Poème: “À M. Félix Guillemardet sur sa maladie” d’Alphonse de Lamartine

Recueillements poétiques 1839

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À M. Félix Guillemardet sur sa maladie

***

Frère, le temps n’est plus où j’écoutais mon âme
Se plaindre et soupirer comme une faible femme
Qui de sa propre voix soi-même s’attendrit,
Où par des chants de deuil ma lyre intérieure
Allait multipliant comme un écho qui pleure
          Les angoisses d’un seul esprit.


Dans l’être universel au lieu de me répandre,
Pour tout sentir en lui, tout souffrir, tout comprendre,
Je resserrais en moi l’univers amoindri ;
Dans l’égoïsme étroit d’une fausse pensée
La douleur en moi seul, par l’orgueil condensée,
          Ne jetait à Dieu que mon cri.

Ma personnalité remplissait la nature,
On eût dit qu’avant elle aucune créature
N’avait vécu, souffert, aimé, perdu, gémi !
Que j’étais à moi seul le mot du grand mystère,
Et que toute pitié du ciel et de la terre
          Dût rayonner sur ma fourmi !

Pardonnez-moi, mon Dieu ! tout homme ainsi commence ;
Le retentissement universel, immense,
Ne fait vibrer d’abord que ce qui sent en lui ;
De son être souffrant l’impression profonde,
Dans sa neuve énergie, absorbe en lui le monde,
          Et lui cache les maux d’autrui.

Comme Pygmalion, contemplant sa statue,
Et promenant sa main sous sa mamelle nue
Pour savoir si ce marbre enferme un cœur humain,
L’humanité pour lui n’est qu’un bloc sympathique
Qui, comme la Vénus du statuaire antique,
          Ne palpite que sous sa main.

Ô honte ! ô repentir ! quoi, ce souffle éphémère
Qui gémit en sortant du ventre de sa mère,
Croirait tout étouffer sous le bruit d’un seul cœur ?
Hâtons-nous d’expier cette erreur d’un insecte,
Et, pour que Dieu l’écoute et l’ange le respecte,
          Perdons nos voix dans le grand chœur !


Jeune, j’ai partagé le délire et la faute,
J’ai crié ma misère, hélas ! à voix trop haute,
Mon âme s’est brisée avec son propre cri !
De l’univers sensible atome insaisissable,
Devant le grand soleil j’ai mis mon grain de sable,
          Croyant mettre un monde à l’abri.

Puis mon cœur, moins sensible à ses propres misères,
S’est élargi plus tard aux douleurs de mes frères ;
Tous leurs maux ont coulé dans le lac de mes pleurs,
Et, comme un grand linceul que la pitié déroule,
L’âme d’un seul, ouverte aux plaintes de la foule,
          A gémi toutes les douleurs.

Alors dans le grand tout mon âme répandue
A fondu, faible goutte au sein des mers perdue
Que roule l’Océan, insensible fardeau !
Mais où l’impulsion sereine ou convulsive,
Qui de l’abîme entier de vague en vague arrive,
          Palpite dans la goutte d’eau.

Alors, par la vertu, la pitié m’a fait homme ;
J’ai conçu la douleur du nom dont on le nomme,
J’ai sué sa sueur et j’ai saigné son sang
Passé, présent, futur, ont frémi sur ma fibre
Comme vient retentir le moindre son qui vibre
          Sur un métal retentissant.

Alors j’ai bien compris par quel divin mystère
Un seul cœur incarnait tous les maux de la terre,
Et comment, d’une croix jusqu’à l’éternité,
Du cri du Golgotha la tristesse infinie
Avait pu contenir seule assez d’agonie
          Pour exprimer l’humanité !…


Alors j’ai partagé, bien avant ma naissance,
Ce pénible travail de sa lente croissance
Par qui sous le soleil grandit l’esprit humain,
Semblable au rude effort du sculpteur sur la pierre,
Qui mutile cent fois le bloc dans la carrière
          Avant qu’il vive sous sa main.


Saint-Point, 15 septembre 1837.



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