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Poème “Ailleurs Ici Partout” de Paul Éluard

Ajouts De L’édition De 1946

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Ailleurs Ici Partout

***

Il y a quelque adresse à avoir mis mes idées dans la bouche d’un homme qui rêve : il faut souvent donner à la sagesse l’air de la folie, afin de lui procurer ses entrées ; j’aime mieux qu’on dise : « Mais cela n’est pas si insensé qu’on croirait bien », que de dire : « Écoutez-moi, voici des choses très-sages. »

Diderot, Lettres à Sophie Volland.

Là se dressent les mille murs
De nos maisons vieillissant bien
Et mères de mille maisons
Là dorment des vagues de tuiles
Renouvelées par le soleil
Et portant l’ombre des oiseaux
Comme l’eau porte les poissons

Là tous les travaux sont faciles
Et l’objet caresse la main
La main ne connaît que promesses
La vie éveille tous les yeux
Le corps a des fièvres heureuses
Nommées la Perle de midi
Ou la Rumeur de la lumière

Là je vois de près et de loin
Là je m’élance dans l’espace
Le jour la nuit sont mes tremplins
Là je reviens au monde entier
Pour rebondir vers chaque chose
Vers chaque instant et vers toujours
Et je retrouve mes semblables

Je parle d’un temps délivré
Des fossoyeurs de la raison
Je parle de la liberté
Qui finira par nous convaincre
Nul n’aura peur du lendemain
L’espoir ne fait pas de poussière
Rien ne sera jamais en vain

Je cherche à me créer une épreuve plus dure
Qu’imaginer ce monde tel qu’il pourrait être
Je voudrais m’assurer du concret dans le temps
Partir d’ici et de partout pour tout ailleurs

Ouvrir vraiment à l’homme une porte plus grande

Il faut reprendre le langage en son milieu
Équilibrer l’écho la question la réponse
Et que l’image transparente se reflète
En un point confluent cœur du panorama

Cœur du sang et du sens et de la conscience

Voici ma table et mon papier je pars d’ici
Et je suis d’un seul bond dans la foule des hommes
Mes mots sont fraternels mais je les veux mêlés
Aux éléments à l’origine au souffle pur

Je veux sentir monter l’épi de l’univers

J’ai le sublime instinct de la pluie et du feu
J’ensemence la terre et rends à la lumière
Le lait de ses années fertiles en miracles
Et je dévore et je nourris l’éclat du ciel

Et je ne crains que l’ombre atroce du silence

Je prononce la pierre et l’herbe y fait son nid
Et la vie s’y reflète excessive et mobile
Le duvet d’un aiglon mousse sur du granit
Une faible liane mange un mur de pierres

Le chant d’un rossignol amenuise la nuit

Prise d’en haut d’en bas dans ma voix fléchissante
La forêt s’agglutine ou se met en vacances
Ravines et marais dans ma voix renaissante
S’allègent comme un corps qui se dévêt et chante

Mers et plaines déserts le jour naît sur la terre

Victorieux enjeu des couleurs des saveurs
La fleur est le ferment de ma langue bavarde
Le temps ne passe pas quand le bruit étincelle
Et refait chaque aurore en nommant une fleur

Ce monde je le veux éprouver sur mon cœur

Dans chaque cœur battant j’en entendrai l’écho
Un pas après un pas la route est infinie
L’animal a conduit ses gestes vers leur but
Et je me suis déduit de leur nécessité

Son sommeil a bordé le lit où je repose

De mort je ne sais rien sauf qu’elle est éphémère
Et je veux chaque soir coucher avec la vie
Et je veux chaque mort coucher avec la vie
L’hiver l’oubli n’annoncent que l’avenir vert

Je ne me suis jamais vu mort les hommes vivent

Je parle et l’on me parle et je connais l’espace
Et le temps qui sépare et qui joint toutes choses
Et je confonds les yeux et je confonds les roses
Je vois d’un seul tenant ce qui dure ou s’efface

La présence a pour moi les traits de ce que j’aime

C’est là tout mon secret ce que j’aime vivra
Ce que j’aime a toujours vécu dans l’unité
Les dangers et les deuils l’obscurité latente
N’ont jamais pu fausser mon désir enfantin

De tous les points de l’horizon j’aime qui m’aime

Je ne vois clair et je ne suis intelligible
Que si l’amour m’apporte le pollen d’autrui
Je m’enivre au soleil de la présence humaine
Je m’anime marée de tous ses éléments

Je suis créé je crée c’est le seul équilibre
C’est la seule justice

Entre chez moi toi ma santé
Entre chez moi toi ma passion de vivre
Ne doute plus de rien sois gaie
Car je veux te donner plus de raisons de rire
Que de pleurer entre chez moi ma bien-aimante
Viens m’éclairer

Entre chez moi toi mon tourment
Pour oublier notre chagrin
Entre chez moi vorace et rassasiée
Grain de raisin trop vert ou éclaté
Viens mon audace au large des orages
Viens amasser notre avenir

Vois-tu je dis chez moi et c’est déjà pour rire
Ce n’est qu’en moi que je veux dire
Ma force t’y reçoit ton image y prend corps
Je t’offre un toit je t’offre un lit plus grand que toi
J’y suis déjà couché dans la plaine et les bois
Et c’est le flot montant de la mer qui t’envoie

Entre en moi toi ma multitude
Puisque je suis à jamais ton miroir
Ma figurée
Les rues vont loin qui passent par nos villes
Loin dans les champs où l’on avance
Avec l’amour avec la vie avec le jour

Entre en moi toi toujours meilleure
Toujours semblable à mes désirs
Illimitée et torturée et rassurée
Toutes voiles tombées toutes voiles dehors
Creusée de nuit et de lumière
Et captant le silence et drainant la rumeur

Toi qui voulais une maison
Tu t’en délivres
Car la maison que je te donne
N’a sa façade ouverte qu’en exemple à tous
Notre maison n’est bonne que pour en sortir
Nous rêvons d’une autre maison au fond des âges

Captifs d’un seul moment un moment nous délivre
Le temps des amoureux qui passeront le pont
Que nous avons passé avant de nous connaître
Les flots de l’avenir les séparent encore
Mais leur lèvre a la courbe d’un seul mot je t’aime
Leurs mains sont la promesse d’une main doublée

Entre en moi toi ma paresseuse ma berceuse
Je n’ai pas de secrets pour toi
Avec toi je n’ignore rien
Tu es faite pour tout savoir
Je te dis tout au tableau noir
De mon passé de ma jeunesse

Car tout n’a pas été si facile ni gai

Hier il y a très longtemps
Je suis né sans sortir des chaînes
Je suis né comme une défaite

Hier il n’y a pas longtemps
Je suis né dans les bras tremblants
D’une famille pauvre et tendre
Où l’on ne gagnait rien à naître

On parlait bas comprenait sourd
Ma famille est née de l’oubli
D’un peuple d’ombres sans reflets

Chaque jour les miens me fêtaient
Mais je n’étais à la mesure
Ni de moi-même ni des grands
Je n’avais pour but que l’enfance

Dans les méandres de ma chambre
Fermée aux jeux de l’impatience
Je ne rêvais que de fenêtres

Et je riais et je criais
À faire fondre le soleil
Mais je pleurais à faire rire
De mon chagrin la terre entière

Et puis l’injure me fut faite
Je fus d’un seul coup déréglé
Les monstres prenaient pied sur moi

L’or sonnait mat et frappait lourd
On pêchait dans l’eau d’un diamant
De sales de lugubres bêtes
On assassinait les poètes

J’avais vingt ans et je faisais
Déjà la guerre pour nos maîtres
Ils avaient besoin de jeunesse

Je fus naïf au point de ne pas me défendre
Je recevais les coups sans songer à les rendre
J’étais fait comme tous de matière sensible
Les flammes me semblaient avoir l’azur pour cible

Dans ma candeur aux femmes je me déchirais
Aux fleurs je me fanais aux fruits je me gâtais
L’ordre de la nature embaumait mon supplice
Mais j’avais par à-coups de terribles colères

Et je voulais avoir des griffes pour en jouir
Contre les hommes et les femmes à genoux
Contre les hommes et les femmes en mal d’être
Contre l’enfant trop clair et contre ses désirs

D’astre en astre ma violence
A fait justice des vertus
Qui pourrissaient dans l’égoïsme
Ma tête s’est révélée nue
Je ne savais pas simuler
Ni figurer une statue
Qui ne soit pas dans tout l’espace

La verdure au gré de la mer
Et des forêts et de l’aurore
Au gré des vagues et des feuilles
Et de la minime lueur
Qui pénètre dans chaque cœur
Pour le confondre et l’augmenter
Dissipe la nuit et l’hiver

Et d’évidence en évidence
Je parle en témoin éclairé
Et la trame me paraît douce
De ce que je couvre de vie
Le mal est vain et la mort vide
Douter est une comédie
Que l’on se joue pour mieux sauter

Et mon regard pourtant connaît la parenté
Et le monde déduit de ce qu’il fut toujours
Il prend feu sans détruire il a tous les mérites
Il entraîne la femme au-delà de son rythme
Il entraîne l’enfant au-delà du vieillard
En route les cailloux effeuillés sont les pierres
De la ville amassée où chacun a son frère

J’entends ce soir j’entends encore dans ma fièvre
Un cri réel d’enfant robuste et bienheureux
Une plainte de femme exquise et souveraine
Un appel d’homme au fond de la vérité même
Et je répète un rêve qui me vient de loin
Voir clair et parler clair régner dans l’éternel
Moi qui n’ai jamais pu m’assombrir qu’un instant

Je sais que si je dis le bien je veux le bien
Sur l’heure et pour toujours je dis je veux le miel
Et l’ondulation du miel comme des blés
Se propage à mon souffle et ses rides ardentes
M’accordent le pouvoir de ne rien abjurer
J’espère j’ai pu vaincre ma naissance obscure
Le fait de commencer n’est qu’une illusion

Le réel table
Sur le réel

Et la morale
Sur la morale

Je vis d’un bien nécessaire
Et d’un monde profitable

Je vis d’un élan constant
Arriver est un départ

Vieillir c’est organiser
Sa jeunesse au cours des ans

C’est mûrir mille jeunesses
Par étés et par automnes

Tenir son vol assez haut
Pour que l’aile y ait un but

C’est ruiner l’ombre quotidienne
Sur des sommets perpétuels

C’est faire honneur à l’avenir

Je me répète à la mesure où je suis homme
Et je m’étonne que personne
N’ait pu valablement
Me démentir parler pour moi sans que résonne
Aussitôt plus pure ma voix
Et sans le vouloir j’ai raison
Sans le vouloir je suis de tous les temps

Les mots qui me sont interdits me sont obscurs
Mais les mots qui me sont permis que cachent-ils
Les noms concrets
D’où viennent-ils vers moi
Sur ce flot d’abstractions
Toujours le même
Qui me submerge

En moi si tout est mis au bien
Tout vient du mal et du malheur

Les mots comme les sentiments
Ce n’est pas pour rien qu’on hérite
De l’auréole des victimes
Des cauchemars du désespoir
Et de la haine et de l’angoisse
D’une foule vaincue et lasse
Tombée à la première marche

Le mot maison dans leur ville les pauvres
Sont plus pauvres de leur maison

Le mot fenêtre un mur le bouche

Soleil les papillons s’entassent
Le désert s’infiltre partout

L’eau bouclier crevé d’avance

Les mains esclaves flammes vaines
Travaillent sans savoir pourquoi

Table verrou de l’appétit

Tuiles d’avoir vu rose sous l’azur bien sage
Un enfant se déprave au contact de la nuit

Et sa chair est en loques

Caresse laine sacrifiée
Chemin d’hiver et de vieillesse

Au gué de la rivière on oublie les infirmes

Le mot chambre bolide à jamais dans la boue
Éclatant ressort détendu

Souche calcinée et stérile

Marais bouquet marbré d’odeurs
Grille multipliée du plomb

Fleur fille épaisse des couleurs

Le lit étendard de défaite
Lumière fade verre vide

Le mot miroir où la beauté mendie son pain

Joli rossignol dans la nuit
Ouvre les plaies de l’insomnie

Que la forêt soit ta charpie

Le mot porte cri d’agonie
Calcul pourri de l’évasion

La vague d’où l’on ne sort plus

Le sang d’un homme se répand
En moins d’une heure pour toujours

Le sang d’un homme fait horreur

Le sang d’un homme répond non
À toute question quand il meure

Le mot tremplin surgit des reins de la vipère

Statue monstre d’indifférence
Battant arraché de la cloche

Panorama tout se ramène au plus petit

Le mot façade crépuscule
Pavé suivant l’ordre établi

Aiglon tremblant fils du vertige

Et les toits se couvrent de neige
Ou de chiendent comme des tombes

Les mains heureuses ont trahi

Elles n’ont rien trouvé de bon
Dans la nature ni dans l’homme

Dix doigts c’est trop peu pour comprendre

Pierre insensible puits massif
Où le squelette boit son ombre

Épi scolopendre immobile

Lèvres les ailes d’un moulin
Qui tourne à rebours des désirs

Chaînes faveurs autour des jambes

Le mot pollen comme un crachat
Comme un palais jeté par terre

Orage horloge détraquée

Dures perles séchant sur pied
Feu monnayable des vertus

Tous les yeux dans leur rouille crasse

Le mot marée porte la peste
La musique de l’ennemi

La griffe est un doigt juste sur un clavier faux

L’arbre s’abat le feu s’éteint
Le pont se brise comme un os

La liane se grave en cicatrice ignoble

Le miel encrasse amèrement la ruche morte
La voile j’ai connu qu’elle se couche et flotte

Ainsi j’ai perdu mon élan

Et les premières rides
Ont ficelé ma face

Et j’ai compris

À partir de la nuit
Je renverse le mal j’échafaude l’espoir
En montant sur des ruines

Qu’ai-je jamais pensé dans mon passé sinistre
Qui vaille le matin qui vaille le travail
D’une main courageuse au seuil de la confiance
Et j’apprends à tisser une dentelle d’ailes
Et de salutations à tout ce que je nomme
Pour les temps à venir

Une dentelle au point d’aurore
Crible d’yeux clairs et de claires paroles
Fini de fuir j’avance et je m’anime
De la sève d’un feu lucide
Je jure et mon serment ne peut jamais faillir
Que sinon moi les autres oublieront le mal

Ils seront maîtres d’eux-mêmes
Toujours à leur premier geste
Toujours à leur premier mot
Toujours sans défauts leurs rides
Auront la beauté de l’aube
Quand les yeux ont reposé

Il fallait que je dise tout ce que j’ai dit
Car je viens de moins loin qu’où mes frères iront
Et je veux me survivre
Je veux mourir et vivre par un mot sans bornes
Ce premier mot c’est toi
Toi telle que tu es inaugurant mon ordre

Toi qui joins tout ce qui est vrai
Ma bien-aimée ma bien-aimante
Semblable aux saisons sans regrets
Toi qui me permets d’échapper
À la facilité de vivre
Par des mensonges même au nom de la vertu

Même au nom de la vérité

La vérité c’est liberté
C’est la fleur et le fruit promis
C’est la fécondité par-delà toute faim
Par-delà toute cécité

Statue il n’y a plus qu’une statue sur terre
Elle a le fier maintien de l’homme sur la terre

Un seul toit unit tous les ciels
Chaque maison n’est qu’un caprice

L’horizon borde mes paupières
Par quel miracle aurais-je peur

L’espace est le filet de lait
Qui me nourrit et m’éternise

Panorama j’absorbe au fond d’un puits profond
Le ciel plein jusqu’aux bords de reflets et d’étoiles

L’étoile augmente les étoiles
Nous savons marier les saisons

Nous savons défaire les nœuds
De ce qui n’est que contingences

Les vieilles neiges rajeunissent
Le soleil brille dans nos villes

Notre fenêtre s’écarquille
Jusqu’à refléter l’avenir

Tuiles d’avoir vu rose dans l’exaltation
De l’azur un enfant se disperse et se cherche

Les nuages ne pèsent rien
L’orage nerveux les décoiffe

L’air et l’eau coulent dans nos mains
Comme verdure en notre cœur

Le sang d’un homme est un fuseau
Si serré qu’il n’en finit pas

Je ne me suis jamais fait à l’image exacte
Qu’un miroir me renvoie sans prévoir mes grimaces

Une flèche s’épanouit
De l’arc du lit de la fatigue

Contre la mort la vieille histoire
Dont la gloire s’est effacée

La griffe agrafe l’or fragile
Du clair mirage de sa proie

La liane enlace la foule
L’épi fertilise la foudre

Le miel crispe un faisceau d’aiguilles
Qui cousent la douceur de vivre

La perle morte se divise
En mille perles feux fertiles

La perle parle par l’éclat de sa candeur
Quand donc n’aurai-je plus qu’à me fondre en la mienne

Feux des minutes feux des îles
Au long d’un voyage immobile

D’un grand voyage où nul n’est seul
Où nul n’a peur de son prochain

Routes je suis au pas des hommes les meilleurs
Routes je vais plus loin que ce que j’espérais

Il m’a toujours fallu un seul être pour vivre
Pour exalter les autres

Pierre je ne suis pas de bois
Ma chair est bouillante et vivace

Nos mains sont menées à la danse
Par l’aile et le chant des oiseaux

La table règle l’écriture
Le fin propos la note juste

La table règle la moisson
Comme nos lèvres le plaisir

La marée monte comme l’arbre
Comme nos yeux qui se répandent

La voile fait un pas immense
Puis se gonfle pour tous les vents

Une voile s’en va revient gagne le large
Diminue à ma vue et grandit à l’escale

L’homme navigue et vole il dénoue la distance
Il élude son poids il échappe à la terre

Je peux vivre entre quatre murs
Sans rien oublier du dehors

Chambre de l’ancien temps noyau d’un fruit géant
J’ouvre la porte qui en sort les fous les sages

Tous plus beaux les uns que les autres
Chacun devançant le matin

Tremplin mur renversé de la prison des pauvres
Libres les pauvres se confondent

Ils ont tous la même richesse
Pour s’entr’aimer plus près d’eux-mêmes

Pour s’entr’aider le seul poème
Vraiment rythmé vraiment rimé

Chacun a découvert son bien
Et le bien de tous est sans ombre

Il nous suffit d’être chacun pour être tous
D’être soi-même pour nous sentir entre nous

D’être sages pour être fous
Et d’être fous pour être sages

Viens à côté de moi toi qui passais au large
Je m’approche de toi moi qui sors de la foule

D’une caresse au seuil de notre nudité
L’univers s’impose subtil

D’une caresse au seuil de nos premiers baisers
Nous passons aux plus fines branches

Un amour qui n’a pas de but
Sinon la vie sans différences

L’extase en est légère à nos sens rassemblés
Comme l’aube à nos rêves

À nos sens rassemblés

Il nous faut voir toucher sentir goûter entendre
Pour allumer un feu sous le ciel blanc et bleu
Toujours le premier feu l’étoile sur la terre
Et la première fleur dans notre corps naissant

Sens de tous les instants

Il nous faut voir ne pas voir noir être confiant
Et de la vue sauvage faire une lumière
Sans fumée et sans cruauté
Tu la respires et ton souffle me libère

Mes yeux ont su te sourire

J’ai rempli la coupe d’eau
J’ai rempli la plaine d’hommes
Je me suis comblé d’aurore
Et de sang j’ai vu en moi

Voir se limite à la paume
Des orbites golfe idéal
Rose haute de la marée
Tous mes désirs abreuvés
Rose avouée en pleurant

Apprends à tout me dire je peux tout entendre
Ta pensée est sans honte pense à haute voix

Silence la merveille simple
Et de fil en aiguille
Tout s’est épanoui
Le vent obscurément nettoie
La mer et le soleil
Ton souffle gonfle mes réponses
Entends le vent je sais ce que tu dis
Et je me lie aux bruits qui te font vivre
Sur une route où l’écho bat dans tous les cœurs
Malgré la porte et les volets fermés
Ma timide écoutons le tonnerre des bruits
Et les muets cherchant à dissiper leur nuit
Écoutons ce qui dort en nous d’inexprimé

Franchissons nos limites

J’étais loin j’avais faim j’avais soif d’un contact

Te toucher ressemblait aux terres fécondées
Aux terres épuisées
Par l’effort des charrues des pluies et des étés
Te toucher composait un visage de feuilles
Un corps d’herbes un corps couché dans un buisson
Ta main m’a protégé des orties et des ronces
Mes caresses fondaient mes rêves en un seul
Clairvoyant et aveugle un rêve de durée

Car je te touchais mieux la nuit

J’étais sauvé

D’avoir goûté le ciel la terre et la marée
Senti le sang la peau la gelée et le foin
D’avoir tout entendu touché je me montrais
Je respirais me colorais marchais parlais
Et me reproduisais

D’avoir vu clair en plein midi j’acceptais l’ombre
Je savais diviser et grouper les étoiles
Et les actes des hommes
Je savais être moins et bien plus que moi-même
Mes cinq sens faisaient place à l’imagination

L’imagination laisse à penser           
Que nous possédons un sixième sens.

Les cinq sens confondus c’est l’imagination
Qui voit qui sent qui touche qui entend qui goûte
Qui prolonge l’instinct qui précise les routes
Du désir ambitieux
Je sais la vérité dès que je l’imagine
Le mal étant à vaincre

J’imagine je vois le dessous le dessus
D’un pont qui joint les hommes
D’un pont qui joint les mondes
Je vois la rose sourdre d’une pierre morne
La panthère atterrir au-delà du désordre
Des rochers et des ronces

Je vois l’enfant pétrir le pain de l’avenir
La femme dans la paix de son cœur s’offrir nue
Ou bien vêtue de tout
J’imagine l’écho du premier cri d’espoir
Le premier feu passant d’une main à une autre
Le dernier mot des fous

Les fruits ont la saveur de l’aube associée
Aux lèvres des plus fraîches sources
J’imagine et j’en perds le souffle
Que rayonne un arc de concorde
Des plus hauts besoins des esclaves
À la force qui les délivre

Je vois ce monde tel qu’il fut dans ses vitrines
Figé prudent et puis il roule dans la rue
Il éclabousse les pavés
Il glisse à la passion des terres cultivées
Comme un sein débridé par des mains appliquées
Je suis fait pour boire son lait j’en ai le droit

Je vois ce monde qui n’est pas mais qui sera
Ce monde qui a tout pour lui
Il a la mère il a la graine
Il sait construire des palais
Il sait ce qui est inutile
Ses chaînes tiennent à un fil

Demain je ne périrai pas
Demain je suis mon enchanteur
Demain le feu baise mes pas
Et la sécheresse renonce
La rosée de mon cœur éclaire
Ce qu’aucun homme n’a pu voir

Mais tout n’a pas été si facile ni gai

Et je veux dire ce qui est à cet instant
Où tout à tout jamais semble buter sur l’ombre
L’enfant pâlit terriblement devant son père
L’enfant ne lutte pas n’a pas le torse nu
Ni les poings pétrifiés ni le cœur endurci
Ni les yeux éduqués ni la parole faite

Sa chaleur maigre et glabre
N’alimente pas le foyer
Et puisqu’il est sans créatures
Il se rêve sans créateur

Je vois un lac très fin qui s’éveille trop tôt
J’oublie vite la masse de la sympathie
J’ai trente-six façons de ne rien annoncer
Puisqu’hier j’étais jeune aujourd’hui je suis jeune

Je ne veux pas grandir je ne veux rien apprendre
Ma forge est plus fragile que ses étincelles
Je m’exprime par bonds sans savoir où je vais
Quand je me sens perdu enfin je me repose

Comme un désert inexploré
L’enfant pâlit terriblement

Ai-je jamais été enfant
Moi qui peux parler de l’enfance
Comme je parle de la mort

J’invente mon enfance et j’invente la mort
Passant je m’asphyxie d’être naissant mourant
Et je cherche à me joindre ailleurs à une autre heure

Où ai-je commencé quelle fin franchirai-je
Je refuse l’instant qui me prouve semblable
À toutes mes images faites ou défaites

Je n’ai pas été jeune et je ne mourrai pas

La joie de vivre est un fruit mûr
Que le soleil glace de sucre

Et le printemps est dans l’hiver
Et sur ma mémoire ensablée

Mirage passe un appel d’air
Plénitude plane un oiseau

Je souffre de ne pas savoir
Quand je suis né quand je mourrai
Je souffre d’être sans limites
Je confonds hier et demain
Mes soirs mes matins sont changeants
Je me perds et je m’éternise
Au carrefour de leurs reflets

Je ne suis pas comme une plante
Pendu au temps qu’il fait

Je ne suis pas comme un insecte
Absorbé par le sol

Quand je vole je vais plus droit
Que la mouette ou l’hirondelle

D’un fer pesant d’un fer ardent
Je repasse les plis du vent

Je n’ai vraiment plus besoin d’ailes
Pour calciner ma pesanteur

Et je peux creuser dans la terre
Des puits plus musclés que ma force

Et je peux tirer de mon cœur
Le temps d’être toujours meilleur

Je vis à l’échelle de tous
Ce qui me manque un autre l’a

Chacun sait lire de confiance
La loi qui ne courbe personne

Je prends n’importe quel visage
Comme une goutte d’apparence

Pour animer tous les visages
Et pour commencer par un seul

Je construis l’amour au sommet
D’un univers porteur d’espoir

Nous sommes l’un et l’autre au jour
Pour n’en jamais finir d’aimer

Pour ne plus jamais renoncer
À la fraternité

Pourtant ce monde est petit
Petit comme une journée

Petit comme un nom banal
Comme une feuille d’automne

L’enfant dans l’épicerie
Répète ses commissions

Et puis il compte ses sous
L’amant pense à son travail

Le savant pense à son train
L’ouvrier à l’hôpital

La rue passe son chiffon
Sur les pas des hommes las

Le poète veut manger
La putain veut réussir

Une hache va tomber
Sur le cou des condamnés

Le héros est privé d’armes
La mère est lasse à mourir

Le sommeil les réunit
L’aube les éveille à peine

La fatigue les dissout
La misère les sépare

Je vois le dos d’un manteau gris
Dans une rue très basse sous la pluie

Je vois des pygmées sans conscience
Saluer leurs drapeaux en priant

Je vois des soldats dans la boue
Saluer les balles de la tête

Je vois les maisons démolies
Comme à plaisir pour une fête

Je vois un ventre ouvert en grand
Aux mouches au soleil pourri

Je vois les mains estropiées
Des vieillards menés à l’asile

Je vois des beautés inutiles
S’éteindre dans la nuit du doute

Et les fleurs sont artificielles
Et la terre devient stérile

Et je devrais bientôt me taire

Pourtant si je suis sur la terre
C’est que d’autres y sont aussi
Qui comme moi ont bégayé
Quand nous n’étions tout à fait muets

Il faut leur rendre la parole
Ils ont avalé le poison
Maudit leur mère et leur misère
Sans rien connaître d’exaltant

Il ne faut promettre et donner
La vie que pour la perpétuer
Comme on perpétue une rose
En l’encerclant de mains heureuses.



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