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Poème: “Seconde Nature” de Paul Éluard

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Seconde Nature

***

I

À genoux la jeunesse à genoux la colère
L’insulte saigne menace ruines
Les caprices n’ont plus leur couronne les fous
Vivent patiemment dans le pays de tous.

Le chemin de la mort dangereuse est barré
Par des funérailles superbes
L’épouvante est polie la misère a des charmes
Et l’amour prête à rire aux innocents obèses.

Agréments naturels éléments en musique
Virginités de boue artifices de singe
Respectable fatigue honorable laideur
Travaux délicieux où l’oubli se repaît.

La souffrance est là par hasard
Et nous sommes le sol sur quoi tout est bâti
Et nous sommes partout
Où se lève le ciel des autres

Partout où le refus de vivre est inutile.

II

Toutes les larmes sans raison
Toute la nuit dans ton miroir
La vie du plancher au plafond
Tu doutes de la terre et de ta tête
Dehors tout est mortel
Pourtant tout est dehors
Tu vivras de la vie d’ici
Et de l’espace misérable
Qui répond à tes gestes
Qui placarde tes mots
Sur un mur incompréhensible

Et qui donc pense à ton visage ?

III

La solitude l’absence
Et ses coups de lumière
Et ses balances
N’avoir rien vu rien compris

La solitude le silence
Plus émouvant
Au crépuscule de la peur
Que le premier contact des larmes

L’ignorance l’innocence
La plus cachée
La plus vivante
Qui met la mort au monde.

IV

À droite je regarde dans les plus beaux yeux
À gauche entre les ailes aveugles de la peur
À droite à jour avec moi-même
À gauche sans raison aux sources de la vie.

J’écoute tous les mots que j’ai su inspirer
Et qui ne sont plus à personne
Je partage l’amour qui ne me connaît pas
Et j’oublie le besoin d’aimer.

Mais je tourne la tête pour reprendre corps
Pour nourrir le souci mortel d’être vivant
La honte sur un fond de grimaces natales.

V

En l’honneur des muets des aveugles des sourds
À la grande pierre noire sur les épaules
Les disparitions du monde sans mystère.

Mais aussi pour les autres à l’appel des choses par leur nom
La brûlure de toutes les métamorphoses
La chaîne entière des aurores dans la tête
Tous les cris qui s’acharnent à briser les mots

Et qui creusent la bouche et qui creusent les yeux
Où les couleurs furieuses défont les brumes de l’attente
Dressent l’amour contre la vie les morts en rêvent
Les bas-vivants partagent les autres sont esclaves
De l’amour comme on peut l’être de la liberté.

VI

La vie est accrochée aux armes menaçantes
Et c’est elle qui tue tout ce qui l’a comprise
Montre ton sang mère des miroirs
Ressemblance montre ton sang
Que les sources des jours simples se dessèchent
De honte comme des crépuscules.

VII

L’ignorance à chanter la nuit
Où le rire perd ses couleurs
Où les déments qui le dévorent
S’enivrent d’une goutte de sang
Rayonnante dans des glacières.

Les grands passages de la chair
Entre les os et les fatigues
Au front la mort à petit feu
Et les vitres vides d’alcool
Frémissent comme l’oiseau de tête.

Le silence a dans la poitrine
Tous les flambeaux éteints du cœur.
Parmi les astres de mémoire
Les plaines traînent des orages
Et les baisers se multiplient

Dans les grands réflecteurs des rêves.

VIII

Les ombres blanches
Les fronts crevés des impuissances
Devant des natures idiotes
Des grimaces de murs
Le langage du rire
Et pour sauver la face
Les prisonniers de neige fondent dans leur prison
La face où les reflets des murs
Creusent l’habitude de la mort.

IX

Les yeux brûlés du bois
Le masque inconnu papillon d’aventure
Dans les prisons absurdes
Les diamants du cœur
Collier du crime.

Des menaces montrent les dents
Mordent le rire
Arrachent les plumes du vent
Les feuilles mortes de la fuite.

La faim couverte d’immondices
Étreint le fantôme du blé
La peur en loques perce les murs
Des plaines pâles miment le froid.

Seule la douleur prend feu.

X

Les oiseaux maintenant volent de leurs propres ombres
Les regards n’ont pas ce pouvoir
Et les découvertes ont beau jeu
L’œil fermé brûle dans toutes les têtes
L’homme est entre les images
Entre les hommes
Tous les hommes entre les hommes.

XI

Aux grandes inondations de soleil
Qui décolorent les parfums
Aux confins des saisons magiques
Aux soleils renversés
Beaux comme des gouttes d’eau
Les désirs se dédoublent
Voici qu’ils ont choisi
Les tortures les plus contraires
Visage admirable tout nu
Ridicule refusé comme rebelle
Dépaysé,
Tournure secrète
Chemins de chair et ciel de tête
Et toi complice misérable
Avec des larmes entre les feuilles
Et ce grand mur que tu défends
Pour rien
Parce que tu croiras toujours
Avoir fait le mal par amour
Ce grand mur que tu défends
Inutilement.

Sous les paupières dans les chevelures
Je berce celles qui pensent à moi,
Elles ont changé d’attitude
Depuis les temps vulgaires
Elles ont leur part de refus sur les bras
Les caresses n’ont pas délivré leur poitrine
Leurs gestes je les règle en leur disant adieu
Le souvenir de mes paroles exige le silence
Comme l’audace engage toute la dignité.

Entendez-moi
Je parle pour les quelques hommes qui se taisent
Les meilleurs.

XII

Sonnant les cloches du hasard à toute volée
Ils jouèrent à jeter les cartes par la fenêtre
Les désirs du gagnant prirent corps d’horizon
Dans le sillage des délivrances.

Il brûla les racines les sommets disparurent
Il brisa les barrières du soleil des étangs
Dans les plaines nocturnes le feu chercha l’aurore
Il commença tous les voyages par la fin
Et sur toutes les routes

Et la terre devint à se perdre nouvelle.

XIII

Pour voir se reproduire le soupçon des tombeaux
On ne s’embrasse plus la souffrance s’anime
Poitrine comme un incendie bien isolé vaincu
Le feu ne connaît plus son semblable qui dort
Il prend les ciseaux des jours et des nuits par la main
Il descend sur les branches les plus basses
Il tombe il a sur terre les débris d’une ombre.

XIV

Le piège obscur des hontes
Avec entre les doigts les brûlures du jour

Aussi loin que l’amour

Mais tout est semblable
Sur la peau d’abondance.

XV

Danseur faible qui dans les coins
Avance sa poitrine étroite
Il perd haleine il est dans un terrier
La nuit lui lèche les vertèbres
La terre mord son destin
Je suis sur le toit
Tu n’y viendras plus.

XVI

Ni crime de plomb
Ni justice de plume
Ni vivante d’amour
Ni morte de désir.

Elle est tranquille indifférente
Elle est fière d’être facile
Les grimaces sont dans les yeux
Des autres ceux qui la remuent.

Elle ne peut pas être seule
Elle se couronne d’oubli
Et sa beauté couvre les heures
Qu’il faut pour n’être plus personne.

Elle va partout fredonnant
Chanson monotone inutile
La forme de son visage.

XVII

Dignité symétrique vie bien partagée
Entre la vieillesse des rues
Et la jeunesse des nuages
Volets fermés les mains tremblantes de clarté
Les mains comme des fontaines
Et la tête domptée.

XVIII

Tristesse aux flots de pierre.

Des lames poignardent des lames
Des vitres cassent des vitres
Des lampes éteignent des lampes

Tant de liens brisés.

La flèche et la blessure
L’œil et la lumière
L’ascension et la tête

Invisible dans le silence.

XIX

Les prisonniers ont envie de rire
Ils ont perdu les clefs de la curiosité
Ils chargent le désir de vivre
De chaînes légères
D’anciens reproches les réjouissent encore
La paresse n’est plus un mystère
L’indépendance est en prison.

XX

Ils n’animent plus la lumière
Ils ne jouent plus avec le feu,
Pendus au mépris des victoires
Et limitant tous leurs semblables
Criant l’orage à bras ouverts
Aveugles d’avoir sur la face
Tous les yeux comme des baisers
La face battue par les larmes
Ils ont capturé la peur et l’ennui
Les solitaires pour tous
Ont séduit le silence
Et lui font faire des grimaces
Dans le désert de leur présence.

XXI

Le tranquille fléau doublé de plaintes
Tourbillonne sur des nuques gelées
Autant de fleurs à patins
De baisers de buée.
Pour ce jet d’eau que les fièvres
Couronnent du feu des larmes
L’agonie du plus haut désir
Nouez les rires aux douleurs
Nouez les pillards aux vivants
Supplices misérables
Et la chute contre le vertige.

XXII

Le soleil en éveil sur la face crispée
De la mer barre toute et toute bleue
Sur un homme au grand jour sur l’eau qui se dérobe
Des nuées d’astres mûrs leur sens et leur durée
Soulèvent ses paupières à bout de vivre exténuées.

D’immortelles misères pour violer l’ennui
Installent le repos sur un roc de fatigues
Le corps creux s’est tourné l’horizon s’est noué
Quelles lumières où les conduire le regard levé
Le front têtu bondit sur l’eau comme une pierre
Sur une voie troublée de sources de douleur

Et des rides toujours nouvelles le purifient.



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