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Poème: ” Défense des fables dans la poésie. Imitation du latin” de Pierre Corneille

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Les victoires du Roi, sur les États de Hollande, en l’année M.DC.LXXII > > >


 Défense des fables dans la poésie. Imitation du latin

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Qu’on fait d’injure à l’art de lui voler la fable !
C’est interdire aux vers ce qu’ils ont d’agréable,
Anéantir leur pompe, éteindre leur vigueur,
Et hasarder la Muse à sécher de langueur.
Ô vous qui prétendez qu’à force d’injustices
Le vieil usage cède à de nouveaux caprices,
Donnez-nous par pitié du moins quelques beautés
Qui puissent remplacer ce que vous nous ôtez ;
Et ne nous livrez pas aux tons mélancoliques
D’un style estropié par de vaines critiques.
Quoi ? bannir des enfers Proserpine et Pluton ?
Dire toujours le diable, et jamais Alecton ?
Sacrifier Hécate et Diane à la Lune,
Et dans son propre sein noyer le vieux Neptune ?
Un berger chantera ses déplaisirs secrets
Sans que la triste Écho répète ses regrets ?
Les bois autour de lui n’auront point de dryades ?
L’air sera sans zéphyrs, les fleuves sans naïades,
Et par nos délicats les faunes assommés
Rentreront au néant dont on les a formés ?
Pourras-tu, dieu des vers, endurer ce blasphème,
Toi qui fis tous ces dieux, qui fis Jupiter même ?
Pourras-tu respecter ces nouveaux souverains
Jusqu’à laisser périr l’ouvrage de tes mains ?
Ô digne de périr, si jamais tu l’endures !
D’un si mortel affront sauve tes créatures ;
Confonds leurs ennemis, insulte à leurs tyrans ;
Fais-nous, en dépit d’eux, garder nos premiers rangs ;
Et retirant ton feu de leurs veines glacées,
Laisse leurs vers sans force, et leurs rimes forcées.
« La fable en nos écrits, disent-ils, n’est pas bien ;
La gloire des païens déshonore un chrétien. »
L’Église toutefois, que l’Esprit saint gouverne,
Dans ses hymnes sacrés nous chante encor l’Averne,
Et par le vieil abus le Tartare inventé
N’y déshonore point un Dieu ressuscité.
Ces rigides censeurs ont-ils plus d’esprit qu’elle,
Et font-ils dans l’Église une Église nouvelle ?
Quittons cet avantage, et ne confondons pas
Avec des droits si saints de profanes appas.
L’œil se peut-il fixer sur la vérité nue ?
Elle a trop de brillant pour arrêter la vue ;
Et telle qu’un éclair qui ne fait qu’éblouir,
Elle échappe aussitôt qu’on présume en jouir.
La fable, qui la couvre, allume, presse, irrite
L’ingénieuse ardeur d’en voir tout le mérite :
L’art d’en montrer le prix consiste à le cacher,
Et sa beauté redouble à se faire chercher.
Otez Pan et sa flûte, adieu les pâturages ;
Otez Pomone et Flore, adieu les jardinages ;
Des roses et des lis le plus superbe éclat,
Sans la fable, en nos vers, n’aura rien que de plat.
Qu’on y peigne en savant une plante nourrie
Des impures vapeurs d’une terre pourrie,
Le portrait plaira-t-il, s’il n’a pour agrément
Les larmes d’une amante ou le sang d’un amant ?
Qu’aura de beau la guerre, à moins qu’on y crayonne
Ici le char de Mars, là celui de Bellone ;
Que la Victoire vole, et que les grands exploits
Soient portés en tous lieux par la Nymphe à cent voix ?
Qu’ont la terre et la mer, si l’on n’ose décrire
Ce qu’il faut de tritons à pousser un navire,
Cet empire qu’Éole a sur les tourbillons,
Bacchus sur les coteaux, Cérès sur les sillons ?
Tous ces vieux ornements, traitez-les d’antiquailles :
Moi, si je peins jamais Saint-Germain ou Versailles,
Les nymphes, malgré vous, danseront tout autour ;
Cent demi-dieux follets leur parleront d’amour ;
Du satyre caché les brusques échappées
Dans les bras des sylvains feront fuir les napées ;
Et si je fais ballet pour l’un de ces beaux lieux,
J’y ferai, malgré vous, trépigner tous les Dieux.
Vous donc, encore un coup, troupe docte et choisie,
Qui nous forgez des lois à votre fantaisie,
Puissiez-vous à jamais adorer cette erreur
Qui pour tant de beautés inspire tant d’horreur,
Nous laisser à jamais ces charmes en partage,
Qui portent les grands noms au delà de notre âge ;
Et si le vôtre atteint quelque postérité,
Puisse-t-il n’y traîner qu’un vers décrédité !



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