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Poème “Le Travail Du Poète” de Paul Éluard

Ajouts De L’édition De 1946

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Le Travail Du Poète

***

à Guillevic.

I
 

Les belles manières d’être avec les autres
Sur l’herbe pelée en été
Sous des nuages blancs

Les belles manières d’être avec les femmes
Dans une maison grise et chaude
Sous un drap transparent

Les belles manières d’être avec soi-même
Devant la feuille blanche

Sous la menace d’impuissance
Entre deux temps et deux espaces

Entre l’ennui et la manie de vivre

II
 

Qu’êtes-vous venu prendre
Dans la chambre familière

Un livre qu’on n’ouvre jamais

Qu’êtes-vous venu dire
À la femme indiscrète

Ce qu’on ne peut pas répéter

Qu’êtes-vous venu voir
Dans ce lieu bien en vue

Ce que voient les aveugles

III
 

La route est courte
On arrive bien vite
Aux pierres de couleur
Puis
À la pierre vide

On arrive bien vite
Aux mots égaux
Aux mots sans poids
Puis
Aux mots sans suite

Parler sans avoir rien à dire
On a dépassé l’aube
Et ce n’est pas le jour
Et ce n’est pas la nuit
Rien c’est l’écho d’un pas sans fin

IV
 

Une année un jour lointains
Une promenade le cœur battant
Le paysage prolongeait
Nos paroles et nos gestes
L’allée s’en allait de nous
Les arbres nous grandissaient
Et nous calmions les rochers

C’est bien là que nous fûmes
Réglant toute chaleur
Toute clarté utile
C’est là que nous chantâmes
Le monde était intime
C’est là que nous aimâmes

Une foule nous précéda

Une foule nous suivit
Nous parcourut en chantant
Comme toujours quand le temps
Ne compte plus ni les hommes
Et que le cœur se repent
Et que le cœur se libère

V
 

Il y a plus longtemps encore
J’ai été seul
Et j’en frémis encore

Ô solitude simple
Ô négatrice du hasard charmant
J’avoue t’avoir connue

J’avoue avoir été abandonné
Et j’avoue même
Avoir abandonné ceux que j’aimais

Au cours des années tout s’est ordonné
Comme un ensemble de lueurs
Sur un fleuve de lumière
Comme les voiles des vaisseaux
Dans le beau temps protecteur

Comme les flammes dans le feu
Pour établir la chaleur

Au cours des années je t’ai retrouvée
Ô présence indéfinie
Volume espace de l’amour

Multiplié

VI
 

Je suis le jumeau des êtres que j’aime
Leur double en nature la meilleure preuve
De leur vérité je sauve la face
De ceux que j’ai choisis pour me justifier

Ils sont très nombreux ils sont innombrables
Ils vont par les rues pour eux et pour moi
Ils portent mon nom je porte le leur
Nous sommes les fruits semblables d’un arbre

Plus grand que nature et que toutes les preuves

VII
 

Je sais parce que je le dis
Que mes désirs ont raison
Je ne veux pas que nous passions
À la boue
Je veux que le soleil agisse
Sur nos douleurs qu’il nous anime
Vertigineusement
Je veux que nos mains et nos yeux
Reviennent de l’horreur ouvertes pures

Je sais parce que je le dis
Que ma colère a raison
Le ciel a été foulé la chair de l’homme
A été mise en pièces
Glacée soumise dispersée

Je veux qu’on lui rende justice
Une justice sans pitié
Et que l’on frappe en plein visage les bourreaux
Les maîtres sans racines parmi nous

Je sais parce que je le dis
Que mon désespoir a tort
Il y a partout des ventres tendres
Pour inventer des hommes
Pareils à moi
Mon orgueil n’a pas tort
Le monde ancien ne peut me toucher je suis libre
Je ne suis pas un fils de roi je suis un homme
Debout qu’on a voulu abattre



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