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Duel d’Anton Tchekhov


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Chapitre VIII


On commença, vers onze heures, à monter en voiture, pour rentrer.


Tout le monde était en place, sauf Nadiéjda Fiôdorovna et Atchmiânov qui se poursuivaient de l’autre côté de la rivière et riaient.


— Venez vite ! leur cria Samoïlénnko.


— Il n’aurait pas fallu faire boire les dames, dit von Koren doucement.


Laïèvski, fatigué par le pique-nique, par la haine de von Koren et ses pensées, alla au-devant de Nadiéjda Fiôdorovna. Et quand, gaie, joyeuse, se sentant légère comme la plume, essoufflée et riante, elle lui prit les deux mains et appuya la tête sur sa poitrine, il recula d’un pas et lui dit sévèrement :


— Tu te conduis comme… une cocotte.


Ce fut si grossier qu’il eut lui-même pitié d’elle. Elle lut la haine sur son visage méchant et fatigué, et, soudain, son cœur défaillit. Elle comprit qu’elle avait été
trop loin et s’était conduite trop librement ; et, chagrine, se sentant alourdie, grasse, grossière et ivre, elle monta avec Atchmiânov dans la première voiture vide.

Laïèvski monta avec Kirîline, le zoologue avec Samoïlénnko, le diacre avec les dames; et le cortège partit.


— Voilà comme ils sont, les macaques… commença von Koren, s’enveloppant dans sa cape et fermant les yeux. Tu as entendu ça? Elle ne voudrait pas s’occuper de scarabées et de coccinelles parce que le peuple souffre ! C’est ainsi que nous jugent tous les macaques.


Race servile, astucieuse, rendue craintive pendant dix générations par le fouet et le poing, qui tremble, s’humilie, et ne brûle de l’encens que devant la violence ! Mais laisse le macaque libre dans un vaste espace où personne ne le prenne au collet, ah ! il se développe et se fait connaître ! Vois, comme aux expositions de peinture, dans les musées, dans les théâtres, ou bien quand ils jugent la science, les macaques s’enhardissent !


Ils se hérissent, se dressent sur leurs pattes, vitupèrent et critiquent… Et ils ne peuvent pas se passer de critiquer, c’est un signe d’esclavage ! Écoute un peu ! Si
l’on insulte plus souvent les gens des professions libérales que les filous, c’est que la société se compose pour les trois quarts d’esclaves, et précisément de pareils macaques. Il n’arrive jamais qu’un esclave vous tende la main et vous remercie sincèrement parce que vous travaillez.


— Je ne sais ce que tu as ! lui dit Samoïlénnko en bâillant. La pauvre petite a voulu, en toute simplicité, parler de choses sérieuses et tu en tires une conclusion générale.

Tu es fâché contre lui pour quelque raison et contre elle du même coup. Mais c’est une excellente femme !


— Oh ! assez ! Une femme entretenue ordinaire, dépravée et banale ! Écoute, Alexandre Davîdytch, quand tu rencontres une simple femme du peuple qui ne vit
pas avec son mari, et ne fait rien que des « hi ! hi ! » et des « ha ! ha ! » tu lui dis : « Va travailler. » Pourquoi donc, dans la circonstance, te déconcertes-tu et crains-tu de dire la vérité? Uniquement parce que Nadiéjda Fiôdorovna est entretenue non par un matelot, mais par un fonctionnaire.


— Que dois-je donc faire avec elle? demanda Samoïlénnko irrité. La battre?


— Ne pas natter le vice. Nous ne condamnons le vice qu’en cachette, et cela ressemble à la figue que l’on fait à quelqu’un dans sa poche. Je suis zoologue
ou sociologue, ce qui est la même chose, toi, tu es médecin ; la société se fie à nous.

Nous sommes obligés de lui indiquer l’horrible tort dont la menace, elle et les générations à venir, l’existence de personnes dans le genre de cette Nadiéjda Ivânovna.


— Fiôdorovna, rectifia Samoïlénnko. Et que doit faire la société?


— La société? Cela la regarde. A mon sens, la voie la plus directe et la plus sûre, c’est la violence. Manu militari, il faut- l’envoyer chez son mari, et, si le mari ne la reçoit pas, l’envoyer aux travaux forcés, ou dans quelque maison de correction.


— Ouf ! soupira Samoïlénnko. Il se tut et demanda doucement :


— Tu as dit un jour que des gens comme Laïèvski il faut les supprimer. Dis-moi? Si… supposons-le, le gouvernement ou la société te chargeait de cette suppression…, t’y déciderais-tu?


— Ma main ne tremblerait pas.


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