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Une campagne du symbolisme en 1888.
A propos de Baudelaire
***
M. de Bonnières collectionne de rapides visions sur ses contemporains, mais non pas en la formule libre et dégagée de M. de Goncourt. Ce sont de petits articles qui se suivent sans autre lien que la série de préoccupations qu’ils rappellent. Leur intérêt le plus varié serait de n’être point uniquement consacré à la littérature et aux littérateurs; on y rencontre M. de Saint-Vallier, M. Tissot, M. de Courcel, un Edmond About politique, un abbé Loyson, un Darwin, épisodique, et un Jules Ferry savamment étudié, présenté comme un phénomène de vulgarité et de force, une terrible Mme Greville, etc… Comme lettrés, on perçoit Musset dans un rapport avec M. Jules Grévy, un M. Jules Grévy inconnu, farci de latin et ami de poètes. Il s’y trouve une courte étude sur Charles Baudelaire, et curieuse comme impression produite par le grand poète sur un des cerveaux les plus cultivés de la génération qui nous précéda. C’est d’abord Baudelaire entrevu dans le détail de la tenue, mystificateur et doux; le Baudelaire conventionnel nous importe peu; le vrai est dans Mon cœur mis à nu, en telles mémorables phrases… l’horreur du domicile… j’ai [103] eu du talent parce que j’ai eu des loisirs… dans des vers: Ah! Seigneur, donnez-moi la force et le courage de contempler mon corps et mon cœur sans dégoût, dans cette phrase: être un saint et un grand homme pour soi-même.
S’il ne le fut, c’est qu’il ne put l’être et que le malheur des temps l’en empêchait. Ce poète, M. de Bonnières, qui parle d’ailleurs avec toute la sincérité et le respect dus, ne nous paraît pas le voir complètement. Baudelaire, dit-il, n’exprime que des choses rares, et ce rare de la sensation n’est pas suffisamment expliqué par la forme; il faut, dit M. de Bonnières, du simple en art et de l’ordinaire pour enchasser le rare; tant il est vrai que cette esthétique spéciale du poème, du poème concentré en ses parcelles purement poétiques, est difficile à faire admettre; or, le vers ne peut avoir lieu que pour dire une sensation en sa formule musicale, en sa formule abstraite, dire tout ce qu’un état d’âme contient et qui ne pourrait s’expliquer en prose. La poésie commence aux confins de l’âme humaine; débarrassée de toute occupation de vie, pour une heure, oisif, l’homme peut un instant se bercer à un souvenir, à un paysage, et non l’analyser et le démontrer, ce qui serait œuvre du roman d’analyse, mais le concentrer, le dépouiller de tout ce qu’il a d’éphémère et de circonstantiel, il peut dans un vers donner l’accord qui existe entre le rythme fondamental de son âme, et les rythmes horaires et essentiels des choses. Le poème c’est la célébration du mystère qui se passe en un soi douloureux, ou un soi attendri, et rien d’autre. Ce qu’il faut demander [104] à cette suprême forme d’art, c’est non surtout la clarté, mais l’intensité et la musique; la clarté se fait en vers autrement qu’en prose: en prose c’est par la netteté d’un terme connu correspondant à des idées connues que vous assimilez le lecteur à l’auteur; dans un poème, il faut d’abord l’assimiler à lui-même, mettre sa voix intérieure au rythme nécessaire par le groupement des voyelles et des consonnes, assimiler sa vision intérieure par le coloris général du poème et ainsi lui imposer l’idée que l’on développe, idée qui est en lui, mais qu’il en faut faire jaillir, dont il faut au moins le faire resouvenir. C’est d’avoir entrevu cette destination du poème que s’ennoblissent les plus beaux poèmes de Baudelaire, l’Invitation au voyage, la Mort des amants, l’Ame du vin, le Vin du solitaire, Recueillement, le poëme en prose, les Bienfaits de la Lune, etc…
La caractéristique spéciale de Baudelaire serait une vue très lasse de la vie, et des antinomies profondes qui ne permettent le bonheur qu’en quelques minutes d’excitation où l’on peut s’élever par l’extase et qu’on peut rechercher par des moyens artificiels, en les payant ensuite de terribles abattements; il y a dans son œuvre la force de l’habitude qui gâche jour par jour la vie et éternise le mal, le manque de l’extase intellectuelle, de ce qu’il a dénommé la santé poétique, aussi cette vision triste de la femme égoïste et futile, animal cruel ou animal lassé, bête à voluptés ruminantes, de l’homme accagnardé à des actes identiques, dont il connaît la sottise, mais y revenant par la puissance de l’heure; il pense que l’être, qui pourrait aller vers le clair et le sain, se sent comme tiré vers l’obscur et le [105] putride, et s’enlise. C’est ce qu’il faut voir à travers les mots religieux de péché, de Satan, et les apostrophes à un Dieu; Baudelaire n’a rien d’un croyant, il était au contraire plein d’amour, et l’amour dut se taire devant les voix indifférentes ou mauvaises des choses.
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