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Poème: “À Monseigneur, sur son mariage” de Pierre Corneille

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À Monseigneur, sur son mariage

***

Prince, l’appui des lis, et l’amour de la France,
Toi, dont au berceau même elle admira l’enfance,
Et pour qui tous nos vœux s’efforçoient d’obtenir
Du souverain des rois un si bel avenir,
Aujourd’hui qu’elle voit tes vertus éclatantes
Répondre à nos souhaits, et passer nos attentes,
Quel supplice pour moi, que l’âge a tout usé,
De n’avoir à l’offrir qu’un esprit épuisé !
D’autres y suppléeront, et tout notre Parnasse

Va s’animer pour toi de ce que j’eus d’audace,
Quand sur les bords du Rhin, pleins de sang et d’effroi,
Je fis suivre à mes vers notre invincible roi.
Ce cours impétueux de rapides conquêtes,
Qui jeta sous ses lois tant de murs et de têtes,
Sembloit nous envier dès lors le doux loisir
D’écrire les succès qu’il lui plaisoit choisir :
Je m’en plaignis dès lors ; et quoi que leur histoire
À qui les écriroit dût promettre de gloire,
Je pardonnai sans peine au déclin de mes ans,
Qui ne m’en laissoient plus la force ni le temps :
J’eus même quelque joie à voir leur impuissance
D’un devoir si pressant m’assurer la dispense ;
Et sans plus attenter aux miracles divers
Qui portent son grand nom au bout de l’univers,
J’espérai dignement terminer ma carrière,
Si j’en pouvois tracer quelque ébauche grossière
Qui servît d’un modèle à la postérité,
De valeur, de prudence et d’intrépidité.
Mais comme je tremblois de n’y pouvoir suffire,
Il se lassa de vaincre, et je cessai d’écrire ;
Et ma plume, attachée à suivre ses hauts faits,
Ainsi que ce héros acheva par la paix.
La paix, ce grand chef-d’œuvre, où sa bonté suprême

Pour triomphe dernier triompha de lui-même,
Il la fit, mais en maître : il en dicta les lois ;
Il rendit, il garda des places à son choix :
Toujours grand, toujours juste, et parmi les alarmes
Que répandoit partout le bonheur de ses armes,
Loin de se prévaloir de leurs brillants succès,
De cette bonté seule il en crut tout l’excès,
Et l’éclat surprenant d’un vainqueur si modeste
De mon feu presque éteint consuma l’heureux reste.
Ne t’offense donc point si je t’offre aujourd’hui
Un génie épuisé, mais épuisé pour lui :
Tu dois y prendre part ; son trône, sa couronne,
Cet amas de lauriers qui partout l’environne,
Tant de peuples réduits à rentrer sous sa loi,
Sont autant de dépôts qu’il conserve pour toi ;
Et mes vers, à ses pas enchaînant la victoire,
Préparoient pour ta tête un rayon de sa gloire.
Quelle gloire pour toi d’être choisi des cieux
Pour digne successeur de tous nos demi-dieux !
Quelle faveur du ciel, de l’être à double titre
D’un roi que tant d’États ont pris pour seul arbitre,
Et d’avoir des vertus prêtes à soutenir
Celles qui le font craindre et qui le font bénir !
C’est de tes jeunes ans ce que ta France espère
Quand elle admire en toi l’image d’un tel père.
N’aspire pas pourtant à ses travaux guerriers :
Où trouverois-tu, Prince, à cueillir des lauriers,
Des peuples à dompter, et des murs à détruire ?
Vois-tu des ennemis en état de te nuire ?
Son bras ou sa bonté les a tous désarmés :

S’ils ont tremblé sous l’un, l’autre les a charmés.
Quelques lieux qu’il te plaise honorer de ta vue,
Un respect amoureux y prévient ta venue ;
Tous les murs sont ouverts, tous les cœurs sont soumis,
Et de tous ses vaincus il t’a fait des amis.
À nos vœux les plus doux si tu veux satisfaire,
Vois moins ce qu’il a fait que ce qu’il aime à faire :
La paix a ses vertus, et tu dois y régler
Cette ardeur de lui plaire et de lui ressembler.
Vois quelle est sa justice, et quelle vigilance
Par son ordre en ces lieux ramène l’abondance,
Rétablit le commerce, et quels heureux projets
Des charges de l’État soulagent ses sujets ;
Par quelle inexorable et propice tendresse
Il sauve des duels le sang de sa noblesse ;
Comme il punit le crime, et par quelle terreur
Dans les cœurs les plus durs il en verse l’horreur.
Partout de ses vertus tu verras quelque marque,
Quelque exemple partout à faire un vrai monarque.
Mais sais-tu quel salaire il s’en promet de toi ?

Une postérité digne d’un si grand roi,
Qui fasse aimer ses lois chez la race future,
Et les donne pour règle à toute la nature.
C’est sur ce digne espoir de sa tendre amitié
Qu’il t’a choisi lui-même une illustre moitié.
Ses ancêtres ont su de plus d’une manière
Unir le sang de France à celui de Bavière ;
Et l’heureuse beauté qui t’attend pour mari
Descend ainsi que toi de notre grand Henri :
Vous en tirez tous deux votre auguste origine,
L’un par Louis le Juste, et l’autre par Christine,
En degré tout pareil. Ses aïeux paternels
Firent avec les tiens ligue pour nos autels,
Joignirent leurs drapeaux contre le fier insulte
Que Luther et sa secte osoient faire au vrai culte ;
Et Prague du dernier vit les fameux exploits
De Rome dans ses murs faire accepter les lois.
Ils ont assez donné de Césars à l’Empire,
Pour en donner encor, s’il en falloit élire ;

Et notre grand monarque est assez redouté
Pour faire encor voler l’aigle de leur côté.
Quel besoin toutefois de vanter leur noblesse
Pour assurer ton cœur à leur jeune princesse,
Comme si ses vertus et l’éclat de ses yeux
À son mérite seul ne l’assuroient pas mieux ?
La grandeur de son âme et son esprit sublime
S’élèvent au-dessus de la plus haute estime ;
Son accueil, ses bontés ont de quoi tout charmer ;
Et tu n’auras enfin qu’à la voir pour l’aimer.
Vois bénir en tous lieux l’hymen qui te l’amène
Des rives du Danube aux rives de la Seine :
Vois-le suivi partout des Grâces et des Jeux ;
Vois la France à l’envi lui porter tous ses vœux.
Je t’en peindrois ici la pompeuse allégresse ;
Mais pour s’y hasarder il faut de la jeunesse :
De quel front oserois-je, avec mes cheveux gris,
Ranger autour de toi les Amours et les Ris ?
Ce sont de petits dieux, enjoués, mais timides,
Qui s’épouvanteroient dès qu’ils verroient mes rides ;
Et ne me point mêler à leur galant aspect,
C’est te marquer mon zèle avec plus de respect.



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