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Littérature française – Livres bilingues – Contes de fées et Livres d’enfants – Poésie Française – Gustave Kahn– Poèmes de Gustave Kahn – Table des matières
< < < A M. Brunetière
Jules Laforgue > > >
Portraits.
[174]
Ces portraits parurent à la Revue Blanche, à la Société Nouvelle, à la Nouvelle Revue. Les uns datent de 1895, d’autres de 1897, le dernier est tout récent. Ils donnent des âges un peu divers du symbolisme. Il en manque, mais les dimensions du volume déjà gros, nous restreignent à suivre surtout la ligne générale que nous y voulons donner, des origines du symbolisme pour la préface, et de ses possibilités, pour les articles qui suivent.
[175]
Paul Verlaine
***
Nous avons dit, sur la tombe encore ouverte de Paul Verlaine, l’expression de nos regrets et notre affection pour le grand poète prématurément enlevé à son œuvre. Si c’eût été, à notre sens, le lieu d’une explication de sentiments, nous eussions pu développer que la fin de sa présence réelle impose aux hommes qui ont dépassé la trentaine et qui firent du vers français l’instrument de leur musique intérieure, le sentiment d’une disparition brusque dans leurs souvenirs de jeunesse littéraire. Avec lui, outre lui, s’en va, une fois de plus, la mémoire de Rimbaud, celle de Corbière, celle de Charles Cros; c’était le Poète Maudit qui vivait encore, puisqu’il voulut se nommer ainsi, et que ce titre demeurera à ce groupe puissant d’écrivains, étiquette pour l’histoire littéraire, comme celle de Romantiques ou de Parnassiens—épithète un peu emphatique, mais qu’il voulut lorsqu’il était le Pauvre Lélian. Qu’on en sourie plus tard, lorsqu’on aura oublié leurs droits à se plaindre, c’est possible; le mot pourra rester un des meilleurs pour les définir (sauf M. Mallarmé qui est autre).
[176] Quant à l’œuvre, il n’est nullement trop tôt pour la caractériser et en fixer les traits principaux, Verlaine étant déjà dans la gloire, d’un consentement, diversement motivé, mais unanime, de tous les poètes.
Cette gloire n’est pas constituée de par une heureuse adaptation de son genre à des faits actuels, elle n’est pas prouvée par des succès de pièces de théâtre, qu’une reprise pourrait démolir. Elle est parce qu’il fit de fort beaux vers, et qu’il sut tout entier se traduire, qu’il l’osa et y réussit. La poésie personnelle, quand elle fut sincère et qu’elle fut écrite avec l’intensité de la généralisation qu’il faut, est moins entamable aux outrages du temps, que toute autre œuvre littéraire.
Parmi ces tomes légers, mais si pleins de trouvailles et de pages complètes qu’ils éclipsent de tout leur éclat tant de massifs romans (quoi qu’on accusât ce poète, comme tant d’autres, de ne publier que des plaquettes), deux manières se succédèrent. Non qu’il faille trop catégoriser, car les Poèmes Saturniens, par la pièce célèbre «Mon rêve familier», les Fêtes Galantes, par leur merveilleux finale, préparent déjà les vers de Sagesse et d’Amour Dans Jadis et Naguère les deux façons d’écrire et de concevoir l’unité de la pièce alternent. Les différences dans ce dernier livre sont justes assez importantes pour nous faire assister à cette évolution du vers parnassien parfait jusqu’à un vers modifié, libéré, assoupli, qui n’est pas le vers libre, mais qui s’en rapproche.
La rythmique de Verlaine s’affranchit d’autant que le sentiment à traduire est intime, et aussi qu’il le veut aborder directement. Quand il se sert, et c’est son [177] droit, d’un personnage quasi-dramatique qui apparaît un moment dans le tissu de son livre pour montrer son geste essentiel, sa forme est serrée, très rapprochée des vers classiques. Ainsi les jolis personnages des Fêtes Galantes et de les Uns et les Autres, n’ont pas besoin qu’on leur invente des strophes nouvelles: par exemple ils ne peuvent se passer de jouer sur les anciens rythmes de toute leur légèreté, ils les tendent, ils accumulent les dissonances avant d’arriver à la résolution de l’accord; ils choisissent aux Fêtes Galantes les plus coquettes des petites coupes, ils errent dans les Uns et les Autres au long de l’alexandrin, cherchant un peu à s’évader, puis préférant en somme montrer que, s’ils sont captifs, c’est bien leur bon plaisir qui les y fait consentir. Mais quand Verlaine veut se montrer lui-même, parler en son propre nom, sans voile de fictions, généralement le vers et la strophe s’élargissent plus musicaux encore et débarrassés des petites méticuleuses préoccupations; généralement, mais pas toujours, car le dialogue avec Dieu dans Sagesse, un de ses plus beaux poèmes, est construit à l’aide de sonnets, ou plutôt de jeux sur le sonnet; mais c’est encore libérer le vers que d’utiliser une forme fixe à une destination jusqu’alors non signalée.
Ce n’est pas une métrique nouvelle qu’apportait Verlaine; ceux qui le disent se trompent, c’était autre chose, c’était l’assertion que le poète doit assouplir la langue poétique à son génie propre et dédaigner d’y plier son génie; c’était de préférer nettement une hérésie au code poétique accessoire de la rime et de la symétrie, à une faute contre l’essence poétique, à une [178] déviation de la phrase chantée; c’était la trouvaille de procédés pour peindre l’intime de l’âme humaine sans déroger à la majesté du lyrisme, mais en en rendant les plus frêles nuances.
Considérez cette même tentative de faire aboutir la Muse pédestre et familière, chez M. François Coppée, et comparez: mieux que toute explication la confrontation des œuvres indiquera de quel art Verlaine sait ennoblir le sujet en y touchant avec de menues ressources, mais avec son rythme particulier d’une ligne si noble que toute vulgarité est impossible; ce n’était pas seulement la vulgarité qu’il chassait du vers, mais la pointe, mais l’éloquence ou, mieux, la rhétorique, et la rime folle et ce qui n’était que littérature.
En cela il se ralliait au grand mouvement poétique où passèrent Poe et Baudelaire, dont le but fut de resserrer les attributs de la poésie, de ne lui permettre de chanter que des instants vraiment dignes d’un style d’apparat. Les minutes heureuses de Baudelaire sont les mêmes que les minutes de tremblement, devant la divinité ou l’amour, de Paul Verlaine. Qu’on n’objecte pas que Baudelaire contribua plus que tout autre à édifier les murs solides où Verlaine fit brèche. Lui aussi cherchait à s’évader, il n’osa toucher au vers et choisit le poème en prose; s’il eût vécu, peut-être eût-il élargi ses tendances de liberté.
Mais je n’ai voulu qu’indiquer la nature de l’évolution du vers chez Verlaine; prémisses et principes d’élargissement dans le fonds et dans la forme, voilà ce qu’il apportait: ce qui est plus important, c’est qu’il fut toute une âme complexe et nombreuse, pleine d’apparitions [179] sombres à faces d’assassinés, pleines de vierges Marie long-voilées et de Christs aimables et s’inclinant vers sa faiblesse d’homme, abondante en masques variés et clairs, avec les voix si mélancoliques, dans des Trianons que menace l’automne, et que cette âme resta toujours fraîche, qu’il nous la montra sans cesse en plus de douze recueils de chansons, où le temps fera peu de déchet (sauf quelques pièces de circonstance en Sagesse), sans défaillance d’artiste, sans redites, avec long bonheur. Et s’il ne fut un prosateur qu’occasionnellement, de quelle jolie allure s’en va sa phrase, butante, objectante, serpentine, pleine d’apartés et de réflexions, dans les coins de Paris qu’il affectionnait. C’était une âme très sensible, très diverse, très vibrante, non pas une âme femme, comme dit M. Zola, mais capable de recueillir l’écho des plus fines sensations, ce que doit être l’âme d’un poète.
[181]
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