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L’Effroyable Vengeance de Nikolaï Vassilievitch Gogol


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X

Il est superbe, par temps calme, le Dniépr, alors que sans frein et d’une souple allure il précipite à travers forêts et montagnes des flots gonflés jusqu’au ras de ses berges. Nulle trace d’agitation en lui, et jamais il n’élève la voix ; qui le regarde, se demande si dans sa majesté elle bouge ou non, cette vaste nappe, et l’on éprouve l’impression qu’elle est tout entière coulée d’un seul bloc de cristal et qu’une route en verre bleu, d’une ampleur sans bornes, d’une longueur infinie se rue et trace des méandres à travers ce monde de verdure. Il n’est jusqu’à l’ardent soleil qui ne se délecte à se contempler du haut des cieux et à plonger ses rayons dans la froideur de ce miroir liquide, et les bois sur les rives aiment à voir dans ces eaux leur limpide reflet. Sous leurs vertes frondaisons bouclées, ils se pressent en foule, pêle-mêle avec les fleurs champêtres vers ces ondes, se penchent sur elles et s’y mirent, jamais las de s’y admirer, et jamais ils n’ont assez de darder sur le fleuve leur lumineuse prunelle, et ils lui adressent des sourires, agitent en signe d’adieu leurs verdoyants rameaux. Mais ils n’osent aventurer leur regard au milieu du Dniépr, nul, à part le soleil et le ciel bleu, ne l’ose, et rares sont les oiseaux qui s’y risquent. Fleuve somptueux ! dans l’univers entier, il n’en est pas un qui l’égale…

Il est magnifique aussi, le Dniépr, par une chaude nuit d’été, alors que tout s’assoupit, et l’homme, et la bête, et le volatile, que Dieu est l’unique à promener son auguste regard sur le firmament et la terre, et à secouer d’un geste majestueux sa chape dont ruissellent en gerbes les étoiles qui brûlent pour répandre leur clarté sur le monde et qui, toutes ensemble, ont leur double dans le Dniépr. Et le Dniépr les retient toutes, captives dans son giron obscur, pas une ne lui échappera, à moins qu’elle ne s’éteigne aux cieux ! Les bois noirs regorgeants de corbeaux endormis, et les monts effondrés par le travail des siècles font leur possible pour le recouvrir, ne serait-ce que de leurs ombres étirées, mais vains efforts ! il n’est rien ici-bas qui puisse cacher le Dniépr. Azuré, bloc d’azur, il va comme une crue au cours uniforme, et de nuit aussi bien que de jour, il s’aperçoit d’aussi loin que l’œil humain étend sa portée. Se presse-t-il, câlin, contre les berges pour se dérober à la fraîcheur nocturne, il déchire de son sein une moire d’argent qui scintille comme le tranchant d’une lame de Damas, mais lui s’est de nouveau rendormi, tout azuré. Fleuve magnifique alors, et dans l’univers entier il n’en est pas un qui l’égale.

Mais que les nuages gris foncé s’entassent comme des montagnes à l’assaut du ciel, que le bois noir vacille jusqu’à ses racines, que les chênes craquent, et que l’éclair, en tronçons parmi les nuées, illumine d’un seul coup l’univers entier, qu’il est formidable à cette heure, le Dniépr ! Des collines liquides se brisent avec un fracas de tonnerre en se heurtant aux montagnes, puis blanches d’écume et gémissantes, refluent pour déferler au loin. C’est ainsi qu’une vieille mère cosaque se désole quand elle accompagne son fils appelé sous les drapeaux ; en liesse et plein d’entrain, il part sur son cheval noir, poing sur la hanche et bonnet coiffé en bravache, et elle, sanglotante, court sur ses pas, s’accroche à l’étrier, s’agrippe à la bride, et se tordant les bras devant lui, répand un torrent de larmes amères.

Des souches à demi brûlées et des rocs sur les berges escarpées profilaient sauvagement une silhouette noirâtre entre les flots qui se livraient combat. Une barque sur le point d’aborder se heurtait au rivage, tantôt hissée à la crête des vagues, tantôt plongeant dans leur creux. Qui donc parmi les Cosaques se montrait assez téméraire pour naviguer à un moment où l’antique Dniépr se fâchait ? Sans doute ignorait-il que ce fleuve engloutit les mortels comme des mouches.

La barque toucha terre et il en sortit le sorcier. Il n’était point d’humeur joyeuse, car il avait trouvé amer l’office de funérailles célébré par les Cosaques à la mémoire de leur maître tué. Bon nombre de Polonais avaient expié ce trépas : quarante-quatre seigneurs et trente-trois de leurs serfs mis en pièces à coups de sabres, avec leur harnois complets et leurs pourpoints, et le reste, ycompris les chevaux, capturés pour être vendus aux Tartares.

Entre les souches brûlées il descendit pardes marches de pierre, profondément dans le sol, où il s’était creusé un abri souterrain. Il entra sans bruit, car la porte ne grinçait pas, posa sur une table recouverte d’une nappe un vase d’argile dans lequel ses longs bras commencèrent à jeter des herbes d’espèce inconnue. Il prit alors une coupe taillée dans un bois étrange, s’en servit pour puiser de l’eau qu’il versa ensuite, cependant que ses lèvres remuaient pour proférer on ne sait quelles incantations.

Une lueur rose se répandit à travers ce réduit et qui eût alors aperçu le visage du sorcier aurait eu grand’peur ; ses traits paraissaient sanglants, à l’exception des rides profondes qui faisaient des taches noires et l’on eût dit que ses yeux étaient des braises. Abominable pécheur ! sa barbe était blanche depuis bien des années, sa face se sillonnait de rides et son corps était vidé de sève, et malgré tout, il tramait des œuvres sinistres, offenses à la divinité ! Au milieu de l’abri, un nuage blanc se mit à osciller et quelque chose qui ressemblait à de l’allégresse éclaira le visage du nécromant… mais pourquoi donc restait-il soudain immobile, bouche bée, sans oser un mouvement pourquoi sa chevelure se hérissait-elle, comme des soies de porc sur son crâne ? Au sein du nuage devant lui transparaissait une face bizarre, celle de quelqu’un survenu en hôte inopportun, sans être invité ou convié. À mesure que les minutes coulaient, la vision prenait de la netteté et dardait des prunelles immobiles sur le maître de céans. Traits, sourcils, yeux, lèvres, tout dans cette apparition était inconnu du mécréant, de sa vie il n’avait rencontré cet être. Or, bien qu’il n’y eût en somme rien de si terrible en l’étranger, une épouvante insurmontable envahit le père de Catherine. Cependant, immobile aussi, la tête inconnue et surprenante le dévisageait toujours à travers cette vapeur qui finit par se dissoudre et alors le visage se fit plus précis, mais les prunelles fixes ne se détachaient pas du misérable. De la tête aux pieds, celui-ci devint de la pâleur du linge, il poussa un cri si sauvage qu’il ne reconnut pas sa voix et renversa le vase.

Aussitôt, tout disparut.


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