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Chapitre XXII
NOS AMIS ET MON AMI
Il ne me reste plus que quelques mois avant d’entrer à l’Université. J’étudie avec zèle. Maintenant j’attends mes professeurs sans appréhension, et même je prends un certain plaisir à mes leçons.
J’aime à répéter clairement et distinctement une leçon que j’ai apprise avec soin. Je me prépare pour la faculté des mathématiques, et, à vrai dire, ce choix a été déterminé par le prestige des termes: sinus, tangente, calcul différentiel, calcul intégral, etc., etc., qui exercent sur moi une attraction toute particulière.
Je suis beaucoup plus petit que Volodia, j’ai les épaules larges, beaucoup de muscles, mais je suis aussi laid que par le passé, ce qui me chagrine toujours autant.
Je pose pour l’original. Une seule chose me console, c’est que papa a dit un jour de moi: «Il a un museau intelligent!» Et je n’en doute pas.
Saint-Jérôme est content de moi; il me donne des éloges, et je ne le déteste plus; même lorsqu’il me dit: «qu’avec mon talent, mon esprit, il est honteux de ne pas faire ceci ou cela». Il me semble que je l’aime maintenant.
D’une manière générale, je commence à me corriger de mes défauts d’adolescent, à l’exception d’un seul, le plus grand, celui qui doit me procurer encore bien des ennuis dans cette vie, l’amour de raisonner.
Dans la société des amis de Volodia, je jouais un rôle insignifiant, qui froissait beaucoup mon amour-propre; cependant j’aimais à me tenir dans sa chambre lorsqu’il avait du monde, et à observer, sans mot dire, tout ce qui se passait.
Il recevait souvent l’adjudant Doubkof et un étudiant, le prince Neklioudof.
Doubkof n’était plus de la première jeunesse; c’était un petit homme brun, musculeux, les jambes un peu courtes, mais en somme pas trop mal bâti et toujours très gai.
C’était un de ces hommes un peu bornés, qui sont agréables en société pour cette raison; ils ne sont pas capables d’embrasser une question sous toutes ses faces, ils ne voient qu’un côté et s’enflamment facilement.
Leurs jugements sont toujours exclusifs et faux, mais toujours sincères et enthousiastes.
Même, je ne sais pourquoi, on est porté à leur pardonner leur égoïsme étroit et à le trouver agréable.
Doubkof avait en outre à nos yeux, à mon frère et à moi, le prestige de son port martial et de son âge. Les très jeunes gens prennent volontiers l’allure posée, que donnent quelques années de plus, pour l’air comme il faut dont on fait grand cas à cet âge.
D’ailleurs Doubkof était, en réalité, ce qu’on peut appeler un homme comme il faut.
Une seule chose m’était pénible: Volodia avait toujours l’air de rougir devant Doubkof de mes bévues les plus innocentes, et surtout de ma trop grande jeunesse.
Neklioudof n’était pas beau; il avait de petits yeux gris, un front bas et droit; la longueur démesurée de ses bras et de ses jambes n’ajoutait pas à l’élégance de ses proportions. Il n’avait de bien que sa taille élevée, la délicatesse de son teint et ses dents éblouissantes. Mais, grâce à ses yeux bridés et luisants et à l’expression changeante du sourire, ce visage était tour à tour sévère, ou enfantin et indécis, ce qui lui donnait un caractère énergique et original qui attirait tout de suite l’attention.
Je remarquai qu’il était très réservé, parce que la moindre plaisanterie le faisait rougir jusqu’aux oreilles; mais sa timidité ne ressemblait pas à la mienne. Plus il rougissait, plus sa physionomie exprimait de résolution et de hardiesse, comme s’il était fâché contre lui-même à cause de sa faiblesse.
Bien qu’il parût très lié avec Volodia et Doubkof, il était facile de voir que le hasard seul les avait réunis. Leurs idées étaient tout à fait opposées.
Volodia et Doubkof redoutaient par-dessus tout la sentimentalité et toute conversation sérieuse; Neklioudof, au contraire, était enthousiaste au plus haut degré, et souvent, malgré les railleries de ses amis, il se mettait à philosopher sur toutes sortes de questions et de sentiments.
Volodia et Doubkof parlaient volontiers de leurs préférences et aimaient en même temps les mêmes personnes et jusqu’à deux à la fois; Neklioudof, au contraire, s’emportait tout de bon lorsqu’on se permettait une allusion à ses inclinations.
Volodia et Doubkof s’amusaient souvent à tourner en ridicule leurs proches. Neklioudof était hors de lui si l’on s’avisait de faire la plus légère plaisanterie sur sa tante, pour laquelle il avait une affection passionnée.
Le prince Neklioudof m’avait frappé à première vue par son extérieur et par sa conversation. C’est peut-être parce que ses idées ressemblaient trop aux miennes, que le sentiment que j’ai ressenti, en le voyant pour la première fois, n’était rien moins qu’amical.
Je lui en voulais pour son regard prompt, sa voix ferme, son air altier, par-dessus tout pour l’indifférence absolue qu’il manifestait pour ma personne.
Souvent, j’avais une envie folle de le contredire au milieu d’une conversation. J’aurais voulu, pour le punir de son dédain, l’emporter sur lui dans la discussion et lui prouver que je ne manquais pas d’esprit, bien qu’il ne consentît pas à s’occuper de moi; mais la timidité me retenait.
Le soir, lorsque ma dernière leçon fut finie, je montai, selon mon habitude, auprès de mon frère. Je le trouvai étendu, les pieds sur le divan, accoudé et la tête appuyée sur sa main; il lisait un roman français. Il leva la tête pour une seconde, me jeta un coup d’œil et se replongea dans sa lecture. Rien de plus simple, ni de plus naturel que ce mouvement, et cependant j’en fus froissé.
Il me semblait que ce regard voulait dire: Pourquoi Nicolas est-il venu? Et, puisqu’il avait aussitôt baissé la tête, c’est qu’il ne voulait pas me laisser voir que ma visite l’ennuyait.
Ce besoin de donner de l’importance aux choses les plus insignifiantes était un des traits caractéristiques de mon adolescence.
Je m’approchai de la table, et je pris un livre; mais, avant de l’ouvrir, il me vint à l’idée que c’était très comique de rester ainsi sans échanger une parole, lorsque mon frère et moi, nous ne nous étions pas vus de toute la journée.
«Est-ce que tu sors ce soir? demandai-je.
—Je ne sais pas; pourquoi?
—Je l’ai demandé comme ça,» répondis-je. Et voyant que la causerie ne prenait pas, je me mis à lire.
Chose étrange, lorsque nous étions seuls, nous pouvions rester des heures entières sans échanger un mot; mais il suffisait de la présence d’un tiers, même silencieux, pour que la conversation la plus intéressante et la plus variée s’établît entre nous.
C’est que, livrés à nous-mêmes, nous sentions que nous nous connaissions trop bien; se connaître trop ou pas assez est également nuisible à l’intimité.
Je lisais depuis un moment, lorsque la voix de Doubkof retentit dans l’antichambre:
«Volodia est-il chez lui?
—Il est chez lui!» répondit Volodia en retirant ses pieds du divan et en posant son livre.
Doubkof et le prince Neklioudof entrèrent dans la chambre avec leurs manteaux et leurs chapeaux.
«Eh bien! est-ce que nous allons au théâtre, Volodia?
—Non, je n’ai pas le temps, répondit mon frère en rougissant.
—Quel prétexte! allons, viens, je t’en prie!
—Mais je n’ai pas de billet.
—Il y en a tant que tu en veux à la caisse.
—Attends, je reviens à l’instant,» répondit Volodia évasivement, et il sortit de la chambre en remontant une épaule.
Je savais que Volodia avait grande envie de répondre à l’appel de Doubkof et qu’il refusait uniquement parce qu’il n’avait pas d’argent.
Je savais qu’il était sorti pour se faire donner un acompte sur sa pension du mois prochain.
«Bonjour, diplomate,» me dit Doubkof en me tendant la main.
Les amis de Volodia m’appelaient ainsi parce qu’un jour, après le dîner, feu ma grand’mère avait dit en parlant de l’avenir de ses petits-fils, que Volodia serait un officier et moi un diplomate avec l’habit noir et la coiffure à la coq, inséparables de la dignité diplomatique, à ce que croyait mon aïeule.
«Où Volodia est-il allé? me demanda Neklioudof.
—Je ne sais pas, répondis-je en rougissant à l’idée qu’ils devineraient pourquoi Volodia avait disparu.
—Il n’a pas d’argent, n’est-ce pas? Eh!… diplomate? ajouta-t-il avec assurance en pénétrant mon sourire…. Mais, moi non plus, je n’ai pas d’argent … et toi, en as-tu, Doubkof?
—Nous allons voir, dit Doubkof en sortant sa bourse avec un air malin et en faisant mine de promener dedans ses doigts courts et remuants de la menue monnaie; voici cinq kopeks; en voici vingt … et puis … plus rien!» dit-il en faisant un geste comique de la main.
En ce moment Volodia rentra.
«Eh bien! dit Neklioudof, est-ce que nous partons?
—Non.
—Que tu es drôle! dit Neklioudof, pourquoi ne pas avouer que tu n’as pas d’argent? Prends mon billet….
—Et toi?
—Il ira dans la loge de sa cousine, dit Doubkof.
—Non, je n’irai pas.
—Pourquoi?
—Je n’aime pas y être … je me sens mal à l’aise.
—Toujours ta vieille chanson! Je ne peux pas comprendre pourquoi tu te trouverais mal à l’aise où tout le monde est aise de te voir…. C’est très drôle, mon cher.
—Que faire, si je suis timide? Je suis sûr qu’il ne t’est pas encore arrivé de rougir depuis que tu es au monde, et moi je rougis à tout instant et pour rien….» Et Neklioudof rougit déjà à la pensée qu’il rougissait facilement.
«Savez-vous d’où vient votre timidité, mon cher? dit Doubkof d’un ton protecteur; d’un excès d’amour-propre!
—Où prends-tu cet excès d’amour-propre? répondit Neklioudof, piqué au vif.—Au contraire, si je suis réservé, c’est parce que j’ai peu d’amour-propre; il me semble toujours qu’avec moi on doit s’ennuyer … voilà pourquoi souvent je parais….
—Habille-toi donc, Volodia,» s’écria Doubkof; et, le prenant par les épaules, il lui enleva son veston…. «Ignat!… les habits de monsieur….
—Voilà pourquoi, souvent, je parais….»
Mais Doubkof ne l’écoutait plus. «Tra la, la,… tra … la,… la,… la,… répétait-il en chantant.
—Non, tu ne te débarrasseras pas si facilement de moi, poursuivit Neklioudof: je te prouverai que ma timidité ne vient pas de l’amour-propre.
—Tu me le prouveras en venant avec nous au théâtre.
—J’ai déjà dit que je n’irai pas!…
—Alors, reste ici et fais ta démonstration au diplomate…. Quand nous rentrerons, il nous donnera tes conclusions….
—Eh! bien, oui, je lui prouverai que j’ai raison, répliqua Neklioudof avec une opiniâtreté enfantine;… seulement, revenez vite.
—Qu’en pensez-vous? Est-ce que je suis pétri d’amour-propre?» dit-il en s’asseyant près de moi.
Quoique j’eusse mon idée très arrêtée sur ce point, je sentis mon courage m’abandonner à cette question inopinée, et je fus un instant avant de pouvoir répondre.
«Je crois que oui, dis-je, en sentant que ma voix tremblait et que le sang me montait au visage, maintenant que je tenais l’occasion si ardemment souhaitée de lui prouver que je n’étais pas bête.—Je pense que tout homme a de l’amour-propre et que toutes les actions de l’homme ne viennent que de l’amour-propre.
—Alors qu’entendez-vous par amour-propre? dit Neklioudof en souriant avec un peu de dédain, à ce qu’il m’a semblé.
—L’amour-propre, répliquai-je, est la conviction que je suis meilleur et plus intelligent que les autres.
—Mais comment tout le monde peut-il se croire meilleur?
—Je ne le sais pas, peut-être que je me trompe, il n’y a que moi qui l’avoue; mais je sais que je me crois plus intelligent que tous les autres, et je suis persuadé que vous pensez de même.
—Non, je dirai de moi, tout le premier, que j’ai rencontré des personnes que j’ai reconnues être plus intelligentes que moi.
—C’est impossible, insistai-je d’un ton convaincu.
—Mais est-ce que c’est vraiment votre idée? demanda Neklioudof en me regardant fixement.
—Très sérieusement,» répondis-je. Au même instant, un nouvel argument s’offrit à ma pensée et je me hâtai de le développer en disant! «Je vais vous prouver que j’ai raison. Pourquoi nous aimons-nous nous-mêmes plus que tous les autres? Parce que nous nous croyons meilleurs, plus dignes d’amour. Si nous trouvions les autres plus parfaits, nous les aimerions mieux que notre propre personne … et ce cas ne s’est pas encore présenté; et, s’il en est ainsi, c’est que j’ai raison,» dis-je pour conclure, sans pouvoir réprimer un sourire satisfait.
Neklioudof resta silencieux un moment.
«Je n’aurais jamais cru que vous fussiez aussi intelligent,» dit-il enfin, avec un sourire si bienveillant et si charmant que tout à coup je me sentis très, très heureux.
La louange exerce une action si puissante sur le sentiment et sur l’esprit de l’homme, que, sous sa douce influence, il me sembla que je devenais plus intelligent qu’auparavant, et les pensées se pressaient dans ma tête avec une force extraordinaire.
Nous nous mîmes alors à aborder une foule de questions philosophiques, sur les meilleurs moyens de conduire notre vie, sur les avantages de la sagesse et de l’examen méthodique de toutes choses: un étranger aurait sans doute traité de fatras tous nos raisonnements, tant ils étaient obscurs et étroits;—mais, pour nous, ils étaient d’une haute valeur.
Nos âmes étaient accordées à l’unisson, et le moindre attouchement sur la corde de l’une retentissait sympathiquement dans l’autre.
Le plaisir que nous trouvions dans notre entretien naissait justement de cet accord. Il nous semblait que les paroles et le temps nous manquaient pour nous communiquer toutes les pensées qui demandaient à naître.
A partir de ce jour, il s’établit entre Dimitri Neklioudof et moi des relations assez originales, mais agréables au plus haut degré.
En présence d’autres personnes il ne faisait aucune attention à moi; mais, à peine nous retrouvions-nous en tête-à-tête, que nous nous installions confortablement dans un coin, et nous commencions à discuter sans fin, sans nous apercevoir de la fuite du temps.
Nous parlions de notre avenir, de l’art, des services à rendre à la patrie et à l’humanité, de notre mariage, de l’éducation de nos enfants! Et jamais il ne nous venait à l’idée que tout ce que nous disions n’était que du fatras.
C’est que ce fatras était un fatras spirituel et plein de charme.
Ce que j’aimais par-dessus tout, dans ces discussions métaphysiques qui remplissaient nos entretiens, c’était le moment où les pensées, se pressant dans une succession toujours plus rapide, devenaient de plus en plus abstraites et arrivaient à cet état nébuleux où je ne pouvais plus les exprimer, et où je disais tout autre chose que ce que j’avais l’intention de dire. J’étais heureux lorsque, planant plus haut, toujours plus haut dans la sphère de la pensée, j’embrassais soudain dans mon vol l’étendue infinie de la spéculation, et que je constatais l’impossibilité de pénétrer au delà.
A l’époque du carnaval, Neklioudof se laissa absorber par les plaisirs au point de me négliger complètement. Bien qu’il vint plusieurs fois par jour à la maison, il n’eut pas une seule conversation avec moi. J’en fus piqué au vif, et je me mis de nouveau à le considérer comme un homme orgueilleux et désagréable. Je guettais l’occasion de lui montrer que je ne tenais pas à sa société, et que je ne lui étais nullement attaché.
Lorsque, après le Carnaval, il voulut entamer une discussion, comme par le passé, je lui répondis que j’avais des leçons à préparer, et je montai. Un quart d’heure plus tard la porte de la salle d’étude s’ouvrit, et Neklioudof entra.
«Est-ce que je vous dérange? me demanda-t-il.
—Non, répondis-je malgré moi; j’aurais voulu lui dire que j’étais occupé.
—Alors pourquoi avez-vous quitté la chambre de Volodia? Il y a bien longtemps que nous n’avons pas discuté, et j’ai si bien pris l’habitude de ces entretiens, qu’il me semble qu’il me manque quelque chose.»
Mon dépit s’évanouissait peu à peu, et Dimitri redevenait à mes yeux l’homme aimable et bon que j’avais choisi pour ami.
«Vous avez sans doute deviné pourquoi je suis sorti de la chambre?
—Peut-être, répondit-il, en s’asseyant près de moi; mais, si j’ai deviné juste, je ne peux pas vous dire pourquoi…. Vous seul, vous pouvez l’avouer.
—Eh! bien, je vous le dirai: j’ai quitté la chambre parce que j’étais fâché contre vous…. Non, pas précisément fâché, mais j’étais mécontent…. Voyez-vous, je crains toujours que vous ne me méprisiez parce que je suis trop jeune pour vous.
—Savez-vous pourquoi nous nous sommes liés ainsi? répondit Neklioudof avec un regard bienveillant et plein d’intelligence, savez-vous pourquoi je vous préfère à tous ceux que je connais mieux que vous et avec qui j’ai plus de choses en commun? Je viens à l’instant de m’en rendre compte moi-même; c’est parce que vous possédez une qualité admirable et rare: la sincérité!
—C’est vrai, je dis toujours les choses que j’ai le plus honte d’avouer; mais je ne les dis qu’aux personnes dont je suis sûr.
—Mais, pour avoir toute confiance en quelqu’un, il faut être très intimement lié avec lui, et nous ne sommes pas encore assez étroitement unis. Nicolas, rappelez-vous ce que vous venez de me dire de l’amitié: pour être de véritables amis, il faut être sûrs l’un de l’autre.
—Il faut être certain que nos aveux ne seront jamais divulgués à personne, lui dis-je; car les pensées les plus graves, les plus intéressantes sont celles que nous ne confierions pour rien au monde à qui que ce soit. Et le plus souvent ces pensées sont vilaines!… si laides, que si nous savions que nous serons contraints de les confesser, elles n’oseraient jamais pénétrer dans notre tête!
—Nicolas! j’ai une idée!» s’écria Neklioudof en se levant de sa chaise; il se frotta les mains et sourit.
«Faisons un pacte, et vous verrez comme il nous sera utile à tous les deux: promettons-nous de tout nous avouer l’un à l’autre. Ainsi nous nous connaîtrons mutuellement, et nous n’aurons pas honte; mais, pour ne pas avoir à redouter les étrangers, échangeons mutuellement la promesse de ne jamais rien répéter à une tierce personne: vous de ce que je vous aurai dit, moi de ce que vous me direz. Voulez-vous?
—Je vous le promets,» répondis-je.
Et nous avons tenu parole.
Alphonse Karr a dit que dans toute affection il y a deux parts inégales: l’un qui aime, et l’autre qui se laisse aimer; l’un qui donne le baiser, et l’autre qui tend la joue. Cette remarque est tout à fait juste.
Dans l’amitié qui me liait à Dimitri, c’est moi qui l’embrassais et lui qui tendait la joue; il est vrai qu’il était aussi tout prêt à m’embrasser de lui-même. Nous nous aimions d’une égale affection, car nous nous connaissions et nous nous appréciions mutuellement; ce qui ne l’a pas empêché d’exercer une grande influence sur moi, et moi de me soumettre à son influence.
On comprend que j’aie pris sans m’en douter les idées de mon ami; elles consistaient dans un culte enthousiaste d’un idéal de vertu et dans la conviction que l’homme est appelé à se perfectionner toujours.
Il nous semblait alors que redresser tous les torts de l’humanité, détruire tous les vices, supprimer tous les malheurs, était une chose très facile à accomplir.
Mais surtout, dans la contemplation de cet idéal, nous ne mettions pas en doute que rien ne serait plus simple que de nous corriger nous-mêmes de tous nos défauts, de pratiquer toutes les vertus et d’atteindre le bonheur!


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