Premières Poésies
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Mardoche (I-X) – (XI – XX) – (XXI – XXX) – (XXXI – XL) – (XLI – L) – (LI – LIX)
Mardoche
(LI – LIX)
***
LI
Êtes-vous quelquefois sorti par un temps doux,
Le soir, seul, en automne, — ayant un rendez-vous ?
Il est de trop bonne heure, et l’on ne sait que faire
Pour tuer, comme on dit, le temps, ou s’en distraire.
On s’arrête, on revient. — De guerre lasse, enfin,
On entre. — On va poser son front sur un coussin. —
Sur le bord de son lit, — place à jamais sacrée !
Tiède encor des parfums d’une tête adorée !
— On écoute. — On attend. — L’ange du souvenir
Passe, et vous dit tout bas : « L’entends-tu pas venir ? »
LII
J’ai vu, sur les autels, le pudique hyménée
Joindre une sèche main de prude surannée
À la main sans pudeur d’un roué de vingt ans.
Au Havre, dans un bal, j’ai vu les yeux mourants
D’une petite Anglaise, à l’air mélancolique,
Jeter un long regard plein d’amour romantique
Sur un buveur de punch, et qui, dans le moment,
Venait de se griser abominablement !
J’ai vu des apprentis se vendre à des douairières,
Et des Almavivas payer leurs chambrières.
LIII
Est-il donc étonnant qu’une fois à Paris,
Deux jeunes cœurs se soient rencontrés — et compris ?
Hélas ! de belles nuits le ciel nous est avare
Autant que de beaux jours ! — Frère, quand la guitare
Se mêle au vent du soir, qui frise vos cheveux,
Quand le clairet vous a ranimé de ses feux,
Oh ! que votre maîtresse, alors surtout, soit belle !
Sinon, quand vous voudrez jeter les yeux sur elle,
Vous sentirez le cœur vous manquer, et soudain
L’instrument, malgré vous, tomber de votre main.
LIV
L’auteur du présent livre, en cet endroit, supplie
Sa lectrice, si peu qu’elle ait la main jolie
(Comme il n’en doute pas), d’y jeter un moment
Les yeux, et de penser à son dernier amant.
Qu’elle songe, de plus, que Mardoche était jeune,
Amoureux, qu’il avait pendant un mois fait jeûne,
Que la chambre était sombre, et que jamais baisé
Plus long ni plus ardent ne put être posé
D’une bouche plus tendre, et sur des mains plus blanches
Que celles que Rosine eut au bout de ses manches.
LV
Car, à dire le vrai, ce fut la Rosina
Qui parut tout à coup, quand la porte tourna.
Je ne sais, ô lecteur ! si notre ami Mardoche
En cette occasion crut son bien sans reproche ;
Mais il en profita. — Pour la table, le thé,
Les biscuits et le feu, ce fut vite apporté.
— Il pleuvait à torrents. — Qu’on est bien deux à table !
Une femme ! un souper ! je consens que le diable
M’emporte, si jamais j’ai souhaité d’avoir
Rien autre chose avant de me coucher le soir.
LVI
Lecteur, remarquez bien cependant que Rosine
Était blonde, l’œil noir, avait la jambe fine
Même, hormis les pieds qu’elle avait un peu forts,
Joignait les qualités de l’esprit et du corps,
Il paraît donc assez simple et facile à croire
Que son féal époux, sans être d’humeur noire,
Voulût la surveiller. — Peut-être qu’il était
Averti de l’affaire en dessous ; le fait est
Que Mardoche et sa belle, au fond, ne pensaient guère
À lui, quand il cria comme au festin de Pierre :
LVII
« Ouvrez-moi [3] ! — Pechero ! dit la dame, je suis
Perdue !… Où se cacher, Mardoche ? » Au fond d’un puits,
Il s’y serait jeté, de peur de compromettre
La reine de son cœur. Il ouvrit la fenêtre.
Stratagème excellent ! — Rien n’était mieux trouvé.
Et zeste ! il se démit le pied sur un pavé.
Ô bizarre destin ! ô fortune inconstante !
Ô malheureux amant ! plus malheureuse amante !
Après ce coup fatal qu’allez-vous devenir,
Hélas ! et comment donc ceci va-t-il finir ?
LVIII
De tout temps les époux, grands dénoueurs de trames,
Ont mangé les soupers des amants de leurs femmes ;
On peut voir, pour cela, depuis maître Gil Blas,
Jusqu’à Crébillon fils et monsieur de Faublas.
Mais notre Dijonnais à la face chagrine
Jugea la chose mal à propos. — Et Rosine,
Que fit-elle ? — Elle avait cet air désappointé
Que fait une perruche à qui l’on a jeté
Malicieusement une fève arrangée
Dans du papier brouillard en guise de dragée.
LIX
Elle prend avec soin l’enveloppe, ôte tout,
Tire, et s’attend à bien ; puis, quand elle est au bout
Du papier imposteur, voyant la moquerie,
Reste moitié colère et moitié bouderie.
« Madame, dit l’époux, vous irez au couvent. »
Au couvent ! — Ô destin cruel et décevant !
Le calice était plein ; il fallut bien le boire.
Et que dit à ce mot la pauvre enfant ? — L’histoire
N’en sait rien. — Et que fit Mardoche ? — Pour changer
D’amour, il lui fallut six mois à voyager. —
1 Ces vers, jusqu’à la strophe XI, avaient été retranchés à la première édition.
2 Les épingles.
3 Cette fin est usée, et nous la donnons telle
Par grand éloignement de la mode nouvelle.
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