Premières Poésies
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Scène VI
***
Chez la Camargo.
Camargo, entrant.
Déchausse-moi. — J’étouffe ! — A-t-on mis mon billet ?
Lætitia.
Oui, madame.
Camargo.
Et qu’a-t-on répondu ?
Lætitia.
Qu’il viendrait.
Camargo.
Était-il seul ?
Lætitia.
Avec un abbé. —
Camargo.
Qui se nomme ?…
Lætitia.
Je ne sais pas. — Un gros, joufflu, court, petit homme.
Camargo.
Lætitia !
Lætitia.
Madame ?
Camargo.
Approchez un peu. — J’ai
Depuis le mois dernier bien pâli, bien changé,
N’est-ce pas ? Je fais peur. — Je ne suis pas coiffée ;
Et vous me serrez tant, je suis tout étouffée.
Lætitia.
Madame a le plus beau teint du monde ce soir.
Camargo.
Vous croyez ? — Relevez ce rideau. — Viens t’asseoir
Près de moi. — Penses-tu, toi, que, pour une femme,
C’est un malheur d’aimer, — dans le fond de ton âme ?
Lætitia.
Un malheur, quand on est riche !
L’abbé, dans la rue.
Hum !
Camargo.
N’entends-tu pas
Qu’on a toussé ? — Pourtant ce n’était point son pas.
Lætitia.
Madame, c’est sa voix. — Je vais ouvrir la porte.
Camargo.
Versez-moi ce flacon sur l’épaule.La Camargo reste un moment seule, en silence. Lætitia rentre, accompagnée de l’abbé sous le manteau du Garuci, puis se retire aussitôt. Le coin du manteau accroche en passant la lampe et la renverse.
L’abbé, se jetant à son cou.
Oh !La Camargo est assise ; elle se lève et va à son alcôve. L’abbé la suit dans l’obscurité. Elle se retourne et lui tend la main ; il la saisit.
Camargo.
Main-forte !
Au secours ! ce n’est pas lui !Tous deux restent immobiles un instant.
L’abbé.
Madame, en pensant… —
Camargo.
Au guet ! — Mais quel est donc cet homme ?
L’abbé, lui mettant son mouchoir sur la bouche.
Ah ! tête et sang !
Ma belle dame, un mot. — Je vous tiens, quoi qu’on fasse.
Criez si vous voulez ; mais il faut qu’on en passe
Par mes volontés.
Camargo, étouffant.
Heuh !
L’abbé.
Écoute ! si tu veux
Que nous passions une heure à nous prendre aux cheveux,
À ton gré, je le veux aussi ; mais je te jure
Que tu n’y peux gagner beaucoup, — et sois bien sûre
Que tu n’y perdras rien. — Madame, au nom du ciel,
Vous allez vous blesser. — Si mon regret mortel
De vous offenser, si —
Camargo, arrache la boucle de sa ceinture et l’en frappe au visage.
Tu n’es qu’un misérable
Assassin ! — Au secours !
L’abbé.
Soyez donc raisonnable,
Madame ! calmez-vous. — Voulez-vous que vos gens
Fassent jaser le peuple ou venir les sergents ?
Nous sommes seuls, la nuit, — et vous êtes trompée
Si vous pensez qu’on sort à minuit sans épée.
Lorsque vous m’aurez fait éventrer un valet
Ou deux, m’en croira-t-on moins heureux, s’il vous plaît ?
Et n’en prendra-t-on pas le soupçon légitime,
Qu’étant si criminel, j’ai commis tout le crime ?
Camargo.
Et qui donc es-tu, toi qui me parles ainsi ?
L’abbé.
Ma foi, je n’en sais rien. — J’étais le Garuci
Tout à l’heure, à présent… —
Camargo, le menant à l’endroit de la fenêtre où donne la lune.
Viens ici. — Sur ta vie
Et le sang de tes os, réponds. — Que signifie
Ce chiffre ?
L’abbé.
Ah ! pardonnez, madame, je suis fou
D’amour de vous. — Je suis venu sans savoir où.
Ah ! ne me faites pas cette mortelle injure,
Que de me croire un cœur fait à cette imposture.
Je n’étais plus moi-même, et le ciel m’est témoin
Que de vous mériter nul n’a pris plus de soin.
Camargo.
Je te crois volontiers, en effet, la cervelle
Troublée. — Et cette plaque, enfin, d’où te vient-elle ?
L’abbé.
De lui.
Camargo.
Lui ? — L’as-tu donc égorgé ?
L’abbé.
Moi ? non point.
Je l’ai laissé très-vif, une bouteille au poing.
Camargo.
Quel jeu jouons-nous donc ?
L’abbé.
Eh ! madame, lui-même
Ne pouvait-il pas seul trouver ce stratagème ?
Et ne voyez-vous point que lui seul m’a donné
Ce dont je devais voir mon amour couronné ?
Et quel autre que lui m’eût dit votre demeure ?
M’eût prêté ses habits ? m’eût si bien marqué l’heure ?
Camargo.
Rafael ! Rafael ! le jour que de mon front
Mes cheveux sur mes pieds un à un tomberont,
Que ma joue et mes mains bleuiront comme celles
D’un noyé, que mes yeux laisseront mes prunelles
Tomber avec mes pleurs, alors tu penseras
Que c’est assez souffert, et tu t’arrêteras !
L’abbé.
Mais —
Camargo.
Et quel homme encor me met-il à sa place ?
De quelle fange est l’eau qu’il me jette à la face ?
Viens, toi. — Voyons lequel est écrit dans tes yeux,
Du stupide ou du lâche, ou si c’est tous les deux.
L’abbé.
Madame —
Camargo.
Je t’ai vu quelque part.
L’abbé.
Chez le comte
Foscoli.
Camargo.
C’est cela. — Si ce n’était de honte,
Ce serait de pitié qu’à te voir ainsi fait,
Comme un bouffon manqué, le cœur me lèverait !
Voyons, qu’avais-tu bu ? dans cette violence,
Pour combien est l’ivresse, et combien l’impudence ?
Va, je te crois sans peine, et lui seul sûrement
Est le joueur ici qui t’a fait l’instrument.
Mais écoute. — Ceci vous sera profitable. —
Va-t’en le retrouver, s’il est encore à table ;
Dis-lui bien ton succès, et que lorsqu’il voudra
Prêter à ses amis des filles d’Opéra… —
L’abbé.
D’Opéra ! — Hé parbleu ! vous seriez bien surprise
Si vous saviez qu’il soupe avec la Cydalise !
Camargo.
Quoi ! Cydalise !
L’abbé.
Eh oui ! gageons que l’on entend
D’ici les musiciens, s’il fait un peu de vent.
Tous deux prêtent l’oreille à la fenêtre. On entend une symphonie lente dans l’éloignement.
Camargo.
Ciel et terre ! c’est vrai !
L’abbé.
C’est ainsi qu’il oublie
Auprès d’elle, qui n’est ni jeune ni jolie,
La perle de nos jours ! Ah ! madame, songez
Que vos attraits surtout par là sont outragés.
Songez au temps, à l’heure, à l’insulte, à ma flamme ;
Croyez que vos bontés —
Camargo.
Cydalise !
L’abbé.
Eh ! madame,
Ne daignerez-vous pas baisser vos yeux sur moi ?
Si le plus absolu dévouement…
Camargo.
Lève-toi.
As-tu le poignet ferme ?
L’abbé.
Hai…
Camargo.
Voyons ton épée.
L’abbé.
Madame, en vérité, vous vous êtes coupée !
Camargo.
Eh quoi ! pâle avant l’heure, et déjà faiblissant ?
L’abbé.
Non pas ; mais, têtebleu ! voulez-vous donc du sang ?
Camargo.
Abbé, je veux du sang ! J’en suis plus altérée
Qu’une corneille au vent d’un cadavre attirée.
Il est là-bas, dis-tu ? — cours-y donc, — coupe-lui
La gorge, et tire-le par les pieds jusqu’ici.
Tords-lui le cœur, abbé, de peur qu’il n’en réchappe.
Coupe-le en quatre, et mets les morceaux dans la nappe ;
Tu me l’apporteras, et puisse m’écraser
La foudre, si tu n’as par blessure un baiser !
Tu tressailles, Romain ? C’est une faute étrange,
Si tu te crois ici conduit par ton bon ange !
Le sang te fait-il peur ? Pour t’en faire un manteau
De cardinal, il faut la pointe d’un couteau.
Me jugeais-tu le cœur si large, que j’y porte
Deux amours à la fois, et que pas un n’en sorte ?
C’est une faute encor ; mon cœur n’est pas si grand,
Et le dernier venu ronge l’autre en entrant.
L’abbé.
Mais, madame, vraiment, c’est… Est-ce que ?… Sans doute
C’est un assassinat. — Et la justice ?
Camargo.
Écoute.
Je t’en supplie à deux genoux.
L’abbé.
Mais je me bats
Avec lui demain, moi. Cela ne se peut pas ;
Attendez à demain, madame. —
Camargo.
Et s’il te tue ? —
Demain ! Et si j’en meurs ? — Si je suis devenue
Folle ? — Si le soleil, se prenant à pâlir,
De ce sombre horizon ne pouvait pas sortir ?
On a vu quelquefois de telles nuits au monde.
Demain ! le vais-je attendre à compter par seconde
Les heures sur mes doigts, ou sur les battements
De mon cœur, comme un juif qui calcule le temps
D’un prêt ? — Demain ensuite, irai-je pour te plaire
Jouer à croix ou pile, et mettre ma colère
Au bout d’un pistolet qui tremble avec ta main ?
Non pas. — Non ! aujourd’hui est à nous, mais demain
Est à Dieu ! —
L’abbé.
Songez donc… —
Camargo.
Annibal, je t’adore !
Embrasse-moi !
Il se jette à son cou.
L’abbé.
Démons !! —
Camargo.
Mon cher amour, j’implore
Votre protection. — Voyez qu’il se fait tard. —
Me refuserez-vous ? — Tiens, tiens, prends ce poignard.
Qui te verra passer ? il fait si noir !
L’abbé.
Qu’il meure,
Et vous êtes à moi ?
Camargo.
Cette nuit.
L’abbé.
Dans une heure.
Ah ! je ne puis marcher. — Mes pieds tremblent. — Je sens
Je — je vois —
Camargo.
Annibal ! je suis prête, et j’attends.

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