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L’Effroyable Vengeance de Nikolaï Vassilievitch Gogol


Littérature RusseLivres pour enfantsPoésie RusseNikolaï Vassilievitch Gogol – L’Effroyable Vengeance – Table des matièress
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XV

Seul dans sa grotte, un ermite était assis devant la veilleuse, l’œil fixé sur un livre sacré. Voilà déjà bien des années qu’il vivait en reclus dans cette grotte et de quelques planches il s’était fabriqué un cercueil dont il usait en guise de lit pour dormir. Le saint vieillard ferma le livre et se mit à prier… Soudain fit irruption un homme à la mine étrange et terrible. Pour la première fois de sa vie, le solitaire fut saisi de stupeur et il recula de quelques pas à l’aspect du visiteur qui frissonnait de la tête aux pieds comme une feuille de tremble. Ses yeux louchaient sauvagement et il y brûlait une flamme que la terreur faisait vaciller ; la monstrueuse déformation de ses traits vous glaçait l’âme.

– Père, prie, ô prie !… cria-t-il avec désespoir, prie pour une âme en perdition, et il se prosterna à terre.

Le saint ermite se signa, prit son livre, l’ouvrit, mais le laissa retomber et d’épouvante recula encore.

– Non, pécheur qui n’eut jamais d’égal, il n’y a point de pardon pour toi… Hors d’ici et vite !… Je ne puis prier pour toi…

– Non ? cria comme un fou le scélérat.

– Regarde, les lettres sacrées de ce livre ruissellent de sang. Jamais il n’y eut au monde un tel pécheur.

– Père, tu te moques de moi !

– Sors, immonde criminel. Je ne ris point de toi. Je suis en proie à la frayeur. Il n’est pas bon qu’un être humain respire le même air que toi…

– Non, non, tu te ris de moi, ne dis pas le contraire. J’ai bien vu s’entrouvrir tes lèvres et je distingue à présent la blancheur de tes vieilles dents…

Et comme emporté par la rage, il se jeta en avant et tua le saint ermite.

On ne sait quoi gémit d’une lourde plainte dont l’écho se répercuta à travers champs et forêts. De derrière les grands bois se dressèrent des mains décharnées et racornies, aux ongles démesurées, qui battirent les airs avant de disparaître.

Et déjà, le sorcier n’éprouvait rien, pas même de la crainte. Sensations, sentiments, tout s’émoussait en lui : les oreilles lui tintaient, sa tête bourdonnait comme s’il était ivre et toutes choses sur lesquelles se posaient ses yeux lui paraissaient recouvertes d’une sorte de toile d’araignée. Sautant à cheval, il marcha directement sur Kaniev, dans l’intention de passer par Tcherkassy pour se rendre chez les Tartares de Crimée, sans s’expliquer lui-même dans quel but il agissait ainsi. Il voyagea tout un jour, puis deux jours, et pas de Kaniev. Il était bien dans le bon chemin et la ville aurait dû se montrer depuis longtemps déjà, mais il ne la voyait toujours pas. Au loin brillèrent enfin des coupoles d’église, mais ce n’était pas Kaniev, c’était Choumsk. Le sorcier s’étonna grandement, en s’apercevant qu’il était tombé sur des lieux exactement opposés à ceux qu’il cherchait. Il tourna bride en direction de Kiev et au bout d’une journée, une cité apparut à ses yeux, mais ce n’était pas Kiev… Il avait devant lui Galitch, localité encore plus distante de Kiev que Choumsk, et qui se trouvait tout près de la frontière de Hongrie. Ne sachant plus que penser, il fit rebrousser chemin à sa monture, mais il avait l’impression qu’il allait dans une direction contraire, et qu’au lieu de s’éloigner, il avançait encore vers la frontière. Pas homme au monde n’aurait été à même d’exprimer ce qui se passait dans le cœur du fugitif, et s’il avait été donné à quelqu’un de plonger le regard au fond de cette âme et de lire les pensées qui s’y agitaient, jamais plus il n’aurait goûté le repos et le sourire l’aurait abandonné pour toujours. Cette âme était en proie non pas à l’épouvante, ni à un violent dépit, mais à la malice noire… plutôt non, il n’est pas ici-bas de terme pour traduire ce sentiment. C’était l’enfer qui le brûlait, il aurait voulu piétiner l’univers entier sous les fers de son cheval, saisir toute la terre, de Kiev à Galitch, avec les gens, et tout ce qui y poussait, et les noyer dans la mer Noire. Mais ce n’était point la rage qui lui inspirait ce désir dont il ne pénétrait pas lui-même la raison. Il frissonna de tout son corps quand lui apparurent à faible distance les Carpathes et le mont Krivan qui s’était recouvert le crâne d’un nuage gris, en guise de chapeau, et le cheval pressait toujours l’allure, escaladant déjà le flanc des montagnes. Les nuées se dissipèrent d’un seul coup et devant le nécromant se montra dans sa formidable majesté le cavalier… Le criminel essaya d’arrêter sa monture, tira brutalement sur les rênes ; le cheval hennit sauvagement, la crinière hérissée, et hâta sa course vers le chevalier. À cet instant, le sorcier crut que tout son être se figeait, il lui sembla que l’immobile cavalier venait de bouger et avait éclaté de rire en le voyant accourir au grandissime galop. Ce rire féroce se répercuta comme la foudre à travers les montagnes, et trouvant un écho dans le cœur du sorcier, y bouleversa tout ce qui pouvait encore y subsister. Il eut alors la sensation qu’un être d’une force infinie s’insinuait en lui, martelant son cœur, ses nerfs… tant avait été atroce la résonance de ce rire.

D’une main formidable, s’emparant du nécromant, le cavalier l’enleva dans les airs. Incontinent le sorcier rendit l’esprit et n’ouvrit les yeux qu’une fois mort. Mais dès lors il n’était plus qu’un cadavre et il en avait toutes les apparences. Pas un être vivant, ni quelqu’un de ressuscité ne présente un air aussi atroce. Il dirigeait de tous côtés les regards de ses yeux morts, et il aperçut, accourus de Kiev et de la terre de Galicie, et des Carpathes, des revenants qui lui ressemblaient comme deux gouttes d’eau.

Blêmes, livides, chacun dépassant de la taille son voisin, l’un plus décharné que l’autre, ils se groupèrent tous autour du cavalier qui serrait dans son poing cette horrible proie. Le cavalier éclata de rire une seconde fois, lança la proie dans le précipice et tous les morts y bondirent, se saisirent du cadavre et y plantèrent les dents. Mais l’un d’eux, encore plus grand, plus affreux que les autres, essayait toujours de s’arracher de terre ; peine perdue ! il ne pouvait s’en dégager, tant il y avait profondément pris racine, et s’il avait réussi à ressurgir, il aurait culbuté les Carpathes et la région de Sémigrad et les pays des Turcs. Il ne parvint qu’à se hausser légèrement et rien qu’à ce mouvement, un tremblement de terre ébranla l’univers entier ; nombreuses furent les maisons qui s’écroulèrent un peu partout, et longue fut la liste des écrasés.

On entend souvent dans les Carpathes un sifflement qui fait penser à un millier de moulins battant bruyamment l’eau de leur roue : ce sont les cadavres qui grignotent l’un des leurs, dans ce précipice sans issue que nul œil humain n’a entrevu parce que pas un mortel n’oserait le longer. Il est arrivé souvent qu’une commotion secoue la terre d’un bout du monde à l’autre bout, et les gens instruits vous expliquent : « Cela vient de ce que non loin de la mer il se trouve une montagne qui crache de la flamme et dont coulent des fleuves de feu. » Mais les anciens qui habitent aussi bien en Hongrie qu’en terre de Galicie sont mieux au courant et vous disent : « C’est l’immense, c’est le gigantesque cadavre enraciné au sol qui veut s’arracher à cette gangue et produit ces tremblements de terre. »


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