbé.
Voilà pour toi, merci.
Parbleu ! cette soirée est propice, et je pense
Que mes lieux pourraient bien avoir leur récompense.
Lu lune ne va pas larder à se lever ;
La chose au premier coup peut ici s’achever.
Têtebleu ! c’est le moins qu’un homme de ma sorte
Ne s’aille pas morfondre à garder une porte ;
Je ne suis pas des gens qu’on laisse s’enrouer.
— Or, vous autres coquins, qu’allez-vous nous jouer ?
— Piano, signor basson, — amoroso ! la dame
Est une oreille fine ! — Il faudrait à ma flamme
Quelque mi bémol, — hein ? Je m’en vais me cacher
Sous ce contrevent-là ; c’est sa chambre à coucher,
N’est-ce pas ?
Un porteur.
Oui, seigneur.
L’abbé.
Je ne puis trop vous dire
D’aller bien lentement. — C’est un cruel martyre
Que le mien ! Têtebleu ! je me suis ruiné
Presque à moitié, le tout pour avoir trop donné
À mes divinités de soupers et d’aubades.
Musiciens.
Andantino, seigneur !
Musique.
L’abbé.
Tous ces airs-là sont fades.
Chantez tout bonnement : « Belle Philis, » ou bien :
« Ma Climène. »
Musiciens.
Allegro, seigneur !
Musique.
L’abbé.
Je ne vois rien
À cette fenêtre. — Hum !
La musique continue.
Point. — c’est une barbare.
— Rien ne bouge. — Allons, toi, donne-moi ta guitare.
Il prend une guitare.
Fi donc ! pouah !
Il en prend une autre.
Hum ! je vais chanter, moi. — Ces marauds
Se sont donné, je crois, le mot pour chanter faux.
Il chante.
Pour tant de peine et tant d’émoi…
Hum ! mi, mi, la.
Pour tant de peine et tant d’émoi…
Mi, mi. — Bon.
Pour tant de peine et tant d’émoi
Où vous m’avez jeté, Climène,
Ne me soyez point inhumaine,
Et, s’il se peut, secourez-moi,
Pour tant de peine.
Quoi ! rien ne remue !
Va-t-elle me laisser faire le pied de grue ?
Têtebleu ! nous verrons !
Il chante.
De tant de peine, mon amour…
Rafael, sortant de la maison, s’arrête sur le pas de la porte.
Ah ! ah ! monsieur l’abbé
Desiderio ! — Parbleu ! vous êtes mal tombé.
L’abbé.
Mal tombé, monsieur ! — Mais pas si mal. Je vous chasse
Peut-être ?
Rafael.
Point du tout ; je vous laisse la place.
Sur ma parole, elle est bonne à prendre, et, de plus,
Toute chaude.
L’abbé.
Monsieur, monsieur, pour faire abus
Des oreilles d’un homme, il ne faut pas une heure : —
Il ne faut qu’un mot.
Rafael.
Vrai ? j’aurais cru, que je meure,
Les vôtres sur ce point moins promptes, aux façons
Dont les miennes d’abord avaient pris vos chansons.
L’abbé.
Tête et ventre ! monsieur, faut-il qu’on vous les coupe ?
Rafael.
La, tout beau, sire ! Il faut d’abord, moi, que je soupe.
Je ne me suis jamais battu sans y voir clair,
Ni couché sans souper.
L’abbé.
Pour quelqu’un du bel air,
Vous sentez le mauvais soupeur, mon gentilhomme.
Le touchant.
Ce vieux surtout mouillé ! Qu’est-ce donc qu’on vous nomme ?
Rafael.
On me nomme seigneur Vide-bourse, casseur
De pots ; c’est, en anglais, blockhead, maître tueur
D’abbés. — Pour le seigneur Garuci, c’est son père
Le plus communément qui couche avec ma mère.
L’abbé.
S’il y couche demain, il court, je lui prédis,
Risque d’avoir pour femme une mère sans fils.
Votre logis ?
Rafael.
Hôtel du Dauphin bleu. La porte
À droite, au petit Parc.
L’abbé.
Vos armes ?
Rafael.
Peu m’importe ;
Fer ou plomb, balle ou pointe.
L’abbé.
Et votre heure ?
Rafael.
Midi.
L’abbé le salue et retourne à sa chaise.
Ce petit abbé-là m’a l’air bien dégourdi.
Parbleu ! c’est un bon diable ; il faut que je l’invite
À souper. — Hé ! monsieur, n’allez donc pas si vite !
L’abbé.
Qu’est-ce, monsieur ?
Rafael.
Vos gens s’ensauvent comme si
La fièvre à leurs talons les emportait d’ici.
Demeurez, pour l’amour de Dieu, que je vous pose
Un problème d’algèbre. — Est-ce pas une chose
Véritable, et que voit quiconque a l’esprit sain,
Que la table est au lit ce qu’est la poire au vin ?
De plus, deux, gens de bien, à s’aller mettre en face
Sans s’être jamais vus, ont plus mauvaise grâce,
Assurément, que, quand il pleut, une catin
À descendre de fiacre en souliers de satin.
Donc, si vous m’en croyez, nous souperons ensemble ;
Nous nous connaîtrons mieux pour demain. Que t’en semble,
Abbé ?
L’abbé.
Parbleu ! marquis, je le veux, et j’y vais.
Il sort de sa chaise.
Rafael.
Voilà les musiciens qui sont déjà trouvés ;
Et pour la table, — holà ! Palforio ! l’auberge !
Frappant.
Cette porte est plus rude à forcer qu’une vierge.
Palforio ! manant, tripier, sac à boyaux !
Vous verrez qu’à cette heure ils dorment, les bourreaux !
Il jette une pierre dans la vitre.
Palforio, à la fenêtre.
Quel est le bon plaisir de Votre Courtoisie ?
Rafael.
Fais-nous faire à souper. Certes, l’heure est choisie
Pour nous laisser ainsi casser tous tes carreaux !
Dépêche, sac à vin ! — Pardieu ! si j’étais gros
Comme un muid, comme toi, je dirais qu’on me porte,
En guise d’écriteau, sur le pas de ma porte ;
On saurait où me prendre au moins.
Palforio.
Excusez-moi,
Très-excellent seigneur.
Rafael.
Allons, démène-toi.
Vite, va mettre en l’air ta marmitonnerie.
Donne-nous ton meilleur vin et ta plus jolie
Servante ; embroche tout : tes oisons, tes poulets,
Tes veaux, tes chiens, tes chats, ta femme et tes valets !
— Toi, l’abbé, passe donc ; en joie ! et pour nous battre
Après nous taperons, vive Dieu ! comme quatre.

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