Littérature Russe – Livres pour enfants – Poésie Russe – Nikolaï Vassilievitch Gogol – Et Les Veillées Du Hameau- Table des matièress
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La Foire De Sorochinietz > > >
II
Quelle ivresse, et quelle splendeur qu’un jour d’été en Petite Russie !
Ainsi débutent les Veillées du Hameau près de Dikanka. Et il y a dans ces récits tant de soleil, de lumière, tant de gai sourire, tant de cascades de rires retentissants, les yeux clairs des jouvencelles aux sourcils noirs et leurs dents d’une blancheur éblouissante y brillent de tant d’éclat, les jeunes gens y font preuve d’une telle audace insouciante et étourdie, et sur toutes choses se répand une telle surabondance de rayons solaires ; qu’il y a donc d’allégresse en cette nature généreuse et en cette vie large !… d’où vient-elle, cette joie débordante ?
À cette question, Gogol en personne nous fournit dans sa Confession d’un auteur une réponse qui, comme toujours, n’est pas d’une rigoureuse vérité et ne va pas au fond des choses.
« La raison de cette gaîté que l’on a remarquée dans mes premières compositions parues dans la presse se ramenait à un besoin moral. Sur moi fondaient des accès d’une angoisse dont je ne pouvais moi-même m’expliquer la cause, mais qui peut-être bien avait sa source dans mon état maladif. Pour mon divertissement personnel, je m’offrais l’invention de toutes les choses burlesques que pouvait bien enfanter mon esprit. Je créais de pied en cap des personnages et des caractères comiques, les plaçais dans les situations les plus risibles, sans se mettre le moins du monde martel en tête sur le point de savoir pourquoi cela, à quoi bon, et à qui cela pouvait bien servir. Voilà d’où sont sorties mes premières œuvres qui ont provoqué chez certains un rire aussi insouciant, aussi exempt de préoccupations que l’avait été le mien, mais qui ont amené d’autres à se demander dans leur perplexité comment de telles folies étaient capables de naître dans la cervelle d’un homme doué de quelque sens commun. Peut-être qu’avec les ans, et avec le besoin de m’offrir des distractions, cette gaîté aurait disparu, y compris, et en même temps qu’elle, ma manie d’écrire. »
Il faudrait donc en déduire que ce sont des accès d’angoisse qui ont fait naître les contes joyeux de Gogol. Mais d’où vient alors qu’ils suscitaient en lui même un rire insouciant, exempt de préoccupations ? Que non seulement dans l’adolescence, mais aussi dans la prime enfance, Gogol ait été sujet à des crises d’humeur noire, le fait ne laisse place à aucun doute ; cette humeur noire il l’hérita de sa mère, mais ce fut elle aussi qui lui légua cette faculté de rire sans souci, cette alternance du rire et des larmes, cet authentique talent qui forçait les autres à rire.
Au surplus, les joyeux récits de Gogol n’avaient point été sa première production littéraire, puisqu’en 1829 avait paru son poème en vers Hans Kùchelgarten, œuvre non dépourvue de mérite artistique, ni d’intérêt, ni d’originalité.
Dans Hans Kùchelgarten Gogol ne se révéla point un grand artisan de la forme et de la technique poétique, mais son vers est coulant et surtout on n’y rencontre point de ces lieux communs tellement rebattus dans les images ; de même ce poème constitue une combinaison non seulement originale, mais nouvelle à l’époque du lyrisme le plus élevé, le plus romantique et des « grossièretés bariolées de l’école flamande ». En l’occurrence, et ce détail prendra une grosse importance pour le Gogol à venir, en dépit du romantisme de la conception générale du sujet et de l’effort à le traiter sur le mode lyrique, ce qui est le mieux venu reste encore la grossièreté bariolée, la méprisable prose, qui l’emporte sur le lyrisme le plus guindé, trahissant parfois un certain mauvais goût.
Les critiques tombèrent avec un acharnement injuste sur l’œuvre du débutant qui pourtant témoignait indiscutablement d’un grand talent, et ils en firent de telles gorges chaudes que l’auteur gonflé d’amour-propre se mit à racheter dans toutes les librairies les exemplaires de son poème et à les jeter au feu – préfigurant ainsi le futur Gogol livrant aux flammes le second tome des Âmes Mortes – mais renonça pour toujours aux vers.
Il lui était facile de détruire les exemplaires parus, mais impossible de pratiquer dans son âme la même opération sur une œuvre sortie de son génie. Hans Kùchelgarten apparaît donc dans la carrière littéraire de Gogol comme un facteur littéraire déterminant les deux faces de sa production, le côté lyrique, et le côté burlesque et réaliste, la poésie et la prose, poésie tout de même malgré la renonciation aux vers. Ces deux côtés de son talent ressortent avec un relief saisissant dans les Veillées du Hameau près de Dikanka (nous verrons tout à l’heure pour quelle raison le lyrisme y prédomine), mais on peut aussi constater leur présence dans les Âmes Mortes où se rencontre une telle abondance de digressions.
Bien que Gogol rappelle à chaque instant qu’il n’a embrassé que fortuitement le métier littéraire (il rêvait davantage de faire carrière dans l’administration), il ne s’agit point là, bien entendu, d’un pur hasard, mais bien d’une nécessité intime, d’une fatalité, car si ce besoin n’avait point existé, il ne se serait pas attelé en 1830 à la composition des Veillées du Hameau près de Dikanka tout de suite après la chute verticale de Hans Kùchelgarten.
Comment lui est venue l’idée d’écrire justement ces Veillées, ces lumineux et joyeux récits de Petite Russie ?
Tout d’abord, en fin matois, en esprit éminemment pratique (de tout temps il affecta d’être l’homme « détaché des choses de ce monde », mais tout en jouant ce rôle il s’entendait merveilleusement à arranger ses affaires et à forcer autrui à les mener à bien pour lui), Gogol nota cet intérêt pour la Petite Russie qui naissait alors à Saint-Pétersbourg (Tout le monde s’intéresse tellement ici à tout ce qui touche à la Petite Russie, écrivait-il à sa mère), intérêt que venait encore réchauffer les nouvelles ukrainiennes de Nariéjny, Kotliarevsky et autres qui ont exercé une importance considérable sur le Gogol des Veillées du Hameau et même sur l’auteur de Mirgorod. Aussi bien, le mobile capital fut peut-être la nostalgie qu’il éprouvait pour son pays ensoleillé et les mélancoliques souvenances de l’Ukraine qui l’assaillaient dans ce Pétersbourg froid, gris, où il avait été de surcroît si fraîchement accueilli.
Autant lui pesaient jadis, à son village, comme au lycée de Niéjine où il avait appris n’importe quoi n’importe comment, la terne monotonie et l’intolérable ennui de l’existence quotidienne en Petite Russie, alors qu’il soupirait ardemment après ce brillant Pétersbourg que ses rêveries lui dépeignaient comme une terre promise, un paradis à la félicité exclusive, autant, après son amère déception de Pétersbourg, il languissait passionnément après sa Petite Russie, et il l’idéalisait dans des rêvasseries tournant parfois à l’hallucination. Son beau lointain s’illuminait devant lui de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, et avec un enthousiasme exagéré (le sens de la mesure faisait en général défaut à Gogol), provoquait la nostalgie lyrique de l’inaccessible. Plus elle est loin de lui, moins abordable elle est, cette nature méridionale, et plus elle acquiert d’attrait à ses yeux ; il cherche alors à la rendre dans ses Veillées du hameau encore plus belle qu’elle ne lui apparaît et plus nettement aussi la mélancolie perce dans ces joyeux récits.
À la dualité du tempérament de Gogol – idéalisme mystique et sens pratique, – à la qualité de son talent – lyrisme et réalisme comique – correspond le dualisme des tendances dans les Veillées du hameau près de Dikanka, tendance romantique et tendance réaliste. Le romantisme trouvait son aliment dans ses croyances, ses rêveries et ses livres, comme dans les contes, traditions, légendes, chansons que, sur demande de son favori, sa mère lui envoyait à profusion. Sans l’appoint de ces matériaux, les Veillées n’auraient pu venir au monde. D’autre part, le réalisme se nourrissait des observations faites par l’auteur dans la région de Poltava et à Niéjine avant le départ pour Pétersbourg en 1829, observations demeurées dans sa mémoire et que son imagination aurait déformées en caricatures.
Le romantisme, l’idéalisation et le lyrisme prédominent dans la description des paysages et de la jeune génération : gars et jouvencelles. Les garçons ont bien été idéalisés par Gogol, mais sous un coloris assez pâle par comparaison avec leurs camarades de l’autre sexe. En revanche, ses jeunes filles aux sourcils noirs et au corsage bien meublé sont si parfaites, si appétissantes que ni livres, ni chansons, ni souvenirs n’auraient suffi à leur prêter vie. De fait, elles apparaissent toutes comme la personnification de cette idée, douce et torturante à la fois, que Gogol se faisait de la femme, rêve dont il brûlait des années d’études au lycée et qu’il ne lui fut jamais donné de réaliser dans l’existence, (la femme cessa bientôt de compter dans la vie privée de Gogol et après Mirgorod, elle disparut même de ses œuvres).
Les représentants de la génération plus âgée sont peints d’une manière toute différente, non seulement dans le coloris et les contours de leur silhouette ; c’est ici que prédomine le burlesque réaliste et que triomphe l’auteur réaliste que deviendra Gogol.
Dans ce folklore fantastique, parmi les légendes populaires qui ont servi de cadre et de sujet à toutes les Veillées, le récit Ivan Schponka et sa tante occupe une place tout à fait à part. Il ne repose sur aucune espèce de légende populaire, on n’y trouve aucun élément fantastique, nulle trace de diablerie, on n’y rencontre aucune de ces jolies Hannahs et Oksanas, aucun de ces lurons petits-russiens d’opéra-comique, pas un écho non plus de chansons sonores ni de ces tonitruants éclats de rire sans souci. Le ton de Schponka, et le type même du héros, dont procédera le Podkoliéssine de la Noce et le Tientiénikov du second tome des Âmes Mortes, l’écriture, tout est absolument différent, et se rattache plutôt aux nouvelles de Mirgorod et aux Âmes Mortes. Il me semble que ce fut précisément dans ce récit que Pouchkine devina en Gogol la faculté de créer un personnage par petites touches fines, presque imperceptibles et de le rendre vivant des pieds à la tête.
La première partie des Veillées parut en 1831 la seconde en 1832. Elles connurent un immense succès et d’un seul coup Gogol devint un auteur en vue, pour un certain temps il eut en lui-même une confiance absolument aveugle, sa folie des grandeurs s’accentua encore davantage.
Le succès des contes petits-russiens eut pour effet de développer chez Gogol la propension à traiter des sujets similaires et l’idée lui vint de composer Mirgorod, considéré comme suite aux Veillées. L’ouvrage parut en 1835 et l’écrivain, misant sur la curiosité éveillée dans le public par l’œuvre initiale le rattacha aux Veillées en lui donnant pour sous-titre, Nouvelles servant de suite aux Veillées du hameau près de Dikanka. Mais en fait, si l’on excepte Vii, où cependant l’élément romantique et fantastique se fond avec le côté réaliste, bien mieux que dans l’Effroyable vengeance, légende de la même veine comprise dans les Veillées, le recueil de Mirgorod ne saurait être considéré comme une suite du premier ouvrage, avec lequel il n’a de commun que le coloris local, et le lieu de l’action, soit la Petite-Russie. Dans la période comprise entre 1832 et 1835, il s’était fait tant de changements dans les préoccupations de Gogol, dans sa manière d’écrire – parallèlement à Mirgorod il travaillait aux « nouvelles pétersbourgeoises » et à ses comédies, – et sa route avait tellement bifurqué en matière de créations qu’il ne pouvait plus être question d’une suite aux Veillées.
Au cours de ces années, il faisait des conférences d’histoire, se laissait emballer par des perspectives historiques grandioses. Mais il manquait des connaissances et de la persévérance indispensables à la réalisation de plans d’une pareille envergure, et la seule chose qu’il menât à bien dans cet ordre d’idées et qu’il réussît complètement, fut une nouvelle historique, située à l’époque de la lutte entre la Pologne et l’Ukraine, lutte dont l’enjeu était la religion et la nationalité, ce Tarass Boulba qui occupe une place tout à fait à part dans l’œuvre de Gogol.
Abstraction faite du thème épique de ce récit, la première partie de Mirgorod comprend une nouvelle intitulée Campagnards à l’ancienne mode. Il s’agit bien d’une nouvelle et non plus d’un conte ou légende, – c’est là le principal trait de différence entre Mirgorod, et les Veillées. D’année en année, Gogol tend désormais à approfondir et à développer ce genre, cependant que la forme chez lui se complique et se perfectionne. Dans les Campagnards à l’ancienne mode Gogol se plaît à conter au ralenti, en s’arrêtant longuement sur des descriptions à la fois lyriques et réalistes, fines comme un travail de dentellière, et surabondant en menus détails, la vie et la mort d’un vieux couple, Philémon et Baucis de Petite-Russie, en usant magistralement du procédé, plus tard développé par Léon Tolstoï, et qui consiste à rendre un état d’âme en accumulant les détails extérieurs les plus dérisoires.
La composition de la dernière nouvelle du recueil Mirgorod, Comment Ivan Ivanovitch se brouilla avec Ivan Nikiforovitch, a de toute évidence été influencée par le roman petit-russien de Nariéjny, Les deux Ivans, ou la manie des procès. Gogol l’avait conçue comme une anecdote très comique, et il est clair qu’il se proposait de rappeler la note comique des Veillées. Il donna bien une peinture caricaturale (ici, le comique repose sur des contrastes et des oppositions inattendus) de deux amis devenus des ennemis, mais il ne soutint pas cette note jusqu’au bout, et écrivit une nouvelle chagrine et affligeante sur la mesquinerie humaine, en sorte que le ton de ce récit aboutit à cet accord final : « Que l’on s’ennuie ici-bas, ami lecteur ! ».
Mais ici nous sortons des limites de la période ces premiers récits et nouvelles, après quoi s’ouvre la phase la plus mûre et la plus parfaite de l’œuvre de Gogol.
M. HOFMANN
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