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Littérature française – Livres bilingues – Contes de fées et Livres d’enfants – Poésie Française – Pierre Corneille – Poèmes de Pierre Corneille
< < < Défense des fables dans la poésie. Imitation du latin
Sur la prise de Mastric > > >
Les victoires du Roi, sur les États de Hollande, en l’année M.DC.LXXII. Par P. Corneille [Traduit du latin du P. de la Rue.]
***
Les douceurs de la paix, et la pleine abondance
Dont ses tranquilles soins comblent toute la France,
Suspendoient le courroux du plus grand de ses rois.
Ce courroux sûr de vaincre, et vainqueur tant de fois,
Vous l’aviez éprouvé, Flandre, Hainaut, Lorraine ;
L’Espagne et sa lenteur n’en respiroient qu’à peine ;
Et ce triomphe heureux sur tant de nations
Sembloit mettre une borne aux grandes actions.
Mais une si facile et si prompte victoire
Pour le victorieux n’a point assez de gloire :
Amoureux des périls et du pénible honneur,
Il ne sauroit goûter ce rapide bonheur ;
Il ne sauroit tenir pour illustres conquêtes
Des murs qui trébuchoient sans écraser de têtes,
Des forts avant l’attaque entre ses mains remis,
Ni des peuples tremblants pour justes ennemis.
Au moindre souvenir qui peigne à sa vaillance
Chez tant d’autres vainqueurs la fortune en balance,
Les triomphes sanglants et longtemps disputés,
Il voit avec dédain ceux qu’il a remportés :
Sa gloire, inconsolable après ces hauts exemples,
Brûle d’en faire voir d’égaux ou de plus amples ;
Et jalouse du sang versé par ces guerriers,
Se reproche le peu que coûtent ses lauriers.
Pardonne, grand Monarque, à ton destin propice :
Il va de ses faveurs corriger l’injustice,
Et t’offre un ennemi fier, intrépide, heureux,
Puissant, opiniâtre, et tel que tu le veux.
Sa fureur se fait craindre aux deux bouts de la terre :
Au levant, au couchant elle a porté la guerre ;
L’une et l’autre Java, la Chine et le Japon
Frémissent à sa vue et tremblent à son nom :
C’est ce jaloux ingrat, cet insolent Batave,
Qui te doit ce qu’il est et hautement te brave ;
Il te déchire, il arme, il brigue contre toi,
Comme s’il n’aspiroit qu’à te faire la loi.
Ne le regarde point dans sa basse origine,
Confiné par mépris aux bords de la marine :
S’il n’y fit autrefois la guerre qu’aux poissons,
S’il n’y connut le fer que par ses hameçons,
Sa fierté, maintenant au-dessus de la roue
Méconnoît ses aïeux qui rampoient dans la boue.
C’est un peuple ennobli par cent fameux exploits,
Qui ne veut adorer ni vivre qu’à son choix ;
Un peuple qui ne souffre autels ni diadèmes,
Qui veut borner les rois et les régler eux-mêmes ;
Un peuple enflé d’orgueil et gorgé de butin,
Que son bras a rendu maître de son destin ;
Pirate universel, et pour gloire nouvelle
Associé d’Espagne, et non plus son rebelle.
Sur ce digne ennemi venge le ciel et toi :
Venge l’honneur du sceptre, et les droits de la foi.
Tant d’illustres fureurs, tant d’attentats célèbres
L’ont fait assez gémir chez lui dans les ténèbres :
Romps les fers qu’elle y traîne, et rends-lui le plein jour ;
Règne, et fais-y régner le vrai culte à son tour.
Ce grand prince m’écoute, et son ardeur guerrière
Le jette avidement dans cette âpre carrière,
La juge avantageuse à montrer ce qu’il est ;
Et plus la course est rude, et plus elle lui plaît.
Il s’oppose déjà des troupes formidables,
Des Ostendes, trois ans à tout autre imprenables,
Des fleuves teints de sang, des champs semés de corps,
Cent périls éclatants et mille affreuses morts ;
Car enfin d’un tel peuple, à lui rendre justice,
Après une si longue et si dure milice,
Après un siècle entier perdu pour le dompter,
Quelle plus foible image ose se présenter ?
Des orageux reflux d’une mer écumeuse,
Des trois canaux du Rhin, de l’Yssel, de la Meuse,
De ce climat jadis si fatal aux Romains,
Et qui défie encor tous les efforts humains,
De ces flots suspendus où l’art soutient des rives
Pour noyer les vainqueurs dans les plaines captives,
De cent bouches partout si prêtes à tonner,
Qui peut se former l’ombre et ne pas s’étonner ?
Si ce peuple au secours attire l’Allemagne,
S’il joint le Mein au Tage, et l’Empire à l’Espagne,
S’il fait au Dannemarc craindre pour ses deux mers,
Si contre nous enfin il ligue l’univers,
Que sera-ce ? Mon roi n’en conçoit point d’alarmes :
Plus l’orage grossit, plus il y voit de charmes ;
Son ardeur s’en redouble, au lieu de s’arrêter ;
Il veut tout reconnoître et tout exécuter,
Et présentant le front à toute la tempête,
Agir également du bras et de la tête.
La même ardeur de gloire emporte ses sujets :
Chacun veut avoir part à ses nobles projets ;
Chacun s’arme, et la France, en guerriers si féconde,
Jamais sous ses drapeaux ne rangea tant de monde.
L’Anglois couvre pour nous la mer de cent vaisseaux ;
Cologne après Munster nous prête ses vassaux :
Ces prélats, pour marcher contre des sacrilèges,
De leur sacré repos quittent les privilèges,
Et pour les intérêts d’un Dieu leur souverain
Se joignent à nos lis, le tonnerre à la main.
Cependant la Hollande entend la Renommée
Publier notre marche et vanter notre armée.
Le nautonier brutal et l’artisan sans cœur
Déjà de sa défaite osent se faire honneur :
Cette âme du parti, cet Amstredam, qu’on nomme
Le magasin du monde et l’émule de Rome,
Pour se flatter d’un sort à ce grand sort égal,
S’imagine à sa porte un second Annibal ;
S’y figure un Pyrrhus, un Jugurthe, un Persée ;
Et sur ces rois vaincus promenant sa pensée,
S’applique tous ces temps où les moindres bourgeois
Dans Rome avec mépris regardoient tous les rois :
Comme si son trafic et des armes vénales
Lui pouvoient faire un cœur et des forces égales.
Voyons, il en est temps, fameux républicains,
Nouveaux enfants de Mars, rivaux des vieux Romains,
Tyrans de tant de mers, voyons de quelle audace
Vous détachez du toit l’armet et la cuirasse,
Et rendez le tranchant à ces glaives rouillés
Que du sang espagnol vos pères ont souillés.
Juste ciel ! me trompé-je ? ou si déjà la guerre
Sur les deux bords du Rhin fait bruire son tonnerre ?
Condé presse Vesel, tandis qu’avec mon roi
Le généreux Philippe assiège et bat Orsoi ;
Ce monarque avec lui devant Rhimbergue tonne,
Et Turenne promet Buric à sa couronne.
Quatre sièges ensemble, où les moindres remparts
Ont bravé si longtemps nos modernes Césars,
Où tout défend l’abord (qui l’auroit osé croire ?),
Mon prince ne s’en fait qu’une seule victoire.
Sous tant de bras unis il a peur d’accabler,
Et les divise exprès pour faire moins trembler ;
Il s’affoiblit exprès pour laisser du courage ;
Pour faire plus d’éclat il prend moins d’avantage ;
Et n’envoyant partout que des partis égaux,
Il cherche à voir partout répondre à ses assauts.
Que te sert, ô grand Roi, cette noble contrainte ?
Partager tes drapeaux, c’est partager la crainte,
L’épandre en plus de lieux, et faire sous tes lois
Tomber plus de remparts et de peuple à la fois.
Pour t’affoiblir ainsi, tu n’en deviens pas moindre ;
Ta fortune partout sait l’art de te rejoindre :
L’effet est sûr au bras dès que ton cœur résout ;
Tu ne bats qu’une place, et tes soins vont partout :
Partout on croit te voir, partout on t’appréhende,
Et tes ordres font tout, quelque chef qui commande.
Ainsi tes pavillons à peine sont plantés,
À peine vers les murs les canons sont pointés,
Que l’habitant s’effraye, et le soldat s’étonne :
Un bastion le couvre, et le cœur l’abandonne ;
Et le front menaçant de tant de boulevarts,
De tant d’épaisses tours qui flanquent ses remparts,
Tant de foudres d’airain, tant de masses de pierre,
Tant de munitions et de bouche et de guerre,
Tant de larges fossés qui nous ferment le pas,
Pour tenir quatre jours ne lui suffisent pas.
L’épouvante domine, et la molle prudence
Court au-devant du joug avec impatience
Se donne à des vainqueurs que rien n’a signalés,
Et leur ouvre des murs qu’ils n’ont pas ébranlés.
Misérables ! quels lieux cacheront vos misères
Où vous ne trouviez pas les ombres de vos pères,
Qui morts pour la patrie et pour la liberté
Feront un long reproche à votre lâcheté ?
Cette noble valeur autrefois si connue,
Cette digne fierté, qu’est-elle devenue ?
Quand sur terre et sur mer vos combats obstinés
Brisoient les rudes fers à vos mains destinés,
Quand vos braves Nassaus, quand Guillaume et Maurice,
Quand Henri vous guidoit dans cette illustre lice
Quand du sceptre danois vous paroissiez l’appu],
N’aviez-vous que les cœurs et les bras d’aujourd’hui ?
Mais n’en réveillons point la mémoire importune :
Vous n’êtes pas les seuls, l’habitude est commune.
Et l’usage n’est plus d’attendre sans effroi
Des François animés par l’aspect de leur roi.
Il en rougit pour vous, et lui-même il a honte
D’accepter des sujets que le seul effroi dompte ;
Et vainqueur malgré lui sans avoir combattu,
Il se plaint du bonheur qui prévient sa vertu.
Peuples, l’abattement que vous faites connoître
Ne fait pas bien sa cour à votre nouveau maître :
Il veut des ennemis, et non pas des fuyards
Que saisit l’épouvante à nos premiers regards ;
Il aime qu’on lui fasse acheter la victoire :
La disputer si mal, c’est envier sa gloire ;
Et ce tas de captifs, cet amas de drapeaux
Ne font qu’embarrasser ses projets les plus beaux.
Console-t’en, mon Prince : il s’ouvre une autre voie
À te combler de gloire aussi bien que de joie ;
Si ce peuple à l’effroi se laisse trop dompter,
Ses fleuves ont des flots à moins s’épouvanter.
Ils ont fait aux Romains assez de résistance
Pour en espérer une en faveur de la France ;
Et ces bords où jamais l’aigle ne fit la loi
S’oseront quelque temps défendre contre toi.
À ce nouveau projet le monarque s’enflamme,
Il l’examine, tâte, et résout en son âme ;
Et tout impatient d’en recueillir le fruit,
Il part dans le silence et l’ombre de la nuit.
Des guerriers qu’il choisit l’escadron intrépide
Glorieux d’un tel choix, et ravi d’un tel guide,
Marche incertain des lieux où l’on veut son emploi,
Mais assuré de vaincre où l’emploiera son roi.
Le jour à peine luit que le Rhin se rencontre :
Tholus frappe les yeux ; le fort de Skeink se montre ;
On s’apprête au passage, on dresse les pontons ;
Vers la rive opposée on pointe les canons.
La frayeur que répand cette troupe guerrière
Prend les devants sur elle, et passe la première ;
Le tumulte à sa suite et la confusion
Entraînent le désordre et la division.
La Discorde effarée à ces monstres préside,
S’empare au fort de Skeink des cœurs qu’elle intimide,
Et d’un cor enroué fait sonner en ces lieux
La fureur des François et le courroux des cieux,
Leur étale des fers, et la mort préparée,
Et des autels brisés la vengeance assurée.
La vague au pied des murs à peine ose frapper,
Que le fleuve alarmé ne sait où s’échapper ;
Sur le point de se fendre, il se retient, et doute
Ou du Rhin ou du Vhal s’il doit prendre la route.
Les tremblements de l’île ouvrant jusqu’aux enfers
(Écoute, Renommée, et répète mes vers),
Le grand nom de Louis et son illustre vie
Aux champs Élysiens font descendre l’Envie,
Qui pénètre à tel point les mânes des héros,
Que pour s’en éclaircir ils quittent leur repos.
On voit errer partout ces ombres redoutables
Qu’arrêtèrent jadis ces bords impénétrables :
Drusus marche à leur tête, et se poste au fossé
Que pour joindre l’Yssel au Rhin il a tracé ;
Varus le suit tout pâle, et semble dans ces plaines
Chercher le reste affreux des légions romaines ;
Son vengeur après lui, le grand Germanicus,
Vient voir comme on vaincra ceux qu’il n’a pas vaincus ;
Le fameux Jean d’Autriche, et le cruel Tolède,
Sous qui des maux si grands crûrent par leur remède ;
L’invincible Farnèse, et les vaillants Nassaus,
Fiers d’avoir tant livré, tant soutenu d’assauts,
Reprennent tous leur part au jour qui nous éclaire,
Pour voir faire à mon roi ce qu’eux tous n’ont pu faire,
Eux-mêmes s’en convaincre, et d’un regard jaloux
Admirer un héros qui les efface tous.
Il range cependant ses troupes au rivage,
Mesure de ses yeux Tholus et le passage,
Et voit de ces héros ibères et romains
Voltiger tout autour les simulacres vains.
Cette vue en son sein jette une ardeur nouvelle
D’emporter une gloire et si haute et si belle,
Que devant ces témoins à le voir empressés
Elle ait de quoi ternir tous les siècles passés :
« Nous n’avons plus, dit-il, affaire à ces Bataves
De qui les corps massifs n’ont que des cœurs d’esclaves ;
Non, ce n’est plus contre eux qu’il nous faut éprouver,
C’est Rome et les Césars que nous allons braver.
De vos ponts commencés abandonnez l’ouvrage,
François ; ce n’est qu’un fleuve, il faut passer à nage,
Et laisser, en dépit des fureurs de son cours,
Aux autres nations un si tardif secours.
Prenez pour le triomphe une plus courte voie :
C’est Dieu que vous servez, c’est moi qui vous envoie ;
Allez, et faites voir à ces flots ennemis
Quels intérêts le ciel en vos mains a remis. »
C’étoit assez en dire à de si grands courages :
Des barques et des ponts on hait les avantages ;
On demande, on s’efForce à passer des premiers.
Grammont ouvre le fleuve à ces bouillants guerriers ;
Vendôme, d’un grand roi race toute héroïque,
Vivonne, la terreur des galères d’Afrique,
Briole, Chavigny, Nogent, et Nantouillet,
Sous divers ascendants montrent même souhait.
De Termes, et Coaslin, et Soubise, et la Salle,
Et de Saulx, et Revel, ont une ardeur égale ;
Et Guitry, que la Parque attend sur l’autre bord,
Sallart et Beringhem font un pareil effort.
Je n’achèverois point si je voulois ne taire
Ni pas un commandant, ni pas un volontaire :
L’histoire en prendra soin, et sa fidélité
Les consacrera mieux à l’immortalité.
De la maison du Roi l’escadre ambitieuse
Fend après tant de chefs la vague impétueuse,
Suit l’exemple avec joie ; et peut-être, grand Roi,
Avois-je là quelqu’un qui te servoit pour moi :
Tu le sais, il suffit. Ces guerriers intrépides
Percent des flots grondants les montagnes liquides.
La tourmente et les vents font horreur aux coursiers ;
Mais cette horreur en vain résiste aux cavaliers :
Chacun pousse le sien au travers de l’orage*,
Le péril redoublé redouble le courage ;
Le gué manque, et leurs pieds semblent à pas perdus
Chercher encor le fond qu’ils ne retrouvent plus ;
Ils battent l’eau de rage, et malgré la tempête
Qui bondit sur leur croupe et mugit sur leur tête,
L’impérieux éclat de leurs hennissements
Veut imposer silence à ses mugissements :
Le gué renaît sous eux ; à leurs crins qu’ils secouent,
Des restes du péril on diroit qu’ils se jouent,
Ravis de voir qu’enfin leur pied mieux affermi,
Victorieux des flots, n’a plus qu’un ennemi.
Tout à coup il se montre, et de ses embuscades
Il fait pleuvoir sur eux cent et cent mousquetades ;
Le plomb vole, l’air siffle, et les plus avancés
Chancellent sous les coups dont ils sont traversés.
Nogent, qui flotte encor dans les gouffres de l’onde,
En reçoit dans la tête une atteinte profonde :
Il tombe, l’onde achève, et l’éloignant du bord,
S’accorde avec le feu pour cette double mort.
Que vois-je ? les chevaux, que leur sang effarouche,
Bouleversent leur charge, et n’ont ni frein ni bouche,
El le fleuve grossit son tribut pour Thétis
De leurs maîtres et d’eux pêle-mêle engloutis.
Le mourant qui se noie à son voisin s’attache,
Et l’entraîne après lui sous le flot qui le cache.
Quel spectacle d’effroi, grand Dieu ! si toutefois
Quelque chose pouvoit effrayer des François.
Rien n’étonne : on fait halte, et toute la surprise
N’obtient de ces grands cœurs qu’un moment de remise,
Attendant qu’on les joigne, et qu’un gros qui les suit
Enfle leur bataillon, que l’œil du Roi conduit.
Le bataillon grossi gagne l’autre rivage,
Fond sur ces faux vaillants, leur fait perdre courage,
Les pousse, perce, écarte, et maître de leur bord,
Leur porte à coups pressés l’épouvante et la mort.
Tel est sur tes François l’effet de ta présence,
Grand Monarque ; tels sont les fruits de ta prudence,
Qui par de feints combats prit soin de les former
À tout ce que la guerre a d’affreux ou d’amer.
Tu les faisois dès lors à ce qu’on leur voit faire ;
Et l’espoir d’un grand nom ni celui du salaire
Ne font point cette ardeur qui règne en leurs esprits :
Tu les vois, c’est leur joie, et leur gloire, et leur prix.
Tandis que l’escadron, fier de cette déroute,
Mêle au sang hollandois les eaux dont il dégoutte,
De honte et de dépit les mânes disparus
De ces bords asservis qu’en vain ils ont courus,
Y laissent à mon roi, pour éternel trophée,
Leurs noms ensevelis et leur gloire étouffée.
Mais qu’entends-je ? et d’où part cette grêle de coups ?
Généreuse noblesse, où vous emportez-vous ?
La troupe qu’à passer vous voyez empressée
À courir les fuyards s’est toute dispersée ;
Et vous donnerez seuls dans ce retranchement
Où l’embûche est dressée à votre emportement :
À peine y serez-vous cinquante contre mille ;
Le vent s’est abattu, le Rhin s’est fait docile,
Mille autres vont passer, et vous suivre à l’envi ;
Mais je donne un avis que je vois mal suivi.
Guitry tombe par terre. O ciel, quel coup de foudre !
Je te vois, Longueville, étendu sur la poudre ;
Avec toi tout l’éclat de tes premiers exploits
Laisse périr le nom et le sang des Dunois,
Et ces dignes aïeux qui te voyoient les suivre
Perdent et la douceur et l’espoir de revivre.
Condé va te venger, Condé dont les regards
Portent toute Nortlinghe et Lens aux champs de Mars ;
Il ranime, il soutient cette ardente noblesse
Que trop de cœur épuise ou de force ou d’adresse ;
Et son juste courroux, par de sanglants effets,
Dissipe les chagrins d’une trop longue paix.
L’ennemi qui recule, et ne bat qu’en retraite,
Remet au plomb volant à venger sa défaite :
On l’enfonce. Arrêtez, héros ! où courez-vous ?
Hasarder votre sang, c’est les exposer tous :
C’est hasarder Enguien, votre unique espérance,
Enguien, qui sur vos pas à pas égaux s’avance.
Tous les cœurs vont trembler à votre seul aspect ;
Mais le plomb n’a point d’yeux, et vole sans respect :
Votre gauche l’éprouve. Allez, Hollande ingrate,
Plaignez-vous d’un malheur où tant de gloire éclate ;
Plaignez-vous à ce prix de recevoir nos fers :
Trois gouttes d’un tel sang valent tout l’univers.
Oui, de votre malheur la gloire est sans seconde,
D’avoir rougi vos champs du premier sang du monde :
Les plus heureux climats en vont être jaloux ;
Et quoi que vous perdiez, nous perdons plus que vous.
La Hollande applaudit à ce coup téméraire ;
Le François indigné redouble sa colère ;
Contre elle Knosembourg ne dure qu’une nuit ;
Arnheim], qui l’ose attendre, en deux jours est réduit ;
Et ce fort merveilleux sous qui l’onde asservie
Arrêta si longtemps toute la Batavie,
Qui de tous ses vaillants onze mois fut l’écueil,
L’inaccessible Skeink, coûte à peine un coup d’œil.
Que peut Orange ici pour essai de ses armes,
Que dérober sa gloire aux communes alarmes,
Se séparer d’un peuple indigne d’être à lui,
Et dédaigner des murs qui veulent notre appui ?
La rive de l’Yssel si bien fortifiée,
Par ce juste mépris à nos mains confiée,
Ne trouve parmi nous que des admirateurs
De ses retranchements et de ses déserteurs.
Yssel trop redouté, qu’ont servi tes menaces ?
L’ombre de nos drapeaux semble charmer tes places :
Loin d’y craindre le joug, on s’en fait un plaisir ;
Et sur tes bords tremblants nous n’avons qu’à choisir.
Ces troupes qu’un beau zèle à nos destins allie
Font dans l’Ouver-Yssel régner la Westphalie ;
Et Grolle, Swol, Kempen montrent à Déventer
Qu’il doit craindre à son tour les bombes de Munster.
Louis porte à Doësbourg sa majesté suprême,
Et fait battre Zutphen par un autre lui-même ;
L’un ouvre, l’autre traite, et soudain s’en dédit :
De ce manque de foi Philippe le punit,
Jette ses murs par terre, et le force à lui rendre
Ce qu’une folle audace en vain tâche à défendre.
Ces colosses de chair robustes et pesants
Admirent tant de cœur en de si jeunes ans:
D’un héros dont jamais ils n’ont vu le visage
En cet illustre frère ils pensent voir l’image,
L’adorent en sa place, et recevant sa loi,
Reconnoissent en lui le sang d’un si grand roi.
Ainsi, lorsque le Rhin, maître de tant de villes,
Fier de tant de climats qu’il a rendus fertiles,
Enflé des eaux de source et des eaux de tribut,
Approche de la mer que sa course a pour but,
Pour s’acquérir l’honneur d’enrichir plus de monde,
Il prête au Vhal, son frère, une part de son onde ;
Le Vhal, qui porte ailleurs cet éclat emprunté,
En soutient à grand bruit toute la majesté,
Avec pareil orgueil précipite sa course,
Montre aux mêmes effets qu’il vient de même source,
Qu’il a part aux grandeurs de son être divin,
Et sous un autre nom fait adorer le Rhin.
Qu’il m’est honteux, grand Roi, de ne pouvoir te suivre
Dans Nimègue qu’on rend, dans Utrecht qu’on te livre,
Et de manquer d’haleine alors qu’on voit la foi
Sortir de ses cachots, triompher avec toi,
Et de ses droits sacrés par ton bras ressaisie,
Chez tes nouveaux sujets détrôner l’hérésie !
La Victoire s’attache à marcher sur tes pas,
Et ton nom seul consterne aux lieux où tu n’es pas.
Amstredam et la Haye en redoutent l’insulte :
L’un t’oppose ses eaux, l’autre est toute en tumulte ;
La noire politique a de secrets ressorts
Pour y forcer le peuple aux plus injustes morts ;
Les meilleurs citoyens aux mutins sont en butte :
L’ambition ordonne, et la rage exécute ;
Et qui n’ose souscrire à leurs sanglants arrêts,
Qui s’en fait un scrupule, est dans tes intérêts :
Sous ce cruel prétexte on pille, on assassine ;
Chaque ville travaille à sa propre ruine ;
Chacun veut d’autres chefs pour calmer ses terreurs.
Laisse-les, grand vainqueur, punir à leurs fureurs,
Laisse leur barbarie arbitre de la peine
D’un peuple qui ne vaut ni tes soins ni ta haine ;
Et tandis qu’on s’acharne à s’entre-déchirer,
Pour quelque mois ou deux laisse-moi respirer.
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