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Littérature française – Livres bilingues – Contes de fées et Livres d’enfants – Poésie Française – Gustave Kahn– Poèmes de Gustave Kahn – Table des matières
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Une campagne du symbolisme en 1888.
Amour
***
Sous ce titre, Amour, Verlaine a groupé nombre de pièces toutes d’un ordre sentimental. Ce sont, ces vers, des moments de douceur, des heures comme tièdes et calmes après de violentes souffrances, des heures comme de renaissance de l’esprit pendant que le corps convalescent s’alanguit; et ce mot AMOUR ne veut pas dire ici seulement l’élan fatal et physique de l’homme vers la femme, ni le désir âpre et exaspéré d’un thème à suggestions personnelles qui est la forme supérieure de ce désir, c’est pour Verlaine une résignation, une tendresse recueillie pour les paysages sus, les rythmes entendus, la foi qu’il professe, les blancs symboles qu’il préfère, les amitiés dont il a gardé le regret; cet amour, c’est un état constitué, nécessaire, que dicte l’état des nerfs et que dirigent les souvenirs; c’est une accueillance toute prête à tout sentiment bienveillant et qui en soi se désaltère.
Chacun sait l’évolution poétique de Verlaine; comment le fantaisiste ému des Fêtes Galantes est devenu le primitif de Sagesse; et deux manières principales peuvent se distinguer en lui. L’une qui produisit les [89] Fêtes Galantes, les Uns et les Autres, nombre de petits poèmes charmeurs et caressants, l’autre qui inspira les cris de foi de Sagesse, le dialogue avec Dieu, et ceux où la passion poignante et clairvoyante pour la femme sa sœur, s’affirme en tant de sonnets qui resteront aux mémoires humaines. Au fond même cette différence que nous voulons voir, cette sorte de différence physique entre les gammes et les couleurs de ses poèmes n’est en sorte que deux manières d’être, que deux vestitures différentes de sa sensation, de son sentiment fondamental; dans le premier cas Verlaine, en des moments—comme de santé absolue et d’indulgence corporelle—agite les marionnettes à la Watteau, et dans une langue exquisement décorative, agile, il leur fait passer aux lèvres sans cesse ce sourire mouillé, cette gaieté tendre que lui et Heine ont su, à ces heures, évoquer en eux. Au second cas, abstraitement, sans décors, ou en tel décor qui n’est qu’un rythme, il synthétise sa douleur spéciale et personnelle non telle qu’elle fut subie, mais telle qu’elle demeure à travers les transfigurations de tant d’errances et de stagnances à la vie et dans les idées; et c’est ce point spécial de s’être refusé à toujours dire ses sensations dans les modes amples mais roides d’une anecdote ou d’une fresque, de faire parler sa voix par celle d’une effigie de comédien, qui fait la grandeur de Verlaine, et le caractérise, et fixe sa place parmi l’évolution des vrais poètes.
Car s’il est logique et légitime de penser que tous les phénomènes humains peuvent, en leur état essentiel, être ramenés à un petit nombre de faits généraux, et que, ceci admis, l’œuvre littéraire à faire consiste à [90] grouper les plus essentiels de ces faits généraux dans un spectacle intégralement esthétique (et ce serait le but en art de M. Stéphane Mallarmé), il est également logique et légitime de penser que ces quelques phénomènes, essentiels par la seule raison qu’ils sont mis en jeu, provoquent immédiatement des actions et des réactions, soit des contrastes; ces contrastes qui sont l’effet le plus appréciable à tous, le plus tangible, sont modifiés par les circonstances, et, si l’on veut se pencher vers le phénomène, étudier spécialement en quoi ce phénomène, connu évidemment et répercuté de tous les états précédents du même phénomène se présente pourtant et toujours avec des aspects de nouveauté, avec des modifications de conscience, on perçoit une infinie diversité.
Un paysage, par exemple, frappe et conquiert d’abord par la sévérité ou l’inflexion douce de ses lignes. Une impression nette se produit: l’homme est intéressé ou attendri; s’il passe rapidement, il n’emportera que ce heurt bref sur sa rétine et son cerveau, déjà différent d’ailleurs, selon l’heure qui irradie ou assombrit le paysage; si quelque instant il s’arrête, se pénètre des conditions partielles de la beauté de ce paysage, soit les petits rythmes de ses courbes, soit l’architecture de ses arbres, soit la disposition des tapis de verdure, la présence ou l’absence de l’eau, la rigidité des branches ou le rythme général du vent dans les feuilles, aussi la cadence ou le bruit qui se dégage du demi-silence du paysage, il se créera en lui des associations d’idées; le paysage ne sera plus ce qu’il est exactement, mais l’heure du rêve du passant. [91] Ce rêve sera modifié par ceci que le passant sera heureux ou malheureux, simplement de bonne ou de mauvaise humeur, affairé ou oisif; et l’état complet de sa sensation ne sera constitué que lorsque, l’ayant quitté, il verra soit un fait de nature soit un phénomène humain qui, par un contraste, lui apprenne que la vision de tout à l’heure est finie. Alors, un instant, la perception est nette; mais très rapidement le nouveau point du paysage excite son attention, de nouvelles réactions entrent en jeu, la sensation redevient mixte et se continue ainsi jusqu’à ce qu’un fait d’ordre purement matériel interrompe le courant d’idées, l’ordre de succession des idées engendrées par la vue du paysage et enterre les perceptions latentes et qui allaient naître, sous un choc plus violent s’élevant dans l’individu.
Or, si un paysage est donc à toute minute modifiable en toutes les impressions qu’il suggère par ses conditions même d’existence, que plus complexe, plus modifiable encore est un phénomène humain, un phénomène psychique, dont nous ne pouvons guère percevoir le heurt que lorsqu’il s’est produit et va s’effaçant. Nous ne ressentons une impression mentale ou affective, qu’en vertu de l’existence antérieure d’une autre impression; ces phénomènes sont variés par l’heure de la vie, la disposition initiale, l’atavisme, la santé générale de l’individu, sa santé momentanée, ses conditions de force, de normalité, le nombre des expériences acquises, l’essence de l’individu, plus toutes les mêmes conditions de variations chez l’être ou les êtres avec lequel il est en contraste.
[92] Il faut donc admettre que ces quelques phénomènes généraux contiennent en puissance et nécessairement autant de combinaisons possibles que les lettres de l’alphabet contiennent de mots, les dix chiffres de nombres, les sept notes de combinaisons harmoniques. Or, nous ne pouvons percevoir toute la série des phénomènes; prendre le fait sous son aspect le plus simple est peut-être insuffisant; ne pouvant connaître que ce qui se passe en nous, il nous faut nous résoudre à le clicher le plus rapidement et le plus sincèrement possible en son essence, sa forme et son impulsion. De là, la nécessité d’une poésie extrêmement personnelle, cursive et notante. Verlaine est un des poètes qui se rattachent à ce courant de pensées, courant large qui a constitué le répertoire et le fonds de vraie poésie, en face et avec les œuvres plus architecturales et philosophiques.
Le livre s’ouvre sur une prière comme une journée de croyant. Le catholicisme de Verlaine, c’est surtout un besoin de paix languide et de charité, un peu aussi de solidarité; c’est, sous une forme de primitif, l’instinct social actuel: le dieu de Verlaine c’est un Soi meilleur:
Place à l’âme qui croie et qui sente et qui voie
Que tout est vanité fors elle-même en Dieu.
Il a, comme les mystiques, le culte de la Vierge à laquelle il adresse de pénétrants cantiques; mais là encore c’est la religion anthropomorphique, la création d’un idéal féminin, l’évocation cérébrale d’une femme avec laquelle il ne faille point débattre les [93] choses de la vie. Puis s’égrènent des coins de Londres aux senteurs de rhum, et des péchés abolis, des ballades légères et chantonnantes, des lieds mélancoliques:
Je vois un groupe sur la mer,
Quelle mer? Celle de mes larmes.
et des sonnets: au Parsifal, triomphateur des appels et des luxures; d’autres sonnets, bibelots précieux faits pour des amis du poète; puis des sonnets chrétiens, puis des paysages, enfin Lucien Létinois, une tentative de poème intime et familier, comme un petit roman de poète, conçu sans la banalité des détails, pas poussé à l’héroïsme, vrais vers bien pris en leur taille, d’un sincère et pénétrant timbre lyrique.
C’est, après la mort d’un ami pris tout jeune, périmé à l’hôpital, le regret qui s’éveille en celui qui demeure; et tout d’abord l’action de grâces à Dieu, l’action de grâces quand même:
Vous me l’aviez donné, vous me le reprenez:
Gloire à vous…..
Vous me l’aviez donné, je vous le rends très pur,
Tout pétri de vertu, d’amour et de simplesse.
Attristé et attendri, et plus seul, le poète fait un retour sur lui-même et toute la souffrance antérieure, il sent qu’il doit marcher blessé au milieu des hommes:
Mes frères pour de bon, les Loups,
Que ma sœur, la femme, dévaste.
[94] et ces blessures il les sent toutes infligées par des mains de femme:
O la femme! prudent, sage, calme ennemi,
N’exagérant jamais la victoire à demi,
Tuant tous les blessés, pillant tout le butin.
et quand il sut, quand ses premières certitudes en l’idéal féminin furent ruinées, l’amitié d’un enfant intelligent lui fut la consolation, et il l’aima comme un fils dont il est fier. Les litanies se déroulent:
Mon fils est brave, il va sur son cheval de guerre
Sans reproche et sans peur par la route du bien,
Un dur chemin d’embûche et de piège où naguère
Encore il fut blessé et vainquit en chrétien.
Son fils est fier, bon, fort, beau. Puis se retrace à lui le souvenir de tristesses communes, puis l’idée du convoi blanc qu’il fut sinistre de suivre; et après ces idées de deuils anciens, qui ont amené l’idée de tristesse et la mémoire de la mort, par une naturelle réaction le souvenir de la grâce et de la valeur de celui qui est mort, et de là l’idée des minutes heureuses passées ensemble, dans des étés ou des printemps d’une beauté de contes de fées, où la fatigue des marches se fait bienfaisante et soulève les piétons en féeries, et puis après ces temps, les séparations et la mort. Cette mort n’est-elle pas un châtiment? A-t-on le droit de se faire un fils hors la nature?… Enfin! ce qui reste au poète de l’ami regretté, c’est un pastel évocateur et ces quelques sensations égrenées, et le souvenir de [95] rêves faits pour l’épanouissement détruit de l’ami et le souvenir de sa mort, de ce qui fut son âme, et des minutes de pensée devant la pierre tombale qui symbolise maintenant le vivant, et aussi à cette pierre tombale le souvenir de tous les autres morts de l’artiste, de ceux dont il dit «ses morts,» puisque c’est en sa joie et sa douleur qu’ils ont vécu et qu’ils sont morts.
Toutes ces choses écrites dans une forme classique, aux défaillantes douceurs, qui fait penser aux méditations de quelque solitaire grave et depuis si longtemps triste, errant en quelque Port-Royal plein de douceur et de vague, et s’asseyant le soir pour rêver aux effigies disparues, avec la résignation d’un Job doux.
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