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Études.
Doumic contre Verlaine
***
M. René Doumic vient de publier, dans la Revue des Deux-Mondes, un article sur Paul Verlaine.
Il y est dit—qu’il est fort heureux que nous possédions enfin une édition complète et compacte de l’œuvre de Paul Verlaine, que nous l’avions lu, dans ces minces plaquettes qui paraissaient, du vivant de Paul Verlaine, tapageuses et furtives; maintenant, nous avons tout, les farces, les calembours, les jurons, les ordures, les non-sens, tout le bavardage, tout le radotage, tout le fatras où sont noyés quelques vers d’un charme morbide. Cette publication a l’avantage de remettre les choses au point et de faire apprécier l’égale platitude du personnage et de son œuvre. Le succès de Verlaine serait dû à une insolente mystification. Verlaine était un mauvais élève du Parnasse, qui tomba aux pires déchéances, et, à son retour en France, après quelques années de Belgique, il fut mis à la mode par ce petit fait, qu’étant l’homme qu’il était, il fut publié par un éditeur catholique; il y eut dans son cas ce petit brin d’originalité qui constitue, pour une grande part, le fait Paris. Les Parnassiens célèbres, auprès de qui il avait rimé, eurent pitié et l’aidèrent. En plus, la critique [395] du temps, qui était impressionniste et s’amusait aux jeux d’ironie, saisit l’occasion pour s’amuser à faire un grand poète, d’où le Choulette de M. Anatole France et des articles de Jules Lemaître.
Verlaine n’a jamais traduit que des états de sensibilité; cet art est le contraire d’un art nouveau. La jeunesse se tromperait en prenant un Verlaine pour guide; il est la convulsion dernière du romantisme: on ne pourrait, d’ailleurs, rien lui reprocher si l’on admettait les théories du romantisme dont il est la sénile expression. De plus, Verlaine ne sait pas sa langue, il n’a jamais été qu’un très médiocre écrivain. Il y a chez lui de la fumisterie, de l’incohérence des idées, des mots, incontinence de verbiage. Sa prétendue primitivité n’est que de la sénilité. Son art est tout à fait stérile, maigre floraison sur un arbuste épuisé.
Voici la conclusion après l’argumentation: «Il est à craindre que Verlaine ne soit pas complètement oublié… Qu’il ait pu grouper des admirateurs, dont quelques-uns étaient de bonne foi, que sa poésie ait pu trouver un écho dans des âmes qui y reconnaissaient quelque chose d’elles-mêmes, c’est un exemple qu’on citera pour caractériser un moment de notre littérature, et montrer à quelle déliquescence les notions de morale et le sentiment artistique ont, à une certaine date et dans un certain groupe, failli se dissoudre, se perdre et sombrer.»
Je ne veux pas discuter cet article; ce serait peine perdue: l’admiration des poètes, soit qu’elle admette l’œuvre en son ensemble, soit qu’elle choisisse, et [396] qu’elle écarte quelques volumes de la fin de vie malade et pauvre de Verlaine, soit qu’elle se limite aux quatre ou cinq premiers recueils du poète, salue en lui une âme tendre, un poète charmant, un rythmiste très habile et un novateur dont on a pu exagérer l’apport, mais dont l’apport existe très considérable. Cette admiration des poètes vaut bien le dédain de quelques critiques, surtout quand ces critiques sont de purs sectaires. Je ne relèverai pas autrement que d’une indication ceci: c’est que M. Doumic n’est pas, à fond, le fervent indigné qu’il paraît. Il y a eu, dans son cas, beaucoup du désir de tirer un pétard, et aussi un désir encore moins élevé, qui a été d’imiter avec le plus d’exactitude possible le maniaque obscène, glapi derrière l’ombre de Baudelaire, par M. Brunetière. Mais enfin, mieux vaut prêter aux gens les motifs les plus nobles possible, et admettre, presque contre l’évidence, que M. Doumic n’a insulté la mémoire de Verlaine que parce que, littérairement, il le trouve un poète inférieur, et ici la question devient plus intéressante parce que, tout en ne cessant point de concerner Verlaine, elle s’élargit au-dessus de M. Doumic, elle concerne tous les grands poètes morts et tous les petits critiques.
La critique bien entendue serait un art. Actuellement, elle est surtout un métier que des gens exercent sans aucune aptitude. Au lieu d’être une explication d’œuvres et de courants d’œuvres, elle confine, d’un côté, à la publicité et, de l’autre, au pamphlet.
On a perdu de vue les nécessités intellectuelles de la critique, on ne se rend pas compte qu’elle nécessite chez le critique une information et aussi qu’elle ne [397] peut être exercée utilement, sauf exceptions infiniment rares et toutes récentes, que par un artiste sachant de quoi il retourne et capable de mener à bonne fin lui-même des œuvres d’art.
La Revue des Deux-Mondes résout le problème du choix du critique en appelant à elle un professeur. Il y a là une insuffisance. Non que je veuille proscrire d’un coup, hors la connaissance littéraire, des hommes instruits, érudits, comme il n’en manque pas dans l’Université, et certains écrivent sur l’art et la littérature avec goût et de façon amusante, sinon révélatrice. Mais le professeur, critique par échappées, est professionnellement un peu manieur de férule. De là, chez les meilleurs, une tendance à préférer aux classifications méthodiques un mode de palmarès et de distributions de récompenses. Le professeur a un peu l’habitude de faire de l’esprit aux frais des intelligences un peu lentes de sa classe; il transporte parfois dans la critique ce ton léger et un peu discourtois. Le professeur devant sa classe est infaillible, et devant ses supérieurs et ses doyens ne parle que de ce qu’il sait. De là une habitude d’avoir raison, dont il transporte dans sa critique le ton d’assurance.
Mais c’est qu’ici la question change. Le professeur se trouve devant des phénomènes d’ordre nouveau, sur lesquels il n’a plus de lumières spéciales et acquises. Il lui arrive alors de se tromper d’un petit ton d’assurance un peu gênant. De plus, il y a un point à fixer qui est celui-ci:
Le professeur, nourri d’humanités, nourri de critique antérieure, au fait de Sophocle et aussi de Nisard, [398] se croit le gardien d’un héritage précieux. Du fait qu’il est un de ceux qui transmettent le moyen d’étudier les textes des langues mortes, il se figure assez volontiers que Sophocle lui appartient davantage qu’à ceux qui ne savent pas le grec. Et là il a un peu raison. Mais, ceci posé, il a tort de deux façons.
D’abord, le fait de connaître Sophocle n’indique point qu’on participe de ses mérites, et, s’il est beau d’être le gardien d’une tradition antique, il ne faut pas s’identifier, même légèrement, aux créateurs de cette tradition, et se croire leur égal en quoi que ce soit, et de là prendre, envers les malheureux écrivains d’âge récent et de langue vulgaire, l’attitude d’un ancêtre chargé de gloire. Il ne faut pas croire non plus, parce qu’on s’essaie à écrire exactement comme les gens du XVIIe siècle, qu’on est supérieur à Banville ou à Goncourt (que M. Doumic traite avec un cocasse dédain). Il ne faut pas croire, parce qu’on a étudié les siècles d’art, qu’on les représente. Ce serait comme si l’ange placé à la porte du Paradis terrestre se croyait Dieu, ou, pour nous exprimer à l’aide d’un souvenir d’un de nos meilleurs classiques, imiter l’âne porteur de reliques du bon La Fontaine.
Pas plus que le professeur ne doit se croire Eschyle ou La Bruyère, il ne doit se figurer qu’il est leur représentant désigné de droit d’examen, et qu’il tient la clef qui ouvre les portes du passé, et que, seul, il porte les noms sur les listes de Mémoire. Les manuels d’histoire littéraire, qui ne sont pas toujours très bien faits, ont coutume, même quand ils ont quelque valeur, de s’arrêter à une certaine date. Ce fut 1789, ce [399] fut 1815. C’est maintenant après l’éclosion définitive du Romantisme qu’on arrête ces travaux et on les fait suivre d’un léger appendice, où se trouvent des noms et des opinions sur ces noms qui n’ont plus la même valeur de certitude, et cette timide sélection est en général mal faite. Mais le professeur se tromperait en croyant qu’ainsi faisant, il a promu ou fait attendre. On comprend que l’Université n’étant pas créée pour mettre ses élèves au courant du dernier mouvement littéraire, s’arrête après le dernier mouvement bien déterminé et compte sur la vie pour que ses jeunes gens, plus tard, apprennent le reste. Mais le professeur de l’âge suivant, qui pousse de vingt ans plus loin le manuel, n’a pas toujours l’occasion de ratifier complètement l’appendice de son prédécesseur, et, le ferait-il, qu’importe? L’Université fit à Victor Hugo la guerre la plus ouverte. Actuellement, c’est au nom d’Hugo que les critiques de provenance universitaire nous combattent. Si les choses vont logiquement, c’est en notre nom qu’on combattra nos successeurs; mais bien du temps encore s’écoulera. En général, ce sont les petits-neveux qui sont témoins de cette agrégation posthume au patrimoine autorisé de l’esprit français.
Tous ces défauts qui infirment la critique professorale se rachètent chez l’un ou l’autre par telle qualité, et puis il y a des exceptions; mais quand la critique est maniée par M. Doumic, tous ces défauts prennent des proportions énormes, et l’on arrive à ce phénomène, de voir un pur et simple essayiste traiter un grand poète comme un écolier et, sans notion des distances, l’insulter après sa mort. Je pourrais dire ici [400] à M. Doumic que si tous les gens qui s’habillent irréprochablement, au lieu, comme Verlaine, de porter des loques, que si tous les gens qui recherchent des notions morales dans la littérature étaient pareils à lui, Doumic, Verlaine aurait eu parfaitement raison de mettre entre eux et lui, Verlaine, tout l’intervalle de sa supériorité. Nous pouvons admettre le point de vue prudent et même réactionnaire de certaine critique où la bonne foi n’est pas suffisamment aidée de clairvoyance, nous pouvons admettre l’erreur qui est humaine, même quand elle prend un ton agressif qui est de trop, nous pouvons hausser les épaules devant les assertions de critiques qui n’ont pas su se manifester autrement que sous les espèces d’articles de critique; tant pis pour eux s’ils sont en baudruche, et malgré que l’homme devrait savoir le métier qu’il prétend exercer, nous pouvons ne pas nous soucier qu’un critique, placé dans une chaire retentissante, ne dise que des pauvretés.
Ce que nous ne pouvons pas admettre, c’est ce ton d’insulte envers un poète qui n’est plus là pour répondre, c’est cette lâche attaque à un mort dans son talent et dans son caractère. On n’admettrait pas qu’un homme quelconque qui n’a point fait de vers, qui a exercé une profession quelconque fût ainsi vilipendé par delà le tombeau. Il ne faudrait pas que le fait d’avoir eu du génie engendrât comme conséquence naturelle qu’on est voué aux outrages ignominieux, et c’est non tant la sottise de M. Doumic que son inconvenance que je flétris ici.
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