Jocelyn
| Télécharger PDF |
Littérature française – Livres bilingues – Contes de fées et Livres d’enfants – Poésie Française – Alphonse de Lamartine – Poèmes d’Alphonse de Lamartine – Médiations Poétiques
< < < Huitième époque
Neuvième époque> > >
Stances à Laurence
***
22 septembre 1800.
Vous l’ange d’autrefois, maintenant pauvre femme,
Vous ne vous trompiez pas, Laurence, c’était moi,
C’était moi qui cherchais la moitié de mon âme,
Hélas ! et qui la pleure en toi !
Tu vis !… De quelle vie, ô ciel ! quels mots étranges !
Dans le cuivre et le plomb diamant enchâssé,
Que Dieu laissa tomber sur la route des anges,
Et que l’impie a ramassé !
Souviens-toi de ce ciel vu de si près ensemble…
Du jour de la rencontre et du jour de l’adieu !
Oui, je fus meurtrier ! oui, cette main qui tremble
T’immola ; mais c’était à Dieu !
Sacrifice insensé que ta faute condamne,
Vaine immolation de mon cœur combattu !
Ce que je respectais, un autre le profane,
Et l’enfer rit de ma vertu !
Ô Laurence ! un retour au Dieu de ton jeune âge !
Un retour vers l’ami !… Grand Dieu ! dans ma douleur
Je n’avais ici-bas conservé qu’une image :
Ne la ternis pas dans mon cœur.
Reviens, reviens au ciel qui te pleure et qui t’aime !
Si ce n’est pour ton âme, ô Laurence, pour moi !
Et s’il te faut de l’eau pour un second baptême,
Mes yeux en pleureront pour toi !
Ici deux ; un là-haut. De notre double vie,
Non, il n’est pas brisé l’invisible lien !
Ton cœur avec mon cœur monte et se purifie,
Ou mon cœur saigne avec le tien !
Oh ! quand, jetant ton âme aux voluptés impures,
Tu ternis ce lis blanc que je t’avais gardé,
Penses-tu quelquefois que tu souilles d’ordures
Ce cœur où Dieu s’est regardé ?
Penses-tu quelquefois que tu troubles cette onde
Qui, sous un souffle humain bien loin de se ternir,
Ne devait réfléchir au soleil de ce monde
Qu’un espoir et qu’un souvenir ?
Ah ! moi qui te voyais dans mes songes, Laurence,
À travers tant de pleurs, chaste auprès d’un époux,
Une ombre sur le front, au cœur une espérance,
Et des enfants sur tes genoux !…
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
À Paris, 26 septembre 1800.
Nuit funeste ! depuis qu’elle m’est apparue,
Et que je sais le nom, et l’hôtel, et la rue,
Chaque fois que je sors, l’instinct traîne mes pas
Vers ce seuil de mon ciel que je ne franchis pas,
Mais où, couvert de nuit, j’écoute de la porte
Que quelque voix du ciel ou de la terre en sorte,
Comme Adam, exilé des jardins du Seigneur,
Écoutait s’éloigner les voix de son bonheur.
Cette nuit, comme hier, je m’y glissai dans l’ombre :
Des nuages au ciel rendaient l’hôtel plus sombre,
Et la pluie, en lavant les pavés à grands flots,
De mes pas amortis étouffait les échos.
Des fanaux de la rue évitant la lumière,
Je m’assis dans un angle au bord du banc de pierre,
Sur la borne en granit, du coude m’appuyant,
Plus humble et plus caché qu’un pauvre mendiant.
C’était l’heure où Paris, en jour transformant l’ombre,
En tonnerre incessant roule ses chars sans nombre ;
Où sur la roue en feu ses enfants emportés
Vont chercher au hasard leurs mille voluptés.
Aux cris des serviteurs, les portes colossales
Aux chars retentissants s’ouvraient par intervalles,
Et j’y voyais briller à travers le cristal
Des fronts resplendissants de l’ivresse du bal ;
J’entendais au dedans ces voix d’hommes, de femmes,
Ces sons des instruments, ces bourdonnements d’âmes
Où l’oreille en vain cherche une phrase à saisir,
Qui ne sont que la brise errante du plaisir.
Cette joie, en sortant de ces froides murailles,
M’enfonçait chaque fois un fer dans les entrailles,
Et j’aurais moins souffert (pardonne à mon remord,
Seigneur !) d’en voir sortir l’agonie et la mort.
Un torrent de pensers me roulait dans la tête :
Si j’entrais tout à coup au milieu de la fête ?
Si, frappant d’un regard ses yeux pétrifiés,
Comme l’ombre des temps par son cœur oubliés,
Et renversant du pied ces vases de délices,
Du nom tonnant de Dieu j’effrayais tous ces vices ?
Si, dérobant cet ange à l’air qui la corrompt,
Je rendais l’innocence et la vie à son front ?…
Hélas ! et de quel droit ? suis-je encore son père ?
N’ai-je pas renoncé même au doux nom de frère ?
Et ne sommes-nous pas, depuis l’heure d’adieu,
L’un à l’autre étrangers partout, hormis en Dieu ?
Oh ! c’est donc en Dieu seul que je puis en silence
Bénir, prier, nommer, chercher, pleurer Laurence !
Elle pour qui cent fois j’aurais voulu mourir,
Seul à son aide, ô Dieu ! je ne puis accourir !
Et de la froide borne en embrassant la pierre,
Mes yeux fondaient en onde et ma bouche en prière.
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
Pardonne-lui, mon Dieu ! de chercher ici-bas
Cet amour que tu mis tout enfant sous ses pas ;
Après avoir vécu deux ans dans ces délices,
De le puiser encore aux profanes calices !
Ah ! moi seul, ô mon Dieu, j’ai creusé dans son cœur
Ce vide que ne peut combler un froid bonheur.
Que la peine sur moi retombe avec le crime !
Frappez le tentateur, et non pas la victime !
Ô tendre, ô bon pasteur, rapporte dans tes bras
Cette brebis tombée aux piéges d’ici-bas,
Cette âme qui puisa l’amour avec la vie,
Et qui l’aspire encore à sa source tarie !
Si tu n’avais brisé sa coupe entre ses dents,
Qui sait ce que le ciel aurait versé dedans ?
Qui sait de quels trésors cette âme est encore pleine !
Et comme des cheveux d’une autre Madeleine
Pour laver dans ses pleurs ses péchés oubliés,
Ce qu’il en coulerait de parfums sur tes piés ?
Oh ! que les miens, Seigneur, comptent à ses paupières !
Que par mes nuits sans fin, mes jeûnes, mes prières,
Que par l’eau de mes yeux son péché soit lavé !
Et j’allais à genoux tomber sur le pavé,
Quand les groupes joyeux du bal qui se retire
M’éveillèrent du ciel par des éclats de rire.
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
Le bruit avait cessé, le monde était sorti ;
Des gonds et des verrous l’air avait retenti.
J’entendis sur ma tête ouvrir une fenêtre ;
La lune dans le ciel venait de reparaître ;
L’ombre des lourds balcons, me couvrant d’un pan noir,
Me noyait dans sa nuit, d’où je pouvais tout voir.
Une femme parut au balcon : c’était elle !
Quoique pâle et lassée, ô Dieu ! qu’elle était belle !
Comme le monde avait, sous son précoce été,
Mûri sans la flétrir l’angélique beauté !
Comme sous ce costume et cette autre apparence
Mes regards trait pour trait retrouvaient tout Laurence !
Lui dans elle a grandi, mais toujours elle en lui !
Son cou penché semblait porter un vaste ennui ;
Son coude s’appuyait sur la rampe dorée,
Sa joue au clair de lune était décolorée,
Ses blonds cheveux déjà de son front détachés
Sur le fer du balcon flottaient tout épanchés,
Et je sentais l’odeur du vent qui les caresse
S’échapper en parfum de l’or de chaque tresse !
Oh ! des fleurs qui tombaient de ses cheveux l’odeur
Comment n’eût-elle pas enivré tout mon cœur !…
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
Elle leva la tête, et regarda la lune
Longtemps, comme quelqu’un qu’une image importune ;
Avec un lent soupir elle étendit les bras,
Puis, en les refermant sur son cœur, dit : « Hélas ! »
Puis d’un accent distrait, qu’un regard accompagne,
Murmura dans ses dents notre air de la montagne,
À voix basse et tremblante en chanta quelques mots…
L’air manqua sur sa lèvre et finit en sanglots ;
Elle s’interrompit comme avec violence,
Referma la fenêtre, et tout devint silence.
. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
Oh ! mon image alors, Laurence, était en toi !
Je n’avais que deux pas entre mon ciel et moi ;
Qu’une vague de l’air, pour y monter, à fendre ;
Qu’un souffle à laisser fuir, qu’un nom à faire entendre :
Et mon amour perdu retombait dans mes bras,
Et l’enfer ni le ciel ne l’en arrachaient pas !
Des doux sons de sa voix mon oreille était pleine ;
L’air qu’elle respirait lui portait mon haleine ;
Un cri sorti du cœur, un geste, un mouvement,
Et nos cœurs confondus n’avaient qu’un battement,
Et dans un seul élan nos âmes assouvies
Franchissaient pour s’unir l’abîme de nos vies.
Tu triomphas, mon Dieu, de ma fragilité !
Mon silence entre nous remit l’immensité ;
Je m’éloignai tremblant, son ombre sur ma trace ;
Et je remis mon âme et la sienne à ta grâce.
En route, 28 septembre.
L’aurore dans Paris ne me retrouva pas,
Et mon cœur est déjà là-haut où vont mes pas !
< < < Huitième époque
Neuvième époque > > >
Littérature française – Livres bilingues – Contes de fées et Livres d’enfants – Poésie Française – Alphonse de Lamartine – Poèmes d’Alphonse de Lamartine – Médiations Poétiques
| Si vous avez aimé ce poème, abonnez-vous, mettez des likes, écrivez des commentaires! Partager sur les réseaux sociaux Trouvez-nous sur Facebook ou Twitter |
Détenteurs de droits d’auteur – Domaine public
| Consultez Nos Derniers Articles |
- Joyeux Noël! avec le poème Noël d’Alexandre Blok traduit en français
- Merry Christmas! with the poem “Christmas” by Alexander Blok translated in English
- Poèmes et peinture, semaine du 14 décembre 2025
- Poems and painting, Week of December 14, 2025
- Poèmes et peinture, semaine du 7 décembre 2025
- Poems and painting, Week of December 7, 2025
© 2024 Akirill.com – All Rights Reserved
