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Une campagne du symbolisme en 1888.
Paul Adam: Etre
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M. Paul Adam évoque dans son livre, parmi les détails de civilisation, d’armures, de guerre et d’apparat du XVe siècle, une âme féminine, anxieuse de l’autonomie de sa conscience, désireuse de la puissance et de la force, et luttant perpétuellement entre ces deux recherches, que leur coexistence en son cerveau rend toutes deux vaines, la recherche de la science et la recherche de l’amour. La recherche de la science aboutit à l’acquisition de l’influence; la recherche de l’amour aboutit au détraquement des sens, et tant que lorsqu’accusée de magie, la comtesse Mahaud apparaît devant le tribunal ecclésiastique, la honte de ses sens lui interdit l’affirmation de sa pureté, la puissance de son cerveau lui fait rejeter les décisions canoniques et exalter sa foi; puis un immense repentir la saisit et la livre sans force aux bourreaux et au bûcher.
La science acquise meurt en elle, l’influence déployée pousse ceux qui vécurent près d’elle à partir par routes opposées à la poursuite de quelque inconnaissable qu’ils contiennent et qui les fuit; les moines s’absorbent en l’extase, les soldats s’abîment dans les guerres et le [97] rythme perçu et initialement déroulé par la comtesse Mahaud disparaît dans la mort et les éléments, n’ayant fait que victimes puisque, n’aboutissant pas, il ne fut qu’agitation.
Telle la contexture du livre: l’effort intellectuel périssant par la lutte avec le développement physique, l’âme aspirant à l’être, inclinée par la mauvaise utilisation des forces vers la vie corporelle qui est le non-être, puisque la force mentale s’accroît par son effort et subsiste en toute apparence éternelle d’espace et de durée et que la force corporelle dépensée est irrémédiablement perdue et le temps d’effort qu’a coûté la dépense de force, aboli.
Et d’abord pourquoi une restitution du XVe siècle? car il faut admettre que les jeunes écrivains utilisent un temps écoulé pour y dérouler, en une tapisserie décorative, l’essence toute moderne de leur pensée.—C’est que ce temps infiniment trouble, temps de lutte pour la vie absolument générale, lutte contre la guerre, lutte contre le pillage, lutte pour la liberté de vivre matériellement, accomplit ses événements physiques avec des heurts singuliers. Coexistent Étienne Marcel, Gerson, Armagnac, Louis d’Orléans, Jean de Bourgogne; la chevalerie meurt; la persécution, c’est-à-dire l’adoption d’une idée avec assez de force pour l’imposer par tout moyen, fleurit. Entre toutes ces causes de désordre, les esprits s’affolent; c’est le temps des danses de Saint-Guy, des danses macabres; les gens affolés et saturés de souffrance rentrent en eux pour y chercher un coin de calme ou d’oubli; or, ils ne le trouvent pas, le malheur leur ayant durci le cœur, les sciences ou les [98] arts n’existant que pour quelque élite. C’est donc une des plus belles périodes du développement de l’initiative particulière échouant toute, c’est un des plus beaux temps de détraquement général, constitué par tous ces échecs particuliers; et ceci légitime dans la tentative de M. Adam l’emploi d’une évocation quasi légendaire du XVe siècle et de la force y adhérant.
Voici les détails du livre: Mahaud chevauche, s’éloignant de la demeure familiale au côté de Jacques de Horps qu’elle a choisi. Ce jour-là a eu lieu l’enlèvement, précédé déjà du don de son corps qui ne trouva point, en l’échange de leurs caresses, le secret de l’impulsion qui les poussait l’un vers l’autre. A l’abbaye, où ils arrivent et doivent passer la nuit, une danse de Saint-Guy vire sa ronde, entraînant les convulsionnaires et, de sa force attractive, saisit un des cavaliers de l’escorte. Une charge dissipe la ronde, mais au seuil de l’amour déjà un dégoût physique s’est levé, et Mahaud, pour être seule ce soir-là, hypnotise et rejette dormant sur le lit Jacques de Horps.
Cette force magnétique, Mahaud l’avait acquise en étudiant sous son père, le vieil Edam, savant alchimiste, qui, encoléré de savoir sa fille abandonner la recherche pour choir en la matière, l’a maudite, et veut guerroyer contre Jacques de Horps et Mahaud, de toutes les ressources de la magie et de toutes les forces de la guerre.
Aussitôt donc il faut se préparer à combattre et chercher du secours et convoquer les vassaux.
C’est pour Mahaud une grande joie que lorsque Jacques tient sa justice; des gens qui ont bravé la comtesse de leurs regards, expient en souffrant des rigueurs [99] de son mari; les potences et les glaives font œuvre, et l’impassible justicière satisfait les griefs des uns du sang des autres, et abandonne aux premiers châtiés les têtes des seconds pour payer la forme trop vive de leurs réclamations. Puis, ce sont promenades, festins, chevauchées, nuitées d’amour, bonnes et promptes et sanglantes justices et, fête suprême, le rassemblement de l’armée, où Mahaud voit toute sa force absorbant ces hommes, leurs armes et leurs vies, qui vont partir pour la défendre.
Qu’arrivera-t-il de cette armée? après le départ, Mahaud consultera les forces magiques; quarante jours et quarante nuits elle prépare les rites et se prépare aux rites. A-t-elle gardé sa puissance? ou l’enfant qu’elle porte en elle l’a-t-il absorbée? Dans l’hallucination sa race meurt en elle et les présages sinistres se font. En effet, le comte est mort; sa postérité avorte et bientôt le château est assiégé; des soldats qui reviennent d’une sortie rapportent la tête d’Edam, son père.
Mais la prolongation du siège affole les défenseurs; une émeute les jette sur les filles; ils refusent obéissance et se rebellent contre la comtesse; par moquerie, ils lui tendent l’épée et l’étendard. Les nerfs de la femme s’exaltent; elle accepte les emblèmes, enlève ses gens de son élan et culbute l’ennemi; et dès lors elle entre dans la joie d’orgueil et de puissance; elle s’assimile, par la domination de son esprit plus complet, le chapelain du château; ses prêches, c’est elle qui, de sa place, par son regard, les lui dicte; elle domine les gens de guerre par l’or qu’elle leur abandonne et les objets et les détails qu’elle leur fait aimer; pour sa joie [100] profonde elle entreprendra la science de l’avenir.
Le décor extérieur se déroule toujours, des hérauts, des pages, des chevaliers aux tournois, et toujours la guerre, et la finale et décisive bataille qui met fin aux sièges et fait Mahaud sans conteste libre d’elle et de son comté.
Mais tout cela n’est point le repos; l’instinct de la connaissance ne trouve pas sa pâture, et la vie corporelle, non satisfaite, s’use en phénomènes d’extase. Tandis que Mahaud continue sa magie supérieure, sa suivante et préparatrice, la vieille Torinelle, pratique pour elle et les gens du bourg une plus grossière et physique sorcellerie; à la comtesse déchue de son rêve de haute magie et qui regrette, elle offre l’usage de l’homme inférieur et simplement fort; puis, de factices désirs troublent Mahaud: elle a dans son entour immédiat un coquet et féminin personnage, elle le prend, mais ne trouve dans cette union sans contraste aucun plaisir; et, furieuse de cette faiblesse qui ressemble à du mépris, elle envoûte le pauvre sire.
Puis, les cauchemars, les hantises, les sabbats, et la recherche d’Asmodaï, le plaisir anti-physique et stérile, l’inassouvissable recherche de la sensation quand même, l’à rebours des temps navrés, jusqu’à ce que s’émeuve l’Eglise, voulant justice de la mort du malheureux envoûté. On trouve l’androgyne aux caves du château; et dans toute une faiblesse, une mollesse qui la fond à la parole du confesseur à qui naguère elle suggérait sa puissance, dans une douceur mystique et un anéantissement dévot elle meurt; trop tard arrivent ses soldats qui ne peuvent que la venger. La [101] femme, malgré toute science, est retombée à sa misère initiale, au geste de petite fille qui ne sait; l’effort est rompu et perdu en elle. Les moines qui la condamnèrent vont chercher le pardon en Palestine, et les soldats vont par bandes guerroyer et s’anéantir.
L’écriture de M. Paul Adam, dans un sujet où perpétuellement il faut montrer tangible un phénomène psychique et concréter cette réaction de l’être de façon à ce qu’il semble une action de lui, malgré de nombreuses pages accomplies, échoue parfois. Dans la partie décorative, tout émaillée de tournures de phrases et de termes Moyen Age, elle rappelle parfois de trop près la phrase trop nette de Flaubert. A part les quelques points du livre où ces défauts se manifestent, les quelques trous qui gîtent en cette trame complexe de décor et d’idéalité, c’est une sobre et nette et belle forme.
Les anciens livres de M. Paul Adam étaient des livres de notations intéressantes; mais Soi était trop long, et la Glèbe était trop brève et cursive. Etre nous montre l’arrivée de l’écrivain à la conscience exacte d’une littérature soucieuse avant tout du phénomène passionnel ambiant étudié à la clarté d’une conscience, d’un écrivain aussi suffisamment muni pour suivre les oscillations du phénomène et les résumer en de nobles lignes.
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