Premières Poésies
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Mardoche (XI – XX) > > >
Mardoche (I-X) – (XI – XX) – (XXI – XXX) – (XXXI – XL) – (XLI – L) – (LI – LIX)
Mardoche
(I-X)
***
Voudriez-vous dire, comme de fait on peut
logicalement inférer, que par ci-devant le monde eust
esté fat, maintenant seroit devenu sage ?
(Pantagruel, liv. V.)
I
J’ai connu l’an dernier un jeune homme nommé
Mardoche, qui vivait nuit et jour enfermé.
Ô prodige ! il n’avait jamais lu de sa vie
Le Journal de Paris, ni n’en avait envie.
Il n’avait vu ni Kean, ni Bonaparte, ni
Monsieur de Metternich ; — quand il avait fini
De souper, se couchait, précisément à l’heure
Où (quand par le brouillard la chatte rôde et pleure)
Monsieur Hugo va voir mourir Phœbus le blond.
Vous dire ses parents, cela serait trop long.
II
Bornez-vous à savoir qu’il avait la Pucelle
D’Orléans pour aïeule en ligne maternelle.
D’ailleurs, son compagnon, compère et confident,
Était un chien anglais, bon pour l’œil et la dent.
Cet homme, ainsi reclus, vivait en joie. — À peine
Le spleen le prenait-il quatre fois par semaine.
Pour ses moments perdus, il les donnait parfois
À l’art mystérieux de charmer par la voix :
Les muses visitaient sa demeure cachée,
Et quoiqu’il fît rimer idée avec fâchée,
III
On le lisait. C’était du reste un esprit fort ;
Il eût fait volontiers d’une tête de mort
Un falot, et mangé sa soupe dans le crâne
De sa grand’mère. — Au fond, il estimait qu’un âne,
Pour Dieu qui nous voit tous, est autant qu’un ânier.
Peut-être que, n’ayant pour se désennuyer
Qu’un livre (c’est le cœur humain que je veux dire),
Il avait su trop tôt et trop avant y lire ;
C’est un grand mal d’avoir un esprit trop hâtif.
— Il ne dansait jamais au bal par ce motif.
IV
Je puis certifier pourtant qu’il avait l’âme
Aussi tendre en tout point qu’un autre, et que sa femme
(En ne le faisant pas c—u) n’eût pas été
Plus fort ni plus souvent battue, en vérité,
Que celle de monsieur de C***. En politique,
Son sentiment était très aristocratique,
Et je dois avouer qu’à consulter son goût,
Il aimait mieux la Porte et le sultan Mahmoud
Que la chrétienne Smyrne, et ce bon peuple hellène
Dont les flots ont rougi la mer hellespontienne,
V
Et taché de leur sang tes marbres, ô Paros !
— Mais la chose ne fait rien à notre héros.
Bien des heures, des jours, bien des longues semaines
Passèrent, sans que rien dans les choses humaines
Le tentât d’y rentrer. — Tout à coup, un beau jour…
Fut-ce l’ambition, ou bien fut-ce l’amour ?
(Peut-être tous les deux, car ces folles ivresses
Viennent à tout propos déranger nos paresses) ;
Quoi qu’il en soit, lecteur, voici ce qu’il advint
À mon ami Mardoche, en l’an mil huit cent vingt.
VI
Je ne vous dirai pas quelle fut la douairière
Qui lui laissa son bien en s’en allant en terre,
Sur quoi de cénobite il devint élégant,
Et n’allait plus qu’en fiacre au boulevard de Gand.
Que dorme en paix ta cendre, ô quatre fois bénie
Douairière, pour le jour où cette sainte envie,
Comme un rayon d’en haut te vint prendre en toussant,
De demander un prêtre, et de cracher le sang !
Ta tempe fut huilée, et sous la lame neuve
Tu te laissas clouer, comme dit Sainte-Beuve.
VII
Tes meubles furent mis, douairière, au Châtelet ;
Chacun vendu le tiers de l’argent qu’il valait.
De ta robe de noce on fit un parapluie ;
Ton boudoir, ô Vénus, devint une écurie.
Quatre grands lévriers chassèrent du tapis
Ton chat qui, de tout temps sur ton coussin tapi,
S’était frotté, le soir l’oreille à ta pantoufle,
Et qui, maigre aujourd’hui, la queue au vent, s’essouffle
À courir sur les toits des repas incertains.
— Admirable matière à mettre en vers latins !
VIII
Je ne vous dirai pas non plus à quelle dame
Mardoche, ayant d’abord laissé prendre son âme,
Dut ces douces leçons, premier enseignement
Que l’amie, à regret, donne à son jeune amant.
Je ne vous dirai pas comment, à quelle fête
Il la vit, qui des deux voulut le tête-à-tête,
Qui des deux, du plus loin, hasarda le premier
L’œillade italienne, et qui, de l’écolier
Ou du maître, trembla le plus. — Hélas ! qu’en sais-je
Que vous ne sachiez mieux, et que vous apprendrais-je ?
IX
Il se peut qu’on oublie un rendez-vous donné,
Une chance, — un remords, — et l’heure où l’on est né,
Et l’argent qu’on emprunte. — Il se peut qu’on oublie
Sa femme, ses amis, son chien, et sa patrie. —
Il se peut qu’un vieillard perde jusqu’à son nom.
Mais jamais l’insensé, jamais le moribond,
Celui qui perd l’esprit, ni celui qui rend l’âme,
N’ont oublié la voix de la première femme
Qui leur a dit tout bas ces quatre mots si doux
Et si mystérieux : « My dear child, I love you. »
X
Ce fut aux premiers jours d’automne, au mois d’octobre,
Que Mardoche revint au monde. — Il était sobre
D’habitude, et mangeait vite. — Son cuisinier
Ne le gênait pas plus que son palefrenier.
Il ne prit ni cocher, ni groom, ni gouvernante,
Mais (honni soit qui mal y pense !) une servante.
De ses façons d’ailleurs rien ne parut changé.
Peut-être dira-t-on qu’il était mal logé ;
C’est à quoi je réponds qu’il avait pour voisine
Deux yeux napolitains qui s’appelaient Rosine.
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