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Poème “Poésie Ininterrompue (1946)” de Paul Éluard

Ajouts De L’édition De 1946

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Poésie Ininterrompue
(1946)

***

Je dédie ces pages à ceux qui les liront mal et à ceux qui ne les aimeront pas.

……
Nue effacée ensommeillée
Choisie sublime solitaire
Profonde oblique matinale
Fraîche nacrée ébouriffée
Ravivée première régnante
Coquette vive passionnée
Orangée rose bleuissante
Jolie mignonne délurée
Naturelle couchée debout
Étreinte ouverte rassemblée
Rayonnante désaccordée
Gueuse rieuse ensorceleuse
Étincelante ressemblante
Sourde secrète souterraine
Aveugle rude désastreuse
Boisée herbeuse ensanglantée
Sauvage obscure balbutiante
Ensoleillée illuminée
Fleurie confuse caressante
Instruite discrète ingénieuse
Fidèle facile étoilée
Charnue opaque palpitante
Inaltérable contractée
Pavée construite vitrifiée
Globale haute populaire
Barrée gardée contradictoire
Égale lourde métallique
Impitoyable impardonnable
Surprise dénouée rompue
Noire humiliée éclaboussée

Sommes-nous deux ou suis-je solitaire

Comme une femme solitaire
Qui dessine pour parler
Dans le désert
Et pour voir devant elle

L’année pourrait être heureuse
Un été en barres
Et l’hiver la neige est un lit bien fait
Quant au printemps on s’en détache
Avec des ailes bien formées

Revenue de la mort revenue de la vie
Je passe de juin à décembre
Par un miroir indifférent
Tout au creux de la vue

Comme une femme solitaire
Resterai-je ici-bas
Aurai-je un jour réponse à tout
Et réponse à personne

Le poids des murs ferme toutes les portes
Le poids des arbres épaissit la forêt
Va sur la pluie vers le ciel vertical
Rouge et semblable au sang qui noircira

Le soleil naît sur la tranche d’un fruit
La lune naît au sommet de mes seins
Le soleil fuit sur la rosée
La lune se limite

La vérité c’est que j’aimais
Et la vérité c’est que j’aime
De jour en jour l’amour me prend première
Pas de regrets j’ignore tout d’hier
Je ne ferai pas de progrès

Sur une autre bouche
Le temps me prendrait première

Et l’amour n’a pas le temps
Qui dessine dans le sable
Sous la langue des grands vents

Je parle en l’air
À demi-mot
Je me comprends

L’aube et la bouche où rit l’azur des nuits
Pour un petit sourire tendre
Mon enfant frais de ce matin
Que personne ne regarde

Mon miroir est détaché
De la grappe des miroirs
Une maille détachée
L’amour juste le reprend

Rien ne peut déranger l’ordre de la lumière
Où je ne suis que moi-même
Et ce que j’aime
Et sur la table
Ce pot plein d’eau et le pain du repos
Au fil des mains drapées d’eau claire
Au fil du pain fait pour la main friande
De l’eau fraîche et du pain chaud
Sur les deux versants du jour

Aujourd’hui lumière unique
Aujourd’hui l’enfance entière
Changeant la vie en lumière
Sans passé sans lendemain
Aujourd’hui rêve de nuit
Au grand jour tout se délivre
Aujourd’hui je suis toujours
Je serai la première et la seule sans cesse
Il n’y a pas de drame il n’y a que mes yeux
Qu’un songe tient ouverts
Ma chair est ma vertu
Elle multiplie mon image

Je suis ma mère et mon enfant
En chaque point de l’éternel
Mon teint devient plus clair mon teint devient plus sombre
Je suis mon rayon de soleil
Et je suis mon bonheur nocturne

Tous les mots sont d’accord
La boue est caressante
Quand la terre dégèle
Le ciel est souterrain
Quand il montre la mort
Le soir est matinal
Après un jour de peine

Mais l’homme
L’homme aux lentes barbaries
L’homme comme un marais
L’homme à l’instinct brouillé
À la chair en exil
L’homme aux clartés de serre
Aux yeux fermés l’homme aux éclairs
L’homme mortel et divisé
Au front saignant d’espoir
L’homme en butte au passé
Et qui toujours regrette
Isolé quotidien
Dénué responsable

Savoir vieillir savoir passer le temps

Savoir régner savoir durer savoir revivre
Il rejeta ses draps il éclaira la chambre
Il ouvrit les miroirs légers de sa jeunesse
Et les longues allées qui l’avaient reconduit

Être un enfant être une plume à sa naissance
Être la source invariable et transparente
Toujours être au cœur blanc une goutte de sang
Une goutte de feu toujours renouvelée

Mordre un rire innocent mordre à même la vie
Rien n’a changé candeur rien n’a changé désir
L’hiver j’ai mon soleil il fait fleurir ma neige
Et l’été qui sent bon a toutes les faiblesses

L’on m’aimera car j’aime par-dessus tout ordre
Et je suis prêt à tout pour l’avenir de tous
Et je ne connais rien de rien à l’avenir
Mais j’aime pour aimer et je mourrai d’amour

Il se mit à genoux pour un premier baiser
La nuit était pareille à la nuit d’autrefois
Et ce fut le départ et la fin du passé
La conscience amère qu’il avait vécu

Alors il réveilla les ombres endormies
La cendre grise et froide d’un murmure tu
La cendre de l’aveugle et la stérilité
Le jour sans espérance et la nuit sans sommeil

L’égale pauvreté d’une vie limitée

Tous les mots se reflètent
Et les larmes aussi
Dans la force perdue
Dans la force rêvée

Hier c’est la jeunesse hier c’est la promesse

Pour qu’un seul baiser la retienne
Pour que l’entoure le plaisir
Comme un été blanc bleu et blanc
Pour qu’il lui soit règle d’or pur
Pour que sa gorge bouge douce
Sous la chaleur tirant la chair
Vers une caresse infinie
Pour qu’elle soit comme une plaine
Nue et visible de partout
Pour qu’elle soit comme une pluie
Miraculeuse sans nuage
Comme une pluie entre deux feux
Comme une larme entre deux rires
Pour qu’elle soit neige bénie
Sous l’aile tiède d’un oiseau
Lorsque le sang coule plus vite
Dans les veines du vent nouveau
Pour que ses paupières ouvertes
Approfondissent la lumière
Parfum total à son image
Pour que sa bouche et le silence
Intelligibles se comprennent
Pour que ses mains posent leur paume
Sur chaque tête qui s’éveille
Pour que les lignes de ses mains
Se continuent dans d’autres mains
Distances à passer le temps

Je fortifierai mon délire

De l’océan à la source
De la montagne à la plaine
Court le fantôme de la vie
L’ombre sordide de la mort
Mais entre nous
Une aube naît de chair ardente
Et bien précise
Qui remet la terre en état
Nous avançons d’un pas tranquille
Et la nature nous salue
Le jour incarne nos couleurs
Le feu nos yeux et la mer notre union
Et tous les vivants nous ressemblent
Tous les vivants que nous aimons

Les autres sont imaginaires
Faux et cernés de leur néant
Mais il nous faut lutter contre eux
Ils vivent à coups de poignard
Ils parlent comme un meuble craque
Leurs lèvres tremblent de plaisir
À l’écho de cloches de plomb
À la mutité d’un or noir

Un cœur seul pas de cœur
Un seul cœur tous les cœurs
Et les corps chaque étoile
Dans un ciel plein d’étoiles
Dans la carrière en mouvement
De la lumière et des regards
Notre poids brillant sur terre
Patine de la volupté

À chanter des plages humaines
Pour toi la vivante que j’aime
Et pour tous ceux que nous aimons
Qui n’ont envie que de s’aimer
Je finirai bien par barrer la route
Au flot des rêves imposés
Je finirai bien par me retrouver
Nous prendrons possession du monde

Ô rire végétal ouvrant une clairière
De gorges chantonnant interminablement
Mains où le sang s’est effacé
Où l’innocence est volontaire
Gaieté gagnée tendresse du bois mort
Chaleurs d’hiver pulpes séchées
Fraîcheurs d’été sortant des fleurs nouvelles
Constant amour multiplié tout nu

Rien à haïr et rien à pardonner
Aucun destin n’illustre notre front
Dans l’orage notre faiblesse
Est l’aiguille la plus sensible
Et la raison de l’orage
Image ô contact parfait
L’espace est notre milieu
Et le temps notre horizon

Quelques cailloux sur un sentier battu
De l’herbe comme un souvenir vague
Le ciel couvert et la nuit en avance
Quelques vitrines étrennant leurs lampes
Des trous la porte et la fenêtre ouvertes
Sur des gens qui sont enfermés
Un petit bar vendu et revendu
Apothéose de chiffres
Et de soucis et de mains sales

Un désastre profond
Où tout est mesuré même la tristesse
Même la dérision
Même la honte
La plaine est inutile
Le rire est imbécile
Le désert des taches grandit
Mieux que sur un suaire

Les yeux ont disparu les oiseaux volent bas
On n’entend plus le bruit des pas
Le silence est comme une boue
Pour les projets sans lendemain
Et soudain un enfant crie
Dans la cage de son ennui
Un enfant remue des cendres
Et rien de vivant ne bouge

Je rends compte du réel
Je prends garde à mes paroles
Je ne veux pas me tromper
Je veux savoir d’où je pars
Pour conserver tant d’espoir
Mes origines sont les larmes
Et la fatigue et la douleur
Et le moins de beauté
Et le moins de bonté

Le regret d’être au monde et l’amour sans vertu
M’ont enfanté dans la misère
Comme un murmure comme une ombre
Ils mourront ils sont morts
Mais ils vivront glorieux
Sable dans le cristal
Nourricier malgré lui
Plus clair qu’en plein soleil

Le regret d’être au monde

Je n’ai pas de regrets
Plus noir plus lourd est mon passé
Plus léger et limpide est l’enfant que j’étais
L’enfant que je serai
Et la femme que je protège
La femme dont j’assume
L’éternelle confiance

Comme une femme solitaire
Qui dessine pour parler
Dans le désert
Et pour voir devant elle
Par charmes et caprices
Par promesses par abandons

Entr’ouverte à la vie
Toujours soulignée de bleu

Comme une femme solitaire
À force d’être l’une ou l’autre
Et tous les éléments

Je saurai dessiner comme mes mains épousent
La forme de mon corps
Je saurai dessiner comme le jour pénètre
Au fin fond de mes yeux

Et ma chaleur fera s’étendre les couleurs
Sur le lit de mes nuits
Sur la nature nue où je tiens une place
Plus grande que mes songes

Où je suis seule et nue où je suis l’absolu
L’être définitif
La première femme apparue
Le premier homme rencontré
Sortant du jeu qui les mêlait
Comme doigts d’une même main

La première femme étrangère
Et le premier homme inconnu
La première douleur exquise
Et le premier plaisir panique

Et la première différence
Entre des êtres fraternels
Et la première ressemblance
Entre des êtres différents

Le premier champ de neige vierge
Pour un enfant né en été
Le premier lait entre les lèvres
D’un fils de chair de sang secret

Buisson de roses et d’épines
Route de terre et de cailloux
À ciel ardent ciel consumé
À froid intense tête claire

Rocher de fardeaux et d’épaules
Lac de reflets et de poissons
À jour mauvais bonté remise
À mer immense voile lourde

Et j’écris pour marquer les années et les jours
Les heures et les hommes leur durée
Et les parties d’un corps commun
Qui a son matin
Et son midi et son minuit
Et de nouveau son matin
Inévitable et paré
De force et de faiblesse
De beauté de laideur
De repos agréable et de misérable lumière
Et de gloire provoquée
 

D’un matin sorti d’un rêve le pouvoir
De mener à bien la vie
Les matins passés les matins futurs
Et d’organiser le désastre
Et de séparer la cendre du feu

D’une maison les lumières naturelles
Et les ponts jetés sur l’aube
D’un matin la chair nouvelle
La chair intacte pétrie d’espoir
Dans la maison comme un glaçon qui fond

Du bonheur la vue sans pitié
Les yeux bien plantés sur leurs jambes
Dans la fumée de la santé
Du bonheur comme une règle
Comme un couteau impitoyable
Tranchant de tout
Sauf de la nécessité

D’une famille le cœur clos
Gravé d’un nom insignifiant

D’un rire la vertu comme un jeu sans perdants
Montagne et plaine
Calculées en tout point
Un cadeau contre un cadeau
Béatitudes s’annulant

D’un brasier les cloches d’or aux paupières lentes
Sur un paysage sans fin
Volière peinte dans l’azur
Et d’un sein supposé le poids sans réserves
Et d’un ventre accueillant la pensée sans raison
Et d’un brasier les cloches d’or aux yeux profonds
Dans un visage grave et pur

D’une volière peinte en bleu
Où les oiseaux sont des épis
Jetant leur or aux pauvres
Pour plus vite entrer dans le noir
Dans le silence hivernal

D’une rue
D’une rue ma défiguration
Au profit de tous et de toutes
Les inconnus dans la poussière
Ma solitude mon absence

D’une rue sans suite
Et sans saluts
Vitale
Et pourtant épuisante
La rencontre niée

De la fatigue le brouillard
Prolonge loques et misères
À l’intérieur de la poitrine
Et le vide aux tempes éteintes
Et le crépuscule aux artères

Du bonheur la vue chimérique
Comme au bord d’un abîme
Quand une grosse bulle blanche
Vous crève dans la tête
Et que le cœur est inutilement libre

Mais du bonheur promis et qui commence à deux
La première parole
Est déjà un refrain confiant
Contre la peur contre la faim
Un signe de ralliement

D’une main composée pour moi
Et qu’elle soit faible qu’importe
Cette main double la mienne
Pour tout lier tout délivrer
Pour m’endormir pour m’éveiller

D’un baiser la nuit des grands rapports humains
Un corps auprès d’un autre corps
La nuit des grands rapports terrestres
La nuit native de ta bouche
La nuit où rien ne se sépare

Que ma parole pèse sur la nuit qui passe
Et que s’ouvre toujours la porte par laquelle
Tu es entrée dans ce poème
Porte de ton sourire et porte de ton corps

Par toi je vais de la lumière à la lumière
De la chaleur à la chaleur
C’est par toi que je parle et tu restes au centre
De tout comme un soleil consentant au bonheur

Mais il nous faut encore un peu
Accorder nos yeux clairs à ces nuits inhumaines
Des hommes qui n’ont pas trouvé la vie sur terre
Il nous faut qualifier leur sort pour les sauver

Nous partirons d’en bas nous partirons d’en haut
De la tête trop grosse et de la tête infime
En haut un rien de tête en bas l’enflure ignoble
En haut rien que du front en bas rien que menton
Rien que prison collant aux os
Rien que chair vague et que poisons gobés
Par la beauté par la laideur sans répugnance
Toujours un œil aveugle une langue muette
Une main inutile un cœur sans résonance
Près d’une langue experte et qui voit loin
Près d’un œil éloquent près d’une main prodigue
Trop près d’un cœur qui fait la loi

La loi la feuille morte et la voile tombée
La loi la lampe éteinte et le plaisir gâché
La nourriture sacrifiée l’amour absurde
La neige sale et l’aile inerte et la vieillesse

Sur les champs un ciel étroit
Soc du néant sur les tombes

Au tournant les chiens hurlant
Vers une carcasse folle

Au tournant l’eau est crépue
Et les champs claquent des dents

Et les chiens sont des torchons
Léchant des vitres brisées

Sur les champs la puanteur
Roule noire et bien musclée

Sur le ciel tout ébréché
Les étoiles sont moisies

Allez donc penser à l’homme
Allez donc faire un enfant

Allez donc pleurer ou rire
Dans ce monde de buvard

Prendre forme dans l’informe
Prendre empreinte dans le flou

Prendre sens dans l’insensé
Dans ce monde sans espoir

Si nous montions d’un degré

Le jour coule comme un œuf
Le vent fané s’effiloche

Toute victoire est semblable
Des ennemis des amis

Ennemis amis pâlots
Que même le repos blesse

Et de leurs drapeaux passés
Ils enveloppent leurs crampes

Beaux oiseaux évaporés
Ils rêvent de leurs pensées

Ils se tissent des chapeaux
Cent fois plus grands que leur tête

Ils méditent leur absence
Et se cachent dans leur ombre

Ils ont été au présent
Ceci entre parenthèses

Ils croient qu’ils ont été des diables des lionceaux
Des chasseurs vigoureux des nègres transparents
Des intrus sans vergogne et des rustres impurs
Des monstres opalins et des zèbres pas mal

Des anonymes redoutables
Des calembours et des charades

Et la ligne de flottaison
Sur le fleuve héraclitéen

Et l’hospitalité amère
Dans un asile carnassier

Et le déshonneur familial
Et le point sec des abreuvoirs

Ils croient ils croient mais entre nous
Il vaut encore mieux qu’ils croient

Si nous montions d’un degré

C’est la santé l’élégance
En dessous roses et noirs

Rousseurs chaudes blancheurs sobres
Rien de gros rien de brumeux

Les coquilles dans la nuit
D’un piano sans fondations

Les voitures confortables
Aux roues comme des guirlandes

C’est le luxe des bagages
Blasés jetés à la mer

Et l’aisance du langage
Digéré comme un clou par un mur

Les idées à la rigolade
Les désirs à l’office

Une poule un vin la merde
Réchauffés entretenus

Si nous montions d’un degré
Dans ce monde sans images

Vers la plainte d’un berger
Qui est seul et qui a froid

Vers une main généreuse
Qui se tend et que l’on souille

Vers un aveugle humilié
De se cogner aux fenêtres

Vers l’excuse désolée
D’un malheureux sans excuses

Vers le bavardage bête
Des victimes consolées

Semaines dimanches lâches
Qui s’épanchent dans le vide

Durs travaux loisirs gâchés
Peaux grises résorbant l’homme

Moralité de fourmi
Sous les pieds d’un plus petit

Si nous montions d’un degré

La misère s’éternise
La cruauté s’assouvit

Les guerres s’immobilisent
Sur les glaciers opulents

Entre les armes en broussailles
Sèchent la viande et le sang

De quoi calmer les âmes amoureuses
De quoi varier le cours des rêveries

De quoi provoquer l’oubli
Aussi de quoi changer la loi

La loi la raison pratique

Et que comprendre juge
L’erreur selon l’erreur

Si voir était la foudre
Au pays des charognes

Le juge serait dieu
Il n’y a pas de dieu

Si nous montions d’un degré

Vers l’extase sans racines
Toute bleue j’en suis payé

Aussi bien que de cantiques
Et de marches militaires

Et de mots définitifs
Et de bravos entraînants

Et la secousse idéale
De la vanité sauvage

Et le bruit insupportable
Des objecteurs adaptés

Le golfe d’une serrure
Abrite trop de calculs

Et je tremble comme un arbre
Au passage des saisons

Ma sève n’est qu’une excuse
Mon sang n’est qu’une raison

Si nous montions d’un degré

Mes vieux amis mon vieux Paul
Il faut avouer

Tout avouer et pas seulement le désespoir
Vice des faibles sans sommeil

Et pas seulement nos rêves
Vertu des forts anéantis

Mais le reflet brouillé la vilaine blessure
Du voyant dénaturé

Vous acceptez j’accepte d’être infirme
La même sueur baigne notre suicide

Mes vieux amis

Vieux innocents et vieux coupables
Dressés contre la solitude

Où s’allume notre folie
Où s’accuse notre impatience

Nous ne sommes seuls qu’ensemble
Nos amours se contredisent

Nous exigeons tout de rien
L’exception devient banale

Mais notre douleur aussi
Et notre déchéance

Nous nous réveillons impurs
Nous nous révélons obscurs

Brutes mentales du chaos
Vapeurs uniques de l’abîme

Dans la basse région lyrique
Où nous nous sommes réunis

Mes vieux amis pour être séparés
Pour être plus nombreux

Si nous montions d’un degré

Sur des filles couronnées
Une épave prend le large

À l’orient de mon destin
Aurai-je un frère demain

Sur des ruines virginales
Aux ailes de papillon

Friandises de l’hiver
Quand la mère joue la morte

Sans passion et sans dégoût
Une ruche couve lourde
Dans une poche gluante

Paume attachée à son bien
Comme la cruche à son eau
Et le printemps aux bourgeons

Fer épousé par la forge
Or maté en chambre forte

Nue inverse rocher souple
D’où rebondit la cascade

Simulacre du sein
Livré aux égoïstes

Mais aussi le sein offert
De l’image reconquise

Plaisir complet plaisir austère
Pommier noir aux pommes mûres

Belle belle rôde et jouit
Fluorescente dentelle

Où l’éclair est une aiguille
La pluie le fil

L’aile gauche du cœur
Se replie sur le cœur

Je vois brûler l’eau pure et l’herbe du matin
Je vais de fleur en fleur sur un corps auroral
Midi qui dort je veux l’entourer de clameurs
L’honorer dans son jour de senteurs de lueurs

Je ne me méfie plus je suis un fils de femme
La vacance de l’homme et le temps bonifié
La réplique grandiloquente
Des étoiles minuscules

Et nous montons

Les derniers arguments du néant sont vaincus
Et le dernier bourdonnement
Des pas revenant sur eux-mêmes

Peu à peu se décomposent
Les alphabets ânonnés
De l’histoire et des morales
Et la syntaxe soumise
Des souvenirs enseignés

Et c’est très vite
La liberté conquise
La liberté feuille de mai
Chauffée à blanc
Et le feu aux nuages
Et le feu aux oiseaux
Et le feu dans les caves
Et les hommes dehors
Et les hommes partout
Tenant toute la place
Abattant les murailles
Se partageant le pain
Dévêtant le soleil
S’embrassant sur le front
Habillant les orages
Et s’embrassant les mains
Faisant fleurir charnel
Et le temps et l’espace

Faisant chanter les verrous
Et respirer les poitrines

Les prunelles s’écarquillent
Les cachettes se dévoilent

La pauvreté rit aux larmes
De ses chagrins ridicules
Et minuit mûrit des fruits
Et midi mûrit des lunes

Tout se vide et se remplit
Au rythme de l’infini
Et disons la vérité
La jeunesse est un trésor
La vieillesse est un trésor
L’océan est un trésor
Et la terre est une mine
L’hiver est une fourrure
L’été une boisson fraîche
Et l’automne un lait d’accueil

Quant au printemps c’est l’aube
Et la bouche c’est l’aube
Et les yeux immortels
Ont la forme de tout

Nous deux toi toute nue
Moi tel que j’ai vécu
Toi la source du sang
Et moi les mains ouvertes
Comme des yeux

Nous deux nous ne vivons que pour être fidèles
À la vie
……



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