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Poème: “Premièrement” de Paul Éluard

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Premièrement

***

I

À haute voix
L’amour agile se leva
Avec de si brillants éclats
Que dans son grenier le cerveau
Eut peur de tout avouer.

À haute voix
Tous les corbeaux du sang couvrirent
La mémoire d’autres naissances
Puis renversés dans la lumière
L’avenir roué de baisers.

Injustice impossible un seul être est au monde
L’amour choisit l’amour sans changer de visage.

II

Ses yeux sont des tours de lumière
Sous le front de sa nudité.

À fleur de transparence
Les retours de pensées
Annulent les mots qui sont sourds.

Elle efface toutes les images
Elle éblouit l’amour et ses ombres rétives
Elle aime – elle aime à s’oublier.

III

Les représentants tout puissants du désir
Des yeux graves nouveau-nés
Pour supprimer la lumière
L’arc de tes seins tendu par un aveugle
Qui se souvient de tes mains
Ta faible chevelure
Est dans le fleuve ignorant de ta tête
Caresses au fil de la peau

Et ta bouche qui se tait
Peut prouver l’impossible.

IV

Je te l’ai dit pour les nuages
Je te l’ai dit pour l’arbre de la mer
Pour chaque vague pour les oiseaux dans les feuilles
Pour les cailloux du bruit
Pour les mains familières
Pour l’œil qui devient visage ou paysage
Et le sommeil lui rend le ciel de sa couleur
Pour toute la nuit bue
Pour la grille des routes
Pour la fenêtre ouverte pour un front découvert
Je te l’ai dit pour tes pensées pour tes paroles
Toute caresse toute confiance se survivent.

V

Plus c’était un baiser
Moins les mains sur les yeux
Les halos de la lumière
Aux lèvres de l’horizon
Et des tourbillons de sang
Qui se livraient au silence.

VI

Toi la seule et j’entends les herbes de ton rire
Toi c’est ta tête qui t’enlève
Et du haut des dangers de mort
Sous les globes brouillés de la pluie des vallées
Sous la lumière lourde sous le ciel de terre
Tu enfantes la chute.

Les oiseaux ne sont plus un abri suffisant
Ni la paresse ni la fatigue
Le souvenir des bois et des ruisseaux fragiles
Au matin des caprices
Au matin des caresses visibles
Au grand matin de l’absence la chute.

Les barques de tes yeux s’égarent
Dans la dentelle des disparitions
Le gouffre est dévoilé aux autres de l’éteindre
Les ombres que tu crées n’ont pas droit à la nuit.

VII

La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre
Les fous et les amours
Elle sa bouche d’alliance
Tous les secrets tous les sourires
Et quels vêtements d’indulgence
À la croire toute nue.

Les guêpes fleurissent vert
L’aube se passe autour du cou
Un collier de fenêtres
Des ailes couvrent les feuilles
Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté.

VIII

Mon amour pour avoir figuré mes désirs
Mis tes lèvres au ciel de tes mots comme un astre
Tes baisers dans la nuit vivante
Et le sillage de tes bras autour de moi
Comme une flamme en signe de conquête
Mes rêves sont au monde
Clairs et perpétuels.

Et quand tu n’es pas là
Je rêve que je dors je rêve que je rêve.

IX

Où la vie se contemple tout est submergé
Monté les couronnes d’oubli
Les vertiges au cœur des métamorphoses
D’une écriture d’algues solaires
L’amour et l’amour.

Tes mains font le jour dans l’herbe
Tes yeux font l’amour en plein jour
Les sourires par la taille
Et tes lèvres par les ailes
Tu prends la place des caresses
Tu prends la place des réveils.

X

Si calme la peau grise éteinte calcinée
Faible de la nuit prise dans ses fleurs de givre
Elle n’a plus de la lumière que les formes.

Amoureuse cela lui va bien d’être belle
Elle n’attend pas le printemps.

La fatigue la nuit le repos le silence
Tout un monde vivant entre des astres morts
La confiance dans la durée
Elle est toujours visible quand elle aime.

XI

Elle ne sait pas tendre des pièges
Elle a les yeux sur sa beauté
Si simple si simple séduire
Et ce sont ses yeux qui l’enchaînent
Et c’est sur moi qu’elle s’appuie
Et c’est sur elle qu’elle jette
Le filet volant des caresses.

XII

Le mensonge menaçant les ruses dures et glissantes
Des bouches au fond des puits des yeux au fond des nuits
Et des vertus subites des filets à jeter au hasard
Les envies d’inventer d’admirables béquilles
Des faux des pièges entre les corps entre les lèvres
Des patiences massives des impatiences calculées
Tout ce qui s’impose et qui règne
Entre la liberté d’aimer
Et celle de ne pas aimer
Tout ce que tu ne connais pas.

XIII

Amoureuse au secret derrière ton sourire
Toute nue les mots d’amour
Découvrent tes seins et ton cou
Et tes hanches et tes paupières
Découvrent toutes les caresses
Pour que les baisers dans tes yeux
Ne montrent que toi tout entière.

XIV

Le sommeil a pris ton empreinte
Et la colore de tes yeux.

XV

Elle se penche sur moi
Le cœur ignorant
Pour voir si je l’aime
Elle a confiance elle oublie
Sous les nuages de ses paupières
Sa tête s’endort dans mes mains
Où sommes-nous
Ensemble inséparables
Vivants vivants
Vivant vivante
Et ma tête roule en ses rêves.

XVI

Bouches gourmandes des couleurs
Et les baisers qui les dessinent
Flamme feuille l’eau langoureuse
Une aile les tient dans sa paume
Un rire les renverse.

XVII

D’une seule caresse
Je te fais briller de tout ton éclat.

XVIII

Bercée de chair frémissante pâture
Sur les rives du sang qui déchirent le jour
Le sang nocturne l’a chassée
Échevelée la gorge prise aux abus de l’orage
Victime abandonnée des ombres
Et des pas les plus doux et des désirs limpides
Son front ne sera plus le repos assuré
Ni ses yeux la faveur de rêver de sa voix
Ni ses mains les libératrices.

Criblée de feux criblée d’amour n’aimant personne
Elle se forge des douleurs démesurées
Et toutes ses raisons de souffrir disparaissent.

XIX

Une brise de danses
Par une route sans fin
Les pas des feuilles plus rapides
Les nuages cachent ton ombre.

La bouche au feu d’hermine
À belles dents le feu
Caresse couleur de déluge
Tes yeux chassent la lumière.

La foudre rompt l’équilibre
Les fuseaux de la peur
Laissent tomber la nuit
Au fond de ton image.

XX

L’aube je t’aime j’ai toute la nuit dans les veines
Toute la nuit je t’ai regardée
J’ai tout à deviner je suis sûr des ténèbres
Elles me donnent le pouvoir
De t’envelopper
De t’agiter désir de vivre
Au sein de mon immobilité
Le pouvoir de te révéler
De te libérer de te perdre
Flamme invisible dans le jour.

Si tu t’en vas la porte s’ouvre sur le jour
Si tu t’en vas la porte s’ouvre sur moi-même.

XXI

Nos yeux se renvoient la lumière
Et la lumière le silence
À ne plus se reconnaître
À survivre à l’absence.

XXII

Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Ciel dont j’ai dépassé la nuit
Plaines toutes petites dans mes mains ouvertes
Dans leur double horizon inerte indifférent
Le front aux vitres comme font les veilleurs de chagrin
Je te cherche par delà l’attente
Par delà moi-même
Et je ne sais plus tant je t’aime
Lequel de nous deux est absent.

XXIII

Voyage du silence
De mes mains à tes yeux

Et dans tes cheveux
Où des filles d’osier
S’adossent au soleil
Remuent les lèvres
Et laissent l’ombre à quatre feuilles
Gagner leur cœur chaud de sommeil.

XXIV

L’habituelle
Joue bonjour comme on joue l’aveugle
L’amour alors même qu’on y pense à peine
Elle est sur le rivage et dans tous les bras
Toujours
Les hasards sont à sa merci
Et les rêves des absents
Elle se sait vivante
Toutes les raisons de vivre.

XXV

Je me suis séparé de toi
Mais l’amour me précédait encore
Et quand j’ai tendu les bras
La douleur est venue s’y faire plus amère
Tout le désert à boire

Pour me séparer de moi-même.

XXVI

J’ai fermé les yeux pour ne plus rien voir
J’ai fermé les yeux pour pleurer
De ne plus te voir.

Où sont tes mains et les mains des caresses
Où sont tes yeux les quatre volontés du jour
Toi tout à perdre tu n’es plus là
Pour éblouir la mémoire des nuits.

Tout à perdre je me vois vivre.

XXVII

Les corbeaux battent la campagne
La nuit s’éteint
Pour une tête qui s’éveille
Les cheveux blancs le dernier rêve
Les mains se font jour de leur sang
De leurs caresses

Une étoile nommée azur
Et dont la forme est terrestre

Folle des cris à pleine gorge
Folle des rêves
Folle aux chapeaux de sœur cyclone

Enfance brève folle aux grands vents
Comment ferais-tu la belle la coquette

Ne rira plus
L’ignorance, l’indifférence
Ne révèlent pas leur secret
Tu ne sais pas saluer à temps
Ni te comparer aux merveilles
Tu ne m’écoutes pas
Mais ta bouche partage l’amour
Et c’est par ta bouche
Et c’est derrière la buée de nos baisers
Que nous sommes ensemble.

XXVIII

Rouge amoureuse
Pour prendre part à ton plaisir
Je me colore de douleur.

J’ai vécu tu fermes les yeux
Tu t’enfermes en moi
Accepte donc de vivre.

Tout ce qui se répète est incompréhensible
Tu nais dans un miroir
Devant mon ancienne image.

XXIX

Il fallait bien qu’un visage
Réponde à tous les noms du monde.



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