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L’Effroyable Vengeance de Nikolaï Vassilievitch Gogol


Littérature RusseLivres pour enfantsPoésie RusseNikolaï Vassilievitch Gogol – L’Effroyable Vengeance – Table des matièress
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VI

Derrière une porte fermée d’un triple cadenas, le sorcier garrotté de chaînes de fer est captif dans un profond souterrain chez le sire Danilo, cependant qu’au lointain, son château qui surplombe le Dniépr est la proie des flammes, et que, pourpre comme du sang, des vagues déferlent en grondant contre les antiques murailles. Ce n’est point pour nécromancie ou autres actes impies que cet homme languit dans ce sous-sol ; que Dieu le juge pour ces méfaits ! Il est là pour trahison occulte, pour avoir comploté avec les ennemis de la terre russe et orthodoxe de vendre aux catholiques le peuple ukrainien et de brûler les églises chrétiennes. Il ne lui reste plus qu’un seul jour à vivre et demain sonnera l’heure où il lui faudra dire adieu à ce monde. Le supplice l’attend, et c’est pour demain. Or, ce n’est point une mort douce qui l’attend. Il pourra estimer comme une grâce si l’on se borne à le bouillir vif dans une chaudière ou à le dépouiller tout cru de sa peau pécheresse. Le sorcier est mélancolique et garde la tête courbée ; peut-être se repent-il déjà à l’article de la mort ? Mais ses péchés ne sont point de ceux que Dieu daigne pardonner. Devant lui, tout en haut de la paroi, s’ouvre un étroit soupirail où s’entrecroisent maints barreaux de fer. Voilà que le reclus se relève dans un grand cliquetis de chaînes pour regarder par cette fenêtre, pour voir si sa fille ne vient pas à passer dans les parages. Douce, pas plus rancunière qu’une colombe, ne prendra-t-elle pas son père en pitié ?… Mais il n’y a personne ; en bas, court un chemin, mais pas un être vivant n’y circule. Plus bas encore, le Dniépr suit allègrement son cours, sans s’intéresser au sort de qui que ce soit, et le captif sent le découragement le gagner à force d’écouter cette sourde rumeur monotone…

Quelqu’un vient de se montrer sur le chemin ; ah ! c’est un Cosaque ! et un soupir profond échappe au prisonnier… la route est de nouveau déserte. Voici quelqu’un encore qui descend la côte, au loin… les plis d’un casaquin vert flottent au vent, un hennin d’or resplendît sur sa tête… C’est elle ! Le sorcier se serre plus étroitement contre le soupirail… Elle arrive tout près…

– Catherine, ma fille, sois compatissante, fais-moi l’aumône de ta pitié !

Elle demeure muette, elle ne veut point écouter, se refuse même à regarder du côté de la geôle, elle a déjà passé, déjà disparu… L’univers entier est vide : le Dniépr poursuit sa rumeur accablante, l’angoisse se tapit au cœur du sorcier, mais en a-t-il conscience ?

Le jour penche vers son déclin. Le soleil s’est déjà couché, on ne le voit plus et le soir naît avec sa fraîcheur. Un bœuf mugit on ne sait où ; quelque part des bruits se font entendre, des gens sans doute qui reviennent du travail et qui rient ; une barque se dessine vaguement sur le fleuve… mais qui s’inquiète du prisonnier ? Une faucille d’argent luit dans la nue ; voici que du côté opposé quelqu’un s’en retourne par le sentier ; dans cette pénombre, il n’est pas facile de distinguer qui c’est… Ah ! Catherine rentre à la maison…

– Fille, au nom du Christ ! de féroces louveteaux eux-mêmes ne s’attaqueraient pas à leur mère pour la mettre en pièces… Fille, jette au moins un regard sur ton criminel de père !

Elle demeure sourde et va son chemin.

– Fille, au nom de ta mère !

Elle s’est arrêtée.

– … viens écouter mes paroles dernières…

– Pourquoi m’interpelles-tu, apostat ? Ne me donne pas le nom de fille, il n’y a aucune parenté entre nous. Que veux-tu de moi, au nom de ma mère infortunée ?

– Catherine, mon heure est proche. Je sais que ton mari se propose de m’attacher à la queue d’une jument et de me faire ainsi traîner à travers la plaine ; peut-être même médite-t-il un supplice plus atroce…

– Y a-t-il au monde supplice qui corresponde à tes forfaits ? Attends donc ton heure, personne ne se lèvera pour implorer ta grâce…

– Catherine, ce qui m’effraie, ce n’est point le supplice, mais les tortures à endurer dans l’autre monde. Tu es innocente, Catherine, ton âme volera au paradis auprès de Dieu, mais l’âme de ton père apostat brûlera dans l’éternelle géhenne. Jamais il ne s’éteindra, ce feu, à jamais il flambera, et de plus en plus fort ; nul ne laissera tomber une goutte de rosée, et pas une brise embaumée ne…

– Il n’est point en mon pouvoir d’adoucir ce châtiment, répond Catherine, en tournant les talons.

– Attends, Catherine, encore un mot ! tu peux sauver mon âme. Tu ne sais pas encore à quel point Dieu est bon et miséricordieux. As-tu entendu parler de l’apôtre Paul, de la somme énorme de ses péchés ? eh bien ! il se repentit ensuite et finit par devenir un saint.

– Que puis-je tenter pour le salut de ton âme ? réplique Catherine, est-ce à moi, faible femme, d’y penser ?

– Si je pouvais sortir d’ici, je dépouillerais entièrement le vieil homme. Je battrais ma coulpe, je me retirerais dans une caverne, revêtirais mon corps d’un rude cilice, nuit et jour je ferais oraison. Non seulement je ne mangerais pas de viande, le poisson même ne toucherait point mes lèvres. Pour ma couche, j’étendrais mes vêtements sur le sol, et je prierais, oh ! prierais sans cesse ni fin. Et si la miséricorde divine se refusait après cela à me remettre, ne serait-ce que la centième partie de mes fautes, je me ferais enterrer jusqu’au cou dans la terre ou enchâsser tout vivant dans une muraille de pierre, et tous mes biens je les léguerais aux moines pour célébrer quarante jours et quarante nuits d’affilée des offices funèbres pour le repos de mon âme…

Catherine se prend à réfléchir.

– En admettant que je t’ouvre la porte, je serais impuissante à te libérer de tes fers…

– Peu me soucie des fers, dit-il, ils m’ont mis, dis-tu, des chaînes aux mains et aux pieds ?… J’ai brouillé leur vue et au lieu de mon corps, leur ai tendu un arbre sec. Me voilà, regarde-moi, il n’y a plus une chaîne sur moi, ajoute-t-il, en se plaçant au milieu du cachot. Ces murailles elles-mêmes ne seraient point pour m’effrayer, et j’aurais bien passé au travers, mais tous, jusqu’a ton mari en personne, ignorent ce que sont ces murs. C’est un saint anachorète qui les a construits et pas une force impure n’est à même de faire sortir d’ici un prisonnier, sans ouvrir la porte de cette même clef dont le saint se servit pour s’enfermer dans sa cellule. Pour le pécheur inouï que je suis, je creuserai une cellule pareille à la sienne, dès que je recouvrerai ma liberté…

– Écoute, je veux bien te lâcher, mais si tu me trompes ? dit Catherine, s’arrêtant devant la porte. Si au lieu de faire pénitence, tu fraternisais de nouveau avec le diable ?

– Non, Catherine, il ne me reste plus beaucoup de temps à vivre. Même s’il n’y avait ce supplice, mon heure est proche. Me crois-tu vraiment disposé à me vouer aux tortures éternelles ?

On entend grincer les verroux.

– Adieu ! que le Dieu de miséricorde te garde, mon enfant ! dit le sorcier en l’embrassant.

– Ne me touche pas, pécheur inouï, et hâte-toi de fuir, dit Catherine.

Mais le captif a déjà disparu.

– Je l’ai délivré, dit-elle, prise de peur et promenant sur les murailles des yeux égarés. Et quelle réponse adresserai-je à mon mari ? Je suis perdue, je n’ai plus qu’à m’enterrer vivante…

Secouée de sanglots, elle s’affaisse sur la souche qui servait de siège au prisonnier.

– Mais j’ai sauvé une âme, dit-elle tout bas, j’ai fait œuvre pie… Et mon mari ?… c’est la première fois que je le trahis… Oh ! quelle peine atroce j’aurai à mentir en sa présence… On vient. C’est lui, mon époux !

Et poussant un cri de désespoir, elle s’écroule évanouie sur le sol.


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