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Poème: “Mardoche” d’Alfred de Musset

Premières Poésies

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Mardoche
(XLI – L)

***

XLI

Heureux un amoureux ! — Il ne s’enquête pas
Si c’est pluie ou gravier dont s’attarde son pas.
On en rit ; c’est hasard s’il n’a heurté personne.
Mais sa folie au front lui met une couronne,
À l’épaule une pourpre, et devant son chemin
La flûte et les flambeaux, comme un jeune Romain !
Tel était celui-ci, qu’à sa mine inquiète
On eût pris pour un fou, sinon pour un poëte.
Car vous verriez plutôt une moisson sans pré,
Sans serrure une porte, et sans nièce un curé,

XLII

Que sans manie un homme ayant l’amour dans l’âme.
Comme il marchait pourtant, un visage de femme,
Qui passa tout à coup sous un grand voile noir,
Le jeta dans un trouble horrible à concevoir.
Qu’avait-il ? Qu’était donc cette beauté voilée ?
Peut-être sa Rosine ! — Au détour de l’allée
Avait-il reconnu, sous les plis du schall blanc,
Sa démarche à l’anglaise, et son pas nonchalant ?
Elle n’était pas seule ; un homme à face pâle
L’accompagnait, d’un air d’aisance conjugale.

XLIII

Quoi qu’il en soit, lecteur, notre héros suivit
Cette beauté voilée, aussitôt qu’il la vit.
Longtemps, et lentement, au bord de la terrasse,
Il marcha comme un chien basset sur une trace,
Toujours silencieux, car il délibérait
S’il devait passer outre ou bien s’il attendrait.
L’ennemi tout à coup, à sa grande surprise,
Fit volte-face. Il vit que l’instant de la crise
Approchait ; tenant donc le pied ferme, aussitôt
Il rajusta d’un coup son col et son jabot.

XLIV

Muses ! — Depuis le jour où John Bull, en silence,
Vit jadis par Brummel, en dépit de la France,
Les gilets blancs proscrits, et jusques aux talons
(Exemple monstrueux !) traîner les pantalons,
Jusqu’à ces heureux temps où nos compatriotes
Enfin jusqu’à mi-jambe ont relevé leurs bottes,
Et, ramenant au vrai tout un siècle enhardi,
Dégagé du maillot le mollet du dandy ;
Si jamais, retroussant sa royale moustache,
Gentilhomme au plein vent fit siffler sa cravache ;

XLV

D’un air tendre et rêveur, si jamais merveilleux,
Pour montrer une bague, écarta ses cheveux ;
Oh ! surtout, si jamais manchon aristocrate
Fit mollement plier la douillette écarlate ;
Ou si jamais, pareil à l’étoile du soir,
Put sous un voile épais scintiller un œil noir ;
Ô Muses d’Hélicon ! — Ô chastes Piérides !
Vous qui du double roc buvez les eaux rapides,
Dites, ne fut-ce pas lorsque, la canne en l’air,
Mardoche en sautillant passa comme un éclair ?

XLVI

Ce ne fut qu’un coup d’œil, et, bien que passé maître,
Notre époux, à coup sûr, n’y put rien reconnaître.
Un vieux Turc accroupi, qui près de là fumait,
N’aurait pas eu le temps de dire — Mahomet.
La dame, je crois même, avait tourné la tête ;
Et, sans s’inquiéter autrement de la fête,
Ni des gens de l’endroit, ni de son bon parent,
Mardoche regagna sa voiture en courant.
« À Paris ! » dit le groom en fermant la portière.
À Paris ! oh ! l’étrange et la plaisante affaire !

XLVII

Lecteur, qui ne savez que penser de ceci,
Et qui vous préparez à froncer le sourcil,
Si vous n’avez déjà deviné que Mardoche
Emportait de Meudon un billet dans sa poche,
Vous serez, en rentrant, étonné de le voir
Se jeter tout soudain le nez contre un miroir,
Demander du savon, et gronder sa servante ;
Puis, laissant son laquais glacé par l’épouvante,
Se vider sur le front, ainsi qu’un flot lustral,
Un flacon tout entier d’huile de Portugal.

XLVIII

Vénus ! flambeau divin ! — Astre cher aux pirates !
Astre cher aux amants ! — Tu sais que de cravates,
Un jour de rendez-vous, chiffonne un amoureux ;
Tu sais combien de fois il en refait les nœuds !
Combien coule sur lui de lait de rose et d’ambre !
Tu sais que de gilets et d’habits par la chambre
Vont traînant au hasard, mille fois essayés,
Pareils à des blessés qu’on heurte et foule aux pieds ;
Vous surtout, dards légers, qu’en ses doctes emphases,
Delille a consacrés par quatre périphrases [2] !

XLIX

Ô bois silencieux ! ô lacs ! — Ô murs gardés !
Balcons quittés si tard ! si vite escaladés !
Masques, qui ne laissez entrevoir d’une femme
Que deux trous sous le front, qui lui vont jusqu’à l’âme !
Ô capuchons discrets ! — Ô manteaux de satin,
Que presse sur la taille une amoureuse main !
Amour, mystérieux amour, douce misère !
Et toi, lampe d’argent, pâle et fraîche lumière
Qui fait les douces nuits plus blanches que le lait !
— Soutenez mon haleine en ce divin couplet !

L

Je veux chanter ce jour d’éternelle mémoire
Où, son dîner fini, devant qu’il fît nuit noire,
Notre héros, le nez caché sous son manteau,
Monta dans sa voiture une heure au moins trop tôt !
Oh ! qu’il était joyeux, et, quoi qu’on n’y vît goutte,
Que de fois il compta les bornes de la route !
Lorsque enfin le tardif marchepied s’abaissa,
Comme, le cœur battant, d’abord il s’élança !
Tout le quartier dormait profondément, en sorte
Qu’il leva lentement le marteau de la porte.



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George Sand. Portrait by A. de Musset. 1833

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