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Poème “Supplice” de Paul Éluard

Le Devoir et l’inquietude (1917)

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Supplice

***

I

Tous ceux qui se chauffaient
À un bon feu l’hiver
Trouvent la chose amère :
On les a destitués.

Ils se gonflaient l’âme et le corps
De chaleurs infinies,
N’étaient dehors
Que pour prouver leur chaude vie.

Ils ont les pieds gelés,
Ils ont les yeux gelés
Et rêvent de sanglots
    Pour le feu désolé
Qui couve un tas d’oiseaux
Point encore emplumés.

II

Et que le feu me brûle !
Il est toujours si loin
Que le plus court chemin
Me montre ridicule
Aux rêveurs du chemin.

Dites la chose affreuse :
Toutes les mains sont froides
Et la nuit nous font mal
Car la terre on la creuse
Avec une hâte affreuse
La nuit, et avec tant de mal !

Oh ! toute cette vie,
Tout près de moi, le feu qui brûle…
Dites ? serais-je ridicule ?
Oh ! vous tous, transis, hardis,
Je vous le dis : Notre vie brûle !

*

J’aime ce poème.

Ce n’est pas tous les jours dimanche
Et longue joie… Il faut partir.
La peur de ne pas revenir
Fait que son sort ne change.

Je sais ce qu’il a vu,
Ses enfants à la main,
Gais et si fiers de ce butin,
Dans les maisons et dans les rues.

Il a vu l’endroit où est son bonheur,
Des corsages fleuris d’anneaux et de rondeurs,
Sa femme avec des yeux amusants et troublants,
Comme un frisson d’air après les chaleurs,
Et tout son amour de maître du sang.

*

Le plus tôt en allé
C’est bien notre douceur et notre pauvreté.

Contents d’avoir trouvé dans la pluie et le vent
Une tiède maison où boire et reposer
Mes bruyants compagnons ont secoué leur capote
Et pour rêver ici, plus tard, de ce bonheur
Qui va les prendre pour toujours, ils crient très fort.

Leurs grands gestes font peur au grand froid du dehors.

*

Me souciant d’un ciel dévasté,
De la pluie qui va nous mouiller
Je vais pensant au grand bonheur
Qui nous saisirait si nous voulions.

Le devoir et l’inquiétude
Partagent ma vie rude.
(C’est une grande peine
De vous l’avouer.)

Ça sent la verdure à plein nez.
Sur plein ciel, en plein ciel, le vol des hirondelles
Nous amuse et nous fait rêver…
Je rêve d’un espoir tranquille.

*

Tout est divers comme ce que la nuit laisse voir :
Visages des gens et promesses de gloire.

*

Je ne peux rien faire, je ne peux rien voir.

Quand on est vieux, il ne faut plus sortir.
Il faut rester dans la chambre avec le feu,
Avec de chauds vêtements et le jour adouci
Chaque soir par la nuit et la clarté des lampes.

Quand on est vieux, il ne faut plus lire.
Les mots sont mauvais et pour d’autres vies.
Il faut rester, les yeux perdus, l’air résigné
Dans un coin, sans bouger.

Quand on est vieux, il ne faut plus parler,
Il ne faut plus dormir… Il faut se souvenir
Que les autres pensent sans cesse :
« Quand on a tout vu, on est misérable ;
Et quand on est vieux c’est qu’on a tout vu ! »

*

Et passe et rage, fière,
Une vieille, tant mère

Qu’elle a tout consolé,
    Tout contrôlé, volé

    De ses yeux défunts
Comme un mauvais parfum.

Et passe et rage, fière,
    Une vieille, une mère

    Qui console avec soin
Et qui voit tout de loin.

Et passe et rage, fière,
Toute la pauvre mère.

*

Ces deux-là sont couchés côte à côte,
L’un dans un sens et l’autre dans l’autre.

Point de chanson : point de chanteurs.
Ils dorment bien et bien leur fasse !

Leur maman les veille, les yeux
Pleins de son malheur qu’elle garde

Précieusement, car les enfants
N’ont pas besoin d’être aussi grands

    Que leurs parents.

*

Les filles folles, les filles folles, ohé ! ohé !
Passent par ici chaque lundi.

Passent par ici chaque lundi
Pour voir le grand travail se faire.
Ohé ! ohé !

Le sable aux nerfs usés
Ne crépite pas sous elles,

Car elles ne sont pas celles qui tentent.
Leur démarche est lasse et lente.

Elles sont folles ! ohé ! ohé !
Mais elles regardent bien

Le grand travail à faire.



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