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Pièce: “Les Marrons du feu” d’Alfred de Musset

Premières Poésies

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Scène V

***

Une salle à manger très-riche.

GARUCI, à table avec l’abbé ANNIBAL, musiciens.

Rafael.

Oui, mon abbé, voilà comme, une après-dînée,
Je vis, pris, et vainquis la Camargo, l’année
Dix-sept cent soixante-un de la nativité
De Notre-Seigneur.

L’abbé.

— Triste ! oh ! triste, en vérité ! —

Rafael.

Triste, abbé ? — Vous avez le vin triste ? — Italie,
Voyez-vous, à mon sens, c’est la rime à folie.
Quant à mélancolie, elle sent trop les trous
Aux bas, le quatrième étage, et les vieux sous.
On dit qu’elle a des gens qui se noient pour elle.
— Moi, je la noie.
Il boit.

L’abbé.

Et quand vous eûtes cette belle
Camargo, vous l’aimiez fort ?

Rafael.

Oh ! très-fort ! — et puis,
À vous dire le vrai, je m’y suis très-bien pris.
Contre un doublon d’argent un cœur de fer s’émousse.
Ce fut, le premier mois, l’amitié la plus douce
Qui se puisse inventer. Je m’en allais la voir,
Comme ça, tout au saut du lit, — ou bien le soir
Après le spectacle. — Oh ! c’était une folie
Dans ce temps-là ! — Pauvre ange ! — Elle était bien jolie !
Si bien qu’après un mois je cessai d’y venir.
Elle de remuer terre et ciel, — moi de fuir. —
Pourtant je fus trouvé — reproches, pleurs, injure,
Le reste à l’avenant. — On me nomma parjure,
C’est le moins. — Je rompis tout net. — Bon. — Cependant
Nous nous allions fuyant et l’un l’autre oubliant. —
Un beau soir, je ne sais comment se fit l’affaire,
La lune se levait cette nuit-là si claire,
Le vent était si doux, l’air de Rome est si pur ! —
C’était un petit bois qui côtoyait un mur,
Un petit sentier vert, — je le pris, — et, Jean comme
Devant, je m’en allai l’éveiller dans son somme.

L’abbé.

Et vous l’avez reprise ?

Rafael, cassant son verre.

Aussi vrai que voilà
Un verre de cassé. — Mon amour s’en alla
Bientôt. — Que voulez-vous ? moi, j’ai donné ma vie
À ce dieu fainéant qu’on nomme fantaisie.
C’est lui qui, triste ou fou, de face ou de profil,
Comme un polichinel me traîne au bout d’un fil ;
Lui qui tient les cordons de ma bourse et la guide
De mon cheval ; jaloux, badaud, constant, perfide.
En chasse au point du jour dimanche, et vendredi
Cloué sur l’oreiller jusque et passé midi.
Ainsi je vais en tout, — plus vain que la fumée
De ma pipe, — accrochant tous les pavés. — L’année
Dernière, j’étais fou de chiens d’abord, et puis
De femmes. — Maintenant, ma foi, je ne le suis
De rien. — J’en ai bien vu, des petites princesses !
La première surtout m’a mangé de caresses ;
Elle m’a tant baisé, pommadé, balloté !
C’est fini, voyez-vous : — celle-là m’a gâté.
Quant à la Camargo, vous la pouvez bien prendre
Si le cœur vous en dit ; mais je me veux voir pendre
Plutôt que si ma main de sa nuque approchait.

L’abbé.

Triste !

Rafael.

Encor triste, abbé ?
Aux musiciens.
Hé ! messieurs de l’archet,
En ut ! égayez donc un peu Sa Courtoisie.

Musique.

Ma foi, voilà deux airs très-beaux.

Il parle en se promenant, pendant que l’orchestre joue piano.

La poésie,
Voyez-vous, c’est bien. — Mais la musique, c’est mieux.
Pardieu ! voilà deux airs qui sont délicieux ;
La langue sans gosier n’est rien. — Voyez le Dante :
Son Séraphin doré ne parle pas, — il chante !
C’est la musique, moi, qui m’a fait croire en Dieu.
— Hardi, ferme, poussez, — crescendo !

Mais, parbleu !
L’abbé s’est endormi. — Le voilà sous la table.
C’est vrai qu’il a le vin mélancolique en diable.
Ô doux, ô doux sommeil ! ô baume des esprits !
Reste sur lui, sommeil ! Dormir quand on est gris,
C’est, après le souper, le premier bien du monde.

Palforio, entrant.

Une lettre, seigneur.

Rafael, après avoir lu.

Que le ciel la confonde !
Dites que je n’irai certes pas. — Attendez !
Si, — c’est cela, — parbleu ! — je — non — si fait, restez.
Dites que l’on m’attend.

Exit Palforio.

Hé, l’abbé ! — Sur mon âme,
Il ronfle en enragé.

L’abbé.

Pardonnez-moi, madame ;
Est-ce que je dormais ?

Rafael.

Eh ! voulez-vous avoir
La Camargo, l’ami ?

L’abbé, se levant.

Tête et ventre ! ce soir ?

Rafael.

Ce soir même. — Écoutez bien : — elle doit m’attendre
Avant minuit. — Il est onze heures, — il faut prendre
Mon habit. —

L’abbé se déboutonne.

Me donner le vôtre.

L’abbé ôte son manteau.

Vous irez
À la petite porte, et là vous tousserez
Deux fois ; toussez un peu.

L’abbé.

Hum ! hum !

Rafael.

C’est à merveille.
Nous sommes à peu près de stature pareille.
Changeons d’habit. —

Ils changent.

Parbleu ! cet habit de cafard
Me donne l’encolure et l’air d’un escobard.
Le marquis Annibal ! l’abbé Garuci ! — Certe,
Le tour est des meilleurs. Or donc, la porte ouverte,
On vous introduira piano. — Mais n’allez pas
Perdre la tête là. — Prenez-la dans vos bras,
Et tout d’abord du poing renversez la chandelle. —
L’alcôve est à main droite en entrant. — Pour la belle,
Elle ne dira mot ; ne réponds rien. —

L’abbé.

J’y vais.
Marquis, c’est à la vie, à la mort. — Si jamais
Ma maîtresse te plaît, à tel jour, à telle heure
Que ce soit, écris-moi trois mots, et que je meure
Si tu ne l’as le soir !

Il sort.

Rafael lui crie par la fenêtre.

L’abbé, si vous voulez
Qu’on vous prenne pour moi tout à fait, embrassez
La servante en entrant. — Holà ! marauds, qu’on dise
À quelqu’un de m’aller chercher la Cydalise !



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George Sand. Portrait by A. de Musset. 1833

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