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Littérature française – Livres bilingues – Contes de fées et Livres d’enfants – Poésie Française – Pierre Corneille – Poèmes de Pierre Corneille
< < < Perdu au jeu
Mes deux mains à l’envi disputent de leur gloire > > >
Sur le départ de Madame la marquise de B. A. T.
***
Allez, belle Marquise, allez en d’autres lieux
Semer les doux périls qui naissent de vos yeux.
Vous trouverez partout les âmes toutes prêtes
À recevoir vos lois et grossir vos conquêtes,
Et les cœurs à l’envi se jetant dans vos fers
Ne feront point de vœux qui ne vous soient offerts,
Mais ne pensez pas tant aux glorieuses peines
De ces nouveaux captifs qui vont prendre vos chaînes,
Que vous teniez vos soins tout à fait dispensés
De faire un peu de grâce à ceux que vous laissez.
Apprenez à leur noble et chère servitude
L’art de vivre sans vous et sans inquiétude ;
Et si sans faire un crime on peut vous en prier,
Marquise, apprenez-moi l’art de vous oublier.
En vain de tout mon cœur la triste prévoyance
A voulu faire essai des maux de votre absence :
Quand j’ai cru le soustraire à des yeux si charmants,
Je l’ai livré moi-même à de nouveaux tourments.
Il a fait quelques jours le mutin et le brave,
Mais il revient à vous, et revient plus esclave,
Et reporte à vos pieds le tyrannique effet
De ce tourment nouveau que lui-même il s’est fait.
Vengez-vous du rebelle, et faites-vous justice ;
Vous devez un mépris du moins à son caprice :
Avoir un si long temps des sentiments si vains,
C’est assez mériter l’honneur de vos dédains.
Quelle bonté superbe, ou quelle indifférence
À sa rébellion ôte le nom d’offense ?
Quoi ? vous me revoyez sans vous plaindre de rien ?
Je trouve même accueil avec même entretien ?
Hélas ! et j’espérois que votre humeur altière
M’ouvriroit les chemins à la révolte entière ;
Ce cœur, que la raison ne peut plus secourir,
Cherchoit dans votre orgueil une aide à se guérir ;
Mais vous lui refusez un moment de colère;
Vous m’enviez le bien d’avoir pu vous déplaire ;
Vous dédaignez de voir quels sont mes attentats,
Et m’en punissez mieux ne m’en punissant pas.
Une heure de grimace ou froide ou sérieuse,
Un ton de voix trop rude ou trop impérieuse,
Un sourcil trop sévère, une ombre de fierté,
M’eût peut-être à vos yeux rendu ma liberté.
J’aime, mais en aimant je n’ai point la bassesse
D’aimer jusqu’aux mépris de l’objet qui me blesse ;
Ma flamme se dissipe à la moindre rigueur :
Non qu’enfin mon amour prétende cœur pour cœur ;
Je vois mes cheveux gris : je sais que les années
Laissent peu de mérite aux âmes les mieux nées ;
Que les plus beaux talents des plus rares esprits,
Quand les corps sont usés, perdent bien de leur prix ;
Que si dans mes beaux jours je parus supportable,
J’ai trop longtemps aimé pour être encore aimable,
Et que d’un front ridé les replis jaunissants
Mêlent un triste charme aux plus dignes encens.
Je connois mes défauts ; mais après tout, je pense
Être pour vous encore un captif d’importance ;
Car vous aimez la gloire, et vous savez qu’un roi
Ne vous en peut jamais assurer tant que moi.
Il est plus en ma main qu’en celle d’un monarque
De vous faire égaler l’amante de Pétrarque,
Et mieux que tous les rois je puis faire douter
De sa Laure ou de vous qui le doit emporter.
Aussi, je le vois trop, vous aimez à me plaire,
Vous vous rendez pour moi facile à satisfaire ;
Votre âme de mes feux tire un plaisir secret,
Et vous me perdriez sans doute avec regret.
Marquise, dites donc ce qu’il faut que je fasse :
Vous rattachez mes fers quand la saison vous chasse ;
Je vous avois quittée, et vous me rappelez
Dans le cruel instant que vous vous en allez.
Rigoureuse faveur, qui force à disparoître
Ce calme étudié que je faisois renaître,
Et qui ne rétablit votre absolu pouvoir
Que pour me condamner à languir sans vous voir !
Payez, payez mes feux d’une plus foible estime,
Traitez-les d’inconstants ; nommez ma fuite un crime ;
Prêtez-moi, par pitié, quelque injuste courroux ;
Renvoyez mes soupirs qui volent après vous :
Faites-moi présumer qu’il en est quelques autres
À qui jusqu’en ces lieux vous renvoyez des vôtres,
Qu’en faveur d’un rival vous allez me trahir :
J’en ai, vous le savez, que je ne puis haïr.
Négligez-moi pour eux, mais dites en vous-même :
« Moins il me veut aimer, plus il fait voir qu’il m’aime,
Et m’aime d’autant plus que son cœur enflammé
N’ose même aspirer au bonheur d’être aimé ;
Je fais tous ses plaisirs, j’ai toutes ses pensées,
Sans que le moindre espoir les aye intéressées.
Puissé-je malgré vous y penser un peu moins,
M’échapper quelques jours vers quelques autres soins,
Trouver quelques plaisirs ailleurs qu’en votre idée,
En voir toute mon âme un peu moins obsédée ;
Et vous de qui je n’ose attendre jamais rien,
Ne ressentir jamais un mal pareil au mien ! »
Ainsi parla Cléandre, et ses maux se passèrent[,
Son feu s’évanouit, ses déplaisirs cessèrent ;
Il vécut sans la dame, et vécut sans ennui,
Comme la dame ailleurs se divertit sans lui :
Heureux en son amour, si l’ardeur qui l’anime
N’en conçoit les tourments que pour s’en plaindre en rime,
Et si d’un feu si beau la céleste vigueur
Peut enflammer ses vers sans échauffer son cœur !
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Mes deux mains à l’envi disputent de leur gloire > > >
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