Premières Poésies
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Le Saule
***
FRAGMENT
I
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Il se fit tout à coup le plus profond silence,
Quand Georgina Smolen se leva pour chanter.
Miss Smolen est très-pâle. — Elle arrive de France,
Et regrette le sol qu’elle vient de quitter.
On dit qu’elle a seize ans. — Elle est Américaine ;
Mais dans ce beau pays dont elle parle à peine,
Jamais deux yeux plus doux n’ont du ciel le plus pur
Sondé la profondeur et réfléchi l’azur.
Faible et toujours souffrante, ainsi qu’un diadème
Elle laisse à demi, sur son front orgueilleux,
En longues tresses d’or tomber ses blonds cheveux,
Elle est de ces beautés dont on dit qu’on les aime
Moins qu’on ne les admire ; — un noble, un chaste cœur ; —
La volupté, pour mère, y trouva la pudeur.
Bien que sa voix soit douce, elle a sur le visage,
Dans les gestes, l’abord, et jusque dans ses pas,
Un signe de hauteur qui repousse l’hommage,
Soit tristesse ou dédain, mais qui ne blesse pas.
Dans un âge rempli de crainte et d’espérance,
Elle a déjà connu la triste indifférence,
Cette fille du temps. — Qui pourrait cependant
Se lasser d’admirer ce front triste et charmant
Dont l’aspect seul éloigne et guérit toute peine ?
Tant sont puissants, hélas ! sur la misère humaine
Ces deux signes jumeaux de paix et de bonheur,
Jeunesse de visage et jeunesse de cœur !
Chose étrange à penser, il paraît difficile
Au regard le plus dur et le plus immobile
De soutenir le sien. — Pourquoi ? Qui le dira ?
C’est un mystère encor. — De ce regard céleste
L’atteinte, allant au cœur, est sans doute funeste,
Et devra coûter cher à qui la recevra.
Miss Smolen commença ; — l’on ne voyait plus qu’elle.
On connaît ce regard qu’on veut en vain cacher,
Si prompt, si dédaigneux, quand une femme est belle !…
Mais elle ne parut le fuir ni le chercher.
Elle chanta cet air qu’une fièvre brûlante
Arrache, comme un triste et profond souvenir,
D’un cœur plein de jeunesse et qui se sent mourir ;
Cet air qu’en s’endormant Desdemona tremblante,
Posant sur son chevet son front chargé d’ennuis,
Comme un dernier sanglot soupire au sein des nuits.
D’abord ses accents purs, empreints d’une tristesse
Qu’on ne peut définir, ne semblèrent montrer
Qu’une faible langueur, et cette douce ivresse
Où la bouche sourit et les yeux vont pleurer.
Ainsi qu’un voyageur couché dans sa nacelle,
Qui se laisse au hasard emporter au courant,
Qui ne sait si la rive est perfide ou fidèle,
Si le fleuve à la fin devient lac ou torrent ;
Ainsi la jeune fille, écoutant sa pensée,
Sans crainte, sans effort, et par sa voix bercée,
Sur les flots enchantés du fleuve harmonieux
S’éloignait du rivage en regardant les cieux…
Quel charme elle exerçait ! Comme tous les visages
S’animaient tout à coup d’un regard de ses yeux !
Car, hélas ! que ce soit, la nuit dans les orages,
Un jeune rossignol pleurant au fond des bois,
Que ce soit l’archet d’or, la harpe éolienne,
Un céleste soupir, une souffrance humaine,
Quel est l’homme, aux accents d’une mourante voix,
Qui, lorsque pour entendre il a baissé la tête,
Ne trouve dans son cœur, même au sein d’une fête,
Quelque larme à verser, — quelque doux souvenir
Qui s’allait effacer et qu’il sent revenir ?
Déjà le jour s’enfuit, — le vent souffle, — silence !
La terreur brise, étend, précipite les sons.
Sous les brouillards du soir le meurtrier s’avance,
Invisible combat de l’homme et des démons !
À l’action, Iago ! Cassio meurt sur la place.
Est-ce un pêcheur qui chante, est-ce le vent qui passe ?
Écoute, moribonde ! Il n’est pire douleur
Qu’un souvenir heureux dans les jours de malheur.
Mais, lorsqu’au dernier chant la redoutable flamme
Pour la troisième fois vient repasser sur l’âme
Déjà prête à se fondre, et que dans sa frayeur
Elle presse en criant sa harpe sur son cœur…
La jeune fille alors sentit que son génie
Lui demandait des sons que la terre n’a pas ;
Soulevant par sanglots des torrents d’harmonie,
Mourante, elle oubliait l’instrument dans ses bras.
Ô Dieu ! mourir ainsi jeune et pleine de vie…
Mais tout avait cessé, le charme et les terreurs,
Et la femme en tombant ne trouva que des pleurs.
Pleure, le ciel te voit ! — pleure, fille adorée !
Laisse une douce larme au bord de tes yeux bleus
Briller, en s’écoulant, comme une étoile aux cieux !
Bien des infortunés dont la cendre est pleurée
Ne demandaient pour vivre et pour bénir leurs maux
Qu’une larme — une seule — et de deux yeux moins beaux !
Échappant aux regards de la foule empressée,
Miss Smolen s’éloignait, la rougeur sur le front ;
Sur le bord du balcon elle resta penchée.
Oh ! qui l’a bien connu, ce mouvement profond,
Ce charme irrésistible, intime, auquel se livre
Un cœur dans ces moments de lui-même surpris,
Qu’aux premiers battements un doux mystère enivre,
Jeune fleur qui s’entr’ouvre à la fraîcheur des nuits !
Fille de la douleur, harmonie ! harmonie !
Langue que pour l’amour inventa le génie !
Qui nous vins d’Italie, et qui lui vins des cieux ;
Douce langue du cœur, la seule où la pensée,
Cette vierge craintive et d’une ombre offensée,
Passe en gardant son voile, et sans craindre les yeux !
Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire
Dans les soupirs divins nés de l’air qu’il respire,
Tristes comme son cœur, et doux comme sa voix ?
On surprend un regard, une larme qui coule ;
Le reste est un mystère ignoré de la foule,
Comme celui des flots, de la nuit et des bois !…
Oh ! quand tout a tremblé, quand l’âme tout entière
Sous le démon divin se sent encor frémir,
Pareille à l’instrument qui ne peut plus se taire,
Et qui d’avoir chanté semble longtemps gémir…
Et quand la faible enfant, que son délire entraîne,
Mais qui ne sait d’amour qui ce qu’elle en rêva,
Vient à lever les yeux… la belle Américaine,
Qui dérobait les siens, enfin les souleva.
Sur qui ? — Bien des regards, ainsi qu’on peut le croire,
Comme un regard de reine avaient cherché le sien,
Que de fronts orgueilleux qui s’en seraient fait gloire !
Sur qui donc ? — Pauvre enfant, le savait-elle bien ?
Ce fut sur un jeune homme à l’œil dur et sévère,
Qui la voyait venir et ne la cherchait pas ;
Qui, lorsqu’elle emportait une assemblée entière,
N’avait pas dit un mot, ni fait vers elle un pas.
Il était seul, debout : — un étrange sourire ; —
Sous de longs cheveux blonds des traits efféminés ; —
À ceux qui l’observaient son regard semblait dire :
On ne vous croira pas si vous me devinez.
Son costume annonçait un fils de l’Angleterre ;
Il est, dit-on, d’Oxford. — Né dans l’adversité,
Il habite le toit que lui laissa son père,
Et prouve un noble sang par l’hospitalité.
Il se nomme Tiburce.
On dit que la nature
A mis dans sa parole un charme singulier,
Mais surtout dans ses chants, — que sa voix triste et pure
A des sons pénétrants qu’on ne peut oublier.
Mais, à compter du jour où mourut son vieux père,
Quoi qu’on fît pour l’entendre, il n’a jamais chanté.
D’où la connaissait-il ? ou quel secret mystère
Tient sur cet étranger son regard arrêté ?
Quel souvenir ainsi les met d’intelligence ?
S’il la connaît, pourquoi ce bizarre silence ?
S’il ne la connaît pas, pourquoi cette rougeur ?
On ne sait. — Mais son œil rencontra l’œil timide
De la vierge tremblante, et le sien plus rapide
Sembla comme une flèche aller chercher le cœur.
Ce ne fut qu’un éclair. L’invisible étincelle
Avait jailli de l’âme, et Dieu seul l’avait vu !
Alors, baissant la tête, il s’avança vers elle,
Et lui dit : « M’aimes-tu, Georgette, m’aimes-tu ? »
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